N°
971
N° 484
____ ____
ASSEMBLÉE NATIONALE
SÉNAT
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
Annexe au procès-verbal de la éance du 9 juin 1998
le 9 juin 1998
________________________
OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
________________________
RAPPORT
sur
LE CONTRÔLE DE LA SÛRETÉ ET DE LA SÉCURITÉ
DES INSTALLATIONS NUCLÉAIRES
Première partie :
Le projet de réacteur nucléaire
franco-allemand
par
M. Claude BIRRAUX,
Député
Tome I : Conclusions du rapporteur
__________
__________
Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale
Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Jean-Yves LE DÉAUT, par M. Henri REVOL,
Président de l'Office.
Vice-Président de l'Office.
Énergie et carburants
Entre
imagination et réalisation
il est chez l'homme un espace qui ne peut être franchi que par son
ardeur.
K. GIBRAN
Le Sable et l'Ecume
INTRODUCTION
J'ai,
depuis 1990, eu l'occasion de présenter sept rapports sur la
sûreté nucléaire. Ce travail considérable, qui
représente 13 volumes et 4 237 pages, doit,
me semble-t-il, faire l'objet d'une évaluation.
Ou, plus exactement, les 118 recommandations qu'il contient et qui touchent
pratiquement à tous les aspects de la sûreté des
installations nucléaires.
Plus qu'un bilan, il me paraît utile, à un moment charnière
pour l'industrie nucléaire française, de vous livrer une
synthèse de ce travail qui vous permette également de mesurer
l'action et l'efficacité de l'Office dans un domaine aussi vital que la
sûreté nucléaire.
J'ai beaucoup appris du dialogue qui s'est noué avec les divers
intervenants du secteur qui ont dû expliquer et justifier leur action ou
... leur inaction.
J'ai adressé, pour ce faire, aux principaux intervenants du secteur
nucléaire un questionnaire qui ne faisait que reprendre, sans les
commenter, les propositions formulées. Mais le travail qui vous est
proposé va au-delà de la réalisation d'un tableau
synoptique.
La démarche proposée est plus ambitieuse qu'il n'y paraît.
A partir de l'analyse des recommandations précédemment
formulées, nous voyons apparaître les "points noirs" de la
sûreté nucléaire ainsi que les principaux facteurs
d'immobilisme.
L'ampleur du travail entrepris permet aujourd'hui d'établir ce bilan. Il
me paraît important également que les principaux acteurs du
secteur perçoivent notre volonté d'assurer un suivi
particulièrement attentif des questions de sûreté
nucléaire.
Ces renseignements seront précieux pour les décideurs,
autorités politiques comme exploitants.
Si le contrôle constitue l'une des vocations premières de
l'OPECST, ce dernier se doit également d'éclairer en amont les
décisions des responsables politiques.
Cela est particulièrement vrai pour le Réacteur Européen
à Eau Pressurisé, plus connu sous l'abréviation anglaise
de « EPR ».
Cette question est relativement urgente car d'ici à deux ans devra
intervenir la décision de réaliser un prototype (ou une
tête de série ?). Près d'un milliard de francs a
été dès à présent engagé sur les
études de faisabilité de ce projet ; je ne voudrais pas que
les décideurs politiques se trouvent placés dans une situation
où il leur serait expliqué que, du fait de l'importance des
sommes déjà engagées dans le projet, il serait
irresponsable de ne pas le poursuivre.
Le réacteur européen à eau pressurisé (EPR) est
présenté par ses initiateurs comme le prototype de la prochaine
génération de réacteurs nucléaires. De ce fait, et
quelle que soit l'opinion que nous pouvons avoir sur l'énergie
nucléaire, l'importance de ce projet est évidente.
Le Bureau de l'Assemblée nationale, sur la requête de
M. Laurent Fabius, Président du Groupe socialiste, conscient
de la difficulté de ce dossier, avait saisi l'Office le 27 mars
1997 en « recommandant que, dans un premier temps, cette question
soit examinée dans le cadre du rapport périodique consacré
(...) à la sûreté des installations
nucléaires ».
Cette demande a été réitérée par le Bureau
de l'Assemblée nationale le 24 septembre 1997.
