II L'analyse des partenaires sociaux
Les salariés des entreprises réalisatrices du projet EPR étant les premiers concernés par le plan de charge de leurs employeurs, j'ai auditionné les principales centrales syndicales qui ont participé également à l'audition du 4 mars.
A) La CGT
Les
responsables de la CGT auditionnés par votre rapporteur (cf. liste en
annexe) ont souligné l'attentisme de la direction d'EDF, à
laquelle ils reprochent de tarder à prendre une décision. Ils
pensent que la fenêtre optimale pour prendre une décision est
déjà dépassée.
En effet, ils jugent que le maintien du tissu industriel est fondamental et que
le débat sur la durée de vie des centrales est biaisé car
l'ensemble du parc ne durera pas quarante ans ; la réponse, pour
eux, devra être différenciée pour chaque centrale.
Lorsque les centrales nucléaires verront le problème de leur
durée de vie se poser, il y aura pour mes interlocuteurs un affrontement
entre la logique de l'entreprise EDF, qui souhaite améliorer la
rentabilité de son investissement, et une logique de sûreté
dont les concepts auront évolué, imposant le maintien du
savoir-faire industriel pour la fabrication des pièces
détachées.
Pour mes interlocuteurs, l'absence de planification risque de conduire à
une catastrophe industrielle.
Ils ont particulièrement insisté auprès de moi sur le
coût élevé de la cogénération de
proximité qui, pour eux, a les faveurs de la direction d'EDF.
S'ils reconnaissent l'existence d'une surcapacité de notre outil de
production d'électricité d'environ huit tranches, ils estiment
que cette surcapacité sera résorbée à l'horizon
d'une douzaine d'années. Or, pour la sécurité du
réseau, il est nécessaire de disposer d'une marge de
sécurité qu'il importe d'évaluer avant de parler de
surcapacité.
En effet, la courbe de puissance installée du réseau croît
de 1 500 MWe par an, parallèlement à celle de la
consommation. Or, un délai de quatorze ans s'est écoulé
entre la décision de construire la première tranche du palier N4
et sa réalisation (l'estimation n'est plus que de huit à dix ans
pour les tranches suivantes).
M. Aufort, de la Fédération CGT de l'Energie, a d'ailleurs
souligné, lors de l'audition du 4
mars :
" Depuis ce matin, la question de la
compétitivité de l'EPR est une question centrale, abordée
par tous. Cette compétitivité s'élabore-t-elle au travers
d'une logique économique, c'est-à-dire avec le long terme, ou
s'élabore-t-elle uniquement dans des logiques budgétaires ?
Je crois que c'est une première question qu'il faut nous poser, et je
serais assez d'accord avec ce qu'a dit Monsieur ALPHANDERY : à
moyen terme et à long terme, le nucléaire est indispensable sur
la planète.
Alors, s'il est indispensable, et si nous ne faisons pas rapidement un EPR,
a-t-on évalué le coût économique, social, voire
politique, de la disparition de l'industrie de la construction de
réacteurs ? Je pense que nous n'avons pas abordé cette
question. On a abordé le coût d'une possible anticipation avec la
commande d'un réacteur plus tôt que prévu, mais on n'a pas
évalué les dégâts de tous ordres qui pourraient
être entraînés par le report ad vitam aeternam de
la construction d'un EPR.
Or, il me semble que cette question de la logique économique à
long terme est une question centrale. En effet, j'aurais tendance à
considérer que le nucléaire nous est indispensable parce que
c'est un facteur de stabilité économique et politique, dans le
domaine énergétique, pour l'ensemble de la planète et
qu'il n'y a pas d'autre source d'énergie qui nous permet de garantir
cette stabilité. C'est en quelque sorte un facteur de paix.
A partir de là, faut-il considérer le nucléaire, et donc
l'électricité en FRANCE, comme une marchandise comme les
autres ? Si c'est oui, on dérégule, avec tous les risques
que cela suppose. Si c'est non, on construit une politique cohérente
à court, à moyen et à long terme et nous avançons.
