LE CONTRÔLE DE LA SÛRETÉ ET DE LA SÉCURITÉ DES INSTALLATIONS NUCLÉAIRES
BIRRAUX (Claude), Député ; LE DRÉAUT (Jean-Yves), Président ; REVOL (Henri), Vice-Président
RAPPORT 484 (97-98), Tome 1 - OFFICE PARLEMENTAIRE D'EVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
Table des matières
-
INTRODUCTION
-
TITRE I
UN PROJET TROP RAISONNABLE ?
-
TITRE II
" DOMPTER LA LAVE RADIOACTIVE ? "
-
Chapitre I
La recherche et développement générée
par le projet EPR
-
Chapitre II
Les recherches sur les accidents graves
-
I Les risques liés à l'hydrogène
- A) Les solutions techniques sont malaisées à définir
- B) Hydrogène et fusion du coeur
- C) Les enceintes de confinement
- II Le confinement du corium
- III Explosion vapeur
- IV Compte rendu succinct de l'essai VULCANO VE-U1
-
I Les risques liés à l'hydrogène
-
Chapitre III
L'îlot non nucléaire
-
-
TITRE III
FAUT-IL CONSTRUIRE UN EPR ?
-
Chapitre I
L'économie du projet EPR
-
Chapitre II
Les conséquences de la non-réalisation du projet EPR
-
Chapitre III
Les effets de la non-réalisation du projet EPR
pour les industriels
-
-
CONCLUSION
-
ADDENDA
LES PERSPECTIVES DE CONSTRUCTION D'UN EPR EN RUSSIE
-
RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR
-
ADOPTION DU RAPPORT PAR L'OFFICE
-
ANNEXES
N°
971
N° 484
____ ____
ASSEMBLÉE NATIONALE
SÉNAT
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
Annexe au procès-verbal de la éance du 9 juin 1998
le 9 juin 1998
________________________
OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
________________________
RAPPORT
sur
LE CONTRÔLE DE LA SÛRETÉ ET DE LA SÉCURITÉ
DES INSTALLATIONS NUCLÉAIRES
Première partie :
Le projet de réacteur nucléaire
franco-allemand
par
M. Claude BIRRAUX,
Député
Tome I : Conclusions du rapporteur
__________
__________
Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale
Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Jean-Yves LE DÉAUT, par M. Henri REVOL,
Président de l'Office.
Vice-Président de l'Office.
Énergie et carburants
Entre
imagination et réalisation
il est chez l'homme un espace qui ne peut être franchi que par son
ardeur.
K. GIBRAN
Le Sable et l'Ecume
INTRODUCTION
J'ai,
depuis 1990, eu l'occasion de présenter sept rapports sur la
sûreté nucléaire. Ce travail considérable, qui
représente 13 volumes et 4 237 pages, doit,
me semble-t-il, faire l'objet d'une évaluation.
Ou, plus exactement, les 118 recommandations qu'il contient et qui touchent
pratiquement à tous les aspects de la sûreté des
installations nucléaires.
Plus qu'un bilan, il me paraît utile, à un moment charnière
pour l'industrie nucléaire française, de vous livrer une
synthèse de ce travail qui vous permette également de mesurer
l'action et l'efficacité de l'Office dans un domaine aussi vital que la
sûreté nucléaire.
J'ai beaucoup appris du dialogue qui s'est noué avec les divers
intervenants du secteur qui ont dû expliquer et justifier leur action ou
... leur inaction.
J'ai adressé, pour ce faire, aux principaux intervenants du secteur
nucléaire un questionnaire qui ne faisait que reprendre, sans les
commenter, les propositions formulées. Mais le travail qui vous est
proposé va au-delà de la réalisation d'un tableau
synoptique.
La démarche proposée est plus ambitieuse qu'il n'y paraît.
A partir de l'analyse des recommandations précédemment
formulées, nous voyons apparaître les "points noirs" de la
sûreté nucléaire ainsi que les principaux facteurs
d'immobilisme.
L'ampleur du travail entrepris permet aujourd'hui d'établir ce bilan. Il
me paraît important également que les principaux acteurs du
secteur perçoivent notre volonté d'assurer un suivi
particulièrement attentif des questions de sûreté
nucléaire.
Ces renseignements seront précieux pour les décideurs,
autorités politiques comme exploitants.
Si le contrôle constitue l'une des vocations premières de
l'OPECST, ce dernier se doit également d'éclairer en amont les
décisions des responsables politiques.
Cela est particulièrement vrai pour le Réacteur Européen
à Eau Pressurisé, plus connu sous l'abréviation anglaise
de « EPR ».
Cette question est relativement urgente car d'ici à deux ans devra
intervenir la décision de réaliser un prototype (ou une
tête de série ?). Près d'un milliard de francs a
été dès à présent engagé sur les
études de faisabilité de ce projet ; je ne voudrais pas que
les décideurs politiques se trouvent placés dans une situation
où il leur serait expliqué que, du fait de l'importance des
sommes déjà engagées dans le projet, il serait
irresponsable de ne pas le poursuivre.
Le réacteur européen à eau pressurisé (EPR) est
présenté par ses initiateurs comme le prototype de la prochaine
génération de réacteurs nucléaires. De ce fait, et
quelle que soit l'opinion que nous pouvons avoir sur l'énergie
nucléaire, l'importance de ce projet est évidente.
Le Bureau de l'Assemblée nationale, sur la requête de
M. Laurent Fabius, Président du Groupe socialiste, conscient
de la difficulté de ce dossier, avait saisi l'Office le 27 mars
1997 en « recommandant que, dans un premier temps, cette question
soit examinée dans le cadre du rapport périodique consacré
(...) à la sûreté des installations
nucléaires ».
Cette demande a été réitérée par le Bureau
de l'Assemblée nationale le 24 septembre 1997.
En effet, EDF met en service actuellement, sur ses dernières centrales
nucléaires, des réacteurs de type N4 d'une puissance de
1 450 mégawatts issus de la technologie américaine,
aujourd'hui francisée, qui constituent l'extrapolation des
réacteurs de 900 mégawatts ; l'accroissement de leur
taille s'est accompagné d'une amélioration de leurs performances
et de leur sécurité. L'exploitant souhaite promouvoir, dans la
perspective du renouvellement de son parc, une nouvelle
génération de réacteurs nucléaires.
S'il est difficile de donner une date à laquelle devront être
remplacées les centrales nucléaires construites à partir
de 1977, nous pouvons penser que les échéances se situeront
à partir de 2010. Il est malaisé de donner une date car les
centrales ont été construites sur la base d'une durée de
vie de vingt-cinq ans, mais il semblerait que celle-ci puisse être
portée à quarante ans. En examinant le projet "EPR", j'essayerai,
bien sûr, de répondre à cette question.
Dans la perspective du renouvellement du parc EDF, les constructeurs ont
lancé depuis 1989 les premières études d'un nouveau
réacteur nucléaire. Or, le problème de l'engagement de la
réalisation d'un prototype (ou d'une tête de série ?) va se
poser à terme rapproché, dans la mesure où les
études d'optimisation sont en cours d'achèvement.
Il est important que, dès l'origine du projet, le législateur
puisse formuler ses exigences en matière de sûreté.
Le rapport qui vous est présenté soulève des questions
importantes :
L'objectif de prévention des accidents les plus graves, en particulier
la fusion du coeur (le "syndrome chinois"), au moyen d'un
récupérateur de corium sera-t-il atteint ?
La protection contre la chute d'avion militaire lourd pourra-t-elle être
effective ?
En sens inverse, les options techniques retenues telles que la mise en oeuvre
d'un réacteur comportant 241 assemblages (barres de combustibles),
contre 205 pour le réacteur N4, ou l'allongement des campagnes
(périodes entre lesquelles il est procédé au
renouvellement du combustible), portées à 22 mois, ne
risquent-elles pas de poser des problèmes de sûreté
inédits ?
Il en est de même pour le taux d'irradiation plus élevé
qui, s'il favorise l'allongement du cycle, peut soulever d'autres
problèmes, par exemple celui de la résistance des
matériaux.
Le combustible de ces réacteurs sera-t-il entièrement
composé de MOX ? Si cela était le cas, quelles en seraient
les conséquences sur la politique de gestion du plutonium ?
Faut-il poursuivre la course à la puissance des réacteurs ?
Quelles peuvent en être les conséquences en matière de
sûreté ou d'exportation ?
D'autre part, nous pouvons nous demander si les nouvelles règles de
construction de l'EPR ne vont pas conduire à l'édiction de normes
renforcées pour les nouvelles centrales (par exemple le renforcement de
50 cm de la coque en béton du réacteur pour faire face
à la chute d'un avion militaire lourd).
Enfin, à l'heure où la question de la compétitivité
de l'énergie nucléaire est posée, il est
intéressant d'essayer d'évaluer la compétitivité de
l'EPR en intégrant, en particulier, les perpectives
d'amélioration de la sûreté qu'offrent les nouvelles
technologies.
Si la phase d'étude initiale du projet est revenue à
375 millions de francs, la seconde phase (projet de base) a
coûté 750 millions de francs et la construction d'un
prototype se chiffrera au minimum à une quinzaine de milliards de francs.
Ces perspectives rendent plus nécessaire que jamais l'intervention de
l'Office sur un dossier où les enjeux économiques sont
excessivement importants ; par exemple, le report d'un an du
renouvellement d'une tranche de 900 mégawatts représente,
pour EDF, une économie de 700 millions de francs.
Les réponses aux questions que je viens de poser conditionnent
l'attitude des pouvoirs publics, mais également l'avenir de toute
l'industrie électronucléaire française.
Aussi, par souci pédagogique, j'ai choisi de scinder en deux parties la
présentation de mon rapport : la première
(présentée au mois de mai 1998) est consacrée à
l'analyse du projet EPR, la seconde (qui devrait être publiée au
mois de novembre 1998) réalisera la synthèse des sept rapports
précédents afin d'en dégager un bilan et de tracer des
perspectives.
TITRE I
UN PROJET TROP
RAISONNABLE ?
Le
projet de réacteur nucléaire franco-allemand à eau
pressurisée (EPR) a pour ambition de constituer la
génération qui remplacera les actuels réacteurs
nucléaires lorsqu'ils arriveront au terme de leur vie.
Il constitue un volet particulièrement important de la
coopération franco-allemande (chapitre I), qui supporte la comparaison
avec les projets étrangers équivalents (chapitre II).
Chapitre I
Le projet "EPR" et la coopération
franco-allemande
La
volonté politique de développer les coopérations entre la
France et l'Allemagne a conduit, tout naturellement, les responsables de nos
deux pays à souhaiter la mise en oeuvre d'une collaboration plus
étroite dans le domaine de la construction des centrales
électronucléaires.
Avant d'analyser dans le détail les avancées scientifiques et
technologiques du projet de nouvelle génération de
réacteur nucléaire franco-allemand, il m'a paru utile de vous
livrer une description détaillée de la coopération
franco-allemande dans ses trois aspects : industriel, de recherche et de
sûreté, ainsi, bien entendu, que les grands axes du
projet.
I La coopération des industriels
La pression politique qui s'est développée à partir de 1985, alliée à un marché de la construction des réacteurs nucléaires de plus en plus difficile, a conduit à la création par Framatome et Siemens, en avril 1989, d'une entreprise commune, dénommée " NPI " (Nuclear Power International), ayant pour objet la mise en commun des compétences de ces deux fabricants dans le domaine de la construction des réacteurs nucléaires civils. Cet accord a été conclu dans une perspective d'exportation, chaque industriel restant maître de son marché domestique. Le projet a été baptisé " European Pressurized Water Reactor " (EPR) lorsque les électriciens français et allemands ont décidé de lui apporter leur concours, en 1992.
A) Une coopération rendue nécessaire par les difficultés du marché
Le
ralentissement des programmes nucléaires dans la plupart des
pays
1(
*
)
a exacerbé la concurrence entre
les entreprises sur les rares projets de centrales dans les pays ouverts aux
importations. Il a rendu d'autant plus souhaitable la consolidation de
l'industrie européenne, qui doit faire face aux grands groupes
américains et à leurs alliés nippons.
Par exemple, en Chine, lors de la négociation pour la construction de la
centrale de Daya-Bay, KWU (qui ne sera intégrée dans Siemens
qu'en 1988) était le principal concurrent de Framatome, alors que
Westinghouse se montrait également très actif, bien que les
autorités chinoises manifestent une certaine méfiance à
l'égard des fournisseurs américains, compte tenu du fort lien
existant aux Etats-Unis entre la politique et les autorisations d'exportation
(sur ce dernier point, les données du problème viennent de
changer à l'occasion de la visite officielle du Premier Ministre chinois
aux Etats-Unis).
La négociation des contrats principaux de la centrale de Daya-Bay s'est
achevée le 22 décembre 1985 ; la première
réunion entre Framatome et KWU, au cours de laquelle a été
évoquée une possible coopération à l'exportation, a
eu lieu à la mi-janvier 1986.
Le contre choc pétrolier (janvier 1986) et l'accident de Tchernobyl le
26 avril 1986 ont encore éloigné la perspective d'une
reprise du marché des centrales nucléaires.
En juin 1986, Framatome et KWU ont engagé des négociations en vue
d'établir une coopération pour le développement, la
commercialisation et la fourniture des îlots nucléaires des
réacteurs à eau sous pression des centrales nucléaires de
600 MW de puissance unitaire, niveau de puissance pour lequel ni Framatome
ni Siemens ne disposaient de modèle de référence alors
qu'il semblait qu'un marché puisse exister dans les pays en voie de
développement, point de vue encore défendu récemment par
l'Union Européenne.
En février 1987, Framatome et KWU ont annoncé officiellement
qu'ils étudiaient, à la demande du gouvernement
indonésien, une coopération pour la fourniture de centrales
nucléaires de 600 MWe. Cependant, les équipes de Framatome
et KWU se sont vite rendu compte qu'il était très difficile
d'établir un projet compétitif avec les centrales à
charbon pour des centrales nucléaires d'une puissance unitaire
relativement faible, d'autant que le charbon semble devoir rester durablement
bon marché.
En juin 1987, Framatome et KWU ont conclu un accord de principe pour
l'étude d'une coopération pour le développement, la
commercialisation et la fourniture dans les pays tiers des îlots
nucléaires avec des réacteurs à eau sous pression (REP)
pour des centrales de la classe de 1000 MWe. Les dispositions essentielles
qui seront incluses dans l'accord de coopération du 13 avril 1989
figurent en filigrane dans cet accord de principe.
L'annonce, au cours de l'été 1987, de la fusion entre Asea
(société suédoise) et BBC (société suisse),
toutes les deux importants fournisseurs de centrales, afin de constituer ABB,
confirme la tendance mondiale à la concentration de cette industrie.
Cette fusion sera suivie, à la fin de 1988, par la fusion entre GEC et
Alsthom ainsi qu'à la fin de 1989 par le rachat de Combustion
Engineering (société américaine) par ABB.
Jusqu'au début de 1988, de très nombreuses discussions techniques
ont eu lieu, mais Framatome et KWU ont rencontré une très grande
difficulté pour progresser sans être préalablement
engagés par un accord de coopération définitif, chaque
partie ayant peur de prendre des décisions susceptibles de donner un
avantage à l'autre partie, dans le cas où la coopération
ne serait pas poursuivie. Ce climat de méfiance qui a
présidé à l'élaboration de ce projet est
extrêmement saisissant ; il semblait s'être
atténué mais la conclusion récente d'un accord entre
Siemens et le britannique BNFL vient de le réactiver.
B) La genèse du projet EPR
A partir
du deuxième trimestre 1988, les discussions ont porté
principalement sur la mise au point de l'accord de coopération. Elles
ont abouti le 13 avril 1989 à la signature de l'accord de
coopération entre Framatome et Siemens et à la création
d'une compagnie commune.
L'objet principal de cette coopération est double :
•
le développement d'un îlot nucléaire
de
technologie commune, le "Produit Commun", en relation avec les producteurs
d'électricité et les autorités de sûreté
françaises et allemandes,
•
la commercialisation et la réalisation des îlots
nucléaires
sur le marché international, sous la direction de
NPI, avec un partage équilibré des fournitures entre Framatome et
Siemens, tant pour les îlots de technologie commune que pour ceux
relevant de la technologie d'origine de l'un des partenaires.
J'ai résumé les termes de cet accord de coopération dans
le rapport d'information n° 3246, relatif au projet de rapprochement
entre Framatome et GEC-Alsthom, que j'ai présenté au nom de la
Commission de la Production et des Echanges de l'Assemblée nationale.
Dès le mois de juin 1989, les gouvernements allemand et français
ont, par une déclaration commune, exprimé leur soutien à
la coopération engagée par Framatome et Siemens, et
annoncé leur décision d'instaurer un groupe de travail au niveau
des autorités de sûreté de chaque pays afin
d'étudier les options de sûreté du projet de
réacteur commun, qui repose sur le retour d'expérience des
centrales allemandes et françaises construites par Siemens (KWU) et par
Framatome. Elles totalisaient ensemble, en 1995, 1 000 années
d'expérience de fonctionnement de réacteurs à eau sous
pression.
Ce projet a pour objet de développer une technologie franco-allemande de
réacteurs nucléaires à eau sous pression pour les besoins
des deux pays, en priorité, puis pour l'ensemble des producteurs
mondiaux d'électricité concernés par le nucléaire.
Ce nouveau réacteur, dont la puissance unitaire devait initialement
s'élever à 1 450 MWe, devrait se différencier des
modèles actuellement en fonctionnement de chaque côté du
Rhin par l'introduction des avancées technologiques les plus
récentes, notamment en matière de sûreté,
thème de ce rapport.
Parallèlement, cette nouvelle génération de
réacteurs nucléaires ambitionne de générer une
baisse des coûts d'exploitation des centrales
électronucléaires pour les électriciens, qui est
l'un
des objectifs premiers du projet, une condition importante de sa
concrétisation étant que l'EPR reste compétitif par
rapport aux réacteurs nucléaires d'aujourd'hui et aux autres
sources d'énergie fossile
.
C) Les acteurs du projet
Le 23
février 1995, EDF et 9 électriciens allemands
2(
*
)
ont passé commande à NPI, Framatome et
Siemens/KWU des études d'ingénierie nécessaires à
la réalisation de l'avant-projet détaillé, dit "basic
design", qui concerne l'îlot nucléaire de la centrale.
Pour la France,
l'EPR constitue l'îlot nucléaire du projet
REP 2000
, palier de centrales nucléaires destinées
à succéder aux réacteurs de type N4, modèle le plus
récent. Il a vocation à remplacer les centrales françaises
les plus anciennes aux environs de 2015, dans l'hypothèse, bien entendu,
où l'énergie nucléaire demeurerait le mode de production
dominant, débat qui n'est pas l'objet de ce rapport.
En Allemagne comme en France, le nombre de centrales en fonctionnement est
actuellement excédentaire par rapport aux besoins. Mais les exploitants,
qui considèrent indispensable de maintenir l'option nucléaire,
ont décidé d'apporter leur support financier au
développement de l'EPR. Leur attitude rejoint d'ailleurs celle de
l'actuel Gouvernement français, qui affirme la nécessité
de garder sa liberté de choix dans le domaine de la politique
énergétique.
Si les accords
qui ont été conclus organisent les
études et la vente à l'exportation de ce nouveau type de
réacteurs, ils
sont muets sur l'éventuelle construction d'une
tête de série
en France ou en Allemagne, laquelle ne sera
possible que si sa compétitivité se confirme et si la situation
politique permet d'envisager la construction d'une centrale
électronucléaire dans l'un ou l'autre des pays promoteurs.
Pendant les premières années qui ont suivi le démarrage du
développement du Produit Commun par NPI, ses maisons mères,
Framatome et Siemens, ont poursuivi chacune de leur côté, sous
contrats respectivement d'EDF et des électriciens allemands, le
développement de centrales nucléaires dérivées de
leurs plus récentes réalisations, en France
N4
+
- programme REP2000, en Allemagne Konvoï B -
Contrat Planungsauftrag.
Au début de 1990, les autorités de sûreté
françaises et allemandes ont renforcé leur coopération et
ont créé une nouvelle instance de concertation appelée DFD
("Deutsch-Französischer Direktionausschuss") ayant pour objectif
l'évaluation de la sûreté de la conception des futures
centrales. Simultanément, ces autorités ont créé un
groupe d'experts pour examiner les exigences de sûreté applicables
au Produit Commun.
De leur côté, dès le mois de novembre 1989, EDF et les
électriciens allemands ont décidé de créer un
groupe de travail pour observer le développement du Produit Commun et
dialoguer avec NPI. Dès 1990, des contacts ont eu lieu entre les
industriels et les électriciens français et allemands, au cours
desquels ont été évoquées la possible participation
des électriciens au développement du Produit Commun, la fusion
des trois programmes de développement (Produit Commun, REP2000 et
Planungsauftrag), et la construction du Produit Commun en France et en
Allemagne.
Les
principales raisons
exposées à votre Rapporteur par
les différents acteurs pour souhaiter ce rapprochement étaient
les suivantes :
• Pour les
industriels
, l'espoir d'une
participation des
électriciens au financement
du développement de ce nouvel
îlot nucléaire et, ultérieurement, de la construction de
centrales de référence dans leur pays d'origine, ce qui constitue
un préalable ou, pour le moins, un atout très important pour
aborder le marché international (même si l'exemple
américain permet de nuancer cet argument).
• Pour les
électriciens,
leur désir
d'influencer
le développement du produit
commun
afin d'être certains
que leurs spécifications seront bien prises en compte et,
également, leur volonté d'éviter qu'un dialogue direct ait
lieu, sans leur participation, entre les constructeurs et les autorités
de sûreté.
• Pour les
autorités de sûreté
, leur souhait
de faire progresser
l'harmonisation des règles de
sûreté
applicables aux futures centrales devant être
construites en France et en Allemagne.
• Pour les
gouvernements
, leur conviction qu'une telle
harmonisation faciliterait
l'acceptation par le public
.
Au terme d'assez longues discussions, du fait de la complexité du sujet
et de l'importance des enjeux économiques, les industriels et les
électriciens français et allemands ont lancé formellement,
lors de la première réunion du comité d'orientation
("Steering Committee") du projet EPR, le 14 janvier 1992, l'harmonisation
entre les trois programmes, et le nom du projet a été
modifié en EPR (European Pressurized Water Reactor) pour bien marquer
l'entrée dans cette nouvelle phase.
Les industriels ont transmis aux électriciens, en février 1992,
un document décrivant le résultat de leurs études de
conception du Produit Commun, le "Project Engineering Manual".
En juin 1992, l'Institut de Protection et de Sûreté
Nucléaire (IPSN) et son homologue allemand, le GRS, ont émis un
rapport commun en réponse au document (le "General Safety Design Basis")
établi par les industriels en avril 1990 et présentant les
objectifs généraux de sûreté retenus pour le Produit
Commun.
Le 4 juin 1993, les autorités de sûreté
françaises et allemandes ont officiellement publié leur
déclaration commune pour une approche conjointe de la
sûreté des futures centrales à eau pressurisée
.
Cette publication a été suivie, en septembre 1993, de l'envoi par
le comité de direction de l'EPR aux autorités de
sûreté française et allemande d'un document
présentant les options de sûreté prises en compte pour la
conception de l'EPR ("Conceptual Safety Features Review File" - CSFRF).
En janvier 1995, les autorités de sûreté ont émis un
"avis" sur les points clefs de ce CSFRF.
Sur la base de cet avis, Framatome, Siemens, NPI, Electricité de France
et neuf électriciens allemands ont décidé d'engager
l'avant-projet détaillé ("Basic Design") de l'EPR et ont conclu
le contrat correspondant le 23 février 1995.
Dans ce dernier, EDF et les électriciens allemands ont
déclaré leur intention de maintenir leurs organisations
industrielles respectives pour la construction des centrales :
• EDF garde son rôle d'architecte industriel de l'ensemble du
projet et commande la chaudière nucléaire à Framatome,
• les électriciens allemands commandent la centrale
complète à Siemens mais n'exercent pas de rôle d'architecte
industriel.
J'ai pu noter au cours des auditions auxquelles j'ai procédé que
Framatome souhaiterait un alignement de la structure industrielle sur
l'Allemagne, mais que EDF ne veut pas en entendre parler.
Les droits d'usage des connaissances développées en commun sont
attribués aux partenaires pour leur permettre de remplir leurs
rôles respectifs traditionnels sur leur marché domestique, NPI
disposant des droits d'usage pour la fourniture des centrales hors de France
et d'Allemagne.
Comme prévu, le " basic design " s'est achevé en juin
1997 ; au cours de celui-ci, les partenaires, industriels et les
électriciens, ont dépensé plus d'un million d'heures
d'ingénierie ; ils ont établi plus de
1 000 documents et 700 plans sur lesquels ils se sont mis
d'accord ; cela illustre l'importance du travail accompli et le niveau
d'harmonisation atteint. Le travail d'information est similaire à celui
d'un Rapport Préliminaire de Sûreté diminué des
informations relatives au site.
Les partenaires ont soumis officiellement aux autorités de
sûreté française et allemande, en octobre 1997, un rapport
appelé "Basic Design Report" présentant le résultat de
l'avant-projet détaillé ; les autorités de
sûreté ont prévu d'émettre leur avis avant la fin de
1998 mais ce dernier sera probablement retardé par l'examen des
modifications qui résulteront de la phase d'optimisation.
Compte tenu des résultats de ce " Basic Design " et de la
nécessité d'assurer la compétitivité de
l'énergie produite par l'EPR, tous les participants industriels et
électriciens ont décidé, par amendement au contrat de
" Basic Design ", de poursuivre le développement de l'EPR par
ce qui a été appelé la phase de " Basic Design
Optimization Phase " (BDOP). Prévue pour s'achever à la fin
de 1998, elle a pour vocation de réduire encore
le prix de revient de
l'électricité produite qui, actuellement, se situe aux environs
de 20 centimes par KW-heure et doit être ramené aux environs
de 18 centimes pour que la compétitivité du projet EPR soit
réellement indiscutable.
D) Une collaboration fragile ?
Toutefois, je viens de vous décrire une
coopération
idéale qui, malgré des débuts difficiles, fonctionne bien,
mais me paraît compromise par les accords entre le Britannique BNFL et
SIEMENS. La comparaison des déclarations de M. Burkle et de
M. Vignon, lors de l'audition ouverte à la presse que j'ai
initiée le 4 mars 1998, me parait significative : Si
M. Burkle, directeur général de SIEMENS
, a
déclaré :
"Dans un premier temps, la méfiance ou la défiance
était de règle, c'était en 1989, je vous le rappelle, et
il a fallu un peu de temps pour arriver à un véritable
état de confiance mutuelle. Notre coopération aujourd'hui est
fondamentalement différente de ce qu'elle était en 1989.
Lorsqu'une proposition est avancée, on ne demande plus, avant tout autre
chose, s'il s'agit d'un projet ou d'une idée française ou d'une
idée allemande, mais on regarde ce projet et on essaie de voir quels en
sont les avantages et les inconvénients. On l'examine, on l'analyse en
posant des questions très précises et, pas à pas, on en
arrive à un développement commun. C'est la coopération
à laquelle nous sommes arrivés depuis 1989 ; à la
limite, on aurait pu aller plus vite si l'on avait procédé de
façon séparée mais je crois que le caractère
particulier de notre projet est que l'on franchit les particularismes
régionaux et nationaux et que l'on arrive à conférer au
projet un dynamisme dont on ne peut qu'espérer que, l'année
prochaine, il nous permettra de dégager des résultats des travaux
entrepris jusqu'à présent, et donc à passer à la
réalisation de ce projet. Ce serait en quelque sorte le couronnement de
notre coopération. [...]
J'aimerais également faire une ou deux remarques dans un contexte qui
nous concerne plus directement, nous SIEMENS. Nous avons dit que nous entamions
des négociations avec les Britanniques, que nous essayions d'engager une
coopération avec eux. Or, souvent, ces tentatives que nous entreprenons
avec les Britanniques sont mal comprises par la FRANCE, notamment. Pourquoi
recherchons-nous une telle coopération ?
Cette coopération s'appliquerait à un domaine particulier qui est
celui de la construction. Aujourd'hui, notre tâche essentielle est le
développement de l'EPR. Par exemple, nous ne pouvons nous permettre les
réacteurs à eau bouillante dans le domaine nucléaire que
si nous accomplissons d'autres prestations de service en EUROPE,
c'est-à-dire que si nous fournissons des assemblages au marché,
que si nous fournissons des prestations d'ingénierie de reconstruction
de centrales et cela au plan international, au plan mondial.
Ce sont autant de domaines d'activités qui existent depuis des
années et qui ont fonctionné en parallèle avec le projet
de développement EPR.
Tous ces travaux d'ingénierie et de construction ont permis de remplir
les caisses et ont également permis de poursuivre les travaux avec
FRAMATOME, parfois même en concurrence avec FRAMATOME. Autrement dit, le
rapport est un peu contrasté avec FRAMATOME, ce qui n'empêche que,
dans le cadre du projet EPR, la coopération ait été tout
à fait excellente et, du côté de SIEMENS, nous
espérons, en élargissant nos activités à un autre
partenaire sur la base des activités existantes, pouvoir poursuivre
néanmoins les travaux en commun avec FRAMATOME dans la même
atmosphère que celle que nous sommes parvenus à établir au
fil des années, et nous espérons, le moment venu, mener à
bien ce projet."
M. Dominique Vignon, président de Framatome
, a quant
à lui souligné que :
" Les
alliances industrielles, les partenariats, se prêtent plutôt
à des réflexions d'alcôve qu'à des grands
débats publics. Cela étant, vous posez une question qui est
réelle et que, je crois, il n'est pas raisonnable de traiter uniquement
par la langue de bois. D'ailleurs, la façon dont vous animez ce
débat, la réflexion sur le nucléaire, n'a jamais
laissé place à la langue de bois.
