F. LES PRÉROGATIVES DES COLLECTIVITÉS LOCALES
Les
communes tirent de très gros bénéfices de la
présence d'un casino sur leur territoire. Elles sont 350 à
pouvoir prétendre à une implantation selon les critères
établis par la loi de 1907.
La France est d'ailleurs le pays européen qui possède le plus
grand nombre de casinos.
1. Les pouvoirs de la commune
Aucun
casino ne peut obtenir une autorisation de création ou d'extension du
ministère de l'intérieur s'il ne recueille pas auparavant l'avis
favorable de la commune d'implantation.
Inversement si un maire se refuse à un tel projet, il lui suffit de ne
pas signer le cahier des charges indispensable et tout s'arrête.
L'initiative revient donc à la commune et la loi de 1907 avait,
dès le départ, exigé un avis conforme du conseil municipal
ou du syndicat de communes.
Les démarches du casino candidat devront donc s'orienter, d'une part
vers la longue et difficile instruction du dossier de création soumis
à l'avis de la commission supérieure des jeux et, d'autre part,
vers le maire et le conseil municipal pour obtenir leur avis favorable.
2. Les cahiers des charges
Il
n'y a pas de cahier type.
Cette charte, ce contrat, négocié entre la commune et le casino
comportera toutes les clauses qui s'imposeront au casino pendant la
durée d'une concession dont la durée est de l'ordre de 15
à 18 ans à l'heure actuelle.
La principale disposition est, bien entendu, le taux du
prélèvement direct que la commune effectuera sur le PBJ : il
est négocié entre les parties, variable d'une commune à
l'autre et limité à un maximum de 15 %.
Mais d'autres dispositions du cahier des charges intéressent la ville ;
le casino, conformément à la loi, doit réaliser des
animations, des activités culturelles, des spectacles, et mettre en
place en permanence une restauration d'excellent niveau.
Ces opérations sont détaillées dans le cahier des charges
qui, jusqu'en 1981, devait être obligatoirement soumis à la
tutelle ministérielle qui peut toujours, il faut être clair,
rejeter un cahier qui lui apparaîtrait insuffisant ou incomplet.
Le préfet peut parfaitement, lui aussi, intervenir dans ce domaine et
signaler à la Commission supérieure des jeux telle ou telle
défaillance d'un casino sur ces points précis.
D'une commune à l'autre, les cahiers des charges diffèrent
beaucoup et c'est parfaitement compréhensibles.
3. Nature et portée des contrats passés
Avant
la loi Sapin de 1993
, une commune qui avait trouvé un accord avec un
groupe ou un particulier, pour créer et exploiter un casino sur le
territoire communal, préparait un cahier des charges. Elle appuyait
ensuite la demande d'autorisation de jeux du candidat déposée
auprès du ministère de l'intérieur.
Après l'avis de la Commission supérieure des jeux et
l'autorisation du ministre, le conseil municipal votait
une mise en
concession.
Trois questions se posent aujourd'hui :
a) Ces contrats entre la commune et le casino sont-ils vraiment des concessions
?
b) Quelles sont les conséquences de la loi Sapin sur les obligations des
parties ?
c) Quelles sont les obligations de la commune dans son choix d'un exploitant
?
a) ces contrats passés entre commune et opérateurs de jeux sont bien des concessions
La
question est plus délicate qu'il n'y paraît. La jurisprudence est
abondante sur le sujet, très souvent suscitée par des litiges
entre communes concédantes et opérateurs privés.
Votre rapporteur ne croit pas devoir détailler toutes les étapes
franchies dans ce domaine depuis la loi de 1907 -il renvoie le lecteur, s'il
est intéressé, à l'excellent article du professeur de
droit public à l'université de Paris I, Franck Moderne, -dans le
n° 38 des cahiers Espaces consacré à « Casinos et
Tourisme » - Octobre 1994 (voir Bibliographie).
Votre rapporteur tentera seulement de résumer ici l'histoire complexe de
la question.
La situation juridique des concessions de casinos fait apparaître
quelques ambiguïtés car, entre autres choses, les casinos ne sont
pas que des établissements de jeux ; ils gèrent aussi du
spectacle, de la restauration, etc..
