2. Une situation en marge désormais plus subie que voulue
Une grande part de l'insatisfaction des pensionnaires résulte sans doute à la fois du décalage de la fonction de la Villa par rapport à son environnement culturel et de l'ambiguïté des aspirations des pensionnaires qui veulent et ont besoin d'être à la fois dans et hors le monde de la création, en dépit des efforts de la direction de la villa pour les ouvrir sur les réalités italiennes.
Persuadé qu'il s'agissait là d'un préalable à toute réflexion sur l'avenir de l'institution, votre rapporteur spécial a considéré qu'il fallait essayer d'esquisser l'image qu'avait la Villa dans l'esprit de ses anciens pensionnaires, comme dans celui des principaux acteurs du monde de l'art.
Pour y parvenir, il ne s'est pas contenté d'interroger des personnalités des mondes de l'art à l'occasion des auditions organisées au Sénat. Il a cherché à obtenir le témoignage de personnes intéressées par la Villa au moyen de questionnaires écrits de nature à élargir le champ d'investigation et donc la signification des opinions recueillies. Dans l'un et l'autre cas, votre rapporteur spécial s'est efforcé de poser des questions aussi simples et ouvertes que possible, au risque de susciter chez certains des observations sur la pertinence d'une approche aussi rudimentaire 3 ( * ) .
Tant en ce qui concerne les anciens pensionnaires que les acteurs institutionnels, les limites de l'exercice sont évidentes.
D'une part, la Villa est une institution sans mémoire et l'on n'a pas pu disposer de fichier à jour permettant d'atteindre la majorité des anciens pensionnaires. La liste fournie, déjà incomplète, comportait les adresses des pensionnaires à l'époque où ils séjournaient à la Villa, c'est dire que le taux de retour « inconnu à l'adresse indiquée » a été très important, de l'ordre de la moitié des envois. Enfin, un certain nombre d'anciens pensionnaires n'ont pas répondu, soit par manque d'intérêt pour la démarche, soit en raison d'un emploi du temps professionnel trop chargé.
De la quarantaine de réponses reçues mais aussi de l'analyse du rapport commandé à une universitaire, Madame Françoise-Claire Prodhon par la délégation aux Arts plastiques au début des années 1990, il ressort que si la Villa Médicis est perçue comme une institution positive par la quasi-totalité d'entre eux, surtout avec le recul du temps, les pensionnaires artistes -car ce n'est évidemment pas le cas des historiens d'art- ressentent de façon très aiguë un isolement géographique certes, mais aussi fonctionnel, en dépit du souci affiché de retour sur soi.
a) Le souhait ambigu d'un moment de respiration
L'analyse des réponses montre d'abord que, pour de nombreux pensionnaires, notamment pour ceux des générations les plus anciennes, le séjour à la Villa constitue une expérience unique, un moment de respiration dans leur carrière, des temps heureux, dont ils sont sincèrement reconnaissants à la République.
L'un parle d'une « possibilité de faire le point, de reprendre [son] souffle » ; une autre déclare : « libérée de tout souci matériel, j'ai pu pendant ce laps de temps travailler de façon intensive, loin de toute dispersion. Je dois dire que je vis encore aujourd'hui sur cet acquis et que je n'ai toujours pas épuisé les trésors accumulés. Grâce à ce séjour de longue durée, je me sens depuis lors chez moi à Rome lorsque j'y retourne, je sais où et comment chercher. D'un point de vue humain, j'ai surtout aimé côtoyé peintres, sculpteurs, écrivains et compositeurs. Des amitiés se sont tissées pour la vie ».
Les thèmes de la durée, du temps que l'on a devant soi pour se pencher sur son art, reviennent également de façon fréquente :
• l'un estime que, « pour que la Villa soit un outil efficace pour la recherche et la création, il faut de la durée, du calme et du silence. Faire défiler les pensionnaires tous les six mois dans ce lieu, c'est le transformer en hôtel de luxe, rien de plus. Pas d'imprégnation du lieu, plus de transmission de la mémoire du lieu, plus le temps de se concentrer et de travailler ! » ;
• un autre affirme « qu'il faut absolument conserver l'institution et ne pas raccourcir la durée de séjour des pensionnaires. La durée de deux ans doit être... maintenue, pour les artistes qui ont le temps de créer quelque chose, et peut-être encore plus pour les historiens de l'art. C'est en effet durant la seconde année que, généralement, on met le mieux à profit le séjour à Rome. »
Dans cette perspective, il est vrai qu'une des justifications de la résidence réside moins dans la capacité à entrer en contact avec d'autres artistes, - même si l'aspect pluri-disciplinaire du séjour n'est en général pas négligé - que dans la possibilité de vivre « une parenthèse », un moment extrêmement propice au travail car hors de toutes contraintes temporelles et matérielles. L'idée est alors d'offrir à chaque pensionnaire « l'occasion unique d'entamer une réflexion de fond », de se ressourcer en disposant de temps pour le faire.
* 3 Aux anciens pensionnaires, il était ainsi posé deux questions :
1) que vous a apporté, d'un point de vue professionnel et humain, votre séjour à la villa Médicis ?
2) dans quel sens estimez-vous nécessaire (en fonction de vos souvenirs de pensionnaire, mais aussi avec le recul de votre expérience professionnelle), de faire évoluer l'organisation de la villa pour en faire un outil plus efficace au service de la création et du progrès des connaissance ?
Aux responsables de l'action culturelle, et plus généralement aux acteurs de la création contemporaine, il a été posé deux questions :
1) avez-vous, à l'occasion de vos activités professionnelles, eu des contacts avec des artistes anciens pensionnaires de la Villa Médicis ? quel vous semble avoir été l'apport d'un séjour à Rome dans l'évolution de l'artiste ?
2) le système de résidence à la Villa Médicis (et d'une façon générale le système des aides directes aux artistes) : résidence, bourse, etc...) vous paraît-il de nature à favoriser la création artistique en France, et dans quelles directions vous semble-t-il éventuellement souhaitable de le faire évoluer ?