Il est vrai que notre coopération avec SIEMENS n'inclut pas, depuis
l'origine, depuis 1989, les domaines des services et du combustible. Il est
donc tout à fait possible d'avoir une coopération avec un
partenaire dans le domaine des réalisations nucléaires et avec un
autre partenaire dans le domaine des services et du combustible. On peut
même trouver des situations intermédiaires puisque, malgré
le fait que notre accord avec SIEMENS n'incluait pas les services, nous
coopérons dans les services et Monsieur BURKLE vient de rappeler que
SIEMENS souhaite poursuivre cette coopération dans le domaine des
services nucléaires, notamment dans le domaine des
générateurs de vapeur vis-à-vis des pays de l'Est.
Le point néanmoins qu'on ne peut pas totalement occulter est qu'il y a
une continuité dans la technologie entre la conception des
réacteurs et le combustible. Le combustible est au coeur des
réacteurs et il est un peu difficile de dire qu'on peut être
totalement avec un partenaire dans le domaine des réacteurs et
totalement avec un autre dans le domaine du combustible. Cela pose à
l'évidence les questions de propriété, de savoir-faire que
vous avez posées tout à l'heure.
Il est vrai - et j'ai relu avec attention le rapport que vous avez
publié l'an passé à l'occasion du projet de rapprochement
de FRAMATOME et de GEC ALSTHOM - qu'à cette époque, nos
amis allemands avaient fait part de leurs préoccupations de voir les
Britanniques un peu comme des intrus, ou des nouveaux venus tout au moins, dans
le dispositif. Ces questions sont donc tout à fait réelles.
Je crois néanmoins qu'il faut les aborder avec beaucoup de
sérénité et nous le ferons avec ce souci très fort
qui a été dit tout au long de cette journée, et que le
Président ALPHANDERY a rappelé, de l'intérêt d'un
rapprochement franco-allemand, notamment de façon à être la
vertèbre de l'harmonisation de sûreté franco-allemande.
Ceci, j'en suis certain, demeurera et nous aurons toujours l'EPR
présenté aux autorités de sûreté
françaises et allemandes comme le point commun qui permettra
progressivement de bâtir une sûreté européenne.
Là où la discussion aura lieu, ce sera pour savoir ce que sera
effectivement cette Joint Venture entre BNFL et SIEMENS, et quel sera le poids
de SIEMENS et celui de BNFL dans cette organisation. Il est légitime que
SIEMENS ait besoin de faire son travail à la maison, du moins avant de
nous en parler de façon précise.
Je terminerai ces propos par la continuation de votre métaphore. Au
fond, l'EPR vise notamment à maintenir les compétences de
l'industrie française et de l'industrie allemande ; l'industrie
allemande est notre partenaire dans un certain nombre de domaines, mais peut
être notre concurrent dans d'autres domaines.
Votre comparaison appliquée à cette question centrale de maintien
des compétences est un peu la suivante : est-ce que l'épouse
délaissée doit donner au mari infidèle l'aphrodisiaque qui
lui permettra de rencontrer la maîtresse ?"
Cette dernière phrase illustre la perplexité que nous pouvons
avoir sur la qualité de la coopération entre SIEMENS et Framatome.
Malheureusement, votre Rapporteur n'a pas à ce jour percé les
secrets d'alcôve ...
II La coopération des organismes de recherche
Si la coopération entre les industriels s'est intensifiée, malgré les préventions initiales, il en a été de même entre les organismes de recherche français et allemand, ce qui est prometteur pour l'avenir dans la mesure ou il faudra bien commencer à dégager des moyens importants pour étudier des réacteurs révolutionnaires du type de celui préconisé par le Pr. Carlo Rubbia 3( * )
.
A) La collaboration CEA/FZK
Suite
à la décision de lancement du projet du réacteur
franco-allemand EPR, de la constitution de la filiale commune NPI entre
FRAMATOME et SIEMENS, et de la structuration des relations entre les
autorités de sûreté françaises et allemandes, les
principaux organismes de recherche impliqués dans le projet, le
Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) et le centre de recherche de
Karlsruhe (Forschung Zentrum Karlsruhe : FZK) ont conclu en 1992 un accord
de coopération couvrant le domaine des futurs réacteurs à
eau sous pression (REP)
4(
*
)
. Il se situe dans le
prolongement de la collaboration très étroite entre les deux
organismes qui existait depuis de nombreuses années, notamment dans le
domaine des études sur les réacteurs à neutrons rapides.
Un Comité Directeur a été chargé de coordonner les
travaux de recherche. Il comprend, pour le CEA, les Directeurs de la Direction
des Réacteurs Nucléaires (DRN) et de l'Institut de Protection et
Sûreté Nucléaire (IPSN) et leurs adjoints programmes et,
pour FZK, les Directeurs de trois Instituts de FZK et le chef de projet
réacteur à eau sous pression. Il se réunit deux fois par
an, alternativement en France et en Allemagne. Il a décidé que le
champ de la collaboration couvrirait en fait la recherche et le
développement (R & D) sur les problèmes d'accidents
graves des REP et a défini trois sous-domaines dont il a confié
la charge à trois groupes de travail. Chaque groupe de travail,
doté de trois coprésidents (DRN, IPSN et FZK), ce qui, au
passage, illustre la lourdeur des coopérations internationales
parfaitement égalitaires, se réunit en tant que de besoin en
séance plénière ou en réunion plus
spécialisée et rend compte de ses travaux lors des
réunions du Comité Directeur.
Les groupes de travail couvrent les trois domaines suivants :
1- Le comportement de la cuve du réacteur.
Ce domaine comprend la dégradation du coeur, la formation des bains de
corium
5(
*
)
en fond de cuve, la tenue
mécanique de la cuve ainsi que les phénomènes d'explosion
de vapeur.
2- Le comportement du corium hors cuve.
Ce domaine couvre le problème de la récupération du corium
hors de la cuve, ce dernier étant guidé vers un déversoir.
3- Les chargements de l'enceinte de confinement en conditions d'accidents
graves.
Ce domaine couvre les problèmes d'enceinte de confinement, à
savoir l'évacuation de la puissance résiduelle à long
terme, ainsi que le risque d'explosion d'hydrogène.
Cette coopération vise à harmoniser les recherches entre les
organismes de façon à éviter les doublons, à
profiter réciproquement de l'expérience acquise dans ces domaines
au cours des années passées, d'échanger des
résultats expérimentaux complémentaires et de comparer des
codes de calculs. Une concertation a également lieu pour conclure des
accords internationaux avec les autres pays du monde et, en particulier, au
niveau des organismes internationaux liés à la Commission
européenne ou à l'OCDE.
En alternance avec les congrès SFEN/KTG consacrés à l'EPR,
dont le dernier suivi par votre Rapporteur a eu lieu à Cologne en
octobre 1997, CEA et FZK présentent tous les deux ans, de manière
détaillée, leurs travaux de recherche aux industriels allemands
et français.
Mais, au cours des auditions auxquelles j'ai procédé, j'ai pu
constater que l'Union Européenne et nos principaux partenaires se
sentaient exclus d'un projet qui est par nature franco-allemand.
B) Le champ d'application des recherches conduites en commun
Nous allons maintenant examiner de façon plus détaillée le champ d'activités couvert par chacun des trois groupes de travail, les résultats et les problématiques qui en résultent étant détaillés dans le titre suivant. Les trois graphiques qui illustrent ce paragraphe permettent également de saisir l'objectif des recherches engagées.
1 - Le comportement de la cuve du réacteur
La
dégradation du coeur du réacteur est étudiée en
France par l'expérience en pile PHEBUS, grand programme international de
l'IPSN, et en Allemagne par les expériences hors pile CORA, maintenant
terminées, et QUENCH, dédiée à la quantification du
terme source hydrogène lors du renoyage du coeur. Des calculs
croisés comparatifs sont faits avec les outils de calcul couramment
utilisés par les deux organismes SCDAP/RELAP5, pour FZK, et
CATHARE/ICARE, pour le CEA.
Un domaine important couvert par le groupe concerne l'explosion de vapeur
(cf. infra). Les deux organismes développent des codes
mécanistes détaillés : MC3D pour le CEA et
IVA KA pour FZK, avec des jeux d'équations différentes. Une
comparaison précise a été faite au niveau des
équations et des résultats obtenus. Au vu des derniers
résultats, il semble que nous nous orientons vers une utilisation de
MC3D seul. Un programme expérimental de qualification a
été bâti en concertation entre les deux organismes, FZK
réalisant des expériences globales en thermite (PREMIX, ECO).
Les deux organismes doivent fournir aux projeteurs, dans les prochains mois,
une méthode industrielle pour prévoir les conséquences des
explosions de vapeur, thème dans lequel le projet EPR devrait
réaliser une avancée majeure.
FZK étudie un phénomène particulier pouvant
résulter d'une explosion de vapeur en cuve où le coeur, fondu et
tombant dans le fond de cuve, est projeté violemment vers le couvercle
par une explosion de vapeur. FZK a fait une expérience à
l'échelle 1/10, intitulée BERDA, de projection de masses de
métal fondu : le but est de déterminer la perte
d'énergie provoquée par la déformation de la masse
projetée et des structures internes supérieures. Des
résultats intéressants ont été obtenus et sont
interprétés à l'aide du code de dynamique rapide du CEA,
PLEXUS, dont certains modèles sont qualifiés à partir
d'une expérience plus analytique réalisée au CEA,
FLIPPER.
2 - Le comportement du corium hors cuve ou la lutte contre le "syndrome chinois"
En cas
de fusion du coeur du réacteur se dégage un produit très
fortement radioactif, le corium, susceptible de percer les protections de la
centrale, et l'une des innovations du projet EPR est de doter la centrale d'un
" récipient " capable de récupérer le corium.
Le principal thème d'étude concerne l'étalement du corium.
Le CEA effectue des expériences à partir de matériaux
simulant un bas point de fusion dans CORINE (100 litres) et des
expériences en matériaux réels dans VULCANO
(15 litres). FZK effectue des expériences en matériaux
simulants en fusion à haute température thermite (fer alumine)
dans KATS (50 litres). Une comparaison systématique des codes
développés par les différents organismes est faite. L'IPSN
développe le code 3D CROCO, le CEA le code 2D THEMA, et FZK participe au
développement du code Siemens 3D CORFLOW. Ce programme
bénéficie également de l'apport des résultats des
expériences réalisées au CCR ISPRA : FARO. FZK
étudie deux autres phénomènes : l'ablation d'une
paroi par un jet, dans l'expérience KJET, et l'ablation d'une porte dans
l'expérience KPOOL.
FZK a également mis au point un récupérateur où le
corium, arrivant sur une surface, fait fondre des bouchons plastiques qui
laissent passer un débit d'eau s'écoulant à travers le
corium pour le refroidir : c'est le concept COMET. Des expériences
en matériau réel sont effectuées dans le dispositif
expérimental MACE du laboratoire d'Argonne, aux USA. Les Allemands ont
un programme très important dans ce domaine car, dans le partage des
activités lié au projet entre FRAMATOME et SIEMENS, c'est SIEMENS
qui traite du problème de la récupération du
corium.
3 - Chargements de l'enceinte en cas d'accidents graves
Les deux
organismes développent leur propre code qui traite de la totalité
du problème (distribution, déflagration, détonation
d'hydrogène) : TONUS pour le CEA et GASFLOW pour FZK. Ces deux
codes ont à peu près les mêmes caractéristiques et
leurs résultats sont systématiquement comparés. Les
équipes qui développent ces codes, issus d'une longue tradition,
les connaissent parfaitement et il a paru plus rentable aux organismes de
recherche de continuer à faire des développements
séparés plutôt que d'utiliser un produit unique.
IPSN et FZK se concertent pour participer, en particulier avec la NRC des
Etats-Unis, à deux grands programmes expérimentaux :
• le programme RUT réalisé en Russie, à l'institut
de Kurchatov, et qui traite dans une maquette à grande échelle de
la détonation d'hydrogène dans diverses conditions, en
particulier en présence d'obstacles et de vapeur d'eau ;
• un programme réalisé à Sandia, dans le dispositif
SURTSEY, est relatif à l'étude de l'échauffement direct de
l'enceinte par du corium finement dispersé dans le puits de cuve et
pouvant s'échapper dans l'atmosphère de l'enceinte suite à
la rupture de la cuve. Ces essais sont effectués en thermite dans une
géométrie représentative du puits de cuve EPR. Les
Américains avaient fait des études analogues pour leurs
réacteurs.
III La coopération entre les autorités de sûreté
La
coopération entre les autorités de sûreté
française et allemande devrait conduire à des procédures
de certification commune, prélude (ou socle ?) d'une
véritable coopération européenne.
Les relations entre les organismes de sûreté allemand et
français ont débuté en 1972, peu après que soit
intervenue la décision de construire la centrale de Fessenheim, et n'ont
cessé depuis lors de s'intensifier et, si la compétence du
premier organisme, la DFK, était d'ordre régional, un second
organisme, la DFD, est venu doter cette coopération d'un cadre
institutionnel national.
A) La DFK
La
proximité de la centrale de Fessenheim de la frontière allemande
explique la composition de la DFK (Deutsch-Französische Kommission).
Cette commission comprend :
• au niveau fédéral, des représentants du BMU
(Bundesministerium für Umwelt - ministère de l'Environnement) et du
GRS (Gesellschaft für Anlagen und Reaktor Sicherheit - appui technique du
BMU) ;
• au niveau régional, des représentants des états du
Bade-Wurtemberg, de la Rhénanie-Palatinat et de la Sarre et de leurs
appuis techniques, les TÜV.
Côté français, la DFK comprend :
• au niveau national, des représentants de la DSIN et de l'IPSN,
son appui technique ;
• au niveau régional, des représentants de la DRIRE
(Direction Régionale de l'Industrie, de la Recherche et de
l'Environnement).
A l'heure actuelle, trois groupes de travail sont encore en activité au
sein de la DFK :
• le premier est en charge de la sûreté des réacteurs
à eau sous pression. Il a, dans le passé, essentiellement
travaillé sur la comparaison entre les réacteurs de Fessenheim et
Neckarwestheim et de Cattenom et Philippsburg.
• le second est en charge des plans d'urgence (y compris les dispositions
prises en matière d'informations mutuelles rapides en cas d'accident sur
un réacteur frontalier) ;
• le dernier est en charge de la radioprotection et de la surveillance de
l'environnement.
Le travail de la DFK continue actuellement à un rythme soutenu, en
particulier dans le domaine des pratiques d'exploitation des
réacteurs.
B) La DFD (Deutsch-Französischer Direktionausschuss)
La DFK
étant une structure régionale (au moins du côté
allemand), il a semblé nécessaire de créer une structure
nationale habilitée à traiter des problèmes
généraux de sûreté au niveau national.
La DFD est apparue au début de 1990 car, dans la mesure où une
coopération franco-allemande était en train de se mettre en place
dans le domaine de la conception des centrales nucléaires, il est vite
paru évident qu'il était nécessaire d'en tirer les
conséquences au niveau de la collaboration franco-allemande des
autorités de sûreté.
Aujourd'hui,
les instances de sûreté au niveau national
comprennent trois niveaux
:
• les autorités de sûreté composées :
Þ de la DSIN, en France
Þ du ministère pour l'Environnement et la Sûreté
nucléaire (BMU), en Allemagne
Þ de leur comité bilatéral, le DeutschFranzösischer
Direktionausschuss (DFD) créé en 1990
• les groupes d'experts composés :
Þ du Groupe Permanent Réacteurs (GPR) pour la France
Þ de la Reaktor SicherheitsKommission (RSK) pour l'Allemagne
• les appuis techniques composés :
Þ de l'IPSN (Institut de Protection et de Sûreté
Nucléaire) pour la France
Þ du GRS (Gesellschaft für Anlagen- und Reaktorsicherheit) pour
l'Allemagne.
Un accord de coopération a été signé en 1989 entre
l'IPSN et le GRS.
C) Le projet EPR a entraîné une intensification de cette coopération.
Lors de
l'audition publique du 4 mars, M. Lacoste, Directeur de la
Sûreté des Installations Nucléaires, soulignait que
"Les
organismes de sûreté français et allemand ont pris
l'habitude de coopérer depuis longtemps puisque leur coopération
remonte à 1989 et que, en particulier en 1990, a été
créée la DFD, Commission qui réunit les autorités
de sûreté françaises et allemandes au minimum cinq fois par
an. [...] Sur tous les dossiers, il y a un travail de nos appuis techniques,
GRS du côté allemand et IPSN du côté français.
Ces deux appuis techniques travaillent et produisent un rapport commun.
Ce rapport commun est examiné par le groupe d'experts travaillant
pour moi et par GRS, qui est un groupe d'experts travaillant pour mon
collègue allemand, et ces deux groupes d'experts se réunissent et
produisent un avis commun. Nous recevons, Monsieur HENNENHOFER et
moi-même, un avis co-signé par le Président du Groupe
français et le Président du RSK et nous nous réunissons au
sein de la DMP et nous prenons partie, c'est-à-dire que nous sommes
amenés à signer en commun une lettre prenant partie sur les
propositions d'EPR. [...] Donc, nous signons pour dire soit oui, soit oui sous
réserve, soit non, après avoir épuisé l'ensemble
des systèmes d'instruction français et allemand. [...] En face de
cela, quelles positions ont pris les autorités de
sûreté ? Je rappelle une position historique qui était
uniquement franco-française, la DSIN, qui était une lettre de mon
prédécesseur de mai 1991, et ensuite des prises de position
conjointes franco-allemandes :
- une prise de position conjointe en juillet 1993,
- une prise de position conjointe en février 1995,
et notre objectif est d'avoir de nouveau une prise de position fin
1998 - mi 1999 pour prendre partie sur le "basic design report"
Que se passera-t-il après ?
Qu'est-ce que le " basic design report " sur lequel nous serons
amenés à prendre partie fin 1998 ou début 1999 ?
C'est un document qui ne parle pas de choix de site ni de la partie
conventionnelle centrale mais de la partie nucléaire. Si on cherche
l'équivalent de ce que c'est dans les procédures nationales
classiques, c'est l'équivalent de la partie nucléaire du rapport
préliminaire de sûreté nécessaire pour la
délivrance d'autorisation de création en FRANCE ; cela
contient les éléments nécessaires pour établir le
rapport de sûreté en ALLEMAGNE.
Nous avons également commencé à travailler sur un certain
nombre de codes techniques, c'est-à-dire à
l'élaboration d'un ensemble de règles communes à
l'industrie nucléaire
française et allemande. C'est
l'équivalent de ce qu'en FRANCE, on appelle les RCC (règles de
construction et de conception).
Si j'évoque tout ceci, c'est parce que nous sommes confrontés
à un problème de technique administrative qui n'est pas simple
entre la FRANCE et l'ALLEMAGNE. Nous essayons de voir comment s'ajustent les
procédures administratives et réglementaires en FRANCE et en
ALLEMAGNE. C'est un travail extrêmement difficile auquel nous consacrons
un temps considérable mais nécessaire pour voir les conditions
dans lesquelles nous pouvons continuer à cheminer de conserve.
... On voit bien l'équivalence entre les lois allemandes et les
lois françaises, on voit bien l'équivalence entre les ordonnances
et les décrets arrêtés. En revanche, entre les lettres
co-signées par les deux ministres de l'Industrie et de l'Environnement,
l'arrêt fondamental de sûreté et les documents allemands,
les équivalences sont plus difficiles à faire.
Nous avons actuellement des études d'ingénierie
détaillées pour savoir quelle est la machinerie administrative de
part et d'autre du Rhin. Ceci est fondamental pour permettre les progrès
que nous avons faits dans la compréhension réciproque de la
technique et de la sûreté, qui se traduisent par des
décisions harmonisées dans les domaines administratifs et
réglementaires.
Que pouvons-nous imaginer qui se passera en 1999 ?
On peut imaginer qu'en FRANCE, il soit proposé aux deux Ministres de
l'Industrie et de l'Environnement une lettre d'orientation sur l'îlot
nucléaire de l'EPR en même temps qu'une révision de
l'arrêté de 1974 sur les circuits primaires et secondaires
principaux des chaudières nucléaires à eau. On peut
imaginer qu'en ALLEMAGNE, il y ait publication des directives RSK pour les
réacteurs du futur et que la loi atomique allemande soit modifiée
pour permettre un "prelicencing".
Il faut savoir que la voie d'une autorisation en FRANCE passe par un rapport
préliminaire de sûreté et un décret d'autorisation,
et qu'en ALLEMAGNE, les autorisations sont délivrées par les
länder sous le contrôle du BMU. [...] Lorsque nous
réécrivons la réglementation française des
appareils à pression pour les réacteurs nucléaires,
à l'évidence, nous associons les préoccupations des
experts allemands, et réciproquement. Cela signifie qu'il se passe
quelque chose en termes de rapprochement des esprits, de façon à
générer, peut-être à terme le rapprochement des
organismes."
Peut-être même faudrait-il aller, mais il s'agit d'un point de vue
personnel, jusqu'à la
fusion des autorités de
sûreté française et allemande,
prélude à
la mise en place d'une autorité européenne. La réponse
à cette question est certainement prématurée mais la
fusion des appuis techniques des autorités de sûreté
française et allemande mériterait d'être
étudiée attentivement ; elle en constitue le
préalable nécessaire. Le gouvernement étudie la question
et a confié une mission de réflexion à M. Jean-Yves
Le Déaut, Président de l'OPECST. Je crois que la dimension
européenne de cette question doit être prise en compte, mais
à partir de la coopération franco-allemande et selon un processus
similaire à la mise en oeuvre d'Airbus Industrie ou de la fusée
Ariane, c'est-à-dire sur la base d'une coopération
intergouvernementale.
TABLEAU 5
IV Les caractéristiques du projet
Avant d'examiner dans le détail les données scientifiques de l'EPR à travers le Titre II, il est utile d'en présenter brièvement les principaux objectifs et caractéristiques.
A) Les objectifs de sûreté et de compétitivité
Ce
réacteur "
évolutionnaire
" s'inscrit dans la
continuité des technologies développées pour les
réacteurs à eau sous pression, français et allemands, afin
de bénéficier pleinement des trente années
d'expérience des deux pays. Il ambitionne de prendre le meilleur de
chaque concept, en apportant un certain nombre d'améliorations. Les
considérations économiques ont interdit le recours à une
voie plus " révolutionnaire " qui aurait permis de
réduire à la source le volume des déchets. Je
conçois toutefois que la mise en place d'une filière nouvelle
représentait un coût tel que la rentabilité de
l'investissement n'aurait pu être réalisée.
La sûreté de l'EPR est poussée à un degré
encore jamais atteint, du moins sur le plan des intentions affichées par
le projet :
• La prévention des accidents est améliorée
dès la conception.
• La réduction des conséquences d'un hypothétique
accident grave, allant jusqu'à la prise en compte dès la
conception du risque de fusion du coeur ; même dans ce cas
très improbable, le corium résultant de cet accident serait
confiné et refroidi, protégeant ainsi le sous-sol, la nappe
phréatique et le voisinage immédiat de la centrale.
• Ce projet est conçu pour être "licenciable" en France et
en Allemagne, et, dans la mesure du possible, dans les autres pays
européens.
• Ces concepteurs espèrent produire, malgré un
surcoût d'investissement lié aux options de sûreté,
un kWh à un coût compétitif par rapport aux autres sources
d'énergies, de l'ordre de 18 centimes du kWh. Pour cela :
Þ le rendement de la chaudière sera augmenté,
Þ l'objectif de disponibilité est de 87 % au moins
(disponibilité actuelle de l'ensemble du parc nucléaire
français),
Þ les coûts liés au combustible sont en baisse,
Þ l'objectif de durée de vie de l'installation est porté
à 60 ans.
B) Les principales caractéristiques du futur réacteur
La
puissance électrique visée était de 1 450 MWe
par tranche. Ce choix dimensionne la puissance thermique du coeur à
4 250 MWth. La puissance fournie par le réacteur s'adaptera
à celle demandée par le réseau grâce à un
fonctionnement en suivi de charge et en réglage de
fréquence
6(
*
)
.
Plusieurs nouveautés contribueront à réduire les
coûts d'exploitation, en particulier ceux générés
par le combustible et la maintenance :
• la conception du coeur et des structures qui l'entourent (enveloppe de
coeur épaisse servant de réflecteur à neutrons)
réduit l'enrichissement nécessaire ;
• avec un taux d'irradiation du combustible de 50 à 60 GWj/T
et une masse globale plus importante, les rechargements seront plus
espacés, avec des cycles de 18 à 24 mois ;
• la durée des arrêts nécessaires au rechargement,
à l'inspection en service et aux opérations de maintenance sera
réduite.
Concrètement, les principaux composants du réacteur
évoluent :
• la cuve aura un diamètre plus grand que dans le N4 et la
fluence
7(
*
)
sera abaissée. Par ailleurs,
un espace entre la cuve et le calorifuge permettra de l'inspecter de
l'extérieur, lorsque l'on souhaitera affiner un diagnostic
réalisé à partir de l'inspection normale de
l'intérieur ;
• le coeur est un peu plus grand, avec 241 assemblages 17x17 (contre
205 dans le N4, et 193 assemblages 18x18 dans le Konvoï) ;
• les générateurs de vapeur sont équipés d'un
économiseur axial, permettant une augmentation de la pression
secondaire, donc du rendement ;
• le pressuriseur est plus grand. Pour sa maintenance, l'accent a
été mis sur la facilité d'inspection et de remplacement du
système d'aspersion et des cannes chauffantes ;
• le groupe pompe primaire reste de même conception que dans les
réacteurs actuels français ou allemand.
L'organisation des systèmes de sûreté en 4 trains
indépendants facilite la maintenance et réduit la
probabilité d'accident pendant les arrêts.
C) Les nouveaux systèmes de sûreté
La
grande nouveauté apportée par l'EPR est la prise en
considération, dès la conception, de l'éventualité
d'une fusion du coeur du réacteur nucléaire. D'une manière
générale, les améliorations portent sur la
prévention des accidents, le renforcement des systèmes de
sauvegarde, la récupération et le refroidissement du coeur en cas
de fusion, et la quasi-élimination de tout rejet radioactif gazeux ou
liquide hors de la double enceinte en béton. Pour cela :
• Les systèmes affectés aux fonctions de
sûreté (injection de sécurité, alimentation de
secours des générateurs de vapeur, refroidissement des
composants, alimentations électriques de secours) sont divisés en
4 trains indépendants et géographiquement
séparés. Ils peuvent être alimentés
séparément par un diesel affecté à chacun d'eux.
• L'ensemble des bâtiments du réacteur, du combustible et
des systèmes de sûreté, situé sur un même
radier, est conçu pour résister aux séismes et à
des ondes de choc.
• Les bâtiments contenant deux des trains sont "bunkerisés"
pour résister aux chutes d'avions militaires lourds
8(
*
)
. Leur structure interne est découplée
des structures externes pour minimiser la transmission des vibrations. Les
bâtiments des deux autres trains, "non bunkerisés", sont à
l'opposé l'un de l'autre, supprimant le risque d'être
affectés tous les deux lors d'un même accident.
Le bâtiment réacteur, avec ses deux épaisseurs, assure une
protection renforcée dans les deux sens : celle de l'environnement
et celle du réacteur :
. le mur interne en béton précontraint (comme le N4), avec
une pression de conception portée à 6,5 bars, est
destiné à contenir le fluide primaire vaporisé, selon les
scénarios d'accidents les plus graves, avec un taux de fuite
inférieur à 1 % par jour du volume total
confiné ;
. le mur externe en béton armé est conçu (comme le
Konvoï) pour résister à des agressions externes (chutes
d'avions militaires) ;
. les éventuelles fuites de l'enceinte interne sont
récupérées entre les deux enceintes et filtrées.
• Le puits de cuve est aménagé pour la
récupération du coeur fondu, ou corium. La réserve d'eau
primaire servant normalement aux rechargements est stockée dans le
bâtiment réacteur pour servir au refroidissement du coeur fondu.
L'hydrogène généré par la décomposition de
l'eau sur le zircaloy des gaines de combustible est recombiné pour
éviter tout risque d'explosion.
• Le volume interne libre des composants primaires est augmenté.
De ce fait, l'opérateur dispose de plus de temps pour réagir
(particulièrement en cas d'accident tel que la perte de
réfrigérant primaire) :
. l'augmentation du volume du pressuriseur, par son effet de tampon,
évite un certain nombre d'ouvertures des soupapes de
sûreté ;
. l'augmentation du volume des générateurs de vapeur donne
une marge supplémentaire, en cas de perte de leurs alimentations en
eau ;
. le circuit primaire est protégé contre les surpressions
par un ensemble de soupapes pilotées combinant les conceptions du N4 et
du Konvoï.
• Le contrôle-commande est conçu pour minimiser les erreurs
humaines, et en particulier donner du temps (30 minutes en
général) à l'opérateur pour prendre sa
décision, que ce soit en fonctionnement normal, incidentel ou
accidentel. Une information claire et appropriée lui est fournie par des
systèmes informatiques. L'ensemble du contrôle-commande
bénéficie des derniers développements
réalisés en France (N4) et en Allemagne (Konvoï).
L'interface homme-machine est constitué d'écrans pour la conduite
en toutes circonstances en salle de commande. Celle-ci est doublée d'une
zone spécialement affectée à la sûreté et
équipée de moyens de secours pour la conduite post-accidentelle.
Une question importante, qui résulte de ces améliorations,
sera de définir les possibilités de leur intégration dans
les centrales en service, si cela est techniquement possible, à
l'occasion des révisions décennales.