Si la loi du 15 juin 1907 employait le mot de
« concession », le bien fondé de ce mot a
été, à de nombreuses reprises, remis en cause, comme
d'autres formulations telles que contrats de service public, concessions de
travaux publics (pour la construction et l'exploitation d'un casino).
Le Conseil d'Etat ne disait-il pas, le 12 mai 1922, « les casinos
ne sont pas destinés à assurer un service public »
; devant cette position très tranchée, la jurisprudence de
l'époque en venait à préférer la notion de
« contrat de droit privé ».
Par la suite, une évolution se produisit et le même Conseil
d'Etat, le 27 avril 1923, faisait mention des dispositions de la loi municipale
relative aux concessions de « services municipaux ».
Plus encore, la même autorité, le 25 mars 1966, reconnut que
« le contrat (ville de Royan c/ SA le casino de Royan) constitue
une concession de service public
».
La cause paraissait entendue mais la polémique persista.
La Cour des comptes, le 24 avril 1974, évoque la notion de
« contrat de droit public »
. Et il est de fait que de
nombreux arguments sont venus conforter cette thèse.
C'est ainsi que l'abondance de «
clauses
exorbitantes
» présentes dans les contrats conforte
l'idée que les cahiers des charges des communes pour les casinos
peuvent être considérés comme des contrats
administratifs en raison même de l'existence de ces clauses
exorbitantes
(pouvoir de surveillance générale de la commune,
clauses relatives à l'exploitation, à l'interruption totale ou
partielle de l'exploitation, accord préalable du conseil municipal pour
toute modification de la composition du conseil d'administration, etc )
Or, quel cahier de charges, quel contrat de concession ne comporte pas un
certain nombre de ces clauses ?
Selon le professeur Franck Moderne : « Il y a lieu, en
définitive, d'avancer que les concessions des casinos municipaux
constituent, pour la plupart, des contrats administratifs et, dans la mesure
où un service public peut être identifié, ces concessions
revêtent le caractère de concessions de service public ».
Pour cet auteur « la catégorie de concessions, contrats de
droit privé, parait aujourd'hui résiduelle ».
Si, dans le texte de 1907, l'initiative revient à la commune, suivie de
l'avis conforme du conseil municipal ou du syndicat de communes s'il y a lieu,
les organes délibérants ne sont pas pour autant libres
d'opérer une sélection entre les concurrents.
Les concessions sont accordées « intuitu
personae »
.
Leur durée de vie, avant la loi Sapin, était fixée par le
ministre de l'intérieur et ne pouvait excéder 18 ans (
arrêté du23 décembre 1959 -art 4).
Qu'en est il en 2001 ?
Le Conseil d'Etat a été de nouveau interrogé par le
ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire
en 1995.
Le 4 avril 1995, la section de l'intérieur s'est prononcée
très précisément (n° 357 274).
Le Conseil d'Etat affirme que : « le cahier des charges pris
dans son ensemble a le caractère d'une concession de service public et,
par là même, d'un contrat administratif ».
C'est donc bien OUI à la concession.
b) la loi Sapin s'applique
Le
même avis du Conseil règle la deuxième question qui
concerne la position de ces contrats au regard de la loi Sapin.
Du fait même qu'elles sont des concessions de service public et figurent
au nombre des délégations de service public au sens de la loi du
29 janvier 1993, elles sont soumises à cette loi et à toutes
ses dispositions générales et particulières.
c) quelles sont les obligations des communes dans le choix d'un exploitant de casino ?
La
réponse du Conseil d'Etat commence par récapituler toutes les
obligations des parties qui doivent être satisfaites pour que
l'autorisation de jeux soit accordée.
Ainsi la commune doit instruire, par elle-même, une demande
après enquête commodo et incommodo, préparer un cahier des
charges et solliciter l'avis du conseil municipal sur le principe même
d'une concession au vu d'un rapport ; elle doit se soumettre à la
procédure de publicité afin de permettre la présence de
plusieurs offres concurrentes, recueillir ces offres, faire ouvrir les plis par
la commission municipale prévue par la loi.
Après discussion avec les entreprises, le maire saisit le conseil
municipal du choix qu'il propose.
Deux mois après la saisine de la commission supérieure des jeux,
le conseil se prononce sur le choix du concessionnaire et sur le contrat de
concession.
Une négociation directe (art 45 de la loi) n'est possible qu'en
l'absence de toute offre ou de rejet de celle-ci par le conseil municipal.
