b) Une Villa Hors le monde/Une Villa dans ses murs
Et pourtant, les souhaits, formulés par les nouvelles générations de pensionnaires, procèdent également d'une réelle volonté de participer à la vie de la Villa et de tirer pleinement parti du séjour à Rome. Cette insistance sur l'aspect durée et cette volonté de se donner du temps n'a d'égale chez les pensionnaires que celle de rester en prise avec le monde de la création.
A cet égard, la revendication avancée par les artistes plasticiens de pouvoir disposer d'un chargé de mission pour les créateurs comme il en existe un pour l'histoire de l'art, comme celle, déjà ancienne, de meilleures conditions d'exposition de leur travail, témoignent de leur volonté de rester en contact avec l'extérieur.
D'une façon générale, comme le souligne très nettement Françoise-Claire Prodhon, la plupart des pensionnaires considèrent que l'Italie ne constitue pas une fin en soi. Elle note même que les plasticiens et les cinéastes sont très réservés sur la situation actuelle dans leur discipline et que, en ce qui concerne les arts plastiques, l'Italie n'est plus à la pointe ni de la création, ni du marché d'aujourd'hui.
Il y a là des jugements que l'on peut sans doute contester mais qui traduisent la perception de leur séjour par un nombre non négligeable de pensionnaires.
De ce point de vue, il faut d'ailleurs bien admettre que Rome a depuis de nombreuses années cédé la place à d'autres métropoles Paris d'abord, New-York ensuite, sans qu'aujourd'hui on sache dans un monde plus global où se situe véritablement le pôle de création le plus actif. La certitude est en tous cas négative. Il n'est pas à Rome.
Certes, on trouve bien à Rome des artistes de niveau mondial tels Cy Twombly ou Joseph Kosuth. Mais, force est de constater qu'il n'y règne pas ce bouillonnement, cette effervescence propice à la création.
Il y a des artistes, il y a des galeries, il y a des critiques, qui vivent ou qui passent à Rome, mais, semble-t-il, ils ont les yeux tournés ailleurs, que ce soit New-York, Berlin ou ces grandes foires internationales que l'on trouve maintenant à Bâle ou à Cassel.
Bref, Rome ne bénéficie pas - et il est vrai que cela ne date pas d'aujourd'hui - de cet « effet de place », qui lui assurerait naturellement un effet d'attraction suffisant sur les mondes de l'art qu'il s'agisse des artistes, des critiques, des marchands ou des collectionneurs.
c) Des pensionnaires hors circuit ?
Cet isolement géographique a pour corrélat un isolement fonctionnel. Les pensionnaires sont pour ainsi dire déconnectés des mondes de l'art. Ils sont coupés des marchands susceptibles de s'intéresser à eux, des conservateurs capables de les exposer, et des collectionneurs désireux de les acheter.
Les directeurs de la Villa se sont efforcés de remédier à cette déconnexion en faisant venir à la Villa un certain nombre de personnalités.
Mais il ne s'agit là que d'opérations ponctuelles, d'une forme « d'importation nécessairement coûteuse en temps comme en argent ». Le pensionnaire qui veut rester « branché », doit nécessairement déployer des efforts pour garder le contact avec les personnes qui s'intéressent à son travail, au risque de passer beaucoup de temps en dehors de la Villa et de remettre en cause la légitimité même de la résidence dont il bénéficie. On ne compte d'ailleurs plus les allusions dans les confidences ou les souvenirs des uns ou des autres à ces pensionnaires que l'on ne voyait pas ou peu à la Villa, sans que l'on sache s'il s'agit de cas marginaux ou de comportements fréquents.
Les revendications récurrentes des pensionnaires dont se font l'écho les débats du conseil d'administration, apparaissent alors comme l'expression de l'ambiguïté de leurs aspirations et d'une espèce d'attitude facile, voire contradictoire, qui leur fait espérer avoir le beurre et l'argent du beurre, c'est-à-dire bénéficier à la fois de la sérénité de l'isolement et des bénéfices du bouillonnement. Il est vrai que les pensionnaires à qui l'on offre déjà le gîte et le couvert, peuvent donner parfois l'impression d'en vouloir encore plus et que le climat créé par la Villa suscite naturellement une mentalité d'assisté voire «des comportements d'enfants gâtés », selon la formule d'un ancien président du conseil d'administration.