Chapitre II
Les démarches concurrentes du
projet EPR
Une
grande partie des pays engagés dans la production d'énergie
nucléaire seront confrontés dans une vingtaine d'années au
remplacement de leur parc et doivent d'ores et déjà commencer
à réfléchir à cette perspective.
Je n'entrerai pas dans le débat sur le choix de l'énergie de
remplacement car cela n'est pas l'objet de mon rapport. Je me situerai dans une
perspective d'analyse scientifique des projets de réacteurs
nucléaires, sans préjuger en aucune manière des choix qui
seront effectués dans le domaine de la politique
énergétique.
I Les démarches retenues
La
plupart des projets étudiés reposent sur l'expérience
acquise à travers les 6 000 années de réacteurs
exploités dans le monde qui, du moins en Occident, ont permis
d'atteindre un niveau de sécurité remarquable.
Toutefois, si la sûreté " absolue " est, comme la
ligne d'horizon, une perspective que l'on ne peut jamais atteindre, tous les
efforts doivent tendre vers cet objectif.
Aussi, la préparation du remplacement d'une partie du parc à
l'horizon d'une vingtaine d'années a conduit les constructeurs et les
autorités de sûreté à " penser " les
centrales du futur, car il est toujours plus facile et moins coûteux
d'intégrer dès la conception des dispositifs de
sûreté plutôt que de les installer ultérieurement.
Deux démarches s'affrontent : la novatrice et l'évolutive.
•
L'approche évolutive
vise à accroître les
degrés de sûreté en intégrant dès la
conception la protection contre la survenance d'accidents graves.
La voie de l'évolution repose sur un fondement solide dans la mesure
où elle s'appuie sur l'expérience acquise dans les centrales en
exploitation. Dans cette idée, et pour élever encore le
degré de sûreté de la prochaine génération de
réacteurs refroidis à l'eau, les recherches visent à
améliorer les protections contre des événements tels que
la fonte des éléments combustibles.
Le projet EPR est un
bon exemple de cette démarche
.
Le thème de l'accident grave constitue l'un des grands thèmes
d'étude dans le monde. Les chercheurs essaient de déterminer plus
précisément toutes les atteintes possibles aux systèmes de
confinement pour remédier, dès le stade de la conception, aux
insuffisances qui ont pu être constatées, par exemple lors de
l'accident de Three Miles Island. Le but ultime de ce travail est de
démontrer que, sur le plan technique, aucune mesure d'urgence, telle que
l'évacuation, ne devrait être nécessaire pour
protéger la population, même après un accident
nucléaire grave. Les conséquences d'un accident ne doivent
affecter que le site lui-même et ne pas perturber la vie des populations
aux alentours.
•
L'approche novatrice,
ou révolutionnaire, conduit
à privilégier des réacteurs reposant sur des
procédés sensiblement différents des REP. Ils
présentent des inconnues sur le plan de la technologie ou des
coûts, mais permettent d'aborder différemment la question de la
sûreté ou des déchets. Le projet de Carlo Rubbia, que j'ai
examiné à travers mon rapport de l'an dernier, constitue un bon
exemple de cette démarche.
Les partisans de cette approche novatrice partent du constat que les
réacteurs évolutifs exigent des moyens techniques trop complexes
qui alourdissent la tâche des opérateurs. Aussi
préconisent-ils des centrales beaucoup plus simples que les REP, dont la
sûreté ne dépend pas du bon fonctionnement des
systèmes de sûreté et des réactions des
opérateurs. Ils insistent sur la notion de passivité des
systèmes qui rend impossible, par conception, une réaction
nucléaire incontrôlée. Ils en concluent que ce concept
nouveau de réacteur contribuerait à faire accepter le
nucléaire par le public. Rien n'est moins sûr,
toutefois.
II Les projets évolutionnaires en cours
Deux
tendances se font jour :
La course à la puissance
débouche sur des produits de
1300 MWe, voire plus, difficilement exportables dans des pays autres
qu'industrialisés car les réseaux électriques des pays en
voie de développement ne peuvent pas absorber de telles puissances.
Mais, l'augmentation de puissance améliore la
compétitivité des centrales nucléaires puisque
l'investissement représente les deux tiers du coût de
l'électricité produite.
Si cette évolution est un facteur de réduction des coûts,
la nécessité de disposer à l'exportation de
réacteurs de moyenne puissance conduit à une volonté de
simplification des systèmes et à la recherche de solutions
innovantes pour les 600 MWe
. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les
premiers accords qui ont donné naissance à NPI prévoyaient
une puissance de 600 MWe et ne concernaient que l'exportation, mais je
suis de plus en plus perplexe sur la compétitivité des
réacteurs de 600 MWe.
Le tableau ci-après illustre cette situation.
Quelques exemples de projets de réacteurs refroidis par eau
Réacteurs de forte puissance
ABWR mis au point par General Electric Co (GE), Etats-Unis d'Amérique,
avec Hitachi & Toshiba (Japon)
APWR mis au point par Westinghouse (W), Etats-Unis d'Amérique, avec
Mitsubishi (Japon)
BWR 90 mis au point par ABB Atom (Suède)
EPR mis au point par Nuclear Power International (NPI), coentreprise de
Framatome (France) et de Siemens (Allemagne)
System 80+ mis au point par ABB Combustion Engineering Nuclear Power
(Etats-Unis d'Amérique)
VVER-1000 (V-392) mis au point par Atomenergoproject et Gidropress (Russie)
Réacteurs de moyenne puissance
AP-600 REP doté de systèmes de sûreté passive
améliorés -- mis au point par
Westinghouse (Etats-Unis d'Amérique)
AC-600 REP doté de systèmes de sûreté passive
améliorés -- mis au point par
China National Nuclear Corporation
MS-600 REP doté d'un système de sûreté de type
" hybride " -- mis au point
par Mitsubishi (Japon)
SBWR REP doté de systèmes de sûreté passive
renforcés -- mis au point par
GE (Etats-Unis d'Amérique) (abandonné depuis mars 1991)
VVER-500/600 (V-407) REP doté de systèmes passifs
-- mis au point par
Atomenergoproject et Gidropress (Russie)
ISIS REP de type innovant, révolutionnaire -- mis au point
par Ansaldo
(Italie)
PIUS REP de type innovant, révolutionnaire -- mis au point
par ABB Atom
(Suède)
SPWR REP de type innovant, révolutionnaire -- mis au point
par JAERI et
IHI (Japon)
VPBER-600 REP de type innovant, révolutionnaire -- mis au
point par OKMB
(Russie)
Un bref panorama de la situation de l'industrie nucléaire mondiale
suffit pour illustrer cette situation confuse :
-- Aux Etats-Unis
, quatre modèles de réacteurs ont
fait l'objet de demandes de certificats sur la base de programmes lancés
au début des années 80.
Ce pays a une procédure de certification (cf. annexe) dont les pays
européens devraient s'inspirer et j'ai le sentiment que cela est
implicitement le cas pour le projet EPR.
Dès qu'un concept est certifié aux Etats-Unis, les tranches
standardisées peuvent être mises sur le marché, et toute
compagnie d'électricité peut commander une centrale avec
l'assurance que les questions générales de conception et de
sûreté ont été résolues. Le régime
d'autorisation prévoit que la compagnie d'électricité
demande une seule autorisation pour construire et exploiter une nouvelle
centrale, à condition que celle-ci soit construite selon les
spécifications préapprouvées (j'ai déposé
une proposition de loi allant dans ce sens (cf. infra.).
Par exemple, les projets définitifs de deux grandes centrales
évolutionnaires - le " System 80+ " de ABB-Combustion
Engineering et le REB avancé de General Electric - ont
été approuvés en 1994, et le certificat de la NRC leur a
été délivré en mai 1997. La NRC examine
actuellement le dossier du réacteur AP-600 de Westinghouse, dont
l'approbation devrait intervenir prochainement. Le REB simplifié de 600
MWe de General Electric a aussi été examiné jusqu'au
milieu de l'année 1996, mais la société a
abandonné les travaux sur ce modèle pour se tourner plutôt
vers une tranche de puissance plus élevée, ce qui conforte
l'opinion défendue par EDF de la nécessité
d'accroître la puissance des réacteurs pour être
compétitif. La compagnie d'électricité de Taiwan a
récemment retenu le modèle de REB avancé de General
Electric pour ses deux nouvelles centrales, qui devraient entrer en service en
2004 car Taiwan s'est doté depuis 1968 de six réacteurs, qui
représentent 29 % de la production d'électricité.
L'AP-600 est particulièrement intéressant à étudier
car il est dit " passif ". Cela signifie qu'il utilise des
mécanismes naturels, tels que les lois de la gravité, qui le
dispensent de la présence de diesel pour assurer les fonctions de
sauvegarde.
En outre, il présente des caractéristiques séduisantes
telles que l'intégration des pompes primaires dans le fond des
générateurs de vapeur, ce qui simplifie le fonctionnement du
circuit primaire. De plus, une défaillance du système
d'évacuation de la puissance résiduelle serait palliée par
une circulation d'air autour de l'enceinte et un ruissellement d'eau
prévu à cet effet, l'enceinte de confinement jouant un rôle
analogue à celui d'un radiateur. Toutefois, l'enceinte n'est pas
dotée d'une double paroi, ce qui relativise l'avantage
précédent car, en cas de fuite de l'enceinte, il existe un risque
sérieux de dommage à l'environnement.
La principale faiblesse de ce réacteur est économique car la
compétitivité d'une centrale nucléaire de 600 MWe est loin
d'être établie.
Les difficultés de l'industrie américaine proviennent du fait
que les Etats-Unis ne construisent plus de centrales, mais leur exemple montre
que des centrales peuvent être construites en l'absence d'une tête
de série dans le pays d'origine.
-- En Suède et en Finlande
. En Suède, ABB Atom, en
collaboration avec l'électricien finlandais Teollisuuden Voima Oy (TVO),
développe le BWR-90, qui est une version améliorée des
Réacteurs à eau bouillante (REB) déjà en service
dans les deux pays. Si la Suède a abandonné l'énergie
nucléaire, la construction d'un cinquième réacteur en
Finlande est régulièrement évoquée, piste qui peut
être intéressante pour le projet EPR (cf. infra).
-- En Fédération de Russie.
La
Fédération de Russie travaille sur le V-392, version
améliorée du VVER-1000, et une autre version est à
l'étude avec la collaboration de la société finlandaise
Imatran Voima Oy (IVO). Sont également à l'étude un
réacteur de taille moyenne, le VVER-640 (V-407), concept
évolutionnaire avec des systèmes de sauvegarde passifs, et le
VPBER-600, qui est un concept intégré plus innovant. La
construction de la première tranche du VVER-640 devait commencer en
1997, à Sosnovy Bor. La construction de deux VVER de 1000 MWe fait
l'objet de pourparlers avec la République populaire de Chine. Le
ministère de l'Energie atomique de Russie souhaite mettre en service une
série de nouveaux réacteurs pour faire passer la puissance
installée de 20 000 MWe à 35 000 MWe, en
2010. L'existence de ce programme ne doit pas faire oublier les
problèmes de sécurité existant sur les réacteurs
actuellement en service. Mais l'importance de son programme permet
peut-être d'envisager une collaboration avec la Russie sur le projet EPR.
Toutefois, les conditions qui pourraient être requises pour la
construction d'un EPR dans ce pays ne sont pas encore définies, en
particulier l'importance des adaptations aux pratiques et aux normes russes
ainsi que le niveau de la participation de son industrie et de son
ingénierie.
-- En République de Corée.
En République de
Corée, un projet de REP avancé de
4 000 mégawatts thermiques (Mwth), le " réacteur
coréen de la nouvelle génération ", a
été initié en 1992. L'étude est
réalisée par la Société d'énergie
électrique de Corée (KEPCO) avec l'appui de l'industrie
nucléaire du pays. L'objectif est de terminer l'étude
détaillée d'ici à l'an 2000 ; douze réacteurs
en fonctionnement assurent 36 % de la production
d'électricité et de nouvelles tranches sont en construction.
-- En Chine.
En Chine, l'Institut de l'énergie
nucléaire (Chengdu) est en train de mettre au point le réacteur
avancé AC-600 qui intègre des systèmes de
sûreté passifs pour évacuer la chaleur. Pour le moment, la
Chine importe l'essentiel de ses centrales nucléaires, en particulier de
Framatome, mais les transferts de technologie en cours permettront à la
Chine d'obtenir dans quelques années son autonomie technologique. Il est
évident, aujourd'hui, que la Chine sera l'un des grands pays producteurs
d'électricité d'origine nucléaire du XXIè
siècle.
-- Au Japon.
Un grand REP évolutionnaire de 1350 MWe est
développé par les compagnies d'électricité et les
industriels. La construction d'une tranche de deux réacteurs est
prévue sur le site de Tsuruga. En outre, l'étude d'un REB
avancé a commencé en 1991 et comprend le développement
d'un réacteur de référence de 1500 MWe. D'autres
programmes de développement en cours concernent un REB et un REP
japonais simplifiés ; les vendeurs et les compagnies
d'électricité participent à ces projets. L'Institut de
recherche sur l'énergie atomique du Japon (JAERI) étudie des
modèles de réacteurs avancés refroidis par eau, en
s'intéressant plus particulièrement aux systèmes de
sauvegarde passifs. Il s'agit du réacteur à sûreté
passive du JAERI et du REP à systèmes intégrés. Il
faut noter que l'énergie nucléaire représente 33 % de
l'électricité nationale et qu'il est prévu de construire
20 réacteurs d'ici à 2010 ; la part de l'énergie
d'origine nucléaire devrait représenter 40 % du total d'ici
à 20 ans.
-- Au Canada.
Le programme courant d'étude et de
développement des réacteurs à eau lourde, au Canada, vise
à renforcer de manière " évolutionnaire " la
performance et la sûreté des 21 tranches nucléaires en
service. Deux nouveaux réacteurs CANDU-6 de 715 MWe, comprenant des
améliorations par rapport aux versions précédentes, sont
en construction à Qinshan (Chine). Des études techniques en amont
se poursuivent sur le CANDU-9 de 935 MWe, qui est une adaptation des tranches
en service à Darlington (Canada). D'après l'enquête sur la
conformité réglementaire du CANDU-9, que la Commission canadienne
de sûreté nucléaire a terminée en janvier 1997, le
réacteur répond aux prescriptions nationales d'autorisation.
D'autres études sont en cours et portent sur des versions
avancées de ces réacteurs en vue d'intégrer d'autres
caractéristiques évolutionnaires et d'augmenter la puissance du
gros modèle jusqu'à 1300 MWe. Il faut noter que les centrales de
type CANDU à eau lourde pressurisée permettent le rechargement
pendant le fonctionnement, mais je suis très réservé sur
l'exportation de cette technologie qui me paraît particulièrement
proliférante.
-- En Inde.
L'Inde est en train de développer un
réacteur à eau lourde de 500 MWe qui intègre
l'expérience des centrales de 200 MWe de conception indienne qui
sont en service dans le pays. Mais les problèmes de prolifération
d'armes nucléaires risquent d'obérer les coopérations
internationales avec ce pays ; son attitude lors des récents essais
nucléaires ne peut que conduire les autres pays à boycotter toute
coopération dans ce domaine.
III Les projets révolutionnaires
Il n'est pas utopique d'envisager à long terme une énergie nucléaire qui ne produise pas de déchets et qui repose sur des matières premières inépuisables. Pour cela, il faut étudier de nouveaux concepts.
A) La fusion thermonucléaire contrôlée
Une
première voie, mais qui ne pourra probablement pas déboucher sur
des applications industrielles avant plusieurs décennies, est la fusion
thermonucléaire contrôlée.
Comme le souligne l'AIEA,
"la fusion nucléaire présente un
certain nombre de caractéristiques séduisantes à maints
égards, du point de vue énergétique et
écologique :
•
approvisionnement en combustible : l'extraction du
deutérium de l'eau se fait sans sous-produits nocifs ;
disponibilité à faible coût pour tous les pays :
réserves suffisantes dans les océans pour des millions
d'années ;
•
extraction minière : extraction limitée de
lithium, servant à produire le tritium pour les réacteurs
à fusion (l'eau de mer contient également 0,17 mg/l de
lithium)
9(
*
)
;
•
écologie : la fusion présente peu de risque pour
l'environnement ;
•
prolifération des armes nucléaires : absence de
plutonium ou d'uranium ;
•
sûreté : la quantité de combustible dans le
plasma est si faible que même une combustion complète
n'entraînerait pas d'explosion. Le caloportage ne présente pas de
difficulté, vu le faible niveau de la chaleur de décroissance
répartie sur un volume important. La quantité de tritium peut
être réduite au minimum par une conception soignée. La dose
d'irradiation potentielle hors site, en cas d'accident, ne nécessiterait
pas de plan d'évacuation ;
•
sous-produits radioactifs : la production de
radioactivité de longue période peut être très
limitée en choisissant les matériaux avec soin. L'alliage au
vanadium, le fluide de refroidissement au lithium et le
deutérium-tritium non brûlé pourraient ainsi être
recyclés."
Toutefois, ces procédés ne sont susceptibles de déboucher
sur une application industrielle que dans un horizon très lointain, ce
qui nuance leurs avantages potentiels car la fusion nucléaire met en
oeuvre des techniques très pointues.
Deux méthodes sont étudiées pour atteindre la
fusion : le confinement magnétique ou le confinement inertiel.
Les machines ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) de fusion
par confinement magnétique qui existent actuellement, par exemple LMJ
(le projet de laser mégajoule en France) ou NIF (National Ignition
Facility aux Etats-Unis) devront réaliser un gain de 10 à 30 pour
que nous puissions envisager des projets de production
d'électricité par ce moyen.
Cette solution d'avenir ne pourra donc pas déboucher sur des solutions
industrielles à court terme, mais il est évident que les
recherches devront être intensifiées dans les années
à venir et que nous devrons veiller à ce que la recherche
française y tienne sa place.
B) L'amplificateur d'énergie (EA) de Carlo Rubbia
Je ne
m'étendrai pas sur ce projet, auquel j'ai consacré un rapport,
mais je crois utile d'en rappeler quelques caractéristiques.
Le concept est basé sur l'alimentation par une source extérieure
de neutrons d'un milieu (réacteur) sous-critique, c'est-à-dire
qui n'entretient pas naturellement la réaction de fission en
chaîne. La source extérieure de neutrons est fournie par une
réaction de "spallation" sur une cible, dans laquelle des noyaux lourds
(de plomb, par exemple) se désintègrent sous l'impact de
particules (protons, par exemple) portées à très haute
énergie (~ 1 GeV) par un accélérateur.
Le terme d'Amplificateur d'Energie illustre le fait que l'énergie
produite par fission nucléaire dans ce système excède
l'énergie nécessaire pour alimenter l'accélérateur.
Pour que cette amplification soit notable, il faut que le milieu fissile soit
proche de la criticité. Ce milieu peut être constitué
d'isotopes fissiles d'uranium 235, uranium 233 ou plutonium
mélangés à des isotopes fertiles d'uranium 238 ou
thorium 232.
Dans le concept proposé par le Pr. Rubbia, le faisceau de protons
est fourni par un cyclotron à trois étages, choisi pour sa
fiabilité et sa simplicité.
Le combustible du réacteur est un oxyde mixte de thorium et d'uranium,
le réacteur étant un réacteur à neutrons rapides
(RNR) qui permet d'obtenir un spectre en énergie des neutrons
élevé, et en conséquence des taux de fission
élevés. La configuration du coeur est celle classique d'un RNR,
avec une région fissile entourée d'une région fertile en
oxyde de thorium et des aiguilles de combustible gainées d'acier et
placées dans des assemblages hexagonaux. Le contrôle du coeur est
assuré dans ce concept par le courant de l'accélérateur,
et ne fait donc pas appel à des barres de commande, ce qui est une
simplification importante par rapport aux REP.
Le taux de combustion prévu est de 100 Gwj/t et la durée
d'un cycle de fonctionnement est évaluée à cinq ans sans
rechargement intermédiaire, les estimations de l'équipe du
Pr. Rubbia faisant apparaître une compensation de l'empoisonnement
du coeur par la production d'U 233. Il est prévu qu'en fin de
cycle, les actinides produits seront rechargés de façon à
réduire la production de déchets.
Selon le Pr. Rubbia, le domaine d'application de l'EA est double : la
production d'énergie et l'élimination des déchets. Les
principaux avantages, qu'il met par ailleurs en avant, pourraient être
les suivants :
• la sous-criticité de la partie proprement nucléaire
élimine tout risque d'accident de criticité tel que celui de
Tchernobyl ;
• l'utilisation comme matière fertile du thorium 232 au lieu
de l'uranium 238 ne produit par capture pratiquement pas de plutonium ni,
a fortiori, de transplutoniens (américium, corium) ;
• un excès de neutrons rapides dans le coeur du réacteur
rend celui-ci particulièrement efficace pour détruire, par
transmutation, des déchets radioactifs à vie longue ;
c'est-à-dire que nous pourrions transformer les éléments
en d'autres qui ne sont pas radioactifs ;
• l'évacuation de la chaleur produite pourrait s'effectuer par
convection naturelle, et serait par conséquent moins tributaire de la
bonne marche d'organes actifs, comme les pompes.
En effet, j'ai désormais acquis la conviction que
la véritable
maîtrise des déchets radioactifs ne pourra provenir que de
ruptures scientifiques et technologiques profondes
. En ce sens, je rejoins
parfaitement les perspectives tracées par l'équipe Rubbia :
la filière doit former un tout, dont l'utilité n'est
réelle que si elle est pleinement optimisée.
De mes nombreux entretiens, j'ai retenu l'impression que la mise au point de
l'accélérateur de haute intensité (1 à 10 mA)
semblait être faisable relativement vite, d'ici à quelques
années. Tout dépend, bien entendu, des moyens que l'on est
disposé à engager. Cet accélérateur peut bien
sûr servir à piloter un Amplificateur d'Energie ; il peut
aussi servir à la mise au point d'une source puissante de neutrons de
spallation.
Je crois aujourd'hui que l'EA verra le jour comme incinérateur de
déchets plus que comme producteur d'électricité.
Il est vrai que les potentialités spécifiques de l'EA pour
détruire par transmutation les déchets nucléaires
(actinides mineurs et produits de fission) à vie longue provenant des
réacteurs "classiques" méritent une évaluation approfondie.
Cet aspect doit être examiné dans le cadre des études
menées par le CEA en réponse à la loi du
30 décembre 1991 et en préparation du débat
parlementaire de 2006. Le CEA, EDF ainsi que le CNRS participent à cette
évaluation dans le cadre du Groupement de Recherches GEDEON.
A ce jour, peu de positions ont été officiellement prises
à l'étranger sur l'EA. L'évaluation la plus
intéressante a été le fruit du Comité Technique et
Scientifique de l'Euratom (STC), sur demande de la DG XII de la Commission
européenne. Mais j'ai également appris que les chercheurs
américains de Los Alamos étudiaient la question.
Globalement, cette évaluation est conforme à l'analyse ci-dessus,
en particulier sur la capacité de ce concept à devenir un
concurrent des réacteurs classiques et sur les aspects
sûreté (notamment le recours aux systèmes passifs). Les
membres du STC retiennent également comme potentiellement
intéressante la capacité que l'EA aurait de détruire par
transmutation les déchets nucléaires et préconisent que la
Commission retienne ce thème d'étude dans le cinquième
PCRD.
J'ai eu la satisfaction de noter l'impact positif du Rapport publié par
l'OPECST, qui a aiguisé la curiosité des milieux politiques et
scientifiques pour l'EA.
Dans une interview accordée au journal Sud-Ouest le 5 mai dernier,
Carlo Rubbia soulignait que : " L'idée c'est de faire quelque
chose de convaincant pour 2007. Un prototype industriel qui démontrerait
que c'est économiquement et techniquement possible, comme nous avons
montré que c'est possible en laboratoire. Il devrait avoir
100 mégawatts de puissance, il " boufferait " de 30
à 40 kilos de plutonium par an, alors qu'un réacteur
ordinaire en produit 200... On a calculé que cinq machines pourraient
détruire toute la production française de déchets. Si
ça marche, on ne pourra pas s'en passer. C'est la question et c'est pour
cela qu'il faut essayer à l'échelle industrielle. Pour
100 MW, on parle d'un milliard de francs, ce n'est pas cher : pensons
que la production de déchets d'un réacteur coûte
6 milliards de francs à stocker. Les 52 réacteurs
français représentent 312 milliards ! Cela fait
beaucoup d'argent pour construire cinq machines ! Nous en sommes loin et
elles sont plus sûres. "
TITRE II
" DOMPTER LA LAVE
RADIOACTIVE ? "
Tel est
le titre par lequel le journal allemand " Der Spiegel "
présentait le projet EPR.
Le but du présent titre n'est pas de réaliser une hagiographie du
projet EPR, mais de vous en présenter les principales innovations
scientifiques et techniques, après avoir analysé son apport
à la recherche scientifique.
Chapitre I
La recherche et développement
générée
par le projet EPR
Le
projet EPR va au-delà d'un simple projet industriel ;
l'amélioration régulière de la qualité de nos
centrales nucléaires implique le maintien d'un acquis technologique qui
lui-même repose sur l'existence de projets et de défis
technologiques à relever, condition nécessaire pour garder les
équipes mobilisées.
Dans cette perspective, le projet EPR doit être regardé comme le
catalyseur de toutes les actions touchant à la recherche en
matière de réacteur à eau pressurisée, lesquelles
s'appuient d'abord sur un fonds commun lié aux travaux
déjà accomplis sur l'ensemble de la filière des
réacteurs nucléaires à eau pressurisée (REP).
Ceci conduit nécessairement à nous interroger sur le rôle
du programme EPR dans le maintien des compétences de la filière
électronucléaire française et, plus largement,
européenne.
Du fait de son caractère évolutif, la plupart des composants et
des équipements de l'EPR sont issus de techniques
éprouvées en France ou en Allemagne.
Néanmoins, si les composants et les équipements sont de facture
classique, leur organisation a été refondue pour l'EPR. En effet,
si le circuit primaire principal subit peu de modifications, l'installation
générale ainsi que l'architecture des systèmes et du
contrôle-commande connaissent des évolutions sensibles.
La phase d'avant-projet détaillé, dont l'objectif était de
sélectionner et d'approfondir les principaux choix de conception du
projet, est achevée. Elle doit être suivie par une phase
" d'étude palier " au cours de laquelle les études
d'ingénierie seront complétées pour fournir les dossiers
nécessaires à une réalisation.
Il faudra, en effet, que soient validées les recommandations des
autorités de sûreté sur l'amélioration de la
" défense en profondeur " par la mise en oeuvre de moyens
supplémentaires destinés à la prévention
d'hypothétiques accidents graves et à la réduction
drastique de leurs conséquences sur l'environnement.
Comme nous le verrons dans les chapitres suivants, c'est dans ce dernier
domaine que le projet EPR présente les besoins de recherche et de
développement les plus marqués, tout particulièrement sur
les cinq points suivants :
-- la prévention du risque de fusion haute pression par un
dispositif de dépressurisation du circuit primaire qualifié
(soupapes de décharge au pressuriseur) ;
-- la prévention de déflagration rapide et de
détonation d'hydrogène en réduisant très vite la
concentration à l'intérieur de l'enceinte au moyen de
recombineurs catalytiques, et si nécessaire d'igniteurs, pour limiter
l'importance du pic de pression qui pourrait résulter d'une
combustion ;
-- la prévention d'une interaction entre le coeur en fusion et le
béton par récupération du corium dans un compartiment
spécial équipé d'un revêtement de protection ;
-- le contrôle de la pression dans l'enceinte au moyen d'un
système d'évacuation de la chaleur résiduelle du corium
par aspersion (CHRS), avec un refroidissement de l'eau permettant de ramener la
pression de l'enceinte à la pression atmosphérique, à long
terme ;
-- la récupération de toutes les fuites et la
prévention d'un bipasse de l'enceinte au moyen d'une enceinte à
paroi double.
Le caractère évolutif du projet EPR explique qu'il
bénéficie, y compris sur les points évoqués
ci-dessus, de toute la recherche et développement existants pour les
réacteurs nucléaires en fonctionnement.
Mais il constitue un projet motivant pour les équipes en place ; si
le programme EPR n'existait pas, ces dernières seraient dans la
situation d'un architecte qui ne réaliserait que des travaux
d'entretien ... Je vous laisse imaginer son niveau de compétence au
bout de quelques années !
Du fait de son caractère évolutionnaire, ce projet s'inscrit dans
la continuité des réacteurs N4 français et Konvoi
allemands. Il retient les meilleures options de chaque technologie tout en
devant satisfaire aux exigences de sûreté des deux pays, en
particulier par la prise en compte dès le stade de sa conception
d'accidents graves, tels que la fusion du coeur, pour en réduire la
probabilité et les rejets dans l'environnement. Malgré ces
apports, il doit rester compétitif par une amélioration des
performances et de la disponibilité et par une réduction des
coûts d'investissement.
La recherche, effectuée en général pour la filière
REP, en France comme en Allemagne, peut se décliner autour de trois
axes :
• la R & D générale, pour la filière qui vient
en soutien au parc actuel,
• la R & D plus spécialement générée par
les options du réacteur EPR,
• la R & D d'innovation, destinée à
proposer, à plus long terme, des options alternatives
intéressantes pour les projets de centrale nucléaire.
En France, la R & D est effectuée principalement par le
CEA dans la cadre d'accords de collaboration tripartite avec les partenaires
industriels, EDF et FRAMATOME.
En Allemagne, elle est principalement effectuée par le Centre de
recherche de Karlsruhe (FZK), en collaboration avec le partenaire industriel
Siemens et les électriciens allemands, et par divers laboratoires
universitaires et industriels dans le cadre d'un groupement de recherche AGIK
(Arbeits-Gruppe-lnnovative-Kerntechnik).
