c) Des pensionnaires apparemment privilégiés
En principe, les pensionnaires bénéficient d'une position enviable dans la mesure où les contraintes, au demeurant bien légères, prévues par le règlement, semblent largement théoriques.
Toutefois, sur le plan strictement matériel, les témoignages historiques comme un examen des conditions effectives de séjour 2 ( * ) et, surtout, de retour conduisent à nuancer cette appréciation, en considérant comme non dénuées de fondement un certain nombre de revendications des pensionnaires.
(1) Un statut juridique ambigu
La situation juridique des pensionnaires est très particulière. Il n'existe pas de statut du pensionnaire, qui n'est ni boursier, ni contractuel, ni salarié de l'État.
Pour l'ensemble des démarches administratives notamment vis-à-vis des organismes sociaux et des assurances, les pensionnaires sont souvent confrontés à des difficultés pratiques, évoquées lors du conseil d'administration du 3 juillet 1999. La direction de l'administration générale du ministère de la culture estime que la solution ne peut résider dans la création d'un statut de pensionnaire.
Les années passées à la Villa entrent en compte pour le calcul de l'ancienneté des fonctionnaires, à condition que ceux-ci obtiennent leur détachement de leur administration d'origine auprès de l'établissement public Académie de France à Rome, pour la durée de leur séjour.
(2) Des conditions matérielles théoriquement favorables
L'article 4 du décret n° 86-233 du 18 février 1986 prévoit que les candidats se présentant pour être pensionnaires à l'Académie de France à Rome, doivent souscrire une déclaration selon laquelle ils s'engagent à observer le règlement intérieur de l'Académie.
Ce règlement, dont le texte actuel a été approuvé le 3 juillet 1999 par le conseil d'administration, vise à clarifier et à faciliter les conditions de séjour et de travail des pensionnaires à la Villa Médicis.
(a) Les modalités de rémunération
L'article 4 précise la situation financière et fiscale des pensionnaires. Ceux-ci bénéficient pendant la durée de leur séjour d'une rémunération principale, d'une indemnité de résidence et, éventuellement, de majorations familiales.
L'indemnité de résidence est, pour reprendre les termes mêmes du règlement, « destinée à compenser toutes les dépenses d'ordre privé et liées à l'expatriation, à contribuer à l'équipement complémentaire du logement, sommairement meublé qui est mis à la disposition des pensionnaires et à permettre à ces derniers de financer les acquisitions nécessaires à l'ordinaire de leurs travaux et recherches personnelles ».
La rémunération -versée sur un compte en francs français auprès d'un établissement bancaire romain- est exclusive de toute autre rémunération impliquant un lien de dépendance vis-à-vis d'un employeur. Déclarée à l'administration fiscale pour ce qui concerne sa partie principale, elle est égale pour ce qui concerne la rémunération principale au traitement d'un professeur bi-admissible à l'agrégation à l'échelle de début, en application d'un arrêté du 1 er février 1972.
L'article 5, qui est relatif aux problèmes de sécurité sociale et de santé, prévoit que les pensionnaires indiquent à l'agent comptable le régime de sécurité sociale dont ils relèvent (régime général, AGESA, Maison des artistes, etc) et s'ils souhaitent le maintien de cette affiliation.
Il est indiqué également que la souscription d'une protection complémentaire par une mutuelle ou une assurance personnelle est vivement recommandée, l'Académie ne pouvant prendre en charge les dépenses liées à des difficultés de santé d'un pensionnaire ou d'un membre de sa famille.
(b) Les conditions de séjour
Les articles premier et 2 fixent les modalités pratiques du séjour et, notamment, les conditions de remboursement des voyages et déménagements. On note que les pensionnaires sont remboursés de leur voyage aller et retour de leur lieu de résidence en France sur la base du tarif T3 wagons-lits de seconde classe. Quant au déménagement, seul le retour est remboursé selon des conditions fixées par le décret n° 86-416 du 12 mars 1986, ce qui à titre d'exemple permet à un célibataire de prétendre à une somme de l'ordre de 5.300 francs.
Les articles 6, 7 et 8 sont relatifs aux questions de situation familiale et de logement. L'attribution des logements et des ateliers est faite par le directeur. Elle tient compte de la situation familiale des pensionnaires. Ceux-ci sont responsables du maintien en bon état des lieux ainsi que du matériel éventuellement mis à leur disposition. Il est précisé que l'Académie ne peut être tenue pour responsable des vols et dégradations, contre lesquels les pensionnaires doivent être assurés individuellement.
Les photographes ont à leur disposition un laboratoire photo, les compositeurs un laboratoire électroacoustique et les graveurs un atelier de gravure. Les pensionnaires plasticiens peuvent par ailleurs bénéficier des services de la menuiserie de l'Académie, qui exécutent les travaux en leur communiquant le devis d'achat de bois qui sera à leur charge. Il est précisé « que tous les achats et fournitures (produits photo, papier à musique et cassettes, toiles et peinture, etc.) sont à la charge des pensionnaires, la bourse qu'ils perçoivent étant notamment destinée à leur permettre de faire face à ce type de dépenses ».
L'article 16 est relatif à la participation des pensionnaires aux activités culturelles. L'article 4 du décret n° 86-233 du 18 février 1986 prévoit que les pensionnaires s'engagent à participer, selon des modalités à définir en accord avec le directeur, aux activités d'échanges culturels et artistiques organisées dans l'Académie.
