II. SIMILITUDES ET CONVERGENCES
Les similitudes existantes entre les régimes des différents acteurs sont souvent anciennes et les convergences qui affectent leur évolution plus récentes.
A. DES SIMILITUDES SOUVENT ANCIENNES
1. Les exceptions à une prohibition de principe, justifiées par l'affectation à de nobles causes
a) la prohibition de principe
Le
principe général d'interdiction des jeux de hasard en France,
posé depuis le 19
e
siècle par l'article 410 de
l'ancien code pénal, est désormais énoncé par
l'article premier de la loi n° 83-628 du 12 juillet 1983.
Cette prohibition de principe est fondée sur la loi du 21 mai
1836
38(
*
)
qui proscrit les
loteries de toute espèce.
Sont définies comme telles les affectations de biens, de primes ou
autres bénéfices dues même partiellement au hasard et, plus
généralement, toute opération susceptible de faire
naître auprès du public l'espérance d'un gain qui serait
acquis par la voie du sort.
- De son côté, la loi du 2 juin 1891
39(
*
)
sanctionne les paris sur les courses
de chevaux.
- Enfin, la loi du 12 juillet 1983 est venue ensuite interdire les
jeux de hasard en général et les « machines à
sous » en particulier.
Une telle rigueur tend à conjurer les dangers des activités
considérées : démon du jeu susceptible de ruiner ceux
qui sont sous son empire, d'une part, tentation d'escroquer les joueurs
à laquelle pourraient céder les organisateurs, d'autre part. Elle
est inspirée, enfin, par la condamnation morale que peuvent susciter des
gains « mal acquis ».
Cette prévention a perduré !
Comme le rappelle Bertrand Mathieu
40(
*
)
, l'exposé d'une loi du
18 avril 1924, complétant le texte, précité, du
21 mai 1836, exposait que : « la loterie est dangereuse
comme faisant naître l'espoir d'un gain important qui n'a pas sa source
dans le travail ; elle détourne de l'effort et engage à
l'inaction ».
Plus tard, en mai 1993, un commissaire du gouvernement est allé encore
plus loin dans ses conclusions sur la décision
« société d'exploitation d'industries
touristiques », en semblant assimiler purement et simplement les
casinos à des maisons closes, du point de vue des atteintes
éventuelles à l'ordre et la morale publiques.
« Nous aurions peine à imaginer -déclarait-il en effet
aux conseillers d'Etat- que vous n'acceptiez pas de ranger parmi les mesures de
police (justifiant la non-application, en l'occurrence, du principe de la
procédure contradictoire) les interdictions d'exploiter un casino alors
que vous y placez la fermeture des lieux de
débauche »
41(
*
)
.
Ces points de vue ne sont pas limités à la France. Dans une
interprétation de l'arrêt Schindler
42(
*
)
du 21 septembre 1999, la cour de
justice européenne évoque ainsi des considérations d'ordre
moral, religieux ou culturel et les risques élevés de
délits et de fraudes qui peuvent conduire les législations
nationales à limiter, voire à interdire, la pratique des jeux
d'argent et à éviter qu'ils ne soient source de profit individuel.
Elle relève cependant qu'ils peuvent contribuer, de manière
significative, au financement d'activités
désintéressées ou d'intérêt
général telles que les oeuvres sociales ou caritatives, le sport
ou la culture.
Tel est le cas en France.
b) les exceptions justifiées par l'affectation à de nobles causes
- Une loi du 15 juin 1907 est venue tout d'abord
autoriser, sous conditions, l'exploitation de
casinos
dans les stations
balnéaires, thermales ou climatiques.
Ce même texte, toujours en vigueur, prévoit qu'un
prélèvement de 15 % sera opéré sur le produit
brut des jeux, au profit d'oeuvres communales d'assistance, de
prévoyance, d'hygiène ou d'utilité publique
(première justification morale à l'interdiction de principe des
jeux).
Un arrêté du 23 décembre 1959, on l'a vu, est venu
ensuite préciser que l'activité d'un casino ne consistait pas
seulement en une offre de jeux mais aussi en prestations de restauration et
d'organisation de spectacles.
Se fondant sur les activités d'animation artistique et culturelle de ce
type d'établissement (deuxième justification de la
dérogation à la règle de prohibition), le Conseil d'Etat a
été jusqu'à estimer, en 1966, dans sa décision
précitée « ville de Royan » qu'un contrat
liant un casino municipal à une commune constituait une concession de
service public.