Un accord de coopération entre le CEA et FZK permet d'harmoniser les
actions de R & D dans les deux pays.
Par ailleurs, il existe de nombreuses coopérations internationales aux
niveaux européen et mondial, principalement dans le domaine de la
sûreté nucléaire.
I Recherche et développement générale consacrée à la filière REP
Nous ne
ferons pas ici une description extensive de cette R & D, nous
nous contenterons d'en évoquer les points principaux.
Elle concerne en particulier le développement des méthodes et des
logiciels qui sont utilisés dans les projets. Ces logiciels, qui
rassemblent toute la connaissance issue de la R & D, doivent
évoluer en fonction de l'amélioration des connaissances et du
développement des ordinateurs. Le CEA se doit de les maintenir à
leur meilleur niveau car la recherche d'une meilleure sûreté et
d'une meilleure compétitivité implique une très bonne
connaissance des marges de sécurité et, par conséquent,
des calculs aussi précis que possible.
Le CEA transfère ces logiciels à EDF et FRAMATOME, qui les
intègrent dans leurs chaînes de calcul industrielles soit
intégralement, soit sous forme de modélisations qualifiées.
Ces logiciels concernent les disciplines utilisées dans l'industrie
nucléaire (cf. infra), à savoir :
• la neutronique (code cellule APOLLO et code coeur CRONOS),
• la thermohydraulique (code circuits TRIO et code coeur FLICA),
• la mécanique (CASTEM),
• les outils décrivant le transport des produits de corrosion et
de fission et la contamination (PACTOLE, PROFIP),
• la thermohydraulique accidentelle (CATHARE).
Le développement de ces logiciels implique des programmes
expérimentaux de qualification associés.
Un effort tout particulier a été mené en France dans le
domaine de la thermohydraulique accidentelle, pour permettre de décrire
en détail les problèmes de refroidissement du coeur en situation
accidentelle : un code de calcul CATHARE a été
spécialement développé pour la filière REP et
qualifié sur un important programme expérimental, comportant en
particulier une boucle, système BETHSY, reproduisant à
l'échelle 1, en hauteur, et au 1/100, en volume, un réacteur
FRAMATOME 3 boucles du palier CPY. La qualité de la physique du
code et la rigueur de la méthodologie adoptée pour cette
qualification permettent l'extrapolation aux autres réacteurs de la
filière avec un bon niveau de fiabilité.
Par ailleurs, un axe très important de recherche concerne le
vieillissement des matériaux, pour répondre aux besoins du parc
actuel et à l'augmentation éventuelle de sa durée de vie.
Ces études seront utilisées dans le projet EPR, conçu pour
une durée de vie de soixante ans et dont le développement est
lui-même conditionné par la durée de vie des centrales en
service.
Dans ce volet se place également la R & D pour le
combustible, produit consommable qui peut être utilisé dans tous
les réacteurs de la filière. Les évolutions du combustible
concernent principalement, pour les deux types actuellement utilisés
-combustible Oxyde d'uranium et combustible MOX-, l'augmentation du taux de
combustion (passage de 45 à 60 GWj/T), la tenue aux transitoires
(suivi de charge) et l'allongement des cycles de fonctionnement (passage de 1
à 2 ans), qui contribuera beaucoup à l'augmentation de la
disponibilité des REP. Mais il faut noter que l'idée d'un
réacteur qui fonctionnerait entièrement avec du combustible MOX
semble aujourd'hui abandonnée, essentiellement pour des raisons
d'homogénéité et, par voie de conséquence, de
facilité de la gestion du parc de centrales.
II R & D générée par les options de l'EPR
Ce sont
les options qui sont spécifiques à l'EPR, et non pas aux
centrales actuellement en exploitation. Elles concernent principalement :
• la prise en compte des accidents graves dès la conception,
• des modifications dans les systèmes de sauvegarde (injection de
secours à moyenne pression), un dessin différent de la cuve ou
des traversées inférieures, ce qui améliore la
fiabilité de la cuve ; le passage des tubes d'instrumentation
à travers le fond de la cuve a été supprimé ;
un réflecteur en acier a été installé pour diminuer
les dommages d'irradiation reçus par la cuve, au cours du
fonctionnement, et pour améliorer l'utilisation du combustible.
Le temps de réponse des actions de R & D est
généralement plus long que les phases de projet d'un
réacteur. C'est pourquoi les résultats de la R & D
permettront, dans la plupart des cas, de valider, puis d'optimiser les options
de l'avant-projet.
A) R & D non liée aux recherches sur les accidents graves
Elle
concerne l'hydraulique du fond de cuve. Si l'absence de traversées
inférieures améliore la fiabilité de la cuve, elle rend
vide de canalisations le plenum inférieur et il faut définir des
structures, en particulier une grille de distribution à l'entrée
du coeur pour assurer une bonne uniformité de débit à
l'entrée des différents assemblages de combustibles. Ceci met en
jeu des essais sur une maquette hydraulique à l'échelle 1/10,
LUCIE qui, au stade de l'avant-projet, ont permis de définir une base de
conception. Au moment du projet définitif, les optimisations de cette
conception se feront à l'aide d'une maquette plus complète,
HYDRA, qui permettra l'étude de l'hydraulique complète de la cuve
et, en particulier, des mélanges dans le coeur.
Le CEA participe également à l'amélioration de la conduite
par le recours à des commandes de plus en plus informatisées.
Cette tendance, qui a débuté avec le palier N4, se poursuivra
dans EPR. Un gros effort est fait dans le domaine de la sûreté et
de la fiabilité des logiciels utilisés.
De légères modifications ont été apportées
aux caractéristiques des dispositifs d'injection de
sécurité, en particulier sur le niveau de pression auxquels ils
interviennent. Des essais spécifiques ont été
effectués sur l'installation BETHSY, dans ces nouvelles conditions, pour
vérifier les calculs CATHARE. On a également utilisé
l'installation BETHSY pour tester les conditions de dépressurisation qui
permettent d'éviter la fusion du coeur en pression.
Enfin, il pourra s'avérer utile de qualifier le calcul du coeur
équipé de son réflecteur d'acier par l'étude
expérimentale d'une configuration représentative dans
l'installation EOLE.
B) Recherche et développement liée à la prise en compte des accidents graves
Les
accidents graves impliquant la fusion du coeur -cas de Three Miles Island- ont
été étudiés dans le passé, pour les
réacteurs en exploitation, dans le but d'en évaluer les
conséquences radiologiques et de mettre au point des procédures
destinées à les limiter en protégeant la fonction de
confinement de l'enceinte, qui était dimensionnée surtout pour
résister aux surpressions de l'accident de perte de fluide de
refroidissement primaire par l'existence d'une grosse brèche.
Pour le projet EPR, les accidents graves doivent être pris en compte
dès le stade de la conception : l'ambition est de réduire la
probabilité de ces accidents d'un facteur de 10
-5
à
10
-6
événements par réacteur et par an, et
d'éviter toute évacuation permanente des populations au voisinage
de la centrale. Pour cela, il faut rendre impossible un certain nombre de
séquences accidentelles dont on ne pourrait pas maîtriser les
conséquences, tels que, par exemple, les accidents de
réactivité par dilution accidentelle du bore, la fusion du coeur
à haute pression, la détonation globale d'hydrogène dans
l'enceinte. En conséquence, le projet doit être doté de
dispositifs spéciaux. A cet effet, il importe donc de pouvoir
prédire le déroulement des séquences accidentelles avec
fusion du coeur et de démontrer l'efficacité des dispositifs
retenus pour que soit assurée en permanence la fonction de confinement
des produits radioactifs.
La stratégie générale de recherche du CEA l'a conduit
à établir des modélisations des phénomènes
physiques à partir de considérations théoriques et
d'expériences introduites dans des codes de calcul.
Compte tenu de la complexité des phénomènes, une
méthode en deux temps est couramment utilisée, faisant appel
à deux catégories d'outils :
1 - Les codes intégraux ou codes scenarii
Caractérisés par des modélisations simplifiées, ils permettent de calculer la totalité de la séquence accidentelle et de faire des études paramétriques grâce à des temps de calculs raisonnables. Dans ces codes, il existe de nombreuses options que les utilisateurs doivent renseigner et qui concernent souvent des points que les études physiques n'ont pas encore permis de déterminer. Les études paramétriques permettent alors d'avoir une idée des incertitudes induites par le choix de telle ou telle option.
2 - Les codes mécanistes
Ils vont
traiter d'un problème particulier mais en intégrant la meilleure
physique raisonnablement utilisable. Ces codes peuvent cependant être
d'un emploi lourd. Qualifiés sur des expériences à
caractère analytique, ils doivent permettre de faire les extrapolations
à l'échelle d'un réacteur et de renseigner les
" options utilisateurs " des codes précédents.
Cependant, dans l'avenir, compte tenu de l'accroissement de la puissance de
calcul des ordinateurs et des progrès dans les analyses physiques, les
deux approches tendront à converger.
Ces codes doivent être validés par des expériences.
Dans certains cas, ces expériences peuvent être
éloignées de la réalité par l'échelle ou par
l'emploi de matériaux simulants qui permettent des essais à
moindre coût et une meilleure instrumentation. Ces expériences,
complétées par des expériences de caractère plus
global mettant en jeu des matériaux réels, peuvent être
utilisées pour divers objectifs :
• une meilleure compréhension des phénomènes
physiques,
• une meilleure appréciation des incertitudes,
• l'aide à la détermination et à la qualification de
modélisations simples,
• la qualification des outils de calculs mécanistes,
• l'aide à la détermination des " options
utilisateurs " des codes intégraux.
L'utilisation des codes intégraux et des études de
sensibilité associées doivent permettre, au-delà des
analyses de sûreté, d'aider à la définition des
besoins de R & D.
Plusieurs thèmes de R & D peuvent être
identifiés :
a) Les études de scenarii
Ces études nécessitent l'utilisation de codes intégraux qui sont utilisés dans des processus itératifs conjointement pour faire les études de projet et définir les bons choix de R & D. Outre la participation au développement du code ESCADRE de l'IPSN, le CEA qualifie le code MAAP, code américain utilisé par EDF et FRAMATOME, sur les expériences PHEBUS qui décrivent la dégradation d'une portion d'assemblage de combustible. Il effectue également des calculs comparatifs ESCADRE, MAAP.
b) Les études relatives au corium
Les
études relatives au corium, produit résultant de la fusion des
différents éléments constitutifs du coeur du
réacteur et de leur interaction avec les structures qu'ils rencontrent,
comportent trois volets principaux :
Þ le corium interne au circuit primaire,
Þ le corium hors cuve,
Þ l'interaction corium eau.
Ce corium interagit avec les matériaux de structure de la cuve et avec
le béton de l'enceinte hors cuve et les matériaux de
récupération. Ceci se passe à très haute
température, dans la gamme des 2000°C à 3000°C, et les
chercheurs doivent traiter les problèmes de fusion-solidification de
mélanges faisant intervenir des diagrammes de phases complexes.
-- Corium interne au circuit primaire
Lorsque le coeur commence à fondre sous l'effet de la puissance
résiduelle due à la désintégration des produits de
fission, et ne peut plus être refroidi, il va progresser vers le bas et
s'écouler dans le fond de la cuve. Les études du comportement de
ces bains de corium en fond de cuve permettront de déterminer la
façon dont les parois de la cuve vont fondre et ses modes de rupture.
Ceci doit permettre de définir l'instant de rupture ainsi que la
dynamique d'ouverture de la brèche, ce qui donnera les conditions
initiales de sortie du corium en dehors de la cuve. Cette connaissance est
nécessaire pour évaluer le comportement de ce corium dans le
puits de cuve et définir ainsi les conditions initiales de
récupération hors cuve.
A cet effet, on développe le code de calcul mécaniste TOLBIAC,
qui décrit la convection naturelle en trois dimensions d'un corium
formé d'oxydes et de métaux qui peuvent se stratifier. Ce code
décrit également les phénomènes d'oxydation des
métaux, la formation de croûtes, l'ablation des parois.
Couplé au code de mécanique CASTEM, il permet de décrire
la ruine de la cuve.
Pour la détermination des coefficients de transfert de chaleur à
la paroi, on utilise le dispositif BALI, où le corium est
remplacé par de l'eau salée et où les
expérimentations simulent la puissance résiduelle en utilisant
l'effet Joule. Pour la tenue mécanique du fond de cuve, on utilise
l'expérience RUPTHER, qui reproduit les conditions de rupture d'acier de
cuve à haute température.
-- Corium hors cuve
Le corium sorti de la cuve doit être arrêté
définitivement et refroidi. Pour cela, il faut placer à
l'intérieur de l'enceinte un dispositif de récupération.
Divers concepts sont possibles. Le projet EPR a choisi comme solution de
référence le concept d'étalement de ce corium sur une
surface déportée hors du puits de cuve. Diverses
évolutions ont eu lieu au cours de l'avant-projet ; la
dernière consiste à faire mélanger le corium avec du
béton sacrificiel pour abaisser la température de solidification,
et donc favoriser l'étalement hors cuve du corium. Dans le dessin
actuel, le refroidissement est assuré par noyage par le dessus du corium
étalé grâce à un système passif et le radier
est protégé par une petite circulation d'eau qui assure le
maintien d'une température convenable.
Le CEA, après avoir utilisé le code américain MELTSPREAD,
qui décrit l'étalement dans des configurations
monodimensionnelles, a développé un code bidimensionnel THEMA en
réutilisant de nombreux développements déjà mis en
oeuvre dans le code TOLBIAC. Pour valider THEMA, on utilise des
expériences, effectuées en matériaux simulants ou en
matériaux réels, réalisées au CEA ou dans des
laboratoires étrangers.
Deux programmes principaux pour les études d'étalement sont
conduits au CEA : CORINE, qui utilise des matériaux simulants
à bas point de fusion (métal de WOOD, HITEC etc..), et VULCANO,
qui permet l'étalement de 150 kg de matériau prototypique
(corium sans produits de fission). Ces essais permettent d'étudier la
physique de l'étalement et de la solidification de matériaux
complexes. Dans VULCANO, l'utilisation de matériaux réels permet
en plus l'étude des interactions avec différents supports
(béton, céramique etc..).
Par ailleurs, différentes études-support, plus analytiques,
relatives à la connaissance des propriétés physiques et
physico-chimiques de ces mélanges complexes, sont en cours.
-- L'interaction entre le corium et l'eau
Le corium chaud entrant en contact avec de l'eau se disperse en gouttes et
provoque une vaporisation de l'eau. Dans certaines conditions, en particulier
par le passage d'une onde de pression, le film de vapeur qui entoure les
gouttes peut être déstabilisé, ce qui provoquerait une
interaction thermique avec fragmentation des gouttes en très fines
particules, générant un échange thermique violent avec
l'eau et la propagation d'une onde de pression qui peut avoir des
conséquences mécaniques néfastes pour les structures
environnantes. Nous serions en présence du phénomène
d'explosion de vapeur. Son intensité va dépendre bien
évidemment du phénomène lui-même, mais
également de la quantité de fluide en présence. Il est
l'objet de nombreuses études depuis des années et, si des
évaluations du risque peuvent être faites, celles-ci demandent
encore à être affinées. C'est pourquoi le CEA
développe un code mécaniste MC3D multicomposant, multiphasique,
qui décrit l'ensemble du phénomène en tridimensionnel. Ce
code très complexe est qualifié sur des expériences
analytiques françaises et étrangères. En particulier, le
CEA a réalisé l'expérience BILLEAU, où des
sphères métalliques portées à plus de 2000°C
sont versées dans de l'eau froide. L'expérience MICRONIS,
relative à l'étude du comportement d'une goutte de corium, est en
cours. Les expériences réalisées au CCR ISPRA avec les
matériaux réels FARO et KROTOS fournissent une base de validation
au cas où le corium tombe dans l'eau. Ce type de situation est
étudié au CEA dans l'expérience ANAIS.
MC3D, qui calcule l'énergie libérée lors de l'interaction,
couplé au code de dynamique rapide PLEXUS, qui calcule les
conséquences mécaniques, devra permettre de modéliser les
interactions corium-eau dans toutes les situations.
c) Les études relatives à l'enceinte de confinement
Une fois
le corium arrêté et refroidi à l'intérieur de
l'enceinte, il faut encore assurer deux fonctions :
• continuer à évacuer la puissance résiduelle sur le
long terme ;
• éviter que, tout au long du transitoire accidentel, on ait
atteint localement des concentrations d'hydrogène susceptibles de
conduire à des détonations.
L'atmosphère de l'enceinte, en cas d'accident grave, est
constituée d'air, de vapeur d'eau, d'aérosols et de gaz dont
certains sont combustibles, comme l'hydrogène provenant de l'oxydation
par l'eau des métaux et le monoxyde de carbone provenant de la
décomposition du béton. Les phénomènes de
condensation de vapeur vont jouer un grand rôle dans la distribution des
différents composants de cette atmosphère. La connaissance du
terme source hydrogène et de sa dynamique est essentielle et fait
l'objet d'études à l'IPSN et en Allemagne.
Pour limiter la concentration en hydrogène, on peut agir sur la taille
de l'enceinte et avoir recours à des dispositifs de mitigation :
des recombineurs ou des igniteurs, qui consomment de l'hydrogène.
Dans l'avant-projet EPR, l'évacuation de la puissance résiduelle
est assurée par une aspersion. Une solution alternative utilisant des
condenseurs a été un moment envisagée, puis rejetée.
La taille de l'enceinte, la position et le nombre des dispositifs mitigateurs
doivent être déterminés à partir de calculs qui
fourniront la distribution en transitoire d'hydrogène. Pour
contrôler les calculs du projet, le CEA développe, pour le compte
de l'IPSN, le code TONUS qui décrit en tridimensionnel les
phénomènes de convection-condensation dans l'ensemble des
compartiments de l'enceinte. Ce code décrit aussi les
phénomènes de combustion, déflagration et
détonation de l'hydrogène et les conséquences
mécaniques qui en résultent pour l'enceinte.
Plusieurs types d'expériences sont en cours pour la validation du
code :
• des expériences à caractère analytique :
COPAIN pour la description des phénomènes de condensation sur les
parois en présence d'incondensables, et DYNASP pour l'étude de
l'aspersion ;
• une expérience globale, MISTRA, d'une capacité d'une
centaine de mètres cubes, munie ou non de compartiments, où
pourront être reproduites la vapeur d'eau, de l'hydrogène
simulé par de l'hélium, avec présence d'aspersion et
production d'aérosols. Une instrumentation spéciale permettra les
mesures locales de température, pression, concentration en
hydrogène et vitesse des gaz dans la totalité de la
maquette ;
• des expériences composants, concernant en particulier
l'efficacité des recombineurs, en présence de vapeur d'eau, dans
l'installation KALI H2, et des condenseurs dans KALI EVU.
Un programme de tenue du béton et de peaux
d'étanchéité aux conditions d'accidents graves est en
cours de définition.
III R & D innovante
Le CEA a
élaboré un programme de R & D destiné d'une
part à étudier des options alternatives qui pourraient,
au-delà de l'EPR, offrir des perspectives intéressantes tant du
point de vue technique qu'économique, et d'autre part participer
à l'évolution de l'EPR au cours des prochaines décennies.
Si le projet EPR est retardé, je suis convaincu qu'il faudra
intégrer certains de ces points dans les centrales du futur, dont je ne
citerai ici que les têtes de chapitre :
•
Nouveaux combustibles
permettant des cycles plus longs et une
meilleure rétention du césium par optimisation des
microstructures des oxydes, en utilisant des matrices en céramique ou
métallique.
•
Nouveaux systèmes de sauvegarde
utilisant notamment
certains systèmes passifs. On étudie en particulier des
injecteurs de vapeur qui, dans certains cas, peuvent remplacer des pompes pour
mettre en mouvement des fluides de refroidissement.
•
Amélioration de la sûreté et de la
fiabilité de fonctionnement
par des aides à
l'opérateur, le recours à une automatisation accrue et le
développement d'une instrumentation plus performante.
• La recherche de
nouveaux matériaux
: acier de cuve
résistant mieux aux hautes températures, matériaux de
remplacement pour les stellites, matériaux de structures internes moins
sensibles au vieillissement, aciers moins contaminants etc...
•
Utilisation du Plutonium
en étudiant la
faisabilité de coeurs pouvant être chargés
intégralement en combustible MOX.
Dans le domaine des accidents graves, trois concepts méritent
d'être étudiés :
• l'évaluation de concepts de récupération de corium
alternatifs au projet EPR (cf. supra),
• l'étude de la possibilité du refroidissement externe de la
cuve, ce qui permettrait de confiner le corium à l'intérieur du
circuit primaire,
• l'étude de concepts d'enceinte innovants (utilisation de
l'inertage etc.) (cf. infra).
Mais je considère qu'il est indispensable, parallèlement à
ces études, de conduire une veille technologique sur d'autres types de
réacteurs.
J'ai été plutôt rassuré de ce point de vue lorsque
j'ai procédé à l'audition des responsables du CEA, qui
m'ont confirmé l'attention qu'ils continuent de porter aux projets de
réacteur à haute température ou à des concepts tels
que l'AP 600 (cf. infra - chapitre II du Titre I).
D'autre part, il est important de noter que la recherche ne se limite pas au
couple franco-allemand et que des accords avec le Japon permettent de maintenir
la compétence dans des secteurs tels que la thermohydraulique des
générateurs de vapeur.
Les responsables du CEA ont mis l'accent auprès de votre Rapporteur
sur l'importance du projet EPR dans le maintien de son niveau technologique et
surtout sur la difficulté qu'il y aurait à reconstituer les
compétences après un " trou " de plusieurs
années.
Le coût risque d'en être prohibitif et d'obérer, en fait, la
liberté de choix des gouvernants de l'époque et ce ne serait non
plus pas très bon pour le maintien à niveau de la
sécurité des centrales nucléaires actuelles, dans la
mesure où l'excellence des personnels implique leur mobilisation sur des
projets porteurs.
J'approfondirai ce thème en conclusion de ce rapport, mais il est
nécessaire de l'avoir à l'esprit.
Chapitre II
Les recherches sur les accidents
graves
J'ai, au
cours de mes travaux, mis en garde à de nombreuses reprises mes
interlocuteurs contre le risque qu'il pourrait y avoir à trop mettre
l'accent, dans la présentation du projet EPR, sur la réduction de
la probabilité de survenance d'un accident grave tel que la fusion du
coeur.
En effet, ceux qui ne sont pas familiers de la technologie nucléaire
peuvent redouter que le risque que survienne un accident nucléaire grave
soit important. Il n'en est rien. Lorsque les concepteurs du projet parlent de
réduction d'un facteur 10 des risques, ils partent d'une situation
où la probabilité est déjà
infinitésimale ; on estime que la probabilité d'accident
grave est d'un accident pour une période de 400 ans sur l'ensemble
des tranches en service en France.
La démarche consiste à réduire encore ces
probabilités de risque.
Comme nous venons de le voir dans le chapitre précédent, deux
problèmes sont particulièrement importants : les risques
liés à l'hydrogène et la fusion du coeur.
I Les risques liés à l'hydrogène
Dans un
accident grave, le coeur du réacteur n'est plus correctement refroidi.
L'élévation de la température du combustible qui en
résulte provoque l'ébullition de l'eau qui se répand en
vapeur d'eau sur les parois de l'enceinte de confinement.
Or, aux environs de 1200°C, les crayons de combustible, partiellement
émergés puisque le niveau d'eau a diminué, et dont les
gaines sont réalisées en alliage à base de zirconium,
subissent une réaction d'oxydation qui produit de l'hydrogène.
En cas d'accident grave de ce type, il existe un risque, certes
infinitésimal, d'accumulation d'hydrogène, source possible d'une
éventuelle explosion de nature à compromettre la solidité
de l'enceinte du réacteur.
A) Les solutions techniques sont malaisées à définir
La
meilleure solution serait de refroidir la cuve en l'aspergeant par
l'extérieur. Cette solution est techniquement possible pour les
réacteurs de 600 Mégawatts, elle ne l'est pas pour les centrales
plus puissantes.
Votre Rapporteur regrette que les recherches sur l'adaptation de l'aspersion
de la cuve par l'extérieur aient été abandonnées et
il estime que les recherches sur l'aspersion des cuves des réacteurs de
forte puissance devraient être poursuivies.
En effet, la solution retenue pour le projet EPR, qui consiste à inonder
la cuve en cas de surchauffe du coeur, présente l'inconvénient de
produire de la vapeur d'eau, donc de l'hydrogène.
Or, il se trouve qu'en cas d'accident grave, la vapeur d'eau ne se
répartit pas également dans l'enceinte, ce qui peut être
à l'origine de poches de vapeur d'eau dont la présence est
redoutable.
Les recherches conduites par le CEA s'orientent autour de deux voies :
inerter l'enceinte ou réintégrer le corium dans le circuit
primaire.
Inerter l'enceinte implique le remplacement au moins partiel de l'air, qui
comporte de l'hydrogène, par de l'azote, solution qui peut ne pas
être permanente, l'azote étant injecté en tant que de
besoin.
L'autre voie qui, pour les spécialistes, semble être la meilleure
consisterait à intégrer dans l'enceinte le
récupérateur de corium car, dans cette hypothèse, la cuve
ne céderait pas au bout de 4 heures, mais de 12 heures,
délai permettant une meilleure prise en charge de l'accident grave.
Pour des raisons de coût, ces solutions techniques ont été
écartées par les concepteurs de l'EPR.
Votre Rapporteur souhaite que le CEA puisse approfondir ses travaux sur cette
question afin que puisse être encore réduite la
probabilité, déjà très faible, d'accident grave.
Il faut, en effet, avoir à l'esprit que lors de l'accident de Three
Miles Island, en 1979, les exploitants ont décelé la
présence d'une bulle de gaz essentiellement composée de
l'hydrogène produit au moment de la surchauffe, au sommet de la cuve.
Or, la combinaison optimale (ou stoechiométrique) pour entraîner
une explosion est de 2 volumes d'hydrogène pour 1 volume
d'oxygène, et la décomposition de l'eau sous l'action des
rayonnements produit de l'oxygène.
De ce fait, les autorités américaines avaient redouté que
l'ultime barrière contre une pollution radiologique, la cuve, ne
cède à la suite d'une explosion d'hydrogène. L'analyse a
par la suite démontré que ce risque était inexistant car
la combinaison stoechiométrique ne pouvait pas être atteinte.
Il n'en demeure pas moins vrai que cet exemple a montré que le risque
consécutif à une explosion d'hydrogène constitue un des
accidents les plus graves susceptibles de se produire dans une centrale
nucléaire.
B) Hydrogène et fusion du coeur
Comme
nous venons de le voir, lors de la fusion du coeur, l'oxydation des
métaux contenus dans la cuve conduit à une production
d'hydrogène qui se répandra dans l'enceinte de confinement. Le
problème est de connaître la distribution de cet hydrogène
pour voir s'il atteint localement des concentrations pouvant conduire à
des détonations dommageables pour l'intégrité de
l'enceinte et pour être à même, dans ce cas, de placer
judicieusement des dispositifs de mitigation : igniteurs et/ou
recombineurs.
Le CEA développe le code de calcul TONUS qui traite en tridimensionnel
le problème de la distribution de l'hydrogène dans l'enceinte, de
sa déflagration et de son éventuelle détonation ainsi que
des conséquences mécaniques.
Un programme expérimental de qualification en cours de
réalisation comporte :
• des expériences analytiques relatives à l'étude du
transfert de chaleur en condensation avec des incondensables (COPAIN), et
à l'étude de l'aspersion (DYNASP) ;
• une expérience globale MISTRA où l'on étudie dans
une enceinte d'une centaine de mètres cubes le problème de la
distribution d'hydrogène. Cette expérience se distingue des
expériences réalisées jusqu'alors à
l'étranger par une meilleure maîtrise des conditions aux limites
et par une instrumentation très détaillée permettant une
qualification des codes tridimensionnels ;
• des expériences de qualification de composants (condenseurs et
recombineurs) dans l'installation KALI.
Les problèmes de déflagration et détonation de
l'hydrogène sont étudiés à partir du
résultat d'expériences étrangères, en particulier
d'expériences russes à grande échelle (programme
RUT).
C) Les enceintes de confinement
Chaque
chaudière nucléaire est installée dans un bâtiment
dit "bâtiment du réacteur". En cas d'accident affectant la
chaudière, des substances radioactives peuvent être
relâchées et il convient d'assurer leur confinement afin de
limiter les rejets radioactifs dans l'atmosphère à des valeurs
acceptables, eu égard à la probabilité de la situation
accidentelle.
Cette fonction de confinement est obtenue par la paroi du bâtiment du
réacteur, appelée "enceinte de confinement". Elle constitue en ce
sens la "troisième barrière" des produits de fission,
après les gaines des éléments combustibles et le circuit
primaire.
1 - Les situations accidentelles retenues en France pour le dimensionnement des réacteurs existants
L'enceinte de confinement est conçue pour
résister
à différentes situations accidentelles d'origine interne et
différentes "agressions" d'origine externe à l'installation.
On peut distinguer :
• les situations accidentelles d'origine interne :
En cas de rupture d'une tuyauterie du circuit primaire ou d'un circuit
secondaire, un fort relâchement de vapeur d'eau serait produit dans
l'enceinte. Il s'ensuivrait une élévation de température
et de pression importante de l'atmosphère de l'enceinte (environ
150°C, 4 bars relatifs). Selon que la rupture envisagée se
situe sur le circuit primaire ou secondaire, l'accident est appelé APRP
(accident de perte de réfrigérant primaire) ou RTV (rupture de
tuyauterie de vapeur) ;
• les agressions externes d'origine humaine :
Þ explosions externes (dues à l'environnement industriel),
Þ chutes d'avion de l'aviation générale (Cessna 210, Lear
Jet) ;
• les séismes.