En ce qui concerne les historiens d'art, l'article premier du décret susmentionné prévoit que ceux-ci doivent collaborer, sous la direction du chargé de mission histoire de l'art, « à l'accomplissement d'un programme commun d'études et de recherches intéressant notamment les rapports entre la France et l'Italie ».
L'article 17 concerne la présentation des travaux des pensionnaires. Sous la responsabilité d'un commissaire, il est prévu que les pensionnaires plasticiens et photographes participent à une exposition collective présentée à la Villa Médicis. Cette possibilité est également offerte aux architectes designers ou scénographes.
Les compositeurs sont invités à présenter leurs travaux au cours d'un ou plusieurs concerts, qui font l'objet d'une ligne budgétaire individualisée.
Les historiens d'art et les restaurateurs peuvent être amenés à participer à la préparation d'une exposition, d'un colloque ou d'une publication. Tous les pensionnaires peuvent bénéficier d'une fiche individuelle sur le site Internet de la Villa Médicis.
L'article 19 régit les modalités d'insertion dans la vie culturelle italienne. Il prévoit des cours d'italien, ainsi que la possibilité pour les pensionnaires de demander à la direction de les aider à obtenir les autorisations nécessaires pour l'accès à des bibliothèques spécialisées ou à des lieux habituellement fermés au public.
L'article 20 concerne la bibliothèque, qui est ouverte tous les jours de la semaine sauf le dimanche.
L'article 21 prévoit l'obligation pour les pensionnaires de déposer à la bibliothèque un exemplaire de chacun des livres, catalogues, disques ou articles qu'ils ont publiés ou qui leur ont été consacrés avant leur arrivée à la Villa. Ils sont tenus de continuer à le faire pour tout ce qui pourrait avoir été publié pendant leur séjour et fortement incités à continuer les dépôts pour ce qui serait fait après leur départ.
Le même article prévoit également que « les pensionnaires plasticiens et photographes sont informés de la procédure d'acquisition d'oeuvres d'art par le Fonds national d'art contemporain ».
Il est en outre indiqué que « d'une manière générale, les pensionnaires sont incités à continuer à informer l'Académie de leurs activités après la fin de leur séjour à la Villa, à lui communiquer leurs changements d'adresse et à faire mention de leur qualité d'ancien pensionnaire de la Villa Médicis à l'occasion de leurs futurs concerts, expositions ou publications ».
A l'article 22, il est traité des rapports avec la direction. On y remarque que « chaque pensionnaire est invité à prendre régulièrement rendez-vous avec le directeur ou le secrétaire général, et le chargé de mission pour l'histoire de l'art en ce qui concerne les historiens d'art et les restaurateurs, pour faire le point sur l'état d'avancement de ses travaux et étudier les dispositions à prendre pour permettre la réalisation de son programme de travail dans les meilleures conditions ».
Il est, de plus, prévu « que les pensionnaires sont tenus de remettre au directeur, dans le mois qui suit la fin de leur séjour à l'Académie, un rapport de fin de séjour, de deux à dix pages, dans lequel ils indiquent, en bénéficiant de la confidentialité requise, ce que leur a apporté leur séjour à la Villa Médicis et ce qui leur paraît devoir être amélioré dans le fonctionnement de l'Académie. Ces rapports sont tenus à la disposition du président du conseil d'administration ».
Par ailleurs, le chargé de mission pour l'histoire de l'art adresse chaque année au directeur un rapport sur l'activité des historiens d'art et des restaurateurs, qui est communiqué au président du jury et au président du conseil d'administration.
Enfin, les pensionnaires élisent des délégués qui assistent au conseil d'administration avec voix consultative et participent tous les deux mois à une réunion avec la direction.
Les articles 23 et 24, en dernier lieu, traitent des questions de discipline. Sauf autorisation exceptionnelle, écrite et préalable, les pensionnaires ne peuvent s'absenter que pour de courtes périodes et en le signalant par avance à l'administration. Il est prévu que « des absences trop longues ou trop fréquentes peuvent entraîner la suppression du versement de l'indemnité de résidence, voire la radiation du pensionnaire par décision de la commission de discipline ». Les pensionnaires se rendant coupables d'infractions à la discipline, à l'honneur et à la probité comparaissent devant un conseil de discipline présidé par l'Ambassadeur de France en Italie et composé également du consul général de France, du directeur de l'Académie et du secrétaire général.
Le bref rappel ci-dessus démontre que le règlement intérieur comporte a priori des règles suffisamment rigoureuses pour garantir un certain équilibre entre les droits et les devoirs des pensionnaires et, notamment, assurer que par le jeu des rapports, des rendez-vous périodiques, voire des sanctions, le pensionnaire soit incité à tirer le meilleur parti pour lui-même et pour la Villa de son séjour romain.
Si l'on a pu douter de l'efficacité de l'institution, c'est précisément comme l'a fait d'ailleurs la Cour des comptes - qui regrette dans ses conclusions « l'absence de contrôle de la direction de l'AFR sur l'activité des pensionnaires » -, parce que tout cet arsenal d'obligations et d'incitations est largement théorique transformant manifestement, au moins pour les pensionnaires de la première section, une retraite studieuse en abbaye de Thélème.
* 2 Il y a en outre une grande différence entre les pensionnaires qui ont la chance d'habiter « Neuilly » - pour reprendre le jargon traditionnel des pensionnaires -, s'agissant des logements côté jardin, et les autres, moins heureux, qui sont logés au « Château » mais sur la « passerelle », voire à « Sarcelles », un ensemble de pavillons de construction récente.