En effet, EDF met en service actuellement, sur ses dernières centrales
nucléaires, des réacteurs de type N4 d'une puissance de
1 450 mégawatts issus de la technologie américaine,
aujourd'hui francisée, qui constituent l'extrapolation des
réacteurs de 900 mégawatts ; l'accroissement de leur
taille s'est accompagné d'une amélioration de leurs performances
et de leur sécurité. L'exploitant souhaite promouvoir, dans la
perspective du renouvellement de son parc, une nouvelle
génération de réacteurs nucléaires.
S'il est difficile de donner une date à laquelle devront être
remplacées les centrales nucléaires construites à partir
de 1977, nous pouvons penser que les échéances se situeront
à partir de 2010. Il est malaisé de donner une date car les
centrales ont été construites sur la base d'une durée de
vie de vingt-cinq ans, mais il semblerait que celle-ci puisse être
portée à quarante ans. En examinant le projet "EPR", j'essayerai,
bien sûr, de répondre à cette question.
Dans la perspective du renouvellement du parc EDF, les constructeurs ont
lancé depuis 1989 les premières études d'un nouveau
réacteur nucléaire. Or, le problème de l'engagement de la
réalisation d'un prototype (ou d'une tête de série ?) va se
poser à terme rapproché, dans la mesure où les
études d'optimisation sont en cours d'achèvement.
Il est important que, dès l'origine du projet, le législateur
puisse formuler ses exigences en matière de sûreté.
Le rapport qui vous est présenté soulève des questions
importantes :
L'objectif de prévention des accidents les plus graves, en particulier
la fusion du coeur (le "syndrome chinois"), au moyen d'un
récupérateur de corium sera-t-il atteint ?
La protection contre la chute d'avion militaire lourd pourra-t-elle être
effective ?
En sens inverse, les options techniques retenues telles que la mise en oeuvre
d'un réacteur comportant 241 assemblages (barres de combustibles),
contre 205 pour le réacteur N4, ou l'allongement des campagnes
(périodes entre lesquelles il est procédé au
renouvellement du combustible), portées à 22 mois, ne
risquent-elles pas de poser des problèmes de sûreté
inédits ?
Il en est de même pour le taux d'irradiation plus élevé
qui, s'il favorise l'allongement du cycle, peut soulever d'autres
problèmes, par exemple celui de la résistance des
matériaux.
Le combustible de ces réacteurs sera-t-il entièrement
composé de MOX ? Si cela était le cas, quelles en seraient
les conséquences sur la politique de gestion du plutonium ?
Faut-il poursuivre la course à la puissance des réacteurs ?
Quelles peuvent en être les conséquences en matière de
sûreté ou d'exportation ?
D'autre part, nous pouvons nous demander si les nouvelles règles de
construction de l'EPR ne vont pas conduire à l'édiction de normes
renforcées pour les nouvelles centrales (par exemple le renforcement de
50 cm de la coque en béton du réacteur pour faire face
à la chute d'un avion militaire lourd).
Enfin, à l'heure où la question de la compétitivité
de l'énergie nucléaire est posée, il est
intéressant d'essayer d'évaluer la compétitivité de
l'EPR en intégrant, en particulier, les perpectives
d'amélioration de la sûreté qu'offrent les nouvelles
technologies.
Si la phase d'étude initiale du projet est revenue à
375 millions de francs, la seconde phase (projet de base) a
coûté 750 millions de francs et la construction d'un
prototype se chiffrera au minimum à une quinzaine de milliards de francs.
Ces perspectives rendent plus nécessaire que jamais l'intervention de
l'Office sur un dossier où les enjeux économiques sont
excessivement importants ; par exemple, le report d'un an du
renouvellement d'une tranche de 900 mégawatts représente,
pour EDF, une économie de 700 millions de francs.
Les réponses aux questions que je viens de poser conditionnent
l'attitude des pouvoirs publics, mais également l'avenir de toute
l'industrie électronucléaire française.
Aussi, par souci pédagogique, j'ai choisi de scinder en deux parties la
présentation de mon rapport : la première
(présentée au mois de mai 1998) est consacrée à
l'analyse du projet EPR, la seconde (qui devrait être publiée au
mois de novembre 1998) réalisera la synthèse des sept rapports
précédents afin d'en dégager un bilan et de tracer des
perspectives.