TITRE III
FAUT-IL CONSTRUIRE UN EPR ?
Il ne m'est pas possible de traiter du projet EPR sans aborder la question des décisions à prendre. Toutefois, avant de vous proposer une conclusion, j'analyserai l'intérêt économique du projet puis j'opterai pour un raisonnement a contrario en posant dans un second chapitre la question suivante : qu'adviendrait-il si nous ne réalisions pas le projet EPR ? A partir de ce constat, nous verrons se dessiner une conclusion.
Chapitre I
L'économie du projet
EPR
Ce
rapport n'a pas pour objet de traiter de l'énergie nucléaire et
de son devenir, mais un milliard de francs ayant déjà
été engagé pour les études relatives au projet EPR,
il est légitime de se poser quelques questions sur sa faisabilité
économique, fondamentalement liée à la durée de vie
des centrales nucléaires.
S'il s'agit de construire un prototype, le projet EPR n'est pas rentable et ne
peut l'être en aucun cas. Comme cela a été souligné
à plusieurs reprises lors de l'audition du 4 mars, ce projet n'a de
viabilité économique que s'il constitue la tête d'une
série d'au minimum 7 à 8 réacteurs (le remplacement du
parc représente environ 35 réacteurs car un réacteur
EPR remplace 2 chaudières de 900 MWe).
Aussi me semble-t-il utile de dresser un bref panorama des chances de mise en
chantier de l'EPR et surtout de son impact sur le maintien des
compétences, qui est essentiel pour la sûreté des centrales
électro-nucléaires de demain.
Les commissions parlementaires de l'Assemblée nationale et du
Sénat ont engagé des travaux très importants sur l'avenir
énergétique de la France ; elles vont publier prochainement
des travaux beaucoup plus exhaustifs que les quelques lignes qui suivent, qui
n'ont pas d'autre objet que de rappeler quelques données essentielles
à la compréhension du projet.
La compétitivité économique du projet EPR n'est pas encore
complètement établie et je partage largement l'analyse
développée par le Dr Fabian, représentant des
électriciens allemands, devant l'OPECST, le 4 mars dernier. Il
soulignait que :
" Si jamais on l'utilise et qu'on essaie de faire des calculs sur les
coûts de production d'électricité, on arrive au coût
de production d'électricité de l'industrie du charbon. Je crois
qu'en fait, on se trouve en concurrence parfaite avec le charbon. Maintenant,
la situation est différente selon que vous êtes proches ou loin
des ports, si vous êtes prêts d'un port vous vous situez
pratiquement au même niveau de prix, si vous êtes loin des ports,
le nucléaire est plus intéressant que le charbon.
D'un autre côté, nous sommes en train, pour ce qui est des
coûts de production d'électricité, de les réduire
pour l'EPR et l'on est en train de faire ces calculs de coûts en phase
d'optimisation. Vous trouvez déjà de bonnes bases de
départ permettant de réduire ces coûts
d'électricité. Par rapport au charbon, nous avons une
identité de situation en matière de compétitivité.
Nous sommes compétitifs et nous le sommes plus par rapport à ceux
qui sont loin des ports.
Nous n'avons pas encore atteint la compétitivité par rapport aux
turbines à gaz. J'ai dit qu'un motif pour l'exploitant allemand de
participer à la construction de nouvelles centrales était en fait
que nous ne voulions pas nous fonder exclusivement sur les prix actuels du gaz
et que nous ne voulons pas nous fonder sur un seul secteur, mais nous voulons
essayer de maintenir ce panachage de secteurs
énergétiques ".
I Les incertitudes liées à la politique énergétique
Votre
Rapporteur n'a qu'une seule conviction sur la politique
énergétique : il est important de ne pas avoir de certitudes.
L'industrie nucléaire est une industrie lourde. Il faut sept ans pour
construire une centrale nucléaire, contre environ deux ans pour une
centrale au gaz.
Or, si aujourd'hui la compétitivité du gaz s'est fortement
accrue, le coût total de l'énergie électrique produite
à partir du gaz dépend pour les deux-tiers du coût du
combustible lui-même.
Aussi la fourchette des coûts est-elle, pour cette filière,
beaucoup plus ouverte que pour le nucléaire. Par exemple, les
prévisions de prix retenues par le groupe "coûts de
référence" varient pour le gaz du simple au double (de 2 $
MBTU à 4 $ MBTU).
Il est probable qu'entre 2010 et 2020, le choix sera plus ouvert entre la
filière nucléaire et le gaz qu'il ne l'a été en
1975.
Il est nécessaire, d'ici là, de garder la maîtrise
technologique de la filière nucléaire.
L'Assemblée nationale a constitué une mission d'information sur
l'énergie et votre Rapporteur s'en remet à ses conclusions pour
ce qui est de la définition globale de la politique
énergétique.
Toutefois, quelques conclusions a priori incontestables peuvent
déjà être avancées.
• Le renouvellement massif du parc de centrales nucléaires
ne se produira au plus tôt qu'à partir de 2010 et plus
probablement 2015.
• Différer d'une année le renouvellement d'une
seule centrale nucléaire permet à l'exploitant
d'économiser environ 500 millions de francs.
De ce fait, la tentation est grande, pour EDF, de prolonger la vie de ces
centrales au-delà de 2010 car, l'équipement étant amorti,
l'entreprise bénéficie pleinement d'un effet de
" rente ".
• Sous l'effet des radiations, la structure moléculaire
des métaux se modifie et il arrive un moment où ces derniers
perdent leurs propriétés (cf. supra), ce qui rend hasardeux tout
pronostic sur la durée de vie des centrales nucléaires.
Or, si la compétitivité de l'énergie nucléaire
s'est incontestablement réduite, elle n'a pas pour autant
basculé.
Le prix de revient du courant électrique d'une centrale du palier
N 4, comme Civaux, est évalué par EDF à
22 centimes par Kw/h contre 23 centimes par Kw/h pour les centrales
à charbon et 24 centimes pour celles au gaz.
L'objectif initial du projet EPR était de parvenir à un
coût de l'ordre de 20 centimes par Kw/h (soit - 10 % par
rapport aux meilleures centrales à charbon).
L'amélioration des performances des centrales au charbon et au gaz a
conduit EDF à fixer un objectif, que je juge très ambitieux, de
18 centimes par Kw/h.
La baisse du prix des hydrocarbures actuellement constatée pourrait
contraindre EDF à améliorer encore ce chiffre, mais cela tient de
la gageure.
L'argument économique du coût plus bas de l'énergie
nucléaire n'est plus suffisant pour engager la construction de centrales
nucléaires, si nous prenons en compte la moindre immobilisation de
capitaux des centrales classiques et la rapidité du retour sur
investissement.
Les véritables arguments de poids en faveur de l'énergie
nucléaire reposent aujourd'hui sur la sécurité
d'approvisionnement, l'indépendance énergétique de la
France et la lutte contre l'effet de serre.