CHAPITRE VI
L'INDEMNISATION
Article 35
Principe et fondement de
l'indemnisation
Cet article affirme le principe du droit à indemnisation des commissaires-priseurs ; il pose le problème du fondement juridique de cette indemnisation.
*
Sans
revenir dans le détail sur l'argumentation développée par
votre rapporteur lors de l'examen du projet de loi en première lecture,
il importe de rappeler que le Sénat a alors considéré que
les commissaires-priseurs devaient être indemnisés sur le
fondement de l'expropriation.
En effet, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours reconnu la valeur
patrimoniale du droit de présentation de leur successeur qui a
été conféré aux commissaires-priseurs par l'article
91 de la loi du 28 avril 1816 sur les finances. Il s'agit bien là d'un
véritable droit de propriété susceptible de faire l'objet
d'une vente dans le cadre de la cession de l'office par l'exercice du droit de
présentation.
Pour les commissaires-priseurs, la perte du droit de présentation de
leur successeur en matière de ventes volontaires qui résultera de
la suppression du monopole dans ce domaine constitue donc une atteinte au droit
de propriété reconnu aux officiers ministériels sur la
valeur patrimoniale de ce droit de présentation.
Bien entendu, l'Etat est fondé à réorganiser les
conditions d'exercice de la profession de commissaire-priseur pour des raisons
d'intérêt général, mais il doit indemniser de
manière juste ceux dont il affecte le droit de propriété,
conformément au principe de valeur constitutionnelle résultant de
l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
de 1789, aux termes duquel : "
La propriété
étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être
privé si ce n'est lorsque la nécessité publique
légalement constatée l'exige évidemment, et sous la
condition d'une juste et préalable indemnité
".
Suivant la proposition conjointe de vos commissions des Lois et des Finances,
le Sénat a donc tenu à préciser, dans une nouvelle
rédaction de l'article 35, que les commissaires-priseurs seraient
indemnisés en raison de la perte du droit de présentation de leur
successeur en matière de ventes volontaires de meubles aux
enchères publiques, et de la suppression du monopole qui leur
était précédemment conféré dans ce domaine.
*
L'argumentation développée par votre rapporteur
et
retenue par le Sénat a toutefois été réfutée
par le Gouvernement, puis par la commission des Lois de l'Assemblée
nationale.
Mme Elisabeth Guigou, garde des Sceaux, a en effet affirmé devant le
Sénat que le droit de présentation n'était pas un droit de
propriété, dans la mesure où le commissaire-priseur n'en a
pas la libre disposition, sa cession et son aliénation étant
subordonnées à l'agrément du garde des Sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des Sceaux, a néanmoins estimé que
"
l'on ne peut parler, en l'espèce, d'expropriation d'un droit
de propriété garanti par l'article 17 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ",
considérant en revanche que
" le fondement juridique de
l'indemnisation se trouve dans l'atteinte au principe d'égalité
devant les charges publiques, lequel découle de l'article 13 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et a été
constamment réaffirmé par le Conseil constitutionnel
".
Mme Nicole Feidt, rapporteur de la commission des Lois de l'Assemblée
nationale, a repris à son compte ce raisonnement.
Aussi l'Assemblée nationale a-t-elle rétabli, à son
initiative, la rédaction initiale de l'article 35 du projet de loi,
aux termes de laquelle "
les commissaires-priseurs sont
indemnisés en raison du préjudice subi du fait de la
dépréciation de la valeur pécuniaire de leur droit de
présentation résultant de la suppression du monopole
conféré jusqu'à l'entrée en vigueur de la
présente loi à ces officiers ministériels dans le domaine
des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques
".
*
Votre
rapporteur maintient pour sa part l'argumentation qu'il a
développée en première lecture et réaffirme que les
commissaires-priseurs doivent être indemnisés sur le fondement de
l'expropriation, conformément aux principes constitutionnels
résultant de l'article 17 de la Déclaration des droits de
l'homme de 1789.
