CONCLUSION

Le Bureau de l'Assemblée nationale a confirmé par lettre du 25 septembre 1997 les termes de sa saisine et l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques m'a, en conséquence, demandé d'intégrer le projet EPR à mon rapport annuel sur la sûreté des installations nucléaires en abordant " les aspects technologiques, de sécurité, de normalisation et économiques du programme de réacteur européen à eau pressurisée (EPR) ".

J'ai longuement insisté à travers ce rapport sur l'apport de ce programme dans le domaine de la technologie et sur le fait que les ambitions des concepteurs du projet EPR en feraient probablement le réacteur nucléaire le plus sûr au monde.

Mais je crois qu'il existe d'ores et déjà un acquis : l'uniformisation des procédures françaises et allemandes de sûreté nucléaire est en route. Certes, elle s'effectue en marge de l'Union Européenne, selon une démarche de coopération intergouvernementale plus proche des programmes AIRBUS ou ARIANE, mais le programme EPR constitue, avec la démarche des EUR initiée par les électriciens d'uniformisation de leurs normes, un apport de poids à la construction européenne.

Le projet EPR a déjà nécessité un investissement de l'ordre d'un milliard de francs mais, surtout, l'engagement de la construction d'une série d'au minimum sept réacteurs générera des dépenses qui vont se chiffrer en dizaines de milliards de francs. Aussi, ce projet est un non-sens économique si la construction se limite à un prototype. De ce fait, la décision de poursuivre ce programme est d'abord politique et stratégique ; elle dépend étroitement de la définition de la politique énergétique des trente prochaines années et il appartient au Gouvernement d'annoncer des orientations claires.

Il est de mon devoir de mettre en garde le Gouvernement contre une approche qui serait trop axée sur le court terme, dans la mesure où la sûreté des installations nucléaires implique une politique de long terme et repose en partie sur la standardisation et le retour d'expérience, incompatibles avec les projets de loi en gestation qui prévoiraient un appel d'offre systématique pour la construction de chaque centrale nucléaire, ce qui est incompatible avec une politique de standardisation.

Il n'est pas possible de conduire un grand projet industriel en l'absence de stratégie claire. Or, il est nécessaire de prendre conscience que la seule position gouvernementale claire : " maintenir la liberté de choix ", sera illusoire si nous connaissons une traversée du désert de dix ans au cours de laquelle le tissu scientifique et industriel se sera délité.

Une telle situation serait extrêmement dommageable pour la sûreté des installations nucléaires car les recherches conduites, par exemple pour l'EPR, permettent d'apporter des améliorations aux centrales en service lors des opérations de maintenance, par exemple les révisions décennales.

Il est évident que lorsque je lis une déclaration ministérielle indiquant qu'à partir de 2005, il faudra abandonner l'énergie nucléaire, j'imagine que les équipes qui travaillent sur le projet EPR sont désappointées.

Je suis convaincu que la volonté de laisser toutes les options ouvertes pour la définition d'une politique énergétique doit s'entendre de manière dynamique . Cette position implique le maintien des compétences de l'industrie nucléaire car le coût nécessaire à la reconstitution des compétences serait prohibitif.

Or, que faire entre 2000 et 2010 si l'EPR n'est pas réalisé ? Dix années de recherches théoriques permettront certainement de maintenir un haut niveau de recherches en physique nucléaire mais le savoir-faire industriel, qui est extrêmement précieux, implique également des connaissances pointues et l'existence d'un réseau de sous-traitants et d'industriels aux standards de qualité qui ne sont pas ceux du reste de l'industrie.

Aussi, je souhaite que les responsables d'EDF prennent sur ce dossier une position beaucoup plus claire et déterminée qu'ils ne l'ont fait le 4 mars. Il est vrai que la décision appartient au Gouvernement, mais les dirigeants des entreprises publiques ont pour devoir d'élaborer un projet d'entreprise digne de ce nom.