Je pense que les parlementaires ont raison de poser la question aux partenaires
sociaux et aux techniciens sur l'avenir ; je serais tenté de leur
renvoyer cette question. Le nucléaire a été construit en
FRANCE à partir d'une volonté politique. Quelle est la
volonté politique, aujourd'hui, qui commande au destin du
nucléaire ?
J'aimerais qu'il soit apporté rapidement une réponse à
cette question, et une réponse en toute transparence, y compris pour les
accords internationaux qui devraient déboucher. Je pense qu'on revient
à la question de l'appropriation.
Enfin, je pose une question aux exploitants. Est-ce que, pour le renouvellement
du parc, la question de la gestion des déchets est une question
secondaire qui n'influe pas sur la réponse ? Je souhaiterais une
réponse claire sur ce point parce que, si cela influe sur la
réponse, les dernières propositions que viennent de nous faire
nos élus, c'est le stockage en surface et, à ma connaissance,
c'est celle sur laquelle il ne peut pas y avoir de garantie de
sûreté à très long terme, alors que fait-on ?
Je renvoie la question pour la deuxième fois, nous pensons, à la
Fédération de l'Energie, que le débat national sur
l'orientation de la politique énergétique est une question
centrale. Sinon, nous mettrons en cause la cohérence et, en quelque
sorte, nous touchons du doigt, aujourd'hui, les aléas de mode de gestion
économique à court terme avec les exigences industrielles et de
recherche qui doivent être à long terme. Il y a là, me
semble-t-il, contradiction entre la recherche de compétitivité
à court terme que nous souhaitons et le débat sur la
cohérence, l'avenir et la perspective nucléaire du point de vue
scientifique et technique, et j'en viens à la question qui est à
l'ordre du jour : faut-il un EPR, et rapidement ?
Notre réponse est oui et plus on tardera, plus on détruira les
cohérences industrielles et économiques qui sont les nôtres
aujourd'hui, c'est-à-dire que nous poursuivons dans les logiques
destructrices de cohérences qui sont là depuis neuf mois.
Il nous faut une industrie compétitive et cohérente, et ce n'est
pas seulement la question de l'emploi mais aussi celle des compétences,
parce que cette industrie tire en FRANCE la qualification des salariés
vers le haut. Est-ce que, véritablement, nous devons abandonner ces
compétences de haut niveau qui se développent dans notre
industrie avec les enjeux majeurs qui sont derrière ?
[...] Est-ce que nous préférons être sortis du
nucléaire, et il y aura des réacteurs dans le reste du monde qui
ne bénéficieront pas de notre expérience, ou est-ce qu'en
exportant, nous transférons aussi notre bilan partiellement, voire
complètement, de sûreté qui est positif ? Et est-ce
que, pour éviter les accidents dans le monde, les populations de la
planète n'ont pas intérêt à exporter ce qui, bon an
mal an, a donné des résultats positifs ? Etant entendu que,
quoi qu'il arrive dans le monde, il y aura des réacteurs
nucléaires et que j'attends la démonstration pour l'absence de
nucléaire fiable, dans 50 ans, sur la planète.
Enfin, dernière question qui n'a pas été abordée,
il me semble que, compte tenu du retour d'expérience du programme
nucléaire depuis la moitié des années 70, nous avons la
nécessité, pour moult raisons, d'un lissage du renouvellement du
parc, sachant que, dans ce lissage, il y a une partie anticipatrice et une
partie à plus long terme. Cependant, il me semble que nous
éviterions tous les à-coups néfastes à la
pérennité des compétences si nous obtenions ce lissage, et
je crois que si nous voulons l'obtenir, et si nous sommes d'accord pour dire
que, tôt ou tard, on aura besoin du nucléaire, il nous faut la
construction d'un projet EPR rapidement, avant qu'il ne soit trop
tard. "