Il tient en outre à préciser que l'argumentation de Mme le garde
des Sceaux lui paraît inopérante. En effet, comment affirmer que
le droit de propriété est inexistant si sa cession doit
être soumise à un agrément ? L'agrément est une
modalité, voire une condition, mais ne supprime en aucune manière
le droit de propriété. D'ailleurs, dans d'autres domaines que les
droits de présentation, la cession de propriété est
soumise à des agréments ou à des conditions
indépendants du propriétaire vendeur (par exemple, vente d'un lot
d'un lotissement, d'un bien d'un mineur, de certains grands groupes
industriels, d'un monument historique classé, de certains sites
archéologiques, de certains immeubles ruraux...). Le droit de
propriété doit-il être nié dans tous ces cas et dans
bien d'autres ? Ce serait une innovation...
Aussi votre commission vous propose-t-elle d'adopter un
amendement
tendant à rétablir à l'article 35 le texte
adopté par le Sénat en première lecture.
Article 36
Estimation de la valeur de l'office
liée à l'activité de ventes volontaires
Cet
article a pour objet de définir les modalités de calcul qui
seront utilisées pour déterminer la valeur de l'office
(limitée à l'activité de ventes volontaires) en vue de
l'indemnisation des commissaires-priseurs.
Sous réserve du problème de la période de
référence à retenir, le Sénat, puis
l'Assemblée nationale, ont accepté les règles
proposées par le projet de loi pour le calcul de la valeur des offices,
qui s'inspirent des recommandations formulées par un groupe de travail
dit des " trois sages " constitué à la demande de Mme
Elisabeth Guigou, garde des Sceaux et composé de
MM. François Cailleteau, inspecteur général des
finances, Jean Favard, conseiller à la Cour de cassation et Charles
Renard, président de chambre à la Cour des comptes.
Aussi ne rappellera-t-on ici que pour mémoire, la formule de calcul
définie à l'article 36 :
Valeur de l'office
(limitée à l'activité de
ventes volontaires) =
(
recette
nette
9(
*
)
moyenne x
1
)
+ (
solde
moyen
d'exploitation
10(
*
)
x
3
)
x
0,5
(pour la province)
ou 0,6
(pour Paris)
+ valeur nette des
immobilisations corporelles
autres que les immeubles
x (
chiffre d'affaires moyen correspondant aux
ventes volontaires
)
chiffre d'affaires global moyen
Le seul point qui reste en débat concerne la période de
référence retenue pour déterminer les différents
paramètres du calcul.
Le projet de loi initial faisait référence aux années 1992
à 1996.
En première lecture, sur la proposition de votre commission des Lois, le
Sénat a préféré prendre comme
référence les cinq derniers exercices connus à la date de
la promulgation de la présente loi, afin de prendre en compte la
période la plus récente.
Pour sa part, l'Assemblée nationale a souhaité retenir comme
période de référence la période allant "
de
l'exercice 1992 au dernier exercice dont les résultats seraient connus
de l'administration fiscale
", suivant la proposition de sa commission
des Lois qui a ainsi repris à son compte un amendement
présenté par le Gouvernement au cours du débat au
Sénat. Cet élargissement de la période de
référence permettrait d'"
assurer une indemnisation juste
des commissaires-priseurs
", selon Mme Nicole Feidt,
rapporteur, qui n'a donné aucune autre explication.
Or, ainsi que l'avait souligné votre rapporteur au cours du débat
en première lecture, que ce soit dans le domaine industriel ou en
matière commerciale, l'évaluation d'un fonds de commerce par
exemple, n'est jamais faite à partir des huit derniers exercices. Sont
habituellement prises en compte, souvent les trois dernières
années, et plus généralement les cinq dernières
années.
Votre commission vous soumet donc un
amendement
tendant à
rétablir la période de référence retenue par le
Sénat en première lecture, c'est-à-dire les cinq derniers
exercices dont les résultats seront connus de l'administration fiscale
à la date de la promulgation de la présente loi.
Elle vous propose d'adopter l'article 36 ainsi modifié.
Article 37
Fixation du montant de
l'indemnité
Cet article a pour objet de déterminer le montant de l'indemnité due au commissaire-priseur en application de l'article 35.