En France, les enceintes sont testées sous une pression d'air
équivalente à celle qui pourrait apparaître dans l'enceinte
en cas d'accident de type APRP ou RTV, afin de vérifier leur
résistance et leur étanchéité. Les essais
correspondants, appelés "épreuves" de l'enceinte, ont lieu avant
la mise en service du bâtiment, puis périodiquement (normalement
tous les 10 ans, parfois tous les 5 ans).
L'épreuve engendre des efforts importants sur l'enceinte et permet de
vérifier la bonne qualité de la réalisation
générale de l'ouvrage. Il ne faut cependant pas oublier que, pour
obtenir un chargement complètement représentatif des conditions
d'accident dans l'enceinte, il faudrait ajouter au chargement de pression le
chargement thermique, qui ne peut pas être simulé lors de
l'épreuve.
2 - Divers types d'enceintes de confinement sont en exploitation en France et en Allemagne
a) En Allemagne
Les enceintes de confinement (voir annexe) sont constituées d'une enceinte sphérique en acier (56 m de diamètre et 38 mm d'épaisseur, pour la série Konvoi), elle-même étant contenue dans un bâtiment en béton armé (180 cm d'épaisseur, pour Konvoi). L'enceinte interne, en acier, a pour fonction d'assurer l'étanchéité et de résister aux pressions et températures internes correspondant aux situations accidentelles de dimensionnement. L'enceinte externe, en béton, a pour fonction de protéger l'enceinte interne contre les agressions externes, en particulier la chute d'un avion militaire.
b) En France
Deux
types d'enceintes sont actuellement en exploitation :
•
Les enceintes à paroi unique du palier 900 MWe
Elles sont constituées d'un bâtiment cylindrique en béton
précontraint de 37 m de diamètre et d'environ 60 m de
hauteur, surmonté d'un dôme. La paroi cylindrique a une
épaisseur de 90 cm et le dôme une épaisseur de
80 cm. Ce bâtiment a pour fonction de résister aux accidents
aussi bien qu'aux agressions externes. Sa surface intérieure est
recouverte d'une peau métallique de 6 mm d'épaisseur dont la
fonction est d'assurer l'étanchéité.
•
Les enceintes à double paroi des paliers 1300 MWe et
1450 MWe (N4)
La paroi interne (120 cm d'épaisseur pour le cylindre et 82 cm
pour le dôme, pour les tranches N4) est en béton
précontraint et n'est pas recouverte d'une peau
d'étanchéité. Elle a pour fonction de résister aux
conditions de pression et de température internes tout en assurant une
"relative" étanchéité : son taux de fuite en
situation d'accident est réglementairement limité à
1,5 % par jour de la masse de fluides (air et vapeur d'eau) contenue dans
l'enceinte. La plus grande partie des fuites est récupérée
dans l'espace entre parois (également appelé espace annulaire, ou
EEE) maintenu en dépression par un système de ventilation et
filtration appelé EDE. Le schéma qui suit illustre le principe de
ce confinement "dynamique". La paroi externe en béton armé
(55 cm d'épaisseur pour le cylindre et 40 cm pour le
dôme, pour les tranches N4) a pour fonction de créer l'espace
annulaire et d'apporter la protection nécessaire vis-à
-
vis
des agressions externes. La "relative" étanchéité de la
paroi interne est vérifiée lors des épreuves de
l'enceinte. Dans ces conditions d'essai, le taux de fuite est normalement
limité à 1 % par jour de la masse d'air contenue dans
l'enceinte, sans que puisse être faite une corrélation
précise entre la valeur réelle et la limite réglementaire
mentionnée ci-dessus.
3 - L'enceinte de confinement du projet EPR
Le
projet EPR s'est donné pour objectif d'améliorer de
manière significative la sûreté de l'installation en
prenant en compte, dès sa conception, la possibilité d'accidents
"graves" avec fusion complète du coeur et formation d'un corium,
explosion d'hydrogène dans l'enceinte, génération de
projectiles à l'intérieur de l'enceinte, impact de ceux-ci contre
les parois, percée de la cuve par le corium et déversement de
celui-ci dans le bâtiment du réacteur, etc... L'enceinte devra en
particulier résister à une pression accidentelle plus
élevée que celle de l'APRP, en l'occurrence environ 5,5 bars
relatif, pour résister à une déflagration globale
d'hydrogène : ceci conduit à un niveau de
précontrainte du béton très important.
Pour répondre à l'objectif du projet EPR, différents types
d'enceinte ont été envisagés :
•
Option 1
: une enceinte interne en acier conçue
pour résister aux conditions de pression et de température
internes et une enceinte externe en béton armé, conçue
pour résister aux agressions externes.
•
Option 2
: une enceinte interne en béton
armé avec peau d'étanchéité ; cette enceinte
interne serait conçue pour supporter les chargements de pression et
température internes de même que les chutes d'avion. L'enceinte
externe serait alors constituée d'une paroi de faible épaisseur
en béton armé, destinée à créer un espace
annulaire permettant de collecter les fuites de l'enceinte interne.
•
Option 3
: une enceinte interne en béton
précontraint avec une peau d'étanchéité,
conçue pour résister aux conditions de pression et de
température internes, et une enceinte externe en béton
armé conçue pour résister aux agressions externes.
•
Option 4
: une enceinte interne en béton
précontraint sans peau d'étanchéité, conçue
pour résister aux conditions de pression et de température
internes, et une enceinte externe en béton armé conçue
pour résister aux agressions externes.
Pour les options 2 et 3 ci-dessus, deux variantes ont été
considérées :
- une peau métallique analogue à celles des tranches de
900 MWe en France. Ce procédé s'avère coûteux
et pourrait conduire à des difficultés de réalisation
(compte tenu du niveau élevé de précontrainte du
béton) et de vieillissement (corrosion) ;
- une peau composite, non métallique, en résine : ce
procédé est encore du domaine du développement ; il
sera testé à grande échelle pour la première fois
sur la maquette MAEVA, à Civaux.
Plusieurs dispositions des systèmes intérieurs à
l'enceinte d'EPR ont été envisagées. Il est apparu
nécessaire de placer certains systèmes tels que :
• la réserve d'eau borée nécessaire en cas
d'accident,
• l'aire d'étalement nécessaire au refroidissement du corium,
à l'intérieur et en partie basse de l'enceinte. Ceci est plus
aisé dans une géométrie cylindrique que dans une
géométrie sphérique.
D'autres considérations liées à la prise en compte des
accidents graves, telles que la possibilité de combustions
localisées d'hydrogène ou de projectiles, ont conduit le projet
EPR à préférer des murs d'enceinte en béton, ce qui
écarte l'option 1.
Le dimensionnement à la chute d'avions militaires (plus lourds et
rapides que ceux de l'aviation générale) sur le bâtiment du
réacteur a également conduit le projet à retenir une
enceinte externe de protection en béton armé, ce qui
écarte l'option 2.
Enfin, un important retour d'expérience existe en France concernant
à la fois la construction et l'exploitation des enceintes de forme
cylindrique en béton précontraint ; le projet s'est alors
orienté vers une amélioration de la dernière
réalisation de cette technologie, l'enceinte du réacteur N4.
Le projet EPR a donc finalement retenu une enceinte à double paroi sans
peau d'étanchéité. La paroi interne est en béton
à haute performance (BHP) précontraint de 130 cm
d'épaisseur pour le cylindre et de 90 cm d'épaisseur pour le
dôme. La paroi externe est en béton armé de 130 cm
d'épaisseur.
Dans leur analyse commune présentée le 21/10/1997 aux groupes
d'experts français et allemand GPR et RSK, I'IPSN et la GRS ont
souligné que :
- l'absence de chargement thermique de l'enceinte lors des épreuves
laisse des doutes quant à la représentativité de ces
essais vis-à-vis des situations accidentelles réelles,
- le retour d'expérience français montre que, pour passer
l'épreuve avec succès, plusieurs enceintes ont dû faire
l'objet de travaux destinés à améliorer
l'étanchéité de la paroi interne (pose locale d'un
revêtement d'étanchéité sur des zones dites
"singulières", initialement fissurées lors de la construction de
l'ouvrage, ou difficiles à précontraindre).
De plus, les résultats des dernières épreuves
décennales des tranches Cattenom 3, Flamanville 1 et
Cattenom 1 montrent également la particulière
sensibilité de la zone singulière constituée par
"l'accès matériel", où des microfissures traversantes sont
apparues, lors des épreuves, après quelques années de
perte de précontrainte par vieillissement du béton.
Ce retour d'expérience est à prendre en compte pour la conception
des réacteurs du futur. Il montre que la précontrainte, bien que
d'ores et déjà très importante et pratiquement au maximum
de ce qui est techniquement faisable aujourd'hui, ne permet pas de garantir
l'étanchéité de la paroi interne en tous points et durant
toute la durée de vie de l'ouvrage. Cette garantie ne pourra être
apportée que par l'utilisation de moyens techniques
supplémentaires, tels que la mise en place d'une peau
d'étanchéité.
4 - La protection des installations à l'égard des chutes d'avion
La
différence de sensibilité entre la France et l'Allemagne est
très nette sur ce sujet et les normes allemandes semblent plus
exigeantes que les critères français.
Cela peut en partie s'expliquer par la différence de structure et
d'histoire de l'aviation militaire de nos deux pays.
L'Allemagne a équipé son aviation militaire d'appareils
biréacteurs plus lourds que ceux qui équipent notre armée
de l'air. D'autre part, les avions starfighters, étant loin d'avoir la
fiabilité de nos Mirages, ont connu une série d'accidents qui a
traumatisé les Allemands.
L'exigence allemande de résistance des enceintes des centrales
nucléaires à la chute d'un appareil militaire lourd est donc
parfaitement légitime.
Or, en France, la recherche des conditions de ruine, laquelle se constitue lors
d'une déformation des aciers supérieure à 10 %,
montre que, quel que soit le lieu de l'impact sur l'enceinte de confinement des
tranches de 900 MWe, de 1 300 MWe ou de 1 400 MWe,
l'enceinte résiste à l'impact d'un Mirage V de masse
supérieure à 13 tonnes et animé d'une vitesse de
150 m/s.
Votre Rapporteur s'est enquis auprès des autorités militaires de
l'évolution de notre aviation militaire, et il apparaît que nous
allons plutôt vers un allégement de notre aviation ou une
stabilisation du poids de nos avions.
Les avions allemands futurs, du moins ceux en service dans les vingt prochaines
années, sont sensiblement plus lourds car le programme TORNADO a
été élaboré en coopération avec les Anglais
qui, du fait de la position géographique de la Grande-Bretagne, ont
besoin d'un rayon d'action plus important que les avions français.
La coopération internationale pose sur ce point le problème de
l'adaptation aux données propres à chaque pays.
Mais le débat sur la structure des armées de l'air de nos deux
pays n'est pas l'objet de ce rapport.
La protection des centrales contre les chutes d'avions de l'aviation
générale et commerciale
Il existe peu de rapport entre un avion d'aéro-club et un Boeing 747.
Or, si une enceinte résiste sans problème à la chute d'un
avion d'aéro-club, elle ne peut pas résister à celle d'un
Boeing 747.
Toutefois, l'encadrement de l'aviation commerciale et le fait que les couloirs
aériens tiennent le trafic éloigné des centrales
nucléaires, et une probabilité de chute de 10
-12
rendent le risque de chute d'un avion commercial extrêmement
faible. Par contre, la nécessité d'une protection contre les
chutes d'avions de l'aviation générale est impérative.
Compte tenu des caractéristiques des appareils utilisés et de
l'effet des impacts sur les structures en béton armé, EDF a
distingué les deux projectiles suivants :
Un monomoteur à hélice de 1500 kg, dont le moteur de
250 kg constitue un projectile " dur " et perforant ; il
s'agit du CESSNA 210, représentatif de 80 % du trafic de l'aviation
générale ;
Un biréacteur d'affaire de 5 700 kg, dont les
réacteurs sont à l'arrière et qui constitue un projectile
" mou " provoquant l'ébranlement général du
bâtiment atteint ; il s'agit du LEARJET 23, qui représente
20 % du trafic de l'aviation générale.
La vitesse d'impact considérée est de 100 m/s, ce qui
correspond à 360 km/h, vitesse atteinte au terme des phases de
décollage et précédant l'atterrissage.
Les bâtiments importants pour la sûreté, dont le
bâtiment du réacteur, sont calculés pour résister
sans dommage aux impacts correspondants. Mais certains ne sont
protégés que contre le choc perforant, le plus probable.
Les critères utilisés pour le calcul des structures sont
très contraignants. Selon les paliers de réacteurs, le
ferraillage du béton doit rester dans le domaine élastique ou ne
subir qu'une faible déformation plastique, inférieure à
0,8 %. Dans ces deux cas, les marges par rapport à la ruine du
bâtiment sont considérables alors que seulement un début de
ruine peut endommager les matériels situés à
l'intérieur, par la création de projectiles secondaires.
De très nombreux essais ont été réalisés
pour mettre au point et qualifier les codes de calcul utilisés pour
définir les murs en béton armé assurant une
protection ; ils ont permis de déterminer les lois de perforation
du béton armé sous l'impact d'un projectile dur.
Le diamètre de la zone la plus sensible d'une tranche nucléaire,
l'enceinte de confinement, est inférieur ou égal à
50 mètres. Un cercle de 25 kilomètres de rayon a une surface
un million de fois plus importante. Une probabilité d'impact de
10
-7
par an sur une enceinte de confinement correspond donc à
une probabilité de chute d'avion de 0,1 par an dans ce cercle.
Si l'on n'oublie pas qu'il y a, en France, près de 20 sites
nucléaires comportant des réacteurs en exploitation, la
probabilité d'impact de 10
-7
par an et par réacteur
due à l'aviation militaire est cohérente avec l'observation, tous
les ans, de la chute d'un ou deux appareils militaires à moins de
25 km d'une centrale nucléaire française, ce qui justifie
les précautions prévues.
II Le confinement du corium
Beaucoup
de recherches concernant le corium doivent être encore conduites.
Il convient d'examiner attentivement la possibilité de maintenir le
corium dans la cuve, par exemple en injectant de l'eau de refroidissement, mais
il est difficile de définir si cela est possible dans des conditions
tardives.
La manière également dont le corium va attaquer la cuve, puis la
percer, est fondamentale pour construire le récupérateur de
corium.
Les concepteurs de l'EPR pourraient également envisager la mise en place
du récupérateur de corium dans l'enceinte, ce qui
améliorerait le confinement en cas d'accident grave.
Comme nous le verrons également dans le paragraphe suivant,
l'interaction entre le corium et l'eau, et la production d'hydrogène
qu'elle dégage, demeure un axe d'étude à
privilégier.
Dès 1991, suite à la lettre de la DSIN à EDF, FRAMATOME et
CEA donnant les directives pour la prise en compte des accidents graves
dès le stade de la conception des réacteurs du futur, le CEA, en
concertation avec ses partenaires, a lancé un programme de
R & D complémentaire de ce qui était
étudié par l'IPSN pour ses travaux d'expertise. Ce programme est
mené en étroite collaboration avec l'organisme allemand de R
& D, FZK (Centre de Karlsruhe) et est également l'objet de
coopérations internationales avec divers organismes, et notamment avec
l'Union Européenne dans le cadre du 4ème PCRD.
Ce programme de recherche est l'objet d'un plan de développement
démarré en 1992 et réactualisé en 1997 pour la
période 1997 - 2001.
Il a été défini autour de quatre thèmes principaux
avec, pour chacun d'eux, le développement de moyens de calcul et la
réalisation d'expériences de qualification :
• Comportement du corium en cuve avec l'étude des processus de
rupture de la cuve et des possibilités de le maintenir en cuve par un
refroidissement externe ;
• Comment, après rupture de la cuve, arrêter et refroidir le
corium à l'intérieur de l'enceinte de confinement ?
• Comment maîtriser le risque explosion vapeur en cuve et hors
cuve ?
• Comment éviter le risque hydrogène dans l'enceinte de
confinement ?
A) Corium en cuve et refroidissement associé
Le code
TOLBIAC décrit en trois dimensions le comportement de bains de corium
avec possibilité de stratification des différents constituants,
oxydes et métaux, ainsi que l'ablation des parois. L'expérience
BALI, représentant à l'échelle 1 une tranche de fond
de cuve EPR et utilisant l'eau salée chauffée par effet Joule
comme matériau simulant, est utilisée pour caractériser
les transferts de chaleur à la paroi. Ces données seront
complétées par celles obtenues dans le programme RASPLAV,
réalisé en Russie avec des matériaux réels, dans le
cadre de l'OCDE.
Le code de mécanique CASTEM, qualifié à partir des
expériences sur acier de cuve à haute température,
RUPTHER, permet de prédire la rupture de la cuve. Ces conditions de
rupture de cuve permettent de connaître les conditions initiales de
fonctionnement du récupérateur hors cuve.
Enfin, le code CATHARE, qualifié à partir de l'expérience
SULTAN, permet de traiter le problème du refroidissement externe de la
cuve et de son efficacité. Tous ces programmes sont très
avancés et doivent apporter dès 1998 des résultats
intéressants.
B) Corium hors cuve
Le
concept de récupération du corium, suite à une rupture de
la cuve dans EPR, est basé sur l'étalement de ce corium sur une
surface déportée hors du puits de cuve, et son refroidissement
par renoyage avec des systèmes passifs. Pour favoriser
l'étalement et protéger les matériaux du radier, celui-ci
est recouvert d'une couche de matériau sacrificiel qui se
mélangera au corium lors de son transfert vers le
récupérateur et lors de son étalement.
Le CEA développe le code THEMA pour décrire le processus
d'étalement et de solidification du corium.
Pour identifier les phénomènes physiques et mettre au point les
modélisations à utiliser, un premier programme
expérimental, le programme CORINE, a été
réalisé avec des matériaux simulants à bas point de
fusion.
Pour qualifier plus précisément les modèles et
étudier également les interactions du corium avec les
matériaux constituant la structure du récupérateur, on a
développé l'expérience VULCANO
10(
*
)
, qui doit permettre la coulée à des
températures pouvant atteindre 2800°C de 100 à 150 kg de
corium prototypique
11(
*
)
de diverses
compositions (oxyde d'uranium, de zircaloy, de fer, acier, produits de la
décomposition du béton : silicates, oxydes de calcium etc.)
et son étalement sur divers supports. Le four de fusion, qui utilise une
technique originale d'arc plasma, a nécessité une période
de deux ans de mise au point technologique avec des matériaux simulants.
Au cours du mois de décembre 1997, on a réalisé une
première coulée d'une centaine de kilos d'un corium
représentatif du corium du projet EPR et son étalement. Le
dispositif est maintenant opérationnel, tant au niveau de la
maîtrise de la coulée (composition du corium et débit) que
de l'instrumentation. Un effort important est fait pour l'analyse post mortem
des matériaux étalés. Ce programme se poursuivra au cours
des prochaines années, en particulier, avec la mise au point d'une
technique de maintien en chauffage de ce corium lors de la phase
d'étalement pour simuler la puissance résiduelle et être
ainsi mieux à même de traiter les problèmes d'interaction
avec les substrats.
Par ailleurs, diverses études de base sont effectuées sur le
corium pour une meilleure connaissance des propriétés physiques
et physico-chimiques (diagrammes de phases de mélanges complexes)
utilisées dans les codes de calcul. Ces expériences mettent alors
en jeu quelques centaines de grammes de produits.
III Explosion vapeur
Le CEA développe le code de calcul MC3D multiphasique, multiconstituant qui traite, en tridimensionnel, de la fragmentation du corium, de son interaction avec l'eau et de la propagation des ondes de pression. Un couplage avec le code de mécanique en dynamique rapide (PLEXUS) permet d'évaluer les conséquences mécaniques sur les structures environnantes. Plusieurs expériences à caractère très analytique (BILLEAU, TREPAN, MICRONIS) permettent de qualifier les modèles de base du code. Le code est confronté aux résultats expérimentaux obtenus en Allemagne et à ISPRA (FARO) sur ce sujet.
IV Compte rendu succinct de l'essai VULCANO VE-U1
Il m'a
paru intéressant de vous communiquer le compte rendu de l'essai
VULCANO tel qu'il a été rédigé par le CEA.
"Le 2 décembre 1997, à 12 h 26, en salle de
contrôle VULCANO, la tension atteint un maximum. L'ordre de coulée
vient d'être donné, le premier corium prototypique sort du four et
se déverse sur la section d'essai.
"Cet essai, VE-U1, le premier en corium réel, est une réussite :
• la fusion en deux passes, selon la procédure établie lors
des essais VE-06 et 07, s'est déroulée conformément aux
prévisions tant du point de vue des matériaux que du point de vue
de la thermique.
• la coulée a été parfaitement maîtrisée
avec un maintien de l'arc plasma pendant toute la phase de basculement et
retour du four en position horizontale.
• l'étalement du corium et son comportement pendant sa progression
ont été suivis en direct et enregistrés non seulement par
les caméras fonctionnant dans le spectre visible, mais aussi par
l'ensemble de l'instrumentation (pesée, thermocouples, pyromètres
et thermographie infrarouge).
• la contamination dans la casemate est restée dans les limites
estimées.
"Pour cet essai, conformément aux engagements pris dans le cadre de la
collaboration européenne, la charge (45 % w, UO2, 20 % w,
Zr02, 20 % w Si02, 13% w Fe304, 2% w FE203°) était
représentative d'un corium mélangé à un
béton sacrificiel ; cette composition conduit à une
température liquidus théorique de 1980°C avec un
écart solidus/liquidus de l'ordre de 900°C. Pendant la
coulée, la température du corium en sortie four est restée
comprise entre 2400 et 2200°C.
"Du point de vue phénoménologique, une masse de 47 kg s'est
déversée de manière continue sur la surface
d'étalement (briques de zircone) avec un débit moyen de l'ordre
de 2 kg/s, ce qui a conduit à recouvrir pratiquement l'ensemble de
la section d'essai et donc à une longueur d'étalement d'environ
1,20 m. Comme dans VE-07, la hauteur étalée est relativement
faible (1 à 3 cm), les films montrent très nettement une
progression discontinue du front et un comportement de la surface libre assez
hétérogène.
"L'analyse des données enregistrées et des échantillons
qui seront prélevés prochainement (aussi bien dans le corium
étalé que dans les briques de zircone) permettra sans aucun doute
d'aller plus loin dans l'interprétation et la modélisation des
phénomènes observés.
"Cet essai, tout à fait complémentaire de ceux
réalisés par les autres équipes européennes,
devrait ainsi contribuer à la qualification des logiciels".
Chapitre III
L'îlot non
nucléaire
Dans ce
titre consacré aux apports scientifiques du projet EPR, j'ai jugé
utile, bien que cela ne constitue pas le coeur du rapport, de vous indiquer en
quelques mots ce que sera la centrale nucléaire de l'an 2000, l'EPR
n'en constituant que l'îlot nucléaire.
Le programme REP 2000 désigne l'ensemble des actions nationales et
internationales conduites par EDF pour préparer le prochain palier.
Il ne faut pas le confondre avec les EUR ("European Utilities Requirements")
qui constituent un cahier des charges commun entre les électriciens
européens.
Les apports du projet REP 2000 portent en particulier sur la salle des
machines, le génie civil, l'équipement mécanique et le
bâtiment électrique.
I La salle des machines
La salle
des machines du futur palier "REP 2000 " destinée à
équiper le parc nucléaire du XXI
e
siècle
est en cours d'élaboration. Elle a été conçue dans
la perspective d'une augmentation de la puissance de l'installation pour en
abaisser le coût du kWh. En effet, devant la concurrence croissante des
énergies fossiles, il est indispensable d'associer toutes les
composantes d'un nouveau bloc usine à la recherche de
compétitivité, et l'îlot conventionnel doit lui aussi
prendre sa part dans cet objectif.
Jusqu'au palier N4, l'ampleur du chantier nucléaire français
était telle que chaque palier se construisait à partir du
précédent ; N4 s'est nourri de P4, qui fut alimenté
par P4, lui-même issu des CPY et CP0. Avec le REP 2000, les
ingénieurs ont pu disposer d'un délai qui leur a permis
d'approfondir leur réflexion. 25 ans après le lancement des
paliers REP, la nécessité de repenser, reconstruire, reformuler
les besoins en sûreté, en disponibilité, en conception, en
exploitation et en maintenance s'est fait jour, ne serait-ce que pour
bénéficier pleinement du retour d'expérience.
Précédé d'un avant-projet sommaire achevé en juin
1996 sous la conduite de l'EDF, un avant-projet détaillé est
actuellement mis au point dans l'optique du marché européen, qui
impose désormais la sollicitation de plusieurs fournisseurs. Partant de
ce postulat, les ingénieurs d'EDF ont imaginé de bâtir
plusieurs variantes de cette nouvelle salle des machines, chacune s'adaptant
à un certain type de groupe turboalternateur (GTA), aux dires de leur
constructeur.
Cette salle des machines devant répondre, comme l'îlot
nucléaire, aux impératifs de compétitivité du futur
palier, il était indispensable d'inventer de nouveaux gisements de
productivité. Le plus évident réside naturellement dans
l'augmentation de puissance, permettant ainsi d'abaisser le coût du kWh.
A l'origine, REP 2000 devait s'aligner sur la puissance nominale du palier
N4, soit 1 450 MW. La direction technique d'EDF a demandé, en
juin 1997, d'examiner la faisabilité, et l'impact sur le coût,
d'une augmentation de puissance de 15 % environ, soit 1 700 MW
nets. En septembre 97, une phase de reprise d'avant-projet sommaire de
l'îlot conventionnel a démarré. Cette phase devrait
s'achever fin mars 1998, et devrait permettre de poursuivre l'APD sur de
nouvelles bases.
Le calendrier de réalisation est lié a la décision
politique de construire une tête de série EPR. EDF a
examiné, à l'automne 1997, l'option d'une salle des machines
à deux lignes d'arbre. Aujourd'hui, si les premiers
éléments transmis par les constructeurs de groupes
turboalternateurs montrent que l'outil industriel actuel pourrait convenir,
moyennant quelques adaptations, il s'avère que le coût
actualisé en serait trop élevé sans avantage significatif
au plan technique.
II Le génie civil
Répondre aux objectifs fixés pour cette salle des
machines imposait de remettre à plat tout l'acquis des paliers
précédents. Il s'agissait de concevoir une nouvelle structure,
encore plus performante que celle de N4 en termes de coût et de
délai, l'un et l'autre étant indissolublement liés. Les
dimensions de l'enjeu tenaient à la fois à la construction, mais
aussi à l'exploitation et, fait nouveau dont je me félicite,
à la déconstruction de l'édifice en fin de vie. En outre,
la perspective où des EPR seraient implantés sur des sites
où des réacteurs seraient démantelés est tout
à fait plausible.
Si les salles des machines des paliers précédents étaient
une évolution de l'installation antérieure, avec les adaptations
imposées par le nouveau palier, REP 2000 participe d'une
redéfinition complète de l'ouvrage, en posant quelques grands
principes de base :
• les charges d'exploitation sont toutes fixées à
2 t/m
2
, alors que, jusqu'à présent, elles
variaient, d'une zone à l'autre, de 0,5 à
2 t/m
2
; cette solution évite un zonage des
planchers en fonction de ce qu'ils peuvent supporter et supprime ainsi de
nombreuses contraintes d'exploitation dans la dépose des pièces
les plus lourdes ;
• une préfabrication optimisée, grâce notamment
à l'uniformisation des charges d'exploitation et à une trame
homogène, les poteaux étant tous régulièrement
espacés ;
• de réelles innovations dans la structure et les matériaux
qui ont permis d'autres progrès, tout en se limitant à ce qui est
aujourd'hui acquis dans la réglementation ; aussi le béton
armé cède-t-il ici la place au BHP (béton hautes
performances), en attendant dans le futur les BPR (bétons à
poudre réactive) et autres BSI (bétons spécifiques
industriels). La grande innovation de cette salle des machines réside
dans son principe constructif, celui d'un "immeuble de grande hauteur" :
un noyau central en béton (les poteaux supports de la table de groupe)
sur lequel s'appuie une structure métallique. C'est ce noyau central qui
reprendra les efforts latéraux supportés par le bâtiment et
transmis par la charpente métallique, en économisant près
de 5 000 tonnes de béton contre un ajout de
1 000 tonnes de métal ;
• l'installation d'un pont roulant de 500 tonnes destiné aux
manutentions du stator. Jusqu'à REP 2000, un pont de
270 tonnes équipait les salles des machines. Pour installer le
stator, les ingénieurs disposaient des tours spéciales
destinées à cette seule opération. Le retour
d'expérience montre qu'un changement fortuit de stator -qui apparaissait
inconcevable dans le passé- est aujourd'hui parfaitement plausible. Ce
pont évitera de nombreuses et coûteuses manipulations. Le
changement d'un stator, pouvant survenir après une vingtaine
d'années d'exploitation, s'effectuera désormais pendant un
arrêt de tranche, facilité par la présence entre les salles
de machines des deux tranches d'un "pôle opérationnel
d'exploitation" (POE), vaste bâtiment destiné à abriter les
services tertiaire, maintenance et exploitation de la futur centrale ; le
POE rapproche encore un peu plus toutes les fonctions nécessaires
à l'exploitation des tranches, mais sa situation interdit
désormais la reproduction d'une tranche 2 par simple translation de
la tranche 1. Il faut maintenant raisonner par symétrie, notamment
pour la fonction d'évacuation de l'énergie, qui sera
située soit à gauche, soit à droite de la salle de
machines.