Plus récemment, ces établissements se sont vus accorder, par la
loi du 5 mai 1987, l'autorisation conditionnelle d'exploiter des machines
à sous, par exception à l'interdiction de la loi du 12 juillet
1983.
Aucune raison d'intérêt général n'a, cette fois,
été invoquée comme motivation de cette mesure qui, il est
vrai, a sauvé de la faillite de nombreux casinos tout en augmentant
substantiellement les ressources publiques.
- Inventé en 1868 par un ingénieur, Joseph Oller, le pari
mutuel sur les
courses de chevaux
a été autorisé
par une loi de finances du 16 avril 1930 afin de lutter contre des
pratiques clandestines très répandues, « moyennant un
prélèvement fixe en faveur des oeuvres locales de bienfaisance et
de l'élevage » (ainsi se trouvait moralisée la
dérogation à l'interdiction de la loi de 1892).
Les sociétés de courses conservent aujourd'hui, on l'a vu, le
statut d'associations sans but lucratif, vouées exclusivement à
l'amélioration de la race chevaline.
Une partie des enjeux des parieurs est directement versée à des
fonds finançant diverses actions d'intérêt
général
43(
*
)
.
- Après le vote en 1930 d'un texte autorisant les communes à
organiser des
loteries
pour financer l'achat de matériel de lutte
contre les incendies, la loi de finances du 31 mai 1933 a
créé la Loterie nationale, dont une partie du produit devait
être affectée aux pensions des anciens combattants
44(
*
)
.
Initialement placée sous l'autorité d'un secrétariat
général, dépendant du ministère des finances, sa
gestion sera confiée en 1979, en même temps que celle du Loto
national, créé en 1976, à une société
anonyme d'économie mixte, précurseur de la Française des
jeux : la SLNLN (Société de la Loterie nationale et du Loto
national).
La Française des jeux, comme le PMU, voit une partie des enjeux de ses
clients alimenter le FNDS (Fonds national pour le fonctionnement du sport).
2. Des autorisations sous conditions
La conditionnalité même des autorisations accordées aux différents opérateurs par dérogation au principe général d'interdiction est en soi quelque chose qui les rapproche, même si les exigences qui leur sont imposées ne sont pas toutes identiques.
a) les limitations de durée
Les
durées d'autorisation sont variables :
-
un an
en ce qui concerne l'autorisation d'organiser des courses
de chevaux. L'article 5 de la loi du 16 avril 1930 dispose que
l'autorisation spéciale d'organiser le pari mutuel, accordée par
le ministère de l'agriculture, est révocable ;
- la durée de concession d'exploitation des casinos est
fixée librement par les cahiers des charges, selon la loi
Sapin
45(
*
)
, bien qu'un
arrêté du 9 mai 1997, dont la légalité
paraît contestable, la limite à
dix-huit ans
; cela
n'empêche pas le ministère de l'Intérieur de
décider, arbitrairement, au coup par coup, du temps de chaque
autorisation de jeu.
- la convention du 29 décembre 1978 entre l'Etat et la
Française des jeux, relative à l'organisation et l'exploitation
des jeux de loterie et du Loto sportif, a été conclue pour une
durée de
30 ans
.
b) des prélèvements indolores en majorité non fiscaux
L'affectation directe à de nobles causes
spécifiques
est devenue marginale dans l'utilisation du produit des jeux.
L'une des raisons d'être principales de l'autorisation de ces
activités semble être désormais de procurer des recettes
importantes à l'Etat (et, dans le cas des casinos, aussi aux communes).
Ainsi, là encore, malgré des dissemblances dans les
détails, on constate une ressemblance quant à l'objectif.
Autre point commun : les prélèvements effectués sur
les jeux et paris sont, en grande majorité, non fiscaux
46(
*
)
, ce qui les soustrait à tout
contrôle parlementaire mais pas à la surveillance de
l'administration.
S'agissant des impôts dont les opérateurs sont redevables, des
règles communes existent.
• Ainsi sont exonérés :
- de l'impôt sur le revenu, sauf circonstances exceptionnelles, les gains
réalisés à l'occasion de la participation, même
habituelle, aux jeux de hasard (loteries, lotos, courses...)