Je suis également conscient des difficultés que rencontrent les dirigeants de FRAMATOME, mais ils se doivent d'élaborer une stratégie plus offensive, en particulier en matière d'alliance, ce qui peut conduire à un élargissement à d'autres partenaires du projet EPR.

Il est clair que la simple maintenance du parc actuel ne suffira pas pour maintenir le tissu industriel. Cette situation n'est pas propre au secteur nucléaire, mais à toutes les entreprises de haute technologie où les acteurs qui n'avancent pas reculent.

Il est à mes yeux important, sauf si l'on souhaite abandonner l'énergie nucléaire, de réaliser aux environs de 2003 une tête de série d'un EPR, mais le problème de sa localisation est extrêmement difficile à régler.

Il me paraît difficile d'implanter une tête de série en France avant 2010, dans la mesure où il semble que le développement " subi " de la cogénération permettra de faire face à l'augmentation de la consommation électrique.

L'édification de centrales nucléaires de type EPR, qui apportent des améliorations réelles en termes de sûreté et de rejets d'effluents, est certainement de nature à mieux faire accepter l'énergie nucléaire.

D'autre part, les impératifs de protection de l'environnement, en particulier les objectifs de lutte contre l'effet de serre, ne pourront être tenus qu'avec l'apport de l'énergie nucléaire, ce qui la fait apparaître comme relativement incontournable.

D'autant que la protection de l'environnement ne se limite pas à la lutte contre l'effet de serre mais incorpore tous les rejets, en particulier le soufre, ce qui implique de limiter le recours aux centrales thermiques les plus anciennes, en particulier chez nos voisins allemands.

Leur situation politique est différente de la nôtre, mais il est certain qu'il leur sera difficile de respecter les engagements de Kyoto sans recourir à l'énergie nucléaire, surtout si la croissance économique repart en Europe.

Il est également clair que, dans le domaine des économies d'énergie, les gains à la marge seront de plus en plus difficiles à réaliser et d'un coût croissant, ce qui pourrait nous conduire à un parallélisme plus marqué entre la croissance économique et la consommation d'énergie. Les économies d'énergie doivent demeurer la première des priorités.

Mais pourront-elles le demeurer, dans un climat de concurrence exacerbée entre les diverses sources d'énergie ?

Pourtant, cette politique demeure toujours d'actualité, de même que l'objectif de sécurité d'approvisionnement et d'indépendance énergétique, à la base du programme électronucléaire français. J'ai procédé à l'audition des partenaires sociaux, en particulier de la CGT, qui a développé devant moi des analyses extrêmement pertinentes, et il est indispensable que les partenaires sociaux soient plus étroitement associés aux réflexions conduites.

Toutefois, je ne remets pas en cause la nécessité d'une diversité plus grande de nos sources de production d'énergie.

Aussi souhaiterais-je que le débat sur la localisation d'une tête de série d'un EPR soit dépassionné. Les perspectives d'exportation d'un EPR ne peuvent pas constituer à elles seules un motif d'installation en France ou en Allemagne

La construction d'un réacteur, si elle se faisait, ne pourrait à mon sens qu'être effectuée sur un site où se trouvent déjà des réacteurs nucléaires, ne serait-ce que pour conforter l'emploi sur des sites existants. L'obstacle le plus difficile, pour la France, à la décision de construction d'un EPR réside dans l'absence de besoin d'augmentation de la production d'électricité dans la décennie à venir. L'Allemagne, pour sa part, ne peut pas aborder cette question avant ses prochaines échéances législatives.

Or, je suis convaincu que le maintien à niveau de notre industrie nucléaire passe par la réalisation de l'EPR qui, si elle ne se fait pas dans les deux pays promoteurs, devrait se faire dans un pays où la notion de retour d'expérience conserve tout son sens.

Je crois que ce grand projet s'imposera comme une référence européenne en matière de sûreté, s'il réussit à obtenir le soutien actif de partenaires européens, voire l'intégration de quelques-uns d'entre eux.

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