La table de groupe mesure 70 mètres de long, 18 mètres
de large et 4 mètres de haut. Elle accueille le groupe
turboalternateur. Cet ensemble impressionnant représente une masse de
7 800 tonnes, isolée du reste de la structure et suspendue
grâce à 74 boîtes de ressorts. Cette méthode de
mise en oeuvre, utilisée depuis les paliers 900 MW, permet,
grâce au génie civil, un réglage altimétrique. C'est
en réglant les boîtes de ressorts que le constructeur corrige le
lignage des 70 mètres de l'ensemble en rotation. Le gain en termes
de délais est considérable : plus de deux semaines par
rapport à un réglage mécanique par paliers et coussinets.
De telles innovations ont permis des gains importants par rapport à
N4 : - 13 % en termes de surface de la construction. Les
coûts de construction ont diminué de 16 % et l'utilisation de
ces solutions innovantes laisse espérer des gains de l'ordre de
53 % dans les délais (25 mois au lieu des 46
nécessaires à la construction de la salle des machines du
N4).
III L'équipement mécanique
L'innovation majeure dans la mécanique du groupe est
l'introduction de trois motopompes alimentaires sur le circuit secondaire, qui
viennent remplacer les deux turbopompes utilisées jusqu'au palier N4.
Ces puissants moteurs renvoient l'eau condensée du circuit secondaire
vers les générateurs de vapeur. De deux pour N4, REP 2000
s'autorise à passer à trois pompes grâce à un gain
en termes de coût, ce qui permet de disposer d'une pompe de secours et
entraîne un gisement d'économies et de place du fait de la
suppression de l'échappement vapeur des anciennes turbopompes.
Même si elles sont un peu plus délicates à exploiter dans
la gestion du circuit secondaire, l'évolution sera source de gains
importants.
La disposition des équipements mécaniques autour du groupe
turboalternateur est l'héritière de toutes les salles des
machines qui précèdent REP 2000. La position des
équipements, parfois fort imposants, entrait jusqu'à
présent dans une sorte de tradition constructive bien établie.
Ainsi la bâche alimentaire était-elle suspendue à
près de 27 mètres de hauteur, parallèlement à
l'axe du groupe turboalternateur, dans une travée particulière de
10 mètres de large, dite " travée
bâche " : elle est ramenée en tête de salle des
machines, perpendiculairement à l'axe du groupe et au niveau du plancher
turbine à 16,60 m. Le dégazeur y est intégré
et non plus placé au-dessus. Le facteur décisif de cette
évolution est justement l'introduction de trois motopompes, permettant
d'éviter le complexe système d'échappement basse pression
des turbopompes. Dans la foulée, on redresse les
sécheurs-surchauffeurs en position verticale pour gagner encore de la
place.
Actuellement, la direction de l'équipement d'EDF réfléchit
à l'amélioration des performances de la tranche en termes
d'exploitation et de taux d'intervention sur les arrêts de tranche, afin
de conquérir de nouveaux gains de productivité pour REP 2000.
D'autres modifications venant de l'EPR interfèrent aussi avec le projet
de salle des machines, au niveau de la source froide. C'est, notamment, le
passage à quatre voies de sûreté dans le circuit SEC, au
lieu des deux voies A et B des paliers précédents.
IV Une exploitation plus facile du poste d'évacuation d'énergie
Le
palier N4 était fortement novateur du point de vue technique. Les
plates-formes d'évacuation de l'électricité étant
disposées au-dessus des transformateurs blindés, l'installation,
née à Paluel, permettait un gain de place important, solution
intéressante pour des sites un peu exigus. Mais la compacité
obtenue se marie mal avec la maintenance, favorisée par une meilleure
accessibilité des matériels.
Les plates-formes d'évacuation d'énergie étaient
jusqu'à présent construites selon le standard palier. Une
évolution pourrait aboutir à les construire en fonction du site.
Les trois transformateurs qui élèvent la tension de 20 000
à 400 000 volts sont, dans le palier N4, alignés dans
des casemates. Au-dessus, la plate-forme comporte tous les disjoncteurs et
autres sectionneurs. Là aussi, l'expérience montre que les
exploitants peuvent être amenés à sortir ces
transformateurs de leur casemate en cours de vie de la centrale, contrairement
à l'idée première d'une installation fixe et
définitive.
Sur le N4, on disposait de deux transformateurs, l'un de soutirage à
trois enroulements (puissance 3 x 32 MVA) pour alimenter les
tableaux 6 600 volts, l'autre auxiliaire à deux enroulements
(puissance 2 x 32 MVA). Désormais, sur REP 2000, ce
sont trois transformateurs identiques (puissance 2 x 45 MVA) qui
servent le soutirage vers les lignes 10 kV des quatre trains de
sûreté, ou les auxiliaires. Cette standardisation limite le nombre
de pièces de rechange et abaisse le coût. Autre nouveauté,
l'introduction sur REP 2000 de changeur de prise en charge pour modifier
la tension alors que, sur N4, l'absence de régleur du rapport de
transformation n'autorisait qu'un réglage manuel. Ce dispositif
sophistiqué et onéreux (15 % du prix du transformateur)
permet d'éviter un surdimensionnement des tableaux électriques
qu'il protège des courts-circuits.
V Un nouveau bâtiment électrique
Dernière grande évolution de REP 2000 :
l'apparition d'un bâtiment électrique non classé (BLNC),
aligné le long de la salle des machines et destiné à
recevoir tous les circuits électriques qui ne ressortent pas de la
sûreté. Ce bâtiment, moins exigeant en génie civil
que le très sensible bâtiment électrique, permet là
encore un abaissement des coûts.
L'augmentation de puissance ne va pas cependant sans poser de réels
problèmes, essentiellement dans le domaine du transport des
matériels. C'est le cas de l'alternateur. Le réseau SNCF accepte
une charge maximale de 450 tonnes avec un gabarit limité. Le stator
de REP 2000 devra donc être transporté en deux parties et le
bobinage, effectué auparavant en usine, se fera sur site.
TITRE III
FAUT-IL CONSTRUIRE UN
EPR ?
Il ne m'est pas possible de traiter du projet EPR sans aborder la question des décisions à prendre. Toutefois, avant de vous proposer une conclusion, j'analyserai l'intérêt économique du projet puis j'opterai pour un raisonnement a contrario en posant dans un second chapitre la question suivante : qu'adviendrait-il si nous ne réalisions pas le projet EPR ? A partir de ce constat, nous verrons se dessiner une conclusion.
Chapitre I
L'économie du projet
EPR
Ce
rapport n'a pas pour objet de traiter de l'énergie nucléaire et
de son devenir, mais un milliard de francs ayant déjà
été engagé pour les études relatives au projet EPR,
il est légitime de se poser quelques questions sur sa faisabilité
économique, fondamentalement liée à la durée de vie
des centrales nucléaires.
S'il s'agit de construire un prototype, le projet EPR n'est pas rentable et ne
peut l'être en aucun cas. Comme cela a été souligné
à plusieurs reprises lors de l'audition du 4 mars, ce projet n'a de
viabilité économique que s'il constitue la tête d'une
série d'au minimum 7 à 8 réacteurs (le remplacement du
parc représente environ 35 réacteurs car un réacteur
EPR remplace 2 chaudières de 900 MWe).
Aussi me semble-t-il utile de dresser un bref panorama des chances de mise en
chantier de l'EPR et surtout de son impact sur le maintien des
compétences, qui est essentiel pour la sûreté des centrales
électro-nucléaires de demain.
Les commissions parlementaires de l'Assemblée nationale et du
Sénat ont engagé des travaux très importants sur l'avenir
énergétique de la France ; elles vont publier prochainement
des travaux beaucoup plus exhaustifs que les quelques lignes qui suivent, qui
n'ont pas d'autre objet que de rappeler quelques données essentielles
à la compréhension du projet.
La compétitivité économique du projet EPR n'est pas encore
complètement établie et je partage largement l'analyse
développée par le Dr Fabian, représentant des
électriciens allemands, devant l'OPECST, le 4 mars dernier. Il
soulignait que :
" Si jamais on l'utilise et qu'on essaie de faire des calculs sur les
coûts de production d'électricité, on arrive au coût
de production d'électricité de l'industrie du charbon. Je crois
qu'en fait, on se trouve en concurrence parfaite avec le charbon. Maintenant,
la situation est différente selon que vous êtes proches ou loin
des ports, si vous êtes prêts d'un port vous vous situez
pratiquement au même niveau de prix, si vous êtes loin des ports,
le nucléaire est plus intéressant que le charbon.
D'un autre côté, nous sommes en train, pour ce qui est des
coûts de production d'électricité, de les réduire
pour l'EPR et l'on est en train de faire ces calculs de coûts en phase
d'optimisation. Vous trouvez déjà de bonnes bases de
départ permettant de réduire ces coûts
d'électricité. Par rapport au charbon, nous avons une
identité de situation en matière de compétitivité.
Nous sommes compétitifs et nous le sommes plus par rapport à ceux
qui sont loin des ports.
Nous n'avons pas encore atteint la compétitivité par rapport aux
turbines à gaz. J'ai dit qu'un motif pour l'exploitant allemand de
participer à la construction de nouvelles centrales était en fait
que nous ne voulions pas nous fonder exclusivement sur les prix actuels du gaz
et que nous ne voulons pas nous fonder sur un seul secteur, mais nous voulons
essayer de maintenir ce panachage de secteurs
énergétiques ".
I Les incertitudes liées à la politique énergétique
Votre
Rapporteur n'a qu'une seule conviction sur la politique
énergétique : il est important de ne pas avoir de certitudes.
L'industrie nucléaire est une industrie lourde. Il faut sept ans pour
construire une centrale nucléaire, contre environ deux ans pour une
centrale au gaz.
Or, si aujourd'hui la compétitivité du gaz s'est fortement
accrue, le coût total de l'énergie électrique produite
à partir du gaz dépend pour les deux-tiers du coût du
combustible lui-même.
Aussi la fourchette des coûts est-elle, pour cette filière,
beaucoup plus ouverte que pour le nucléaire. Par exemple, les
prévisions de prix retenues par le groupe "coûts de
référence" varient pour le gaz du simple au double (de 2 $
MBTU à 4 $ MBTU).
Il est probable qu'entre 2010 et 2020, le choix sera plus ouvert entre la
filière nucléaire et le gaz qu'il ne l'a été en
1975.
Il est nécessaire, d'ici là, de garder la maîtrise
technologique de la filière nucléaire.
L'Assemblée nationale a constitué une mission d'information sur
l'énergie et votre Rapporteur s'en remet à ses conclusions pour
ce qui est de la définition globale de la politique
énergétique.
Toutefois, quelques conclusions a priori incontestables peuvent
déjà être avancées.
• Le renouvellement massif du parc de centrales nucléaires
ne se produira au plus tôt qu'à partir de 2010 et plus
probablement 2015.
• Différer d'une année le renouvellement d'une
seule centrale nucléaire permet à l'exploitant
d'économiser environ 500 millions de francs.
De ce fait, la tentation est grande, pour EDF, de prolonger la vie de ces
centrales au-delà de 2010 car, l'équipement étant amorti,
l'entreprise bénéficie pleinement d'un effet de
" rente ".
• Sous l'effet des radiations, la structure moléculaire
des métaux se modifie et il arrive un moment où ces derniers
perdent leurs propriétés (cf. supra), ce qui rend hasardeux tout
pronostic sur la durée de vie des centrales nucléaires.
Or, si la compétitivité de l'énergie nucléaire
s'est incontestablement réduite, elle n'a pas pour autant
basculé.
Le prix de revient du courant électrique d'une centrale du palier
N 4, comme Civaux, est évalué par EDF à
22 centimes par Kw/h contre 23 centimes par Kw/h pour les centrales
à charbon et 24 centimes pour celles au gaz.
L'objectif initial du projet EPR était de parvenir à un
coût de l'ordre de 20 centimes par Kw/h (soit - 10 % par
rapport aux meilleures centrales à charbon).
L'amélioration des performances des centrales au charbon et au gaz a
conduit EDF à fixer un objectif, que je juge très ambitieux, de
18 centimes par Kw/h.
La baisse du prix des hydrocarbures actuellement constatée pourrait
contraindre EDF à améliorer encore ce chiffre, mais cela tient de
la gageure.
L'argument économique du coût plus bas de l'énergie
nucléaire n'est plus suffisant pour engager la construction de centrales
nucléaires, si nous prenons en compte la moindre immobilisation de
capitaux des centrales classiques et la rapidité du retour sur
investissement.
Les véritables arguments de poids en faveur de l'énergie
nucléaire reposent aujourd'hui sur la sécurité
d'approvisionnement, l'indépendance énergétique de la
France et la lutte contre l'effet de serre.
II Les incertitudes impliquent une amélioration de
la compétitivité
du projet EPR avant de pouvoir envisager une
quelconque
construction
Le cadre
économique général a été fort bien
retracé par M. Mandil, Directeur Général de
l'énergie, qui soulignait, lors de l'audition du 4 mars,
qu'
" actuellement, il y a en France un excédent de
capacité de production en base d'environ 5 à 6 gigawatts,
c'est-à-dire de l'ordre de quatre tranches. Cela ne veut pas dire que
ces tranches sont arrêtées, mais que des tranches qui devraient
fonctionner en base fonctionnent en semi-base, ou ne fonctionnent pas autant
qu'elles le devraient.
Compte tenu d'un certain nombre d'événements, dans le
détail desquels je n'entrerai pas, mais qui sont à l'esprit des
personnes ici présentes, compte tenu des nouveaux entrants qui vont se
manifester dans le cadre de la suppression de certains monopoles
d'électricité de FRANCE, on peut estimer, en faisant abstraction
pour l'instant du problème de la fermeture éventuelle des
tranches les plus anciennes, que cette sur-capacité devrait être
résorbée vers 2020 ....
.... Cependant, cela veut quand même dire que les besoins
d'investissement éventuels, dans de nouvelles unités
électro-nucléaires, se manifesteront plus vraisemblablement
d'abord à l'occasion du renouvellement du parc, c'est-à-dire
à l'occasion de l'événement constitué par le
déclassement des tranches les plus anciennes. Là, en plus de la
question de la date, sur laquelle je reviendrai, se posent deux autres
questions dont la première est de nature économique. Est-ce
qu'à ce moment, compte tenu de l'ouverture du marché, compte tenu
de la mise en concurrence à la production, l'EPR sera compétitif
par rapport à d'autres modes de production en base ?
Tout le monde pense essentiellement aux turbines à gaz, ainsi qu'au
cycle combiné, mais il peut y avoir d'autres possibilités.
Cependant, ce n'est pas aujourd'hui qu'on peut donner une réponse
définitive. On peut simplement dire que si les chiffres qui ont
été évoqués ce matin sont tenus, on a toutes les
raisons de penser que l'EPR sera compétitif par rapport à
d'autres modes de production. Cela dit, il n'y a pas une marge de
compétitivité telle qu'il faille relâcher les efforts.
La deuxième question est de nature politique :
Est-ce que le gouvernement de l'époque, est-ce que le parlement de
l'époque, est-ce que l'opinion publique de l'époque
considéreront qu'il convient de remplacer du nucléaire par du
nucléaire ou non ?
Là encore, il est exclu de répondre à la question
aujourd'hui, celle-ci se posera plus tard. La seule chose que je puisse dire
est quelles sont les instructions que le gouvernement d'aujourd'hui donne
à ses fonctionnaires ; celles-ci consistent à faire en sorte
que tous les choix soient possibles. Laissons les options ouvertes et
préparons-nous, notamment, à ce que l'option nucléaire
puisse être approuvée, le moment venu.
Reste à savoir quand.
La date dépend largement des décisions qui seront prises par les
autorités de sûreté sur la durée de vie des
réacteurs actuels. Je rappelle simplement, pour fixer les idées,
que le premier réacteur à eau pressurisée actuellement en
fonctionnement a été mis en service en 1977, c'est-à-dire
qu'en 2007, cela fera 30 ans. Fonctionnera-t-il 30 ans ? S'il
doit fonctionner 30 ans, il faudra le fermer en 2007.
Si les autorités de sûreté - et elles seules seront
responsables de cela - décident qu'on peut prolonger la
durée de vie de ces réacteurs et la porter à 40 ans, cela
renvoie le problème à 2017, et il faudra s'en
réjouir ; je comprends que cela posera des problèmes aux
industriels, mais ce sera néanmoins une bonne nouvelle que la
durée de vie des réacteurs actuels soit portée à
40 ans. En effet, cela voudra dire que la collectivité nationale
bénéficiera d'une productivité de son outil de production
d'électricité bien plus élevée que prévue.
Voilà où nous en sommes, pour ce qui est du paysage
français. Si Fessenheim s'arrête en 2007, compte tenu de la
surcapacité, il n'y a pas de raison économique de le
remplacer ; s'il s'arrête en 2017, cela tombera à un moment
où, la sur-capacité étant proche de la résorption,
son remplacement sera nécessaire .... ".
L'amélioration de la compétitivité du projet EPR est
donc une nécessité.
Atteindre un prix de revient de l'ordre de 18 centimes du Kw/h implique de
modifier le projet EPR tel qu'il est actuellement conçu.
Une modification est stratégique, les autres sont plus
techniques.
A) Une modification stratégique : l'abandon du suivi de charge
Le
débat sur l'aptitude de l'EPR à assurer le suivi de charge
conditionne le bilan énergétique futur de la France.
Un moyen important de réduction des coûts d'investissement et de
fonctionnement du projet EPR consiste à abandonner la fonction de suivi
de charge pour avoir un fonctionnement de la centrale à pleine
capacité en permanence.
En effet, cela permet d'alléger tous les dispositifs liés
à la variation de puissance.
Cette réflexion a été évoquée, au cours de
l'audition publique, par M. Pierre Daures, Directeur
général d'EDF
Elle pourrait impliquer à long terme, au fur et à mesure que les
contrôles nucléaires atteindront leur fin de vie, que le
nucléaire ne sera pas remplacé à 100 % par du
nucléaire, mais cette conclusion m'est propre, les déclarations
de M. Daures étant sensiblement plus nuancées :
" L'EPR a fonctionné selon son âge et sa montée
progressivement en sortant de l'aval. Dans l'état actuel des
connaissances et des prix d'énergie, EPR est la première vague de
réacteurs que nous commanderions si la politique
énergétique confirmait le choix nucléaire pour
l'électricité. Le fonctionnement serait en base, ce qui fait
qu'on peut probablement réserver le suivi de charge à leurs
confrères qui seront toujours en activité, ou aux
confrères qui les suivront.
On peut imaginer qu'il y ait une première génération de
réacteurs nucléaires plus simples, uniquement sur la base, et on
peut faire le calcul : ceci concernerait 6 à 8 tranches.
Compte tenu des données actuelles, il est clair que tout ce qui est
énergie de semi-base devra être fait par d'autres processus que le
nucléaire. Cette donnée civique se heurte au fait qu'il continue
d'exister des réacteurs amorcés ; il serait donc inutile de
procéder à un remplacement anticipé. On utilisera donc les
réacteurs existants pour faire l'énergie semi-base pendant encore
longtemps. Cependant, s'agissant d'ouvrages nouveaux, nous avons à
constituer le parc ; il serait, pour la base, fait de l'EPR et, pour la
semi-base, fait d'installations thermiques classiques (charbon propre ou
turbine à combustion) ".
Cette vision est cohérente avec les travaux de recherche conduits par
EDF sur les centrales à charbon.
B) Les améliorations techniques pour réduire les coûts de construction
Dans la
mesure où l'objectif de compétitivité de l'EPR n'est pas
atteint, il est nécessaire " d'optimiser " le projet et
nous devons être particulièrement vigilants
au cours de
cette phase, car je redoute l'abandon de certains apports en matière de
sûreté.
-- le premier moyen pour améliorer la compétitivité
est d'accroître la puissance. Le calcul est simple : si un
investissement produit plus que prévu, le coût unitaire de chaque
produit diminue.
L'îlot nucléaire du projet EPR permettrait, en l'état
actuel des techniques, de tirer une puissance de 2000 Mw. La limitation de
puissance aux environs de 1700 Mw résulte de la partie classique de
la centrale et des problèmes de gestion du réseau qu'induisent
des centres de production très importants.
D'autre part, les moyens industriels existants ne permettent pas de construire
des générateurs de vapeur d'une puissance suffisamment importante
pour transformer en électricité toute la puissance produite par
la fission nucléaire, mais je suis convaincu que cet obstacle, plus
industriel que technologique, pourra être levé dans les
années à venir.
-- la réduction des délais de construction est un
élément fondamental de réduction des coûts, du fait
de l'importance des financements qui doivent être mobilisés.
Il est évident qu'une partie des délais pourraient être
réduite en modifiant les procédures administratives, comme le
souhaitent les exploitants ; toutefois, ce problème n'est pas si
simple dans la mesure où il est impossible de préjuger des
recours juridictionnels qui accompagnent quasi systématiquement la mise
en oeuvre de ce type de projet.
J'ai déposé,
le 20 avril 1993,
une
proposition de loi
visant à modifier les conditions de
délivrance de permis de construire pour les installations
nucléaires de base.
Comme je le soulignais alors dans l'exposé des motifs : la
création d'installations nucléaires repose, dans notre pays, sur
une procédure d'autorisation définie par le décret
n° 63-1228 du 11 décembre 1963, modifié
à de nombreuses reprises, dont la dernière remonte au 19 janvier
1990 (décret n° 90-78).
Cette autorisation concerne les installations nucléaires de base et vise
donc :
• les réacteurs nucléaires, à l'exception de
ceux qui font partie d'un moyen de transport ;
• les accélérateurs de particules, susceptibles de
communiquer à ces particules une énergie supérieure
à 300 MeV ;
• les usines de préparation, de fabrication ou de
transformation de substances radioactives, notamment les usines de
préparation de combustibles nucléaires, de séparation des
isotopes des combustibles nucléaires, de traitement des combustibles
nucléaires irradiés ou de traitement de déchets
radioactifs ;
• les installations destinées au stockage, au
dépôt ou à l'utilisation de substances radioactives, y
compris les déchets.
Le système mis en place par ces textes réglementaires permet de
s'entourer d'un maximum de garanties quant au choix du site et à la
sûreté de l'installation projetée. C'est ainsi que
plusieurs ministères interviennent dans la procédure
d'autorisation (outre le ministère de l'Industrie, qui délivre
l'autorisation, et le ministère de la Santé, dont l'avis conforme
est nécessaire, les ministères de l'Environnement, de
l'Intérieur, de l'Equipement, des Transports et de l'Agriculture sont
consultés ou informés). C'est également dans cet esprit
qu'une enquête publique est diligentée et que le service central
de sûreté des installations nucléaires procède
à un examen approfondi de la demande.
Parallèlement et simultanément à cette procédure,
élaborée dans un évident souci de sécurité
et de protection de l'environnement, le droit commun des autorisations de
construire s'applique. Une installation nucléaire de base doit donc
faire l'objet d'une demande de permis de construire. Or, il ressort, en
pratique, que les autorités administratives donnent suite aux demandes
de permis de construire de ce type sur simple présentation du
récépissé de dépôt d'une demande
d'autorisation.
Il s'ensuit que les exploitants des futures installations ont, dans ces
conditions, ouvert des chantiers de construction avant même d'avoir
obtenu l'autorisation réglementaire approuvant les spécifications
techniques de l'installation. Cette attitude, qui met les citoyens et le
ministère de l'Industrie devant le fait accompli, est
particulièrement choquante et ôte toute utilité à la
procédure spéciale d'autorisation.
Pour remédier à cette anomalie, il suffirait de lier les deux
procédures, la demande de permis de construire ne pouvant dès
lors être déposée qu'après la publication du
décret autorisant l'installation.
Cette nouvelle exigence
rallongerait incontestablement le processus de création, mais
améliorerait l'efficacité de la concertation et la transparence,
qui devrait présider à tout projet d'implantation d'installations
nucléaires de base.
Par contre, un certain raccourcissement des délais serait possible par
une procédure d'agrément préalable d'un type de centrale
(un " prelicensing ") au vu des exigences des autorités de
sûreté. La démarche retenue pour le projet EPR ressemble
beaucoup, sans que cela soit dit explicitement, à cette procédure.
Deux tableaux qui figurent en annexe décrivent la procédure en
oeuvre aux Etats-Unis.
III Le renouvellement du parc des centrales nucléaires
A) L'approche technique
En 1999
va commencer la deuxième inspection décennale d'un
réacteur de 900 Mégawatts, celui du Tricastin qui, à la
différence de la centrale de Fessenheim, correspond aux standards des
centrales nucléaires du palier de 900 MW.
A cette occasion, un volume considérable de modifications va être
introduit, mais le problème de l'arrêt ou de la poursuite de cette
centrale ne sera véritablement posé que dans 10 ans.
EDF pense pouvoir tabler sur une durée de vie de 40 ans pour ces
réacteurs. Cette position n'est pas expressément validée
par les autorités de sûreté qui sont, et cela est leur
rôle, beaucoup plus prudentes et se gardent bien de tout accord formel
général.
Il est probable que l'exploitation pourra se poursuivre au-delà de
30 ans, mais votre Rapporteur estime qu'une position de principe sur cette
question serait extrêmement dangereuse car les conditions de maintenance
ont évolué au fil des ans et certaines centrales ont
été plus sollicitées que d'autres.
D'autre part, au cours des arrêts de tranches, de nombreux composants des
réacteurs ont été remplacés alors qu'au
départ, cela était considéré comme non
réalisable, par exemple les générateurs, les boucles
primaires ou les couvercles de cuve.
B) L'approche économique
Votre
Rapporteur souhaite que la croissance économique de notre pays soit la
plus élevée possible. Mais une croissance économique de
2 % génère une augmentation de 1 à 1,5 % de la
consommation d'électricité.
Or, l'appréciation du taux de croissance économique moyen sur les
15 ans qui viennent constitue une tâche dans laquelle ne
s'aventurera pas votre Rapporteur. Il considère simplement que
notre pays doit être capable de faire face à toutes les
hypothèses.
Le volume d'exportation d'électricité demeure, dans un contexte
de dérégulation, une inconnue très importante, mais il
semble probable que les conditions financières des contrats
d'exportation d'EDF soient moins favorables dans les années à
venir.
En outre, la libéralisation du marché peut conduire à un
accroissement des moyens de production de petite taille privés, mais
extrêmement compétitifs au niveau des prix.
En tout cas, il est certain que la concurrence et l'exigence de
compétitivité s'intensifieront, rendant plus problématique
pour les exploitants la réalisation d'investissements dont l'ampleur
implique un amortissement sur une longue période.
C) Les incertitudes
Le seul
élément d'une centrale nucléaire qu'il est impossible de
remplacer aujourd'hui est la cuve du réacteur.
Or, les techniciens, qui pensaient la même chose pour les couvercles des
réacteurs de centrales nucléaires, en ont été
capables lorsque la nécessité s'en est fait sentir.
Votre Rapporteur considère qu'il n'existe pas d'obstacle technologique
insurmontable au remplacement de la cuve d'un réacteur nucléaire
; il s'agit simplement d'une opération complexe et coûteuse que
nous serions parfaitement capable de maîtriser d'ici à 2010.
L'analyse que je vous propose signifie qu'il n'existe pas de durée de
vie maximale d'une centrale nucléaire ou, plus exactement, que le
problème n'est pas technique, mais financier et normatif.
Le problème est un problème de normes et de coût.
Certes, le risque zéro n'existe pas, mais il faut y tendre, ce qui
signifie que les améliorations techniques ont vocation à
être intégrées dans les nouvelles centrales.
Dans cette perspective, il ne serait pas acceptable qu'en prolongeant
ad vitam aeternam la durée de vie des centrales (par exemple
jusqu'à une soixantaine d'années), nous nous trouvions en
présence de deux catégories de centrales :
- des centrales de type EPR, ayant une sécurité
améliorée mais plus coûteuse du fait des exigences de
l'autorité de sûreté,
- et des centrales sûres, sans être pour autant au même
niveau de sûreté que l'EPR, mais dont la vie pourrait être
prolongée pour éviter l'assujettissement à de nouvelles
normes.
Les propos de M. Quéniart, Directeur délégué
à l'IPSN, lors de l'audition du 4 mars, sont
particulièrement éclairants sur ce point :
" Je
crois qu'il faut rester modeste, car faire des tests de vieillissement
représentatifs n'est pas simple car ils sont en général
portés sur de courtes durées de vieillissement
accéléré, dans des conditions qui ne sont pas tout
à fait représentatives .... "
.
Chapitre II
Les conséquences de la
non-réalisation du projet EPR
Le
bien-fondé de la non-réalisation du projet EPR ne se discute pas
si nous proposons l'abandon de l'énergie nucléaire. Ce
débat n'est pas l'objet de ce rapport, qui se place dans l'option
souhaitée par le Gouvernement du maintien de la liberté de choix
des décideurs, lorsque sera abordée la question du remplacement
des centrales nucléaires en service aujourd'hui. L'engagement ou
l'abandon du projet EPR aurait des conséquences importantes sur la
recherche et l'industrie, que ce chapitre essaie de mesurer.
La mission des organismes de recherche, et plus particulièrement du CEA,
est de maintenir l'option nucléaire ouverte à l'horizon 2010,
époque à laquelle les pouvoirs publics devront engager les
travaux pour le remplacement des centrales, ce qui implique qu'ils aient
auparavant décidé de la physionomie du parc de production
d'électricité du pays pour le 21
ème
siècle. En effet, à partir de cet horizon, les centrales
nucléaires les plus anciennes, arrivées en fin de vie, devront
être retirées du service.
Pour maintenir l'option nucléaire ouverte, il est essentiel de disposer,
à l'horizon 2010, d'un modèle de réacteur encore plus
sûr, encore plus compétitif. C'est l'objet du réacteur EPR
qui, même s'il présente des avancées notables sur le plan
de la sûreté, ne modifiera pas sensiblement la perception de
l'énergie nucléaire par l'opinion.
