Chapitre III
Les effets de la non-réalisation du projet
EPR
pour les industriels
J'ai cherché à quantifier auprès des industriels l'impact qu'aurait la non-réalisation du projet EPR, en particulier dans le domaine de l'emploi ; je n'y suis pas parvenu totalement car cette question ne peut pas être abordée en termes purement quantitatifs.
I Le projet EPR est-il vital pour Framatome ?
Si nous
nous en tenons aux apparences, la réponse est non.
Dans le rapport d'information que j'ai présenté en 1996 devant la
Commission de la Production et des Echanges de l'Assemblée nationale
(n° 3246), auquel j'invite le lecteur à se reporter,
j'analysais (page 23) l'activité de construction nucléaire
face à une "traversée du désert".
Mon analyse, qui demeure toujours valable, mettait en évidence plusieurs
phénomènes :
• les quatre cinquièmes des équipements construits par
Framatome sont des centrales EDF ;
• les 17 centrales commandées fermement dans le monde, à ce
jour, se situent toutes en Asie et, sur les 25 centrales de technologie
occidentale en construction à ce jour, 13 sont en chantier sur le
continent asiatique.
A ce phénomène, il convient d'ajouter que des pays asiatiques
tels que la Chine vont acquérir une meilleure maîtrise des
techniques nucléaires et que la part des centrales
réalisée en Occident va diminuer.
Aussi, je soulignais dans mon rapport que :
" Cette perspective de "traversée du désert" n'a pas surpris
Framatome. Les quatre cinquièmes des équipements construits par
l'entreprise étant des centrales EDF, la société se
préparait depuis plus de dix ans à la fin du premier programme
nucléaire français. La seule donnée non prévisible
a été l'accident de Tchernobyl, qui a eu pour conséquence
plusieurs annulations de projets de constructions de centrales à
l'étranger.
" Afin d'estimer les conséquences financières de cette
décennie délicate, Framatome a réalisé une
étude de prospective pour la période courant jusqu'à 2005.
Pour mener cette étude, les experts du groupe ont
préféré retenir l'hypothèse la plus minimaliste
(aucune commande de chaudière ou d'îlot nucléaire pendant
les neuf années à venir) plutôt qu'un postulat plus
optimiste fondé sur la commande de deux centrales par la Chine et sur
une commande anticipée d'EDF aux alentours de l'an 2000 afin de
s'exercer au fonctionnement du futur réacteur mis au point conjointement
par Framatome et Siemens.
" Selon M. Jacques Fettu, directeur délégué
aux affaires financières de Framatome,
" le chiffre d'affaires
annuel pour les réalisations neuves chuterait de 4 milliards de
francs entre 1997 et 1999 à environ 700 millions de francs pour la
période 2004-2005. En revanche, le chiffre d'affaires du combustible
resterait à son niveau actuel, soit 3,5 milliards de
francs "
.
" En tenant compte des activités de services, le chiffre d'affaires
total des activités nucléaires pourrait être compris entre
7,2 et 8 milliards de francs.
"
"Avec 700 millions de francs de chiffre d'affaires,
ajoute
M. Jacques Fettu,
notre activité de construction de
centrales nucléaires ne pourra pas dégager un résultat
d'exploitation positif. Mais ce résultat sera plus que compensé
par le solde bénéficiaire
(des)
activités
liées au combustible et
(des)
activités de service. Pour
un chiffre d'affaires de 7,3 à 7,5 milliards de francs, le
résultat d'exploitation dégagé se situerait entre 250 et
400 millions de francs par an".
D'où "l'autosuffisance" des
activités nucléaires pendant ces années de vaches maigres
auxquelles il a déjà été fait allusion.
" Cette analyse n'est pas pleinement partagée par
M. Dominique Vignon, actuel président-directeur
général de Framatome. S'il reconnaît que
"Framatome
pourrait
(...)
subsister en continuant à générer un
peu de "cash" sur les marchés de services et le combustible"
, il
croit toutefois
"qu'elle aurait des difficultés à revenir sur
le marché des centrales neuves parce qu'elle n'aurait pas de base pour
le faire"
. Elle ne pourrait pas non plus maintenir sa
recherche-développement à son niveau actuel et y consacrer comme
aujourd'hui 800 millions de francs par an.
" Nombreux sont les observateurs qui pensent que Framatome doit s'adosser
à un grand groupe industriel pour franchir ce cap difficile de la
prochaine décennie. En effet, la pluralité des activités
de GEC Alsthom et la surface financière de ce groupe apparaissent
aux yeux de plusieurs personnes auditionnées par la mission
d'information, comme autant de garanties que Framatome atteindra sans dommages
les années 2005-2010, années de relance des programmes
nucléaires.
" L'analyse financière faite par Framatome sur la période
1996-2005 relativise certes cette argumentation mais il semble quand même
que Framatome ne puisse se contenter longtemps de ce superbe isolement.
Survivre à ce que M. Dominique Vignon appelle l'
"hiver
nucléaire"
ne peut en aucun cas constituer une perspective pour une
entreprise. Framatome doit avoir des perspectives de croissance, de
développement et ne peut se contenter d'une hibernation qui ne ferait
que retarder sa fin. "
Je suis effectivement convaincu que cette conclusion illustre la
problématique qui se pose à l'industriel.
Au cours des auditions que j'ai réalisées, j'ai pu mesurer
à quel point la vitalité d'une entreprise de haute technologie ne
peut pas être appréciée sur la seule base de sa
santé financière. Or, en dix ans d'inactivité, les
équipes se délitent, ne serait-ce qu'à cause des
départs à la retraite non remplacés.