TITRE I
UN PROJET TROP RAISONNABLE ?
Le
projet de réacteur nucléaire franco-allemand à eau
pressurisée (EPR) a pour ambition de constituer la
génération qui remplacera les actuels réacteurs
nucléaires lorsqu'ils arriveront au terme de leur vie.
Il constitue un volet particulièrement important de la
coopération franco-allemande (chapitre I), qui supporte la comparaison
avec les projets étrangers équivalents (chapitre II).
Chapitre I
Le projet "EPR" et la coopération
franco-allemande
La
volonté politique de développer les coopérations entre la
France et l'Allemagne a conduit, tout naturellement, les responsables de nos
deux pays à souhaiter la mise en oeuvre d'une collaboration plus
étroite dans le domaine de la construction des centrales
électronucléaires.
Avant d'analyser dans le détail les avancées scientifiques et
technologiques du projet de nouvelle génération de
réacteur nucléaire franco-allemand, il m'a paru utile de vous
livrer une description détaillée de la coopération
franco-allemande dans ses trois aspects : industriel, de recherche et de
sûreté, ainsi, bien entendu, que les grands axes du
projet.
I La coopération des industriels
La pression politique qui s'est développée à partir de 1985, alliée à un marché de la construction des réacteurs nucléaires de plus en plus difficile, a conduit à la création par Framatome et Siemens, en avril 1989, d'une entreprise commune, dénommée " NPI " (Nuclear Power International), ayant pour objet la mise en commun des compétences de ces deux fabricants dans le domaine de la construction des réacteurs nucléaires civils. Cet accord a été conclu dans une perspective d'exportation, chaque industriel restant maître de son marché domestique. Le projet a été baptisé " European Pressurized Water Reactor " (EPR) lorsque les électriciens français et allemands ont décidé de lui apporter leur concours, en 1992.
A) Une coopération rendue nécessaire par les difficultés du marché
Le
ralentissement des programmes nucléaires dans la plupart des
pays
1(
*
)
a exacerbé la
concurrence entre les entreprises sur les rares projets de centrales dans les
pays ouverts aux importations. Il a rendu d'autant plus souhaitable la
consolidation de l'industrie européenne, qui doit faire face aux grands
groupes américains et à leurs alliés nippons.
Par exemple, en Chine, lors de la négociation pour la construction de la
centrale de Daya-Bay, KWU (qui ne sera intégrée dans Siemens
qu'en 1988) était le principal concurrent de Framatome, alors que
Westinghouse se montrait également très actif, bien que les
autorités chinoises manifestent une certaine méfiance à
l'égard des fournisseurs américains, compte tenu du fort lien
existant aux Etats-Unis entre la politique et les autorisations d'exportation
(sur ce dernier point, les données du problème viennent de
changer à l'occasion de la visite officielle du Premier Ministre chinois
aux Etats-Unis).
La négociation des contrats principaux de la centrale de Daya-Bay s'est
achevée le 22 décembre 1985 ; la première
réunion entre Framatome et KWU, au cours de laquelle a été
évoquée une possible coopération à l'exportation, a
eu lieu à la mi-janvier 1986.
Le contre choc pétrolier (janvier 1986) et l'accident de Tchernobyl le
26 avril 1986 ont encore éloigné la perspective d'une
reprise du marché des centrales nucléaires.
En juin 1986, Framatome et KWU ont engagé des négociations en vue
d'établir une coopération pour le développement, la
commercialisation et la fourniture des îlots nucléaires des
réacteurs à eau sous pression des centrales nucléaires de
600 MW de puissance unitaire, niveau de puissance pour lequel ni Framatome
ni Siemens ne disposaient de modèle de référence alors
qu'il semblait qu'un marché puisse exister dans les pays en voie de
développement, point de vue encore défendu récemment par
l'Union Européenne.
En février 1987, Framatome et KWU ont annoncé officiellement
qu'ils étudiaient, à la demande du gouvernement
indonésien, une coopération pour la fourniture de centrales
nucléaires de 600 MWe. Cependant, les équipes de Framatome
et KWU se sont vite rendu compte qu'il était très difficile
d'établir un projet compétitif avec les centrales à
charbon pour des centrales nucléaires d'une puissance unitaire
relativement faible, d'autant que le charbon semble devoir rester durablement
bon marché.
En juin 1987, Framatome et KWU ont conclu un accord de principe pour
l'étude d'une coopération pour le développement, la
commercialisation et la fourniture dans les pays tiers des îlots
nucléaires avec des réacteurs à eau sous pression (REP)
pour des centrales de la classe de 1000 MWe. Les dispositions essentielles
qui seront incluses dans l'accord de coopération du 13 avril 1989
figurent en filigrane dans cet accord de principe.
L'annonce, au cours de l'été 1987, de la fusion entre Asea
(société suédoise) et BBC (société suisse),
toutes les deux importants fournisseurs de centrales, afin de constituer ABB,
confirme la tendance mondiale à la concentration de cette industrie.
Cette fusion sera suivie, à la fin de 1988, par la fusion entre GEC et
Alsthom ainsi qu'à la fin de 1989 par le rachat de Combustion
Engineering (société américaine) par ABB.
Jusqu'au début de 1988, de très nombreuses discussions techniques
ont eu lieu, mais Framatome et KWU ont rencontré une très grande
difficulté pour progresser sans être préalablement
engagés par un accord de coopération définitif, chaque
partie ayant peur de prendre des décisions susceptibles de donner un
avantage à l'autre partie, dans le cas où la coopération
ne serait pas poursuivie. Ce climat de méfiance qui a
présidé à l'élaboration de ce projet est
extrêmement saisissant ; il semblait s'être
atténué mais la conclusion récente d'un accord entre
Siemens et le britannique BNFL vient de le réactiver.