I Hypothèses de réalisation de l'EPR
Deux calendriers d'introduction du REP 2000 (projet EDF de réacteur de prochaine génération reposant sur l'îlot nucléaire EPR) peuvent être envisagés :
A) L'hypothèse " au plus tôt "
Cette
hypothèse, qui a la faveur des milieux de l'industrie nucléaire,
implique le lancement d'une première réalisation dans le
prolongement de la phase d'optimisation du projet. Ceci correspondrait à
une
décision vers 2000
, conduisant à un début de
construction vers 2002 pour un démarrage à l'horizon 2008. Cette
première réalisation, qui jouerait le rôle d'un
démonstrateur, permettrait de valider la conception du réacteur,
d'établir la compétitivité future du palier et d'assurer
le retour d'expérience, et, par là, de traiter notamment les
inévitables " premières pannes de jeunesse ". Une telle
démonstration serait assurément utile aux pouvoirs publics pour
leur permettre de prendre leur décision en toute connaissance de cause.
Elle présente toutefois un inconvénient sérieux : la
réalisation d'une tête de série est inutile en France car
elle aggraverait notre surcapacité ; elle semble improbable pour des
motifs politiques en Allemagne, pays qui ne pourra pourtant pas respecter les
engagements de Kyoto sans un recours accru à l'énergie
nucléaire.
B) L'hypothèse " au plus tard "
Le
lancement de la première réalisation se ferait dans l'objectif de
remplacer les réacteurs du palier 900 MW qui seront
arrêtés à partir de 2017, dans l'hypothèse
actuellement retenue d'une durée de vie de quarante ans.
La difficulté de cette hypothèse réside dans le trou d'une
dizaine d'années qu'elle implique, qui se traduira par une perte de
compétence en matière de recherche et une dégradation du
savoir-faire des industriels.
Il faut noter ici que l'agrément du projet EPR par l'autorité de
sûreté précisera une échéance et, par
conséquent, que le délai pour la réalisation d'une
première unité d'un palier, ou le délai entre le
démonstrateur et le palier lui-même, sera limité dans le
temps.
Le CEA m'a signifié qu'il considère que c'est l'hypothèse
" au plus tôt " qui permet le mieux de maintenir l'option
nucléaire ouverte à l'horizon 2010.
II Influence de la date de décision sur les
programmes menés au
CEA
L'ensemble des programmes accompagnant directement ou
indirectement
le projet EPR peut être classé en trois catégories (cf.
supra) :
• un " fond continu " de R & D visant à affiner
les connaissances, perfectionner les modèles physiques et qualifier des
outils de conception et d'analyse toujours au meilleur niveau
international ;
• des actions ciblées sur les options spécifiques retenues
par le Projet, pour en démontrer la validité, notamment en ce qui
concerne la sûreté renforcée qui caractérise
EPR ;
• les études d'options avancées, non retenues à ce
stade, mais dont certaines pourront être incorporées, en fonction
du calendrier, dans le démonstrateur, puis dans le premier palier, voire
dans des paliers suivants, conformément à l'expérience
passée. Ces améliorations pourront aussi, peut-être,
être introduites à l'occasion de mises à niveau
générales.
A) Amélioration continue des connaissances et des outils
Par nature, ces améliorations bénéficieront au projet EPR, quelle que soit la date de la première réalisation. Il ne fait pas de doute, en revanche, qu'une réalisation proche constitue une motivation importante pour les équipes de R & D elles-mêmes, et pour l'intérêt qu'y portent les partenaires industriels du projet.
1 - Développement de méthodes et de logiciels
Dans le
domaine des logiciels nécessaires aux études de conception, le
CEA doit maintenir au meilleur niveau les logiciels et les données de
base entrant dans les systèmes de calcul de ses partenaires industriels
EDF et FRAMATOME.
On peut schématiquement distinguer deux grands axes :
Þ l'étude de problèmes complexes, pour le fonctionnement
normal et en situation accidentelle, des réacteurs de nouvelle
génération, conduisant à la nécessité de
coupler de grands logiciels spécialisés dans les
différents domaines de la physique des réacteurs. La
stratégie adoptée vise à doter l'ensemble des logiciels
d'une architecture commune afin de faciliter le couplage de différentes
disciplines (neutronique, thermique, hydraulique, mécanique). Le nouveau
système devrait être opérationnel en 2005 ;
Þ le lancement, en collaboration avec les partenaires, du
développement des outils de la génération suivante avec la
création de nouvelles plates-formes logicielles.
2 - Comportement des matériaux
L'objectif de durée de vie de l'EPR est de 60 ans.
Le
projet EPR pourra donc bénéficier des études entreprises
actuellement pour prolonger la durée de vie du parc actuel, ayant pour
objectif de mieux comprendre les mécanismes de vieillissement des
matériaux de structure dans les conditions de service (irradiation,
température, corrosion) afin de pouvoir prédire
l'évolution de leur comportement dans le temps et, le cas
échéant, de pouvoir apporter les mesures correctives
nécessaires.
Le domaine du comportement dans le temps des matériaux irradiés
est celui qui comporte le plus d'incertitudes. En effet, les expériences
ne peuvent pas totalement rendre compte du vieillissement des matériaux.
Or, aujourd'hui, les Américains parlent, pour certaines centrales, d'une
durée de vie de 60 ans. Il est clair que l'allongement de la
durée de vie prévisible des centrales nucléaires constitue
la principale épée de Damoclès qui pèse sur le
projet EPR.
3 - Combustibles
L'augmentation du taux de combustion des combustibles à l'oxyde d'uranium et des combustibles MOX est un enjeu important pour augmenter la compétitivité du nucléaire dans les années à venir. Les études actuelles visent à accroître ces taux pour les réacteurs du parc existant, contribuant de façon évidente à progresser vers les objectifs du projet EPR.
B) Programmes de recherche directement corrélés au projet EPR
1 - Prévention des conséquences des accidents graves
Ce
programme comporte quatre volets (comportement du corium en cuve et hors cuve,
tenue de l'enceinte de confinement, gestion des accidents graves) qui
s'appuient sur des essais à caractère analytique ou global dans
le but de valider les modèles physiques, chimiques et mécaniques
mis en jeu, et les calculs et logiciels mis en oeuvre pour traiter les
problèmes associés (cf. supra).
L'avant-projet de l'EPR a retenu un concept de récupération et de
refroidissement hors cuve du corium et des dispositifs de mitigation pour
limiter la concentration en hydrogène issu des réactions
chimiques d'oxydation des gaines du combustible. Dans ce cadre, l'ensemble des
travaux menés au CEA a pour objectif une meilleure connaissance des
phénomènes et leur modélisation.
Il faut souligner que la démonstration, dans ce domaine, ne sera pas
- il faut l'espérer ! - apportée par le
démonstrateur, mais qu'elle reposera bel et bien sur la
R & D.
La totalité des résultats de ces travaux ne seront pas
disponibles en l'an 2000. Mais ils seront disponibles
en cours
de
construction, et ils permettront donc de qualifier le démonstrateur et
de conforter les choix effectués, ou éventuellement d'apporter
certaines améliorations entre le démonstrateur et le palier. Dans
l'hypothèse où le lancement de la première
réalisation interviendrait en 2010, on disposerait alors de beaucoup
plus de résultats de recherche
avant
de lancer la première
réalisation, sous réserve d'une poursuite du financement de ce
programme sur la durée par les partenaires industriels.
2 - Diminution de la fluence au niveau de la paroi de la cuve
L'une des options de l'EPR pour réduire la fluence au niveau de la cuve consiste à mettre en place un baffle lourd entre cette paroi et le coeur. Il est probable que la validation de cette solution, sur le plan neutronique, entraînera la demande d'essais au CEA sur le réacteur critique EOLE. La date de ce programme consacré à l'EPR pourra s'ajuster au calendrier de la première réalisation, quel qu'il soit.
3 - Etude de l'hydraulique du fond de cuve
Le CEA a dans ce domaine réalisé les études nécessaires à la définition de l'avant-projet EPR. Les études d'optimisation se feront dans le cadre du projet définitif. Le positionnement dans le temps d'un programme expérimental de validation est lié à la date de lancement. Le CEA possède aujourd'hui une bonne maîtrise de ce dossier et il faudra veiller à ce qu'une éventuelle interruption trop longue avant la première réalisation ne conduise à la disparition des équipes impliquées, entraînant alors des délais supplémentaires pour réunir à nouveau les compétences, lors du redémarrage du projet.
4 - Recherches en technologie et composants
Il faut
noter également que les études de qualification de composants
spécifiques (condenseurs, dispositifs de sûreté,
système de dépressurisation...) sont réalisées, en
fonction des besoins, au fur à mesure du projet.
L'ensemble des programmes de R & D directement lié au
projet EPR ne présente donc pas, dans sa définition,
d'impératifs majeurs quant à la date de lancement de la
première réalisation EPR, sous réserve du maintien des
compétences et des financements. Par contre, la mise en service d'un
démonstrateur à l'horizon 2008 permettrait de prendre en compte
un certain retour d'expérience, en particulier sur les options
innovantes (baffle, fond cuve, composants...), pour affiner l'optimisation des
tranches de la série.
C) Programmes d'innovations
Des
recherches sur de nouveaux composants ou de nouvelles technologies susceptibles
d'accroître la sûreté et la disponibilité des
installations, de faciliter leur exploitation et d'en réduire les
coûts sont menées dans le cadre du programme
" Innovations " du CEA. Cependant, certaines voies de recherche, dont
on espère une application à relativement court terme, viennent
compléter le soutien apporté au projet EPR. Ces travaux
concernent principalement des matériaux résistant mieux à
la corrosion et à l'endommagement par l'irradiation, ainsi que des
développements dans le domaine de l'instrumentation et de la conduite
des réacteurs (interface homme-machine, sûreté des
logiciels, aide à la conduite).
La recherche de flexibilité dans la gestion du plutonium conduit
à étudier, pour les systèmes futurs, des coeurs
chargés à 50 % voire à 100 % de MOX. Cet
objectif entraîne un programme important de physique des coeurs,
comprenant en particulier un volet expérimental dans les
réacteurs critiques du CEA. Ce programme produit actuellement des
résultats de caractère fondamental, utiles à la
qualification des calculs des futurs coeurs MOX EPR. Il pourra, si
nécessaire, être suivi d'expériences dédiées
aux configurations de coeurs EPR, mais il ne semble pas que EDF souhaite mettre
en oeuvre des réacteurs fonctionnant entièrement au MOX.
Comme déjà mentionné, l'introduction éventuelle de
telles améliorations dépend à la fois du calendrier EPR,
des paliers successifs et de leur rythme d'avancement propre.
Conclusion
L'ensemble des recherches effectuées sur les réacteurs à
eau s'inscrit dans la continuité de l'utilisation de cette
filière pour la production d'énergie nucléaire, avec
l'objectif premier de maintenir l'option nucléaire ouverte et de
permettre une prise de décision en toute connaissance de cause par les
pouvoirs publics avant 2010.
Le développement du palier industriel EPR pourrait largement
bénéficier de la réalisation rapide d'un
démonstrateur, qui permettrait de valider au plus tôt les options
innovantes et les choix d'optimisation qui ont été faits et qui
revêtent un caractère important pour la viabilité technique
et économique du projet. La disponibilité d'un
démonstrateur fonctionnant quelques années avant le lancement
effectif de la série serait donc un atout significatif pour
l'acceptation du public et pour le succès industriel et commercial du
nouveau palier.
En outre, le projet EPR fédère les axes de recherche importants
pour la filière REP à court, moyen et long termes et contribue au
développement de recherches largement partagées sur le plan
international, mais où engager la construction d'un
démonstrateur ?
Chapitre III
Les effets de la non-réalisation
du projet EPR
pour les industriels
J'ai cherché à quantifier auprès des industriels l'impact qu'aurait la non-réalisation du projet EPR, en particulier dans le domaine de l'emploi ; je n'y suis pas parvenu totalement car cette question ne peut pas être abordée en termes purement quantitatifs.
I Le projet EPR est-il vital pour Framatome ?
Si nous
nous en tenons aux apparences, la réponse est non.
Dans le rapport d'information que j'ai présenté en 1996 devant la
Commission de la Production et des Echanges de l'Assemblée nationale
(n° 3246), auquel j'invite le lecteur à se reporter,
j'analysais (page 23) l'activité de construction nucléaire
face à une "traversée du désert".
Mon analyse, qui demeure toujours valable, mettait en évidence plusieurs
phénomènes :
• les quatre cinquièmes des équipements construits par
Framatome sont des centrales EDF ;
• les 17 centrales commandées fermement dans le monde, à ce
jour, se situent toutes en Asie et, sur les 25 centrales de technologie
occidentale en construction à ce jour, 13 sont en chantier sur le
continent asiatique.
A ce phénomène, il convient d'ajouter que des pays asiatiques
tels que la Chine vont acquérir une meilleure maîtrise des
techniques nucléaires et que la part des centrales
réalisée en Occident va diminuer.
Aussi, je soulignais dans mon rapport que :
" Cette perspective de "traversée du désert" n'a pas surpris
Framatome. Les quatre cinquièmes des équipements construits par
l'entreprise étant des centrales EDF, la société se
préparait depuis plus de dix ans à la fin du premier programme
nucléaire français. La seule donnée non prévisible
a été l'accident de Tchernobyl, qui a eu pour conséquence
plusieurs annulations de projets de constructions de centrales à
l'étranger.
" Afin d'estimer les conséquences financières de cette
décennie délicate, Framatome a réalisé une
étude de prospective pour la période courant jusqu'à 2005.
Pour mener cette étude, les experts du groupe ont
préféré retenir l'hypothèse la plus minimaliste
(aucune commande de chaudière ou d'îlot nucléaire pendant
les neuf années à venir) plutôt qu'un postulat plus
optimiste fondé sur la commande de deux centrales par la Chine et sur
une commande anticipée d'EDF aux alentours de l'an 2000 afin de
s'exercer au fonctionnement du futur réacteur mis au point conjointement
par Framatome et Siemens.
" Selon M. Jacques Fettu, directeur délégué
aux affaires financières de Framatome,
" le chiffre d'affaires
annuel pour les réalisations neuves chuterait de 4 milliards de
francs entre 1997 et 1999 à environ 700 millions de francs pour la
période 2004-2005. En revanche, le chiffre d'affaires du combustible
resterait à son niveau actuel, soit 3,5 milliards de
francs "
.
" En tenant compte des activités de services, le chiffre d'affaires
total des activités nucléaires pourrait être compris entre
7,2 et 8 milliards de francs.
"
"Avec 700 millions de francs de chiffre d'affaires,
ajoute
M. Jacques Fettu,
notre activité de construction de
centrales nucléaires ne pourra pas dégager un résultat
d'exploitation positif. Mais ce résultat sera plus que compensé
par le solde bénéficiaire
(des)
activités
liées au combustible et
(des)
activités de service. Pour
un chiffre d'affaires de 7,3 à 7,5 milliards de francs, le
résultat d'exploitation dégagé se situerait entre 250 et
400 millions de francs par an".
D'où "l'autosuffisance" des
activités nucléaires pendant ces années de vaches maigres
auxquelles il a déjà été fait allusion.
" Cette analyse n'est pas pleinement partagée par
M. Dominique Vignon, actuel président-directeur
général de Framatome. S'il reconnaît que
"Framatome
pourrait
(...)
subsister en continuant à générer un
peu de "cash" sur les marchés de services et le combustible"
, il
croit toutefois
"qu'elle aurait des difficultés à revenir sur
le marché des centrales neuves parce qu'elle n'aurait pas de base pour
le faire"
. Elle ne pourrait pas non plus maintenir sa
recherche-développement à son niveau actuel et y consacrer comme
aujourd'hui 800 millions de francs par an.
" Nombreux sont les observateurs qui pensent que Framatome doit s'adosser
à un grand groupe industriel pour franchir ce cap difficile de la
prochaine décennie. En effet, la pluralité des activités
de GEC Alsthom et la surface financière de ce groupe apparaissent
aux yeux de plusieurs personnes auditionnées par la mission
d'information, comme autant de garanties que Framatome atteindra sans dommages
les années 2005-2010, années de relance des programmes
nucléaires.
" L'analyse financière faite par Framatome sur la période
1996-2005 relativise certes cette argumentation mais il semble quand même
que Framatome ne puisse se contenter longtemps de ce superbe isolement.
Survivre à ce que M. Dominique Vignon appelle l'
"hiver
nucléaire"
ne peut en aucun cas constituer une perspective pour une
entreprise. Framatome doit avoir des perspectives de croissance, de
développement et ne peut se contenter d'une hibernation qui ne ferait
que retarder sa fin. "
Je suis effectivement convaincu que cette conclusion illustre la
problématique qui se pose à l'industriel.
Au cours des auditions que j'ai réalisées, j'ai pu mesurer
à quel point la vitalité d'une entreprise de haute technologie ne
peut pas être appréciée sur la seule base de sa
santé financière. Or, en dix ans d'inactivité, les
équipes se délitent, ne serait-ce qu'à cause des
départs à la retraite non remplacés.
II L'analyse des partenaires sociaux
Les salariés des entreprises réalisatrices du projet EPR étant les premiers concernés par le plan de charge de leurs employeurs, j'ai auditionné les principales centrales syndicales qui ont participé également à l'audition du 4 mars.
A) La CGT
Les
responsables de la CGT auditionnés par votre rapporteur (cf. liste en
annexe) ont souligné l'attentisme de la direction d'EDF, à
laquelle ils reprochent de tarder à prendre une décision. Ils
pensent que la fenêtre optimale pour prendre une décision est
déjà dépassée.
En effet, ils jugent que le maintien du tissu industriel est fondamental et que
le débat sur la durée de vie des centrales est biaisé car
l'ensemble du parc ne durera pas quarante ans ; la réponse, pour
eux, devra être différenciée pour chaque centrale.
Lorsque les centrales nucléaires verront le problème de leur
durée de vie se poser, il y aura pour mes interlocuteurs un affrontement
entre la logique de l'entreprise EDF, qui souhaite améliorer la
rentabilité de son investissement, et une logique de sûreté
dont les concepts auront évolué, imposant le maintien du
savoir-faire industriel pour la fabrication des pièces
détachées.
Pour mes interlocuteurs, l'absence de planification risque de conduire à
une catastrophe industrielle.
Ils ont particulièrement insisté auprès de moi sur le
coût élevé de la cogénération de
proximité qui, pour eux, a les faveurs de la direction d'EDF.
S'ils reconnaissent l'existence d'une surcapacité de notre outil de
production d'électricité d'environ huit tranches, ils estiment
que cette surcapacité sera résorbée à l'horizon
d'une douzaine d'années. Or, pour la sécurité du
réseau, il est nécessaire de disposer d'une marge de
sécurité qu'il importe d'évaluer avant de parler de
surcapacité.
En effet, la courbe de puissance installée du réseau croît
de 1 500 MWe par an, parallèlement à celle de la
consommation. Or, un délai de quatorze ans s'est écoulé
entre la décision de construire la première tranche du palier N4
et sa réalisation (l'estimation n'est plus que de huit à dix ans
pour les tranches suivantes).
M. Aufort, de la Fédération CGT de l'Energie, a d'ailleurs
souligné, lors de l'audition du 4
mars :
" Depuis ce matin, la question de la
compétitivité de l'EPR est une question centrale, abordée
par tous. Cette compétitivité s'élabore-t-elle au travers
d'une logique économique, c'est-à-dire avec le long terme, ou
s'élabore-t-elle uniquement dans des logiques budgétaires ?
Je crois que c'est une première question qu'il faut nous poser, et je
serais assez d'accord avec ce qu'a dit Monsieur ALPHANDERY : à
moyen terme et à long terme, le nucléaire est indispensable sur
la planète.
Alors, s'il est indispensable, et si nous ne faisons pas rapidement un EPR,
a-t-on évalué le coût économique, social, voire
politique, de la disparition de l'industrie de la construction de
réacteurs ? Je pense que nous n'avons pas abordé cette
question. On a abordé le coût d'une possible anticipation avec la
commande d'un réacteur plus tôt que prévu, mais on n'a pas
évalué les dégâts de tous ordres qui pourraient
être entraînés par le report ad vitam aeternam de
la construction d'un EPR.
Or, il me semble que cette question de la logique économique à
long terme est une question centrale. En effet, j'aurais tendance à
considérer que le nucléaire nous est indispensable parce que
c'est un facteur de stabilité économique et politique, dans le
domaine énergétique, pour l'ensemble de la planète et
qu'il n'y a pas d'autre source d'énergie qui nous permet de garantir
cette stabilité. C'est en quelque sorte un facteur de paix.
A partir de là, faut-il considérer le nucléaire, et donc
l'électricité en FRANCE, comme une marchandise comme les
autres ? Si c'est oui, on dérégule, avec tous les risques
que cela suppose. Si c'est non, on construit une politique cohérente
à court, à moyen et à long terme et nous avançons.
Je pense que les parlementaires ont raison de poser la question aux partenaires
sociaux et aux techniciens sur l'avenir ; je serais tenté de leur
renvoyer cette question. Le nucléaire a été construit en
FRANCE à partir d'une volonté politique. Quelle est la
volonté politique, aujourd'hui, qui commande au destin du
nucléaire ?
J'aimerais qu'il soit apporté rapidement une réponse à
cette question, et une réponse en toute transparence, y compris pour les
accords internationaux qui devraient déboucher. Je pense qu'on revient
à la question de l'appropriation.
Enfin, je pose une question aux exploitants. Est-ce que, pour le renouvellement
du parc, la question de la gestion des déchets est une question
secondaire qui n'influe pas sur la réponse ? Je souhaiterais une
réponse claire sur ce point parce que, si cela influe sur la
réponse, les dernières propositions que viennent de nous faire
nos élus, c'est le stockage en surface et, à ma connaissance,
c'est celle sur laquelle il ne peut pas y avoir de garantie de
sûreté à très long terme, alors que fait-on ?
Je renvoie la question pour la deuxième fois, nous pensons, à la
Fédération de l'Energie, que le débat national sur
l'orientation de la politique énergétique est une question
centrale. Sinon, nous mettrons en cause la cohérence et, en quelque
sorte, nous touchons du doigt, aujourd'hui, les aléas de mode de gestion
économique à court terme avec les exigences industrielles et de
recherche qui doivent être à long terme. Il y a là, me
semble-t-il, contradiction entre la recherche de compétitivité
à court terme que nous souhaitons et le débat sur la
cohérence, l'avenir et la perspective nucléaire du point de vue
scientifique et technique, et j'en viens à la question qui est à
l'ordre du jour : faut-il un EPR, et rapidement ?
Notre réponse est oui et plus on tardera, plus on détruira les
cohérences industrielles et économiques qui sont les nôtres
aujourd'hui, c'est-à-dire que nous poursuivons dans les logiques
destructrices de cohérences qui sont là depuis neuf mois.
Il nous faut une industrie compétitive et cohérente, et ce n'est
pas seulement la question de l'emploi mais aussi celle des compétences,
parce que cette industrie tire en FRANCE la qualification des salariés
vers le haut. Est-ce que, véritablement, nous devons abandonner ces
compétences de haut niveau qui se développent dans notre
industrie avec les enjeux majeurs qui sont derrière ?
[...] Est-ce que nous préférons être sortis du
nucléaire, et il y aura des réacteurs dans le reste du monde qui
ne bénéficieront pas de notre expérience, ou est-ce qu'en
exportant, nous transférons aussi notre bilan partiellement, voire
complètement, de sûreté qui est positif ? Et est-ce
que, pour éviter les accidents dans le monde, les populations de la
planète n'ont pas intérêt à exporter ce qui, bon an
mal an, a donné des résultats positifs ? Etant entendu que,
quoi qu'il arrive dans le monde, il y aura des réacteurs
nucléaires et que j'attends la démonstration pour l'absence de
nucléaire fiable, dans 50 ans, sur la planète.
Enfin, dernière question qui n'a pas été abordée,
il me semble que, compte tenu du retour d'expérience du programme
nucléaire depuis la moitié des années 70, nous avons la
nécessité, pour moult raisons, d'un lissage du renouvellement du
parc, sachant que, dans ce lissage, il y a une partie anticipatrice et une
partie à plus long terme. Cependant, il me semble que nous
éviterions tous les à-coups néfastes à la
pérennité des compétences si nous obtenions ce lissage, et
je crois que si nous voulons l'obtenir, et si nous sommes d'accord pour dire
que, tôt ou tard, on aura besoin du nucléaire, il nous faut la
construction d'un projet EPR rapidement, avant qu'il ne soit trop
tard. "
B) La CFDT
La CFDT
m'a adressé une contribution dont le texte est annexé au
présent rapport.
Cette organisation apporte très clairement son soutien à la
réalisation du projet EPR.
Les priorités de la politique énergétique doivent
s'articuler autour des axes suivants :
• la maîtrise de l'énergie,
• l'accroissement de la flexibilité,
• la mise en oeuvre d'une politique européenne,
• le bouclage du cycle nucléaire,
• une prise en charge plus démocratique des problèmes.
Il est nécessaire de prendre en compte également le fait que la
lutte contre l'effet de serre est devenue une priorité, et que
l'ouverture du marché de l'énergie ainsi que le changement de
comportement de la population ont modifié les données de base.
Dans cette perspective, le renouvellement du parc ne doit pas obérer la
nécessité de laisser ouverts les choix énergétiques
jusqu'en 2030 et il est nécessaire d'éviter les réactions
au coup par coup telles que la fermeture précipitée de
Superphénix.
Dans ce contexte, mes interlocuteurs m'ont indiqué qu'ils souhaitaient
voir installer l'EPR sur un site existant et non sur un terrain nouveau.
Toutefois, mes interlocuteurs ont souligné que le saut qualitatif
réalisé en matière de sûreté par l'EPR risque
de faire apparaître le parc actuel comme moins sûr.
Pour la CFDT, si le Gouvernement doit traiter le prolongement de la
durée de vie, le renouvellement du parc sera l'occasion de
rééquilibrer les sources d'énergie, ce qui impliquera
probablement une diminution du parc nucléaire.
Mais il est terriblement important que nos compétences soient
maintenues, ce qui rend nécessaire des investissements permanents sur le
parc nucléaire.
Mes interlocuteurs se sont également montrés circonspects
vis-à-vis des lobbies industriels et ont insisté sur la
nécessité, dans le domaine nucléaire, de maintenir
l'autorité des pouvoirs publics.
Ils redoutent également que Framatome ne se désengage des
activités nucléaires au profit du secteur classique.
C) Force Ouvrière
Les
représentants de cette organisation ont particulièrement
insisté auprès de moi sur la nécessité
d'éviter que survienne un trou de dix ans dans le plan de charge des
entreprises, qui entraînerait une perte de compétence
irrattrapable.
Pour eux, cette situation pourrait être évitée si un
premier béton était engagé vers 2003 pour que soit
achevée une tête de série vers 2010 avec une mise en
service vers 2012, permettant d'engager vers 2017 des tranches en
bénéficiant d'un retour d'expérience.
Ils m'ont fait part de leur préoccupation face à une
stratégie de Framatome perçue par eux comme obscure et surtout
face aux directives européennes d'ouverture du marché et à
un développement de la cogénération
considéré comme déloyal, problème qui ne fait pas
l'objet de ce rapport mais, pour eux, la recherche de l'indépendance
énergétique demeure un objectif majeur et il faut que la Nation
définisse rapidement ses objectifs.
D) Le point de vue de la mouvance écologiste
Votre
rapporteur pense que la ministre de l'Environnement est dans l'erreur
lorsqu'elle préconise l'arrêt programmé à partir de
2005 de l'énergie nucléaire et qu'Oskar Lafontaine l'est
davantage lorsqu'il demande l'arrêt des recherches sur le
nucléaire.
En effet, les centrales nucléaires en activité arriveront en fin
de vie vers 2040 et ce serait une erreur profonde de considérer qu'il ne
faut pas leur apporter des améliorations au cours d'une durée de
vie aussi longue.
En outre, la recherche sur l'élimination des déchets ne sera pas
aussi dynamique et les moyens ne seront pas de même ampleur si nous nous
plaçons dans une perspective d'arrêt de la production.
Ces réserves étant faites, il est de mon devoir de vous faire
part du point de vue des écologistes.
Les responsables de
Greenpeace
, que j'ai écoutés
avec une grande attention, m'ont plus parlé de la politique
énergétique dans son ensemble que du problème
spécifique du projet EPR, si ce n'est pour me signifier leur opposition
à l'emploi du combustible MOX et -cela va de soi- à la
construction de toute centrale nucléaire.
Les critiques du
Groupement des scientifiques pour l'information sur
l'énergie nucléaire
, et en particulier de
Mme Sené, concernent plus particulièrement le projet EPR.
Mme Sené convient d'abord de la nécessité, pour les
besoins de la maintenance, de garder un certain savoir-faire.
Elle regrette le caractère évolutionnaire du projet EPR, qui ne
permet pas de solutionner le problème des déchets
nucléaires, dont le règlement conditionne le développement
de l'énergie nucléaire. En attendant, les perspectives de l'EPR
à l'exportation lui paraissent nulles car elle considère qu'un
réacteur de cette puissance est invendable.
Pour elle, la proportion de combustible MOX utilisée dans l'EPR ne doit
pas dépasser 7 à 11 % car un taux supérieur fragilise
la cuve.
Il lui semble que, du fait du délai entre le départ du projet et
les perspectives de réalisation, les concepts ont vieilli et que la
politique énergétique de la France gagnerait à être
plus proche du terrain et à mieux utiliser les atouts locaux.
Je conviens qu'un certain nombre de ces critiques sont fondées car toute
démarche conduisant à la mise en oeuvre d'un projet lourd
implique des arbitrages, ne serait-ce qu'entre les solutions techniques et la
rentabilité économique.