Le contrôle de légalité de la préfecture s'exerce
alors.
Des avenants ultérieurs sont toujours possibles mais exigent l'avis
favorable de la Commission.
Tout semblait maintenant assez clair : pourtant la question première de
la nature juridique de ces contrats et, par voie de conséquence, de leur
position au regard de la loi Sapin, semble continuer à poser
problème.
Fait très important :la Cour des Comptes a diligenté à
l'heure actuelle une très important étude sur les casinos.
Douze chambres régionales des comptes y ont travaillé depuis plus
d'un an.
Dans ce travail d'une grande importance, tant le besoin se fait sentir
d'études de ce genre au regard du développement énorme des
jeux d'argent en France, nul doute que les différences
d'interprétation évoquées plus haut feront l'objet d'un
examen approfondi.
Tel président de chambre régionale, sans divulguer le moindre
détail sur l'avancement des travaux, n'hésite pas cependant,
évoquant ce problème, à parler de « casse
tête » et « d'épineux
problème ».
Les conclusions de la Cour des Comptes viendront à point nommé
apporter la clarté nécessaire.
Quel jugement portera-t-elle sur la politique des jeux de l' Etat ?
Ses conclusions ont été rendues publiques juste avant la
publication du présent rapport (voir deuxième partie).
4. Les intérêts financiers directs et indirects de la commune
* La
commune reçoit
une part
(10 % en 2000)
du
prélèvement progressif effectué par l'Etat
8(
*
)
sur le PBJ après
l'abattement de 25 % consenti au casino pour ses frais généraux.
* Elle reçoit également
le produit d'un
prélèvement direct sur le PBJ
, (après le même
abattement de 25 %), fixé dans le cahier des charges, mais
plafonné à 15%.
Ce prélèvement varie d'une commune à l'autre ; certains
s'en étonnent et suggèrent une uniformisation des taux.
Cette idée n'est pas réaliste tant sont variables les
éléments qui constituent le cahier des charges :
propriété des immeubles, nature et coût des animations,
importance du marché, etc .
* Elle bénéficie de la part communale des impôts locaux
payés par l'établissement
: TP, TFB, TH,
etc, dans des
limites variables, suivant qui est propriétaire de l'immobilier, la
commune ou le casino.
* Elle fait
d'importantes économies sur son budget de
fonctionnement
car toutes les activités réalisées par
le casino dans les domaines culturel, sportif ou touristique sont autant
d'opérations qu'elle n'aura pas à engager elle même.
*
Elle profite des emplois créés
; si une partie d'entre
eux sont relativement spécialisés: croupiers, caissiers
cuisiniers, secrétaires, un grand nombre d'autres le sont moins et
pourront être pourvus par un recrutement sur place : valets,
surveillants, etc.
En ce sens, dans une petite commune, l'impact d'une création peut
être très fort et contribuer à stabiliser une situation
précaire de l'emploi.
RECETTES DES COMMUNES 1995 - 2000 (en MF)
|
94/95 |
95/96 |
96/97 |
97/98 |
98/99 |
99/00 |
Evolution 94/00 |
1) Prélèvement communal |
229 |
241 |
266 |
313 |
346 |
343 |
+ 67,2 % |
2) Cahier des charges |
482 |
616 |
720 |
854 |
932 |
1.064 |
+ 120 % |
3) Total |
711 |
857 |
986 |
1.167 |
1.278 |
1.447 |
+103,5 % |
L'évolution des produits financiers
bénéficiant
aux communes est donc en très forte augmentation.
Quelques exemples montrent l'impact de ces ressources sur les budgets
municipaux :
Amneville ( Lorraine ) 37 MF
Deauville 40 MF soit 22, 6 % du budget
Divonne 58,1 MF soit 50, 1 % du budget
Bandol (Var ) 15 MF
En fonction de ce qui précède, on comprend le zèle des
maires à obtenir un casino et on comprend aussi pourquoi, quand au
début du siècle le Conseil d'Etat donna la latitude aux maires de
fermer les casinos existant dans leurs villes (art 97 du code de
l'administration communale), aucun ne le fit.
Sacha Guitry n'a-t-il pas dit dans
Mémoires d'un tricheur
:
« à Monte Carlo, on a construit d'abord un casino autour
duquel une ville s'éleva »?