B. LES INCONNUES EXCUSABLES
1. Les machines clandestines
a) différents appareils
En fait,
ce ne sont pas les machines elles-mêmes mais plutôt la façon
dont elles sont exploitées et les pratiques auxquelles elles donnent
lieu qui sont illégales.
Des gains sous forme de lots en nature ou de parties gratuites, notamment, sont
transformés en gains d'argent illicites.
Les « appareils à partie multiple » auraient ainsi,
dès la fin des années 70, donné lieu à ce type de
dévoiement, puis les « distributeurs alimentaires à
primes » (distributeurs de confiserie) autorisés, par
dérogation à la loi de 1983
107(
*
)
, par un décret du
13 avril 1987
108(
*
)
.
Actuellement, coexisteraient :
- dans le midi, des « bingos », jeux d'adresse, un peu
analogues à des flippers, consistant à guider des billes dans des
trous numérotés, de façon à gagner -en
théorie !- des parties gratuites en fonction du score
réalisé ;
- des jeux vidéos trafiqués au moyen de logiciels provenant
d'Extrême-Orient, qui les transforment en machines à sous (non
autorisées puisque seuls les casinos ont le droit d'en exploiter,
d'après la loi Pasqua du 15 mai 1987).
b) un phénomène en augmentation
Il
semble que la demande et l'offre de ce type de jeux soient en forte
augmentation :
- la demande, parce que les consommateurs se lassent des jeux
traditionnels (flippers, baby foot, juke box, etc...) qui leur sont
proposés, le plus souvent, dans les cafés. Ils ont pris
goût aux jeux électroniques divers à leur disposition (jeux
d'ordinateurs, à domicile, jeux vidéos d'arcade) et sont, de plus
en plus, sensibles à l'intervention du hasard ou aux espérances
de gain ;
- du côté de l'offre, c'est la rentabilité très
forte de ces machines (dont les revenus échappent à toute
imposition) qui explique l'attrait qu'elles exercent auprès des
malfaiteurs, d'autant que le risque encouru est relativement faible
109(
*
)
, par rapport à d'autres
infractions (proxénétisme, trafic de drogue, etc...).
On les appelle, d'ailleurs, les « gagneuses ».
Il ne faut pas les confondre avec les appareils-loteries à mise et gain
limités, existant dans presque tous les pays membres de la
communauté européenne, dont l'autorisation, dans les
débits de boisson, est demandée par la
Confédération française des professionnels en jeux
automatiques (CFA).
Bien qu'incertaines et divergentes, les estimations avancées s'accordent
à constater une augmentation des jeux interdits en France.
c) des estimations divergentes
Les
chiffres ou les indices fournis émanent :
- de la CFA (voir plus haut),
- du Centre universitaire et juridique de recherche sur les menaces
criminelles contemporaines (MCC), qui a produit une étude sur la
question
110(
*
)
;
- ou de la Direction générale des douanes (constats de
machines illégales
111(
*
)
).
L'actualisation, en 2001, de l'étude ci-dessus mentionnée de
septembre 1999, évoque une guerre (territoriale et de succession) qui
s'aggrave, gagnant notamment la région parisienne et ayant
provoqué dans celle-ci et dans le midi près de vingt
décès en 2000.
|
MCC |
CFA |
Nombre
de machines
|
6.000 en
1999
|
30.000
|
|
de 30.000
F
|
de 5.000 F
|
Quels que soient les chiffres exacts, cette dérive mafieuse est des plus inquiétantes. Elle provoquerait, selon la CFA, une évasion de recettes fiscales de l'ordre de 6 milliards de francs.
d) l'inconvénient d'une rigueur excessive ?
L'Etat
peut certes prétexter, pour ne pas être en mesure d'évaluer
avec précision l'ampleur de ces pratiques, leur caractère occulte.
Mais cette clandestinité n'est-elle pas, comme pour l'alcool aux
Etats-Unis dans les années trente, la conséquence d'une
prohibition excessive (voir chapitre III) ?
Le régime actuel est, en effet, très rigoureux puisqu'il interdit
l'installation et l'exploitation, dans les lieux publics ou ouverts au public,
de tout appareil dont le fonctionnement repose sur le hasard et qui procure aux
joueurs un avantage quelconque
même sous forme de parties
gratuites
(loi du 16 décembre 1992 modifiant la loi du
12 juillet 1983).