*
Dans sa
rédaction initiale, l'article 37 fixait le préjudice subi
par le commissaire-priseur du fait de la dépréciation de la
valeur pécuniaire de son droit de présentation à 50 %
de la valeur de son office, limitée à l'activité de ventes
volontaires et calculée conformément à l'article 36,
en prévoyant toutefois la possibilité pour la commission
d'indemnisation de moduler de plus ou moins 15 % l'indemnité
correspondante en fonction de la situation particulière de l'office et
de son titulaire.
L'exposé des motifs du projet de loi considère en effet que
"
l'indemnisation représente 50 % du montant ainsi
calculé (à l'article 36) dans la mesure où la
diminution de la valeur pécuniaire du droit de présentation sera
compensée par le fait que les commissaires-priseurs, qui pourront
continuer à exercer leur activité dans le secteur des ventes
volontaires, auront la faculté, lorsqu'ils se retireront, de
céder les parts qu'ils détiendront dans les
sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères
publiques
".
Or, s'il peut être admis que la possibilité de poursuivre
l'activité de ventes volontaires justifie qu'un abattement soit
appliqué à la valeur de l'office pour le calcul de
l'indemnisation, le commissaire-priseur restant en quelque sorte
propriétaire de son " fonds de commerce ", force est de
constater qu'aucune justification précise n'est apportée par le
Gouvernement à la fixation à 50 % du quantum de cet
abattement, qui présente un caractère arbitraire.
*
Estimant
que cette fixation arbitraire du montant de l'indemnité à la
moitié de la valeur de l'office, sous réserve d'une faible
modulation, ne saurait assurer une juste indemnisation des
commissaires-priseurs conformément aux principes constitutionnels, le
Sénat a jugé nécessaire, lors de l'examen du projet de loi
en première lecture, de prévoir un dispositif permettant à
la commission nationale d'indemnisation d'évaluer au cas par cas le
montant de l'indemnité en fonction du préjudice réellement
subi par le commissaire-priseur.
Suivant la proposition conjointe de vos commissions des Lois et des Finances,
il a donc adopté un amendement précisant que l'évaluation
du préjudice indemnisé en application de l'article 35 serait
faite sur la base de la valeur de l'office déterminée à
l'article 36, en tenant compte des éléments d'actifs
incorporels qui restent la propriété du titulaire de l'office et
qui pourront faire l'objet d'une cession lorsque celui-ci mettra fin à
son activité de ventes volontaires.
Cet amendement proposait donc de déterminer au cas par cas le montant de
l'indemnité en soustrayant de la valeur de l'office calculée
à l'article 36, la valeur des actifs de nature incorporelle,
restant la propriété du commissaire-priseur et donc susceptibles
d'être cédés comme le nom ou la clientèle. La valeur
de ces actifs, correspondant à la valeur commerciale résiduelle
de l'office après la suppression du monopole, ne peut en effet
être évaluée de manière forfaitaire, étant
donnée la diversité des situations concrètes.
L'amendement prévoyait toutefois, dans un second alinéa, la
possibilité pour le titulaire de l'office de demander le
bénéfice d'une indemnisation forfaitaire de 50 % de la
valeur déterminée à l'article 36. Il est en effet
apparu opportun de laisser aux commissaires-priseurs qui le souhaiteraient la
possibilité de demander une indemnité forfaitaire qui pourrait
être versée dans un délai très rapide.
*
Cependant, au cours du débat à l'Assemblée
nationale, le rapporteur de la commission des Lois, de même que le
Gouvernement, ont réfuté le dispositif adopté par le
Sénat qui leur est apparu soulever plusieurs difficultés :
- il ne permettrait pas d'évaluer avec précision le montant de
l'indemnisation ;
- son application serait difficile dans la mesure où l'amendement ne
prévoyait aucun délai de mise en oeuvre ;
- enfin, il pourrait favoriser les professionnels qui auraient fait preuve
d'inertie économique et pourraient justifier de ce fait d'un
préjudice plus important.
Ces arguments sont toutefois contestables car il est à souligner d'une
part, que les délais prévus à l'article 41
11(
*
)
seraient bien entendu applicables et
d'autre part, que l'évaluation du préjudice serait faite au
moment du dépôt de la demande d'indemnisation.