- de la TVA, l'organisation de jeux de hasard soumis au
prélèvement brut des jeux dans les casinos
47(
*
)
et le produit brut de l'exploitation
des paris mutuels hippiques, de la loterie nationale et du loto
48(
*
)
• des droits de timbre sont en revanche exigibles (à des taux
variés) sur :
- les tickets du PMU (3,80 %),
- les bulletins des loteries et jeux assimilés : loto national
et sportif (4,7 %), loteries instantanées (1,6 %)
- ainsi qu'à l'entrée des salles des jeux traditionnels des
casinos (65 F la journée et 1.200 F la saison).
• Les gains importants réalisés au PMU, au loto et au loto
foot sont soumis à un prélèvement progressif.
c) les contrôles de l'Etat
Soucieux
de ne pas voir lui échapper une partie des recettes que lui procurent
les jeux, l'Etat subordonne leur autorisation à une multitude de
contrôles financiers qui ont aussi pour but d'améliorer la gestion
des opérateurs, dans leur propre intérêt.
Les sociétés et organismes de l'institution des courses
49(
*
)
, comme la Française des
jeux
50(
*
)
et les
casinos
51(
*
)
, sont soumis au
contrôle économique et financier de l'Etat et à ceux de
l'inspection générale des finances et de la Cour des comptes.
La Cour des comptes vient de présenter, dans son dernier rapport, des
observations sur les relations entre les collectivités publiques et les
casinos.
Auparavant, l'inspection générale des finances avait
procédé à un audit de la Française des jeux
à la demande de son nouveau président, M. Blanchard-Dignac,
au moment de la prise de fonctions de ce dernier.
- L'Etat se réserve aussi un droit de regard sur la
désignation des personnels des jeux, au sommet comme à la
base
52(
*
)
.
3. Des règles claires et transparentes
Les règles des différents jeux de hasard et d'argent, quels que soient les opérateurs, doivent être précisées et portées à la connaissance du public.
a) la réglementation des casinos est récapitulée dans un document public
L'arrêté précité du
23 décembre 1959, relatif à la réglementation des
jeux dans les casinos figure, avec les autres textes qui régissent
l'activité de ces établissements, dans une brochure
spéciale éditée par les journaux officiels
Le chapitre II traite du fonctionnement des casinos.
Y sont détaillées les règles des jeux de la boule et du
vingt-trois, et des autres jeux de contrepartie, celles applicables à la
roulette (française, anglaise, américaine), aux jeux de cercle
et, notamment, les règles particulières à divers jeux de
cartes (black jack, trente et quarante, punto banco, stud poker, baccara,
écarté...) ou de dés (craps).
b) les règlements des jeux de la Française sont publiés au Journal Officiel...
Les
règlements des jeux de la Française, que son président a
le pouvoir d'établir, sont publiés au Journal officiel
53(
*
)
Un décret du 22 juillet 1933 a d'abord précisé
l'organisation de la Loterie nationale, créée par une loi de
finances de la même année (du 31 mai).
Par la suite, un décret du 10 juillet 1975 a fixé les
règles selon lesquelles il pouvait être procédé
à des « tirages supplémentaires ». C'est
ainsi que naquit la Loto.
Puis un nouveau décret du 9 novembre 1978
1
, en
application duquel la Française des jeux a été
créée, a opéré une distinction entre les loteries
de répartition (loto), sans risque pour l'organisateur, et de
contrepartie aux risques illimités (Keno...) ou limité (loteries
instantanées visées par l'article 13)
54(
*
)
.
Les principaux textes suivants concernent la création du Loto sportif
par la loi de finances pour 1985, jeu de pronostic dont les modalités
ont été fixées par décret
55(
*
)
.
c) ... de même que ceux des courses de chevaux
De la
même façon, les règlements des jeux concernant les courses
de chevaux sont publiés au Journal officiel
Les statuts du PMU prévoient (art. 18-1) que le conseil d'administration
délibère sur le lancement de nouveaux paris.
______
Caractère dérogatoire et plus ou moins
précaire
et révocable des autorisations, contrôles et
prélèvements de l'Etat, obligation de transparence quant à
l'organisation des jeux, les situations des différents opérateurs
sont donc moins éloignées qu'il n'y paraît à
première vue (en outre, tous sont soumis, sauf peut-être la
Française des jeux, à une réglementation complexe et
parfois archaïque - cf. chapitre trois).
A ces similitudes qui ne datent, pour la plupart, pas d'aujourd'hui, s'ajoutent
des convergences dans l'évolution des différents secteurs, qui
contribuent également à les rapprocher, tout en les soumettant
à une certaine concurrence.