Les seules exceptions légales qui demeurent concernent :
- les machines à sous des casinos (loi du 5 mai 1987),
- certaines loteries (organisées dans les fêtes foraines, ou
attribuant des objets mobiliers ou des lots de faible valeur, dans un cercle
restreint ou dans un but de bienfaisance).
Par ailleurs, le problème de la distinction entre hasard et adresse dans
certains jeux, qui font simultanément appel à l'un et à
l'autre, n'a jamais été juridiquement tranché
112(
*
)
.
Certes, la dureté des dispositions actuelles est la conséquence
d'abus constatés à la suite d'un assouplissement, par une loi de
septembre 1986, du régime de la loi précitée de 1983.
Cette libéralisation concernait les distributeurs de confiseries,
évoqués plus haut, ainsi que des appareils permettant des gains
en nature ne devant pas excéder 30 fois le montant de la mise,
elle-même limitée à 10 F.
Il a fallu y mettre fin.
Mais comment sortir du cercle vicieux prohibition-assouplissement-
abus-durcissement ?
Exception
Prohibition
Abus
2. Les pratiques sur Internet
Combien
de Français participent à des cyberjeux de hasard et d'argent sur
la toile ? Quel manque à gagner en résulte-t-il pour les
finances publiques ? Est-il possible de faire respecter, à cet
égard, la loi française par ceux qui résident sur notre
territoire ? Une nouvelle forme, réticulaire, de dépendance
est-elle en train d'apparaître et comment aider ses victimes ?
L'Etat paraît bien en mal de répondre à ces questions,
pourtant très importantes.
Mais cette méconnaissance est sans doute davantage excusable que la
précédente.
a) Davantage de Français concernés ?
Là encore, les seules références disponibles sont d'origine privée : un sondage récent, réalisé par « Net Value », et cité par la Cour des comptes dans son rapport public, évalue à 21,6 % (soit 1,25 million de personnes) la proportion des internautes français qui se sont connectés à des sites de jeux d'argent au mois de juillet 2000, contre 6,1 %, six mois plus tôt, en février 2000.
b) L'explosion de l'offre
Selon
Le Monde
des 24-25 juin 2001, une vingtaine de sites se
partageaient, à cette date, les loteries en ligne (la Française
des jeux en proposant trois
113(
*
)
sur son site fdjeux.com). 53 %
des opérateurs ne respectaient pas la réglementation qui interdit
le cumul des quatre caractéristiques suivantes : appel au public,
participation financière
114(
*
)
, intervention du hasard,
espérance de gain.
Le même quotidien vient de publier un article, le 2 février,
qui fait état d'un doublement en deux ans du nombre de casinos virtuels
qui atteindrait désormais 1.200 . Relais de croissance pour les
opérateurs traditionnels (comme Partouche) ou couverture idéale
pour le blanchiment de capitaux, ces sites seraient basés le plus
souvent dans des paradis fiscaux (notamment aux Antilles, au Costa Rica ou au
Vanuatu), ce qui contribue à faire de leur exploitation une
activité très lucrative, en l'absence de toute règle
internationale contraignante. Mais, note
Le Monde
, il est très
difficile de vérifier leurs performances et très peu sont
cotés en bourse.
Les Etats parviendront-ils à s'entendre, et de quelle manière,
pour faire appliquer aux joueurs le droit de leur pays de résidence (ou
de nationalité) pour réprimer les escroqueries ou les
opérations de blanchiment ?
Un obstacle au développement de ces pratiques semble venir de la
réticence des banques à valider les dépôts, par
carte bancaire, des mises initiales des joueurs, de crainte que ces derniers ne
se retournent contre elles en cas de perte.
En effet, ils pourraient alors, une fois la partie terminée, invoquer le
caractère illégal du jeu pour s'opposer au recouvrement de leurs
dettes.
Ce flou juridique, comme celui des connaissances réelles de l'Etat sur
l'ensemble des activités, légales ou non, relatives aux jeux de
hasard et d'argent, a des conséquences regrettables.