J'ai noté, s'agissant du problème de l'utilisation du combustible
MOX, qu'EDF est extrêmement prudente sur ce point mais le fait qu'un fort
taux d'utilisation du MOX risque de fragiliser la cuve doit être pris en
considération, à mes yeux. Pour le reste, je ne reviendrai pas
sur l'analyse du caractère évolutionnaire du projet
réalisée à travers le titre premier de ce
rapport.
CONCLUSION
Le
Bureau de l'Assemblée nationale a confirmé par lettre du 25
septembre 1997 les termes de sa saisine et l'Office Parlementaire d'Evaluation
des Choix Scientifiques et Technologiques m'a, en conséquence,
demandé d'intégrer le projet EPR à mon rapport annuel sur
la sûreté des installations nucléaires en abordant
" les aspects technologiques, de sécurité, de normalisation
et économiques du programme de réacteur européen à
eau pressurisée (EPR) ".
J'ai longuement insisté à travers ce rapport sur l'apport de ce
programme dans le domaine de la technologie et sur le fait que les ambitions
des concepteurs du projet EPR en feraient probablement le réacteur
nucléaire le plus sûr au monde.
Mais je crois qu'il existe d'ores et déjà un acquis :
l'uniformisation des procédures françaises et allemandes de
sûreté nucléaire est en route. Certes, elle s'effectue en
marge de l'Union Européenne, selon une démarche de
coopération intergouvernementale plus proche des programmes AIRBUS ou
ARIANE, mais le programme EPR constitue, avec la démarche des EUR
initiée par les électriciens d'uniformisation de leurs normes, un
apport de poids à la construction européenne.
Le projet EPR a déjà nécessité un investissement de
l'ordre d'un milliard de francs mais, surtout, l'engagement de la construction
d'une série d'au minimum sept réacteurs générera
des dépenses qui vont se chiffrer en dizaines de milliards de francs.
Aussi, ce projet est un non-sens économique si la construction se limite
à un prototype. De ce fait, la décision de poursuivre ce
programme est d'abord politique et stratégique ; elle dépend
étroitement de la définition de la politique
énergétique des trente prochaines années et
il
appartient au Gouvernement d'annoncer des orientations claires.
Il est de mon devoir de mettre en garde le Gouvernement contre une approche qui
serait trop axée sur le court terme, dans la mesure où la
sûreté des installations nucléaires implique une politique
de long terme et repose en partie sur la standardisation et le retour
d'expérience, incompatibles avec les projets de loi en gestation qui
prévoiraient un appel d'offre systématique pour la construction
de chaque centrale nucléaire, ce qui est incompatible avec une politique
de standardisation.
Il n'est pas possible de conduire un grand projet industriel en l'absence de
stratégie claire. Or, il est nécessaire de prendre conscience que
la seule position gouvernementale claire : " maintenir la
liberté de choix ", sera illusoire si nous connaissons une
traversée du désert de dix ans au cours de laquelle le tissu
scientifique et industriel se sera délité.
Une telle situation serait extrêmement dommageable pour la
sûreté des installations nucléaires car les recherches
conduites, par exemple pour l'EPR, permettent d'apporter des
améliorations aux centrales en service lors des opérations de
maintenance, par exemple les révisions décennales.
Il est évident que lorsque je lis une déclaration
ministérielle indiquant qu'à partir de 2005, il faudra abandonner
l'énergie nucléaire, j'imagine que les équipes qui
travaillent sur le projet EPR sont désappointées.
Je suis convaincu que la volonté de laisser toutes les options ouvertes
pour la
définition d'une politique énergétique doit
s'entendre de manière dynamique
. Cette position implique le maintien
des compétences de l'industrie nucléaire car le coût
nécessaire à la reconstitution des compétences serait
prohibitif.
Or, que faire entre 2000 et 2010 si l'EPR n'est pas
réalisé ? Dix années de recherches théoriques
permettront certainement de maintenir un haut niveau de recherches en physique
nucléaire mais le savoir-faire industriel, qui est extrêmement
précieux, implique également des connaissances pointues et
l'existence d'un réseau de sous-traitants et d'industriels aux standards
de qualité qui ne sont pas ceux du reste de l'industrie.
Aussi, je souhaite que les responsables d'EDF prennent sur ce dossier une
position beaucoup plus claire et déterminée qu'ils ne l'ont fait
le 4 mars. Il est vrai que la décision appartient au Gouvernement,
mais les dirigeants des entreprises publiques ont pour devoir d'élaborer
un projet d'entreprise digne de ce nom.
Je suis également conscient des difficultés que rencontrent les
dirigeants de FRAMATOME, mais ils se doivent d'élaborer une
stratégie plus offensive, en particulier en matière d'alliance,
ce qui peut conduire à un élargissement à d'autres
partenaires du projet EPR.
Il est clair que la simple maintenance du parc actuel ne suffira pas pour
maintenir le tissu industriel. Cette situation n'est pas propre au secteur
nucléaire, mais à toutes les entreprises de haute technologie
où les acteurs qui n'avancent pas reculent.
Il est à mes yeux important, sauf si l'on souhaite abandonner
l'énergie nucléaire, de réaliser aux environs de 2003 une
tête de série d'un EPR, mais le problème de sa localisation
est extrêmement difficile à régler.
Il me paraît difficile d'implanter une tête de série en
France avant 2010, dans la mesure où il semble que le
développement " subi " de la cogénération
permettra de faire face à l'augmentation de la consommation
électrique.
L'édification de centrales nucléaires de type EPR, qui apportent
des améliorations réelles en termes de sûreté et de
rejets d'effluents, est certainement de nature à mieux faire accepter
l'énergie nucléaire.
D'autre part, les impératifs de protection de l'environnement, en
particulier les objectifs de lutte contre l'effet de serre, ne pourront
être tenus qu'avec l'apport de l'énergie nucléaire, ce qui
la fait apparaître comme relativement incontournable.
D'autant que la protection de l'environnement ne se limite pas à la
lutte contre l'effet de serre mais incorpore tous les rejets, en particulier le
soufre, ce qui implique de limiter le recours aux centrales thermiques les plus
anciennes, en particulier chez nos voisins allemands.
Leur situation politique est différente de la nôtre, mais il est
certain qu'il leur sera difficile de respecter les engagements de Kyoto sans
recourir à l'énergie nucléaire, surtout si la croissance
économique repart en Europe.
Il est également clair que, dans le domaine des économies
d'énergie, les gains à la marge seront de plus en plus difficiles
à réaliser et d'un coût croissant, ce qui pourrait nous
conduire à un parallélisme plus marqué entre la croissance
économique et la consommation d'énergie. Les économies
d'énergie doivent demeurer la première des priorités.
Mais pourront-elles le demeurer, dans un climat de concurrence exacerbée
entre les diverses sources d'énergie ?
Pourtant, cette politique demeure toujours d'actualité, de même
que l'objectif de sécurité d'approvisionnement et
d'indépendance énergétique, à la base du programme
électronucléaire français. J'ai procédé
à l'audition des partenaires sociaux, en particulier de la CGT, qui a
développé devant moi des analyses extrêmement pertinentes,
et
il est indispensable que les partenaires sociaux soient plus
étroitement associés aux réflexions conduites.
Toutefois, je ne remets pas en cause la nécessité d'une
diversité plus grande de nos sources de production d'énergie.
Aussi souhaiterais-je que le débat sur la localisation d'une tête
de série d'un EPR soit dépassionné. Les perspectives
d'exportation d'un EPR ne peuvent pas constituer à elles seules un motif
d'installation en France ou en Allemagne
La construction d'un réacteur, si elle se faisait, ne pourrait à
mon sens qu'être effectuée sur un site où se trouvent
déjà des réacteurs nucléaires, ne serait-ce que
pour conforter l'emploi sur des sites existants. L'obstacle le plus difficile,
pour la France, à la décision de construction d'un EPR
réside dans l'absence de besoin d'augmentation de la production
d'électricité dans la décennie à venir.
L'Allemagne, pour sa part, ne peut pas aborder cette question avant ses
prochaines échéances législatives.
Or, je suis convaincu que le maintien à niveau de notre industrie
nucléaire passe par la réalisation de l'EPR qui, si elle ne se
fait pas dans les deux pays promoteurs, devrait se faire dans un pays où
la notion de retour d'expérience conserve tout son sens.
Je crois que ce grand projet s'imposera comme une référence
européenne en matière de sûreté, s'il réussit
à obtenir le soutien actif de partenaires européens, voire
l'intégration de quelques-uns d'entre eux.
ADDENDA
LES PERSPECTIVES DE CONSTRUCTION D'UN
EPR EN RUSSIE
Comme je
l'ai écrit dans la conclusion de mon rapport, la recherche de
partenaires me paraissait indispensable pour donner une assise et une vocation
européenne au projet EPR.
Depuis la présentation de mon rapport, cette question a sensiblement
évolué et les perspectives se sont précisées lors
de la rencontre entre les premiers ministres français et russe.
A l'issue de la réunion de la Commission franco-russe, le
Secrétaire d'Etat à l'industrie a été chargé
de mener les négociations avec les partenaires allemands et les
autorités russes pour intégrer la Russie à la fois en
qualité de partenaire à part entière du projet et de pays
où pourrait être construit un EPR.
Votre rapporteur a été informé qu'à la demande du
nouveau ministre du Minatom, E. Adamov, formulée en avril 1998
à FRAMATOME ainsi qu'au Secrétaire d'Etat à l'industrie,
NPI, FRAMATOME et SIEMENS ont rencontré l'Institut OKBM de
Nijni-Novgorod que le ministre du Minatom a chargé de ce dossier en mai
dernier.
Le chemin à parcourir est encore long et difficile mais, avant
l'impression du rapport, cet addenda s'imposait.
RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR
I
Il est nécessaire de mettre en place une procédure
d'agrément préalable des projets de construction d'installation
nucléaire de base.
II
La coopération franco-allemande dans le domaine de la
sûreté nucléaire doit être intensifiée.
• Il est nécessaire de conforter la collaboration entre les
autorités de sûreté.
• Il est indispensable que leurs appuis techniques se rapprochent.
III
La recherche d'un partenariat élargi est une
nécessité pour une meilleure coopération
européenne.
ADOPTION DU RAPPORT PAR L'OFFICE
L'Office
parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a
procédé, dans sa séance du jeudi 14 mai 1998,
à l'examen
des conclusions de la première partie du rapport
sur le contrôle de la sûreté et de la sécurité
des installations nucléaires
: aspects technologiques, de
sécurité, de normalisation et aspects économiques du
programme de réacteur européen à eau pressurisée
(EPR) de
M. Claude Birraux
,
député.
M. Claude Birraux, député, rapporteur,
a rappelé
que le projet de réacteur franco-allemand à eau
pressurisée (EPR) constituait la première partie de son rapport
de 1998 sur la sûreté des installations nucléaires et que
le second volume, consacré au bilan des 118 recommandations qu'il
avait formulées en sept ans, devrait pouvoir être débattu
vers la fin de l'année.
Il a indiqué que le Bureau de l'Assemblée nationale avait saisi
l'Office le 27 mars 1997 en " recommandant que, dans un premier temps,
cette question soit examinée dans le cadre du rapport périodique
consacré (...) à la sûreté des installations
nucléaires " et que cette demande avait été
réitérée par le Bureau de l'Assemblée nationale le
24 septembre 1997.
M. Claude Birraux, député, rapporteur,
a
précisé qu'il avait auditionné la plupart des
" acteurs " -industriels, électriciens, recherche,
autorité de sûreté, organisations syndicales et
écologistes- et que l'audition publique organisée le 4 mars 1998,
avec une participation nombreuse et de haut niveau, tant du côté
français que du côté allemand, avait permis d'en cerner
tous les paramètres et d'aborder au fond l'ensemble des aspects
-technologie, sûreté, recherche, stratégie- concernant
l'EPR.
Pour
M. Claude Birraux, député, rapporteur,
la
démarche partenariale, initiée par la Direction de la
sûreté des installations nucléaires (DSIN) avec son
homologue allemand, a entraîné une coopération
renforcée entre leurs appuis techniques, l'Institut de protection et de
sûreté nucléaire (IPSN), le Commissariat à
l'énergie atomique (CEA) et l'Institut de Karlsruhe, jetant les bases
d'une uniformisation des objectifs de sûreté, à travers une
lecture commune des normes. Cette démarche, relayée par celle des
électriciens européens, a jeté les bases d'une unification
européenne.
Le point important demeure, aux yeux du rapporteur, les objectifs de
sûreté fixés a priori et avant la mise en étude du
projet par les autorités de sûreté des deux pays.
Pour pérenniser cette démarche et pour l'approfondir,
M. Claude Birraux, député, rapporteur,
a
proposé que, au-delà de l'étude du projet
" EPR ", la coopération entre les autorités de
sûreté et leurs appuis techniques soit renforcée. Cela
permettrait d'enrichir, selon lui, l'approche de la sûreté par une
vision croisée, pluraliste et cela renforcerait
" l'indépendance " de l'expertise, aidant à
reconstituer la " lumière blanche " à partir des
différentes longueurs d'ondes.
M. Claude Birraux, député, rapporteur,
a
estimé que, répondant aux injonctions des autorités de
sûreté, le projet EPR avait permis de faire évoluer nos
connaissances et de renforcer les normes de sûreté, que les
injonctions des autorités de sûreté se fondaient sur
l'analyse du retour d'expérience du fonctionnement des centrales
existantes, et que la démarche des autorités de
sûreté se trouvait validée par celle des appuis techniques
et des exploitants, qui valorisent aussi leur propre retour d'expérience.
Pour le rapporteur, le projet EPR intègre, dès sa conception, le
risque d'accident majeur pour mettre en place un récupérateur de
corium, permettant sa propagation à l'extérieur et
l'évacuation des populations. Ainsi, la protection contre les chutes
d'avion sera, selon lui, renforcée.
M. Claude Birraux, député, rapporteur,
a
estimé que, dès lors que le volume interne, libre des composants
primaires, était augmenté, cela donnait plus de temps à
l'opérateur pour réagir.
Il a ajouté que le contrôle-commande était conçu
pour minimiser les erreurs humaines et que la maintenance serait plus
espacée, avec des cycles de 18 à 24 mois.
En matière de radioprotection, il a précisé que l'objectif
des doses collectives annuelles était fixé à
0,75 h.Sv, contre 1,4 h.Sv pour le parc actuel, l'objectif à
atteindre étant une réduction de moitié.
Il a ajouté que, dans le domaine des rejets, l'objectif était
celui d'une réduction d'un facteur de 5 à 10 par rapport aux
réacteurs les plus récents du type " N4 " et qu'un
milliard de francs avait déjà été engagé sur
ce projet : 375 millions pour les études préalables et
750 millions au titre de l'avant-projet sommaire.
Pour le rapporteur, la phase d'optimisation qui est en cours devrait permettre
de parvenir à un coût de revient de l'électricité de
l'ordre de 18 centimes par KW/h, mais elle impliquera probablement que la
puissance de l'EPR soit portée à 1 800 MW et elle
exigera sans doute que ce dernier soit conçu pour fonctionner en base ou
en semi-base.
M. Claude Birraux, député, rapporteur,
a par ailleurs
indiqué qu'Electricité de France (EDF) achèverait la mise
en service de ses dernières centrales de type " N4 ", qui
consacrent la francisation de la filière américaine Westinghouse,
et constituent aujourd'hui, selon lui, ce qui se fait de plus avancé
dans le domaine. Il a ajouté que les premières centrales PWR
mises en service l'avaient été en 1977 et que l'espérance
de vie de ces centrales était de 25 ans, ce qui conduirait à
une mise à l'arrêt en 2002.
Pour le rapporteur, les récents résultats sur des tests
d'étanchéité de l'enceinte béton montrent que,
comme chez les humains, il n'y a pas d'homogénéité dans le
processus de vieillissement.
M. Claude Birraux, député, rapporteur,
a jugé
qu'il n'y aurait pas de fin de vie homogène pour l'ensemble du parc
nucléaire et que l'autorité de sûreté
apprécierait au cas par cas.
Il a signalé que le prolongement d'un an de fonctionnement rapporterait
500 millions de francs à EDF par tranche et qu'une estimation
raisonnable de la fin de vie des premières centrales mises en service
situait celle-ci vers 2010.
M. Claude Birraux, député, rapporteur,
a
indiqué que la surcapacité française de production
d'électricité se situait à quatre tranches
nucléaires et devrait être résorbée aux environs de
2020, au rythme de croissance actuelle.
Il a observé que les organisations syndicales, en particulier la
Confédération générale du travail (CGT),
développaient des analyses pertinentes, qui méritaient une prise
en considération. Il paraît indispensable, selon le rapporteur,
que les partenaires sociaux soient plus étroitement associés aux
réflexions conduites.
Il a souligné qu'on ne pouvait raisonner en matière de production
électrique en " flux tendu " permanent et qu'il fallait des
marges pour pouvoir répondre à la demande mais que ces marges, si
elles pouvaient être assurées par les combustibles fossiles, ne
pouvaient mettre en péril la fiabilité et la solidité de
l'ensemble du système français.
Il a estimé que les économies d'énergie devaient demeurer
la priorité, mais il a jugé que les gains à la marge
seraient de plus en plus difficiles à réaliser et d'un coût
croissant et qu'à un moment, il y aurait croisement des courbes
coûts d'investissement/économies réalisées et que le
parallélisme entre la croissance économique et la consommation
d'énergie pourrait à nouveau apparaître.
M. Claude Birraux, député, rapporteur,
a
estimé que personne ne pouvait prédire ce qu'il adviendrait de la
politique énergétique telle que définie dans un climat de
concurrence et de déréglementation européen, que la
diversification de nos sources de production d'énergie était,
certes, indispensable pour s'adapter au marché et serait peut-être
imposée par le marché -ce qui nous renvoyait à
l'économie des projets et des modes de production- et que l'objectif de
sécurité d'approvisionnement et d'indépendance
énergétique demeurait d'une actualité constante, quel que
soit le gouvernement en place.
M. Claude Birraux, député, rapporteur,
a
estimé qu'il fallait évoquer le contexte environnemental avec, en
particulier, les engagements pris à Kyoto de réduire d'ici 2010
de 8 % l'émission de gaz à effet de serre, par rapport à
1990, et que, si l'effort demandé à la France était
moindre que celui demandé à ses partenaires, c'est parce qu'elle
avait un parc électronucléaire important.
Il a ajouté que, quel que soit le contexte politique, chaque pays serait
amené à répondre à cette double question :
- comment respecter les engagements pris à Kyoto ?
- comment concilier croissance économique, croissance
énergétique, politique énergétique et
compétitivité économique ?
M. Claude Birraux, député, rapporteur,
a
indiqué que l'état du dossier actuel était celui d'un
avant-projet détaillé en cours d'optimisation. Il a estimé
que cette phase d'optimisation devrait s'achever vers la fin de l'année.
Il a ajouté que les autorités de sûreté pourraient
proposer à leurs autorités ministérielles de tutelle une
lettre commune valant approbation des options de sûreté retenues
par le projet.
Il a estimé que se présentait ainsi l'occasion de clarifier nos
procédures en la matière, en séparant l'avis sur les
options de sûreté de l'autorisation d'entrer en fonctionnement.
Il a observé que la décision de poursuivre ce programme
était d'abord politique et stratégique et dépendait
étroitement de la politique énergétique des trente
prochaines années.
Il appartient au Gouvernement, selon le rapporteur, d'annoncer des orientations
claires et il n'est pas possible de conduire un grand projet industriel en
l'absence de stratégie claire.
Evoquant les déclarations des plus hautes autorités
gouvernementales,
M. Claude Birraux, député,
rapporteur
, a jugé que le choix nucléaire n'était pas
remis en cause, que les garanties de sûreté de l'EPR seraient
appréciées et qu'il convenait de maintenir toutes les options
ouvertes pour " conserver la liberté de choix ". Or cette
seule position, qui a le mérite de la clarté, sera, selon lui,
illusoire si nous connaissons une " traversée du
désert " de 10 ans au cours de laquelle le tissu scientifique et
industriel se déliterait.
M. Claude Birraux,
député, rapporteur
, a
mis en garde le Gouvernement : la sûreté nucléaire
implique, selon lui, une politique de long terme, une intégration
permanente du retour d'expérience. Il a jugé que la
standardisation française avait été un facteur de
progrès.
Pour
M. Claude Birraux, député, rapporteur
, il
convient, dès lors, de veiller à la cohérence de la
démarche, en particulier des choix à effectuer pour l'engagement
de futures tranches et de l'option " appel d'offres
systématique " pour la construction de chaque nouvelle centrale,
procédure qui paraît incompatible avec la cohérence de la
démarche française.
M. Claude Birraux, député, rapporteur,
s'est
déclaré convaincu que la volonté de laisser toutes les
options ouvertes pour la définition d'une politique
énergétique devait s'entendre de manière dynamique,
position qui implique le maintien des compétences de l'industrie
nucléaire.
Si l'on ne réalise pas un EPR, le rapporteur a estimé que les
années de recherche théorique se maintiendraient à un haut
niveau théorique, mais que le savoir-faire industriel serait en recul,
ou pour le moins stagnant.
Pour
M. Claude Birraux, député, rapporteur,
l'engagement d'une seule tête de série rendrait le coût du
projet prohibitif, alors qu'un milliard avait déjà
été engagé pour les études, que l'industriel table
sur l'engagement d'une série d'au minimum sept réacteurs et que,
même s'il devait y avoir des changements importants dans la structure de
production électrique, cela signifierait qu'on remplacerait
8 réacteurs actuels par un EPR. Pour le rapporteur, il paraît
donc réaliste d'engager vers 2003 une tête de série EPR.
Par ailleurs,
M. Claude Birraux, député,
rapporteur,
a souhaité que les dirigeants d'EDF prennent sur ce
dossier une position plus claire et déterminée.
Il s'est déclaré frappé, dans un contexte politique
difficile, de l'engagement très fort des électriciens allemands
-qu'ils traduisent par leur participation financière- et conscient des
difficultés que rencontrait Framatome, entreprise dont les dirigeants
doivent, selon lui, élaborer une stratégie offensive et dynamique.
A l'issue de cet exposé,
M. Christian Bataille,
député
, évoquant les hésitations à la
tête de Framatome et sa difficulté de lier des contacts avec
Siemens, s'est enquis de la coopération entre ces deux entreprises.
M. Claude Birraux, député, rapporteur
, a
évoqué en réponse un " mariage de raison "
soumis à certaines conditions et il a évoqué l'historique
des relations entre les deux firmes. Il a estimé que si le désir
de Siemens de continuer à travailler avec Framatome n'était pas
remis en cause par les conversations de Siemens avec des interlocuteurs
anglais, Framatome devait développer une stratégie dynamique pour
nouer des alliances, son projet industriel n'étant pas assez
affirmé. Il a admis que les dirigeants de l'entreprise avaient pu
être déstabilisés par les projets d'alliances
germano-britanniques.
Mme Michèle Rivasi,
députée,
s'est
déclarée déçue par le projet EPR,
considérant que s'il apportait plus de sécurité, il ne
répondait pas au problème de l'élimination des
déchets nucléaires. Elle a estimé que la taille du projet
était énorme. Elle s'est enquise de la réalité de
la demande telle qu'elle pouvait être évaluée dans le
monde, et s'est inquiétée de l'absence d'étude de
marché. Elle a jugé qu'une telle analyse ne relevait pas des
ingénieurs électriciens. Evoquant l'utilisation du MOX, elle
s'est interrogée sur l'adéquation d'une telle technologie avec
les choix adoptés dans certains pays comme la Chine. Elle a
déploré qu'EDF ait loué du combustible à l'Espagne,
combustible retraité à Marcoule.
M. Christian Bataille
,
député
,
rapporteur,
a estimé que, sur ce dernier point, il y avait un
détournement de la loi de 1991.
Estimant qu'une tête de série " EPR " pouvait être
élaborée, tout en répétant ses réserves sur
le concept,
Mme Michèle Rivasi
,
députée
, a souligné que la décision du
scénario énergétique ne relevait pas des
électriciens mais du pouvoir politique.
M. Claude Birraux
,
député,
rapporteur
, a souligné que, s'agissant de la taille du
réacteur, l'autorité de sûreté donnerait son avis.
Pour un projet d'une taille de quelque 1 700 mgwatts, il a
estimé que la technologie apparaissait maîtrisée dans la
mesure où l'augmentation de puissance n'avait rien de comparable au
passage de Phénix (250 MW) à Superphénix
(1 250 MW).
Il a convenu que l'EPR devait être réservé à des
pays qui avaient une infrastructure scientifique suffisamment
développée pour l'accueillir dans de bonnes conditions. Il n'a
pas caché les risques qu'impliquaient, plus généralement,
certaines technologies de centrales nucléaires civiles en matière
de plutonium utilisable dans des applications militaires et a relevé les
difficultés rencontrées dans ces domaines par l'agence de Vienne.
M. Serge Poignant
,
député
, a
relevé l'adhésion que suscitaient les remarques du rapporteur. Il
s'est interrogé sur le délai de réalisation d'une
tête de série du réacteur.
M. Claude Birraux
,
député
,
rapporteur,
a estimé qu'une pré-licence devrait permettre
la conduite d'études détaillées et que, si un engagement
intervenait vers 2003, la mise en service d'une tête de série
n'était pas inconcevable vers 2010.
M. Louis Boyer
,
sénateur
, évoquant le
rôle des groupes de pression anti-nucléaire allemands, s'est
interrogé sur la localisation géographique de la future
tête de série. Il a jugé que le consensus sur le domaine
énergétique n'était pas réalisé en Allemagne.
M. Claude Birraux, député, rapporteur
, a
relevé que la décision appartenait au Gouvernement et que, pour
sa part, il refusait d'entrer dans le débat sur la localisation d'une
tête de série, considérant que cela ne relevait pas de sa
mission. En outre, il s'est dit avoir été frappé par la
détermination des électriciens allemands qui, du fait de la lutte
contre l'effet de serre, devront abandonner leurs centrales électriques
fonctionnant avec de la tourbe selon un procédé datant de 1875.
A l'issue de cette discussion, la première partie du rapport de
M. Claude Birraux
,
député
, a
été
adoptée à l'unanimité et sa
publication décidée
.
ANNEXES
Liste des personnalités
auditionnées
par le rapporteur
IPSN
• M. Quéniart Directeur délégué
GIIN
• M. André Canipelle Secrétaire général
• M. Robert Voin Président
• M. Guy Lamand Président de la Commission économique
et
industrielle
DSSIN
• M. André Claude Lacoste Directeur général
AEN
• M. Jacques Royen
CGT-Force Ouvrière
• M. Pierre Durand
• M. Lucien Ehrsam Secrétaire fédéral
• M. D. Besson Secrétaire du CNEN-DE
• M. Jean Montiez Membre du CSSIN
• Mme Annie Pasquet Secrétaire-adjoint CNEN-DE
EDF
• M. Tinturier Contrôleur général
• M. Autissier
• M. Lecoq Directeur-adjoint de l'équipement
• M. Bruel Direction de la stratégie
CEA
• M. Michel Courtaud Responsable du segment DRW
• M. Philippe Gardenet Directeur de la stratégie et de
l'évaluation
• M. Robert Reisse Directeur-adjoint à la Direction des
technologies
avancées
FRAMATOME
• M. Jean-Robert Quero Chargé de Mission auprès du
Président
• M. François Bouteille Directeur général-adjoint de
NPI
• M. Hervé Freslon Directeur des réalisations
nucléaires
• M. Alain Gautier Directeur de l'ingénierie
Commission de l'Union européenne
• M. Georges Van-Goeten
Groupement des scientifiques pour l'information sur l'énergie
nucléaire
• Mme Séné
Greenpeace
• M. Thierry Directeur
CGT
• M. Serge Cordonnier Fédération de l'énergie,
Président de la Commission
économique
• M. Serge Terrier Bureau fédéral, Administrateur EDF
CFDT
• M. J.F. Vérant Délégué syndical central
FRAMATOME
• M. Pierre Bobe Secrétaire confédéral
• M. Henri Catz CEA
1
Les dernières commandes non
annulées
ultérieurement remontent aux Etats-Unis en 1973 et en Allemagne en
1982 ; de plus, aucune commande n'a été enregistrée
sur le marché libre à l'exportation de 1981 à 1985.
2
Badenwerk AG, Bayernwerk AG, Energie-Versorgung Schwaben AG,
Isar-Amperwerke AG, Kernkraftwerke Lippe-Ems GmbH, Kernkraftwerk Stade GmbH,
Neckarwerke Elektrizitätsversorgungs AG, PreussenElektra AG, RWE Energie AG
3
cf. Rapport de l' OPECST, Assemblée nationale
n° 3491 et Sénat n° 300.
4
cf. infra. Chapitre I du Titre II.
5
Le corium est le produit très radioactif qui résulte
de la fusion des éléments constitutifs du coeur.
6 L'augmentation de la puissance électrique et l'allégement des contraintes imposées sur le suivi de charge font partie des éléments qui seront examinés dans la phase "basic design optimization phase". Comme nous le verrons dans le corps du rapport, ces deux données sont en train de changer.
7
Fluence : possibilité de passage
à travers la paroi.
8
Sur ce point, voir infra. étude sur l'enceinte.
9 Il faut noter que la charge de tritium, évaluée à 1 ou 2 kg pour un réacteur de 1 000 MW, est considérable.
10 cf. 5.
11 Le corium prototypique se distingue du corium réel par l'utilisation d'uranium appauvri et l'absence des produits de fission. Il peut donc être plus facilement manipulé, mais n'a évidemment pas de puissance résiduelle. Toutes les expériences hors pile sont réalisées avec des corium sans produits de fission.