La commission des Lois de l'Assemblée nationale a d'ailleurs
perçu, comme le Sénat, la nécessité d'une meilleure
prise en compte de la situation particulière de chaque office
puisqu'elle a dans un premier temps adopté un amendement
prévoyant une indemnisation calculée certes sur la base de la
moitié de la valeur de l'office, mais avec une possibilité de
modulation de plus ou moins 50 % de cette valeur (au lieu de plus ou moins
15 % comme dans le projet de loi initial).
En séance publique, l'Assemblée nationale a cependant finalement
adopté un amendement du Gouvernement revenant à la
rédaction initiale du projet de loi.
*
Votre
commission considère qu'il est indispensable de permettre à la
commission d'indemnisation d'apprécier au cas par cas le
préjudice réellement subi par le commissaire priseur afin
d'assurer une indemnisation juste.
Elle vous propose donc d'adopter un
amendement
tendant à
rétablir le texte adopté par le Sénat en première
lecture pour l'article 37.
Article 43
Commission nationale d'indemnisation
Cet
article tend à instituer une commission nationale chargée
d'examiner les demandes d'indemnité et de fixer le montant de
l'indemnité accordée à chaque office.
Dans sa rédaction initiale, il renvoyait les modalités de sa
composition et de son fonctionnement à un décret en Conseil
d'Etat, précisant seulement qu'elle serait présidée par un
magistrat de la Cour des comptes.
Il prévoyait par ailleurs que la commission établirait un rapport
sur le déroulement de l'indemnisation et l'équilibre financier du
fonds, et que ses décisions pourraient faire l'objet d'un recours de
plein contentieux devant le Conseil d'Etat.
Votre rapporteur ayant rappelé qu'en matière d'expropriation, la
compétence de la juridiction judiciaire, gardienne de la
propriété privée, était traditionnellement
consacrée, le Sénat, suivant les propositions de votre commission
des Lois, a prévu lors de la première lecture que la commission
serait présidée par un magistrat de l'ordre judiciaire et que le
contentieux de ses décisions relèverait de la compétence
de la Cour d'appel de Paris.
En outre, il a jugé préférable de faire figurer la
composition de la commission dans le texte même de la loi. Il a ainsi
précisé qu'elle comprendrait, outre son président, un
nombre égal de représentants de commissaires-priseurs et de
personnes qualifiées désignées par le garde des Sceaux,
votre rapporteur ayant indiqué en séance publique que le
décret devrait prévoir, lorsqu'il s'agirait de fixer
l'indemnité due à un membre de la commission, le remplacement de
ce dernier qui ne saurait bien entendu être juge et partie.
Enfin, le Sénat a prévu que le rapport établi par la
commission aurait une périodicité annuelle.
L'Assemblée nationale a maintenu cette dernière précision
que Mme Nicole Feidt a jugé "
tout à fait
bienvenue
" dans son rapport, estimant que les rapports annuels
permettraient à la fois d'évaluer la mise en oeuvre de la
réforme et d'apprécier les critères dégagés
par la commission pour procéder à l'indemnisation.
En revanche, considérant que le fondement de l'indemnisation ne
résidait pas dans l'expropriation mais dans la rupture de
l'égalité devant les charges publiques, l'Assemblée
nationale a prévu de confier la présidence de la commission
à un membre du Conseil d'Etat et a rétabli la compétence
du Conseil d'Etat sur le contentieux de ses décisions. Elle a en outre
renvoyé au décret en Conseil d'Etat prévu à
l'article 57 le soin de préciser la composition et le
fonctionnement de la commission d'indemnisation.
Dans la logique de sa position sur le fondement de l'indemnisation, votre
commission vous propose à nouveau de confier la présidence de la
commission d'indemnisation à un magistrat de l'ordre judiciaire et
d'attribuer à la Cour d'appel de Paris la compétence pour
connaître des recours formés contre les décisions de la
commission d'indemnisation. Elle vous propose en outre de revenir à la
composition retenue par le Sénat, en première lecture, pour la
commission d'indemnisation, c'est-à-dire, en nombre égal, des
personnes qualifiées désignées par le garde des Sceaux, et
des représentants des commissaires-priseurs.
Votre commission vous soumet donc deux
amendements
rédigés
en ce sens et vous propose d'adopter l'article 43 ainsi modifié.