LES SOLUTIONS ECARTÉES PAR LE PROJET DE LOI
Pas d'extension de la liberté de la preuve
L'élargissement du régime de la preuve libre a
été écarté :
- le projet de loi ne propose pas d'élargir le champ de
l'article 109 du code de commerce (preuve libre entre commerçants)
aux actes mixtes, c'est-à-dire l'acte mettant en présence deux
parties dont l'une seulement est commerçante ou l'acte qui n'est
commercial que pour l'une des parties ;
- il ne revient pas sur les articles 1345 et 1346 du code civil
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)
qui considèrent la demande en
justice et non le montant unitaire de l'opération pour le calcul du
montant des 5.000 francs ;
- enfin, il ne propose pas le relèvement du seuil de
5.000 francs dans la mesure où celui-ci est fixé par voie
réglementaire.
Il n'a pas paru
souhaitable de restreindre à l'excès le
champ d'application du régime de la preuve légale
. Le Conseil
d'Etat a jugé " radicale " l'option consistant à
instaurer en France un régime de liberté de la preuve ou à
réévaluer très nettement le seuil prévu à
l'article 1341 du code civil.
Au contraire, le régime de preuve légale, en particulier
l'obligation pour les commerçants de respecter les dispositions de
l'article 1341 du code civil relatives
à
la
préconstitution de preuve par écrit, est de nature à
protéger les consommateurs.
Pas de nouvelle exception à la preuve par écrit
L'article 1348 du code civil
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)
prévoit des exceptions à
l'exigence d'un écrit posée par l'article 1341, en cas
d'
impossibilité d'établir un écrit
. Les juges du
fond apprécient souverainement si une partie s'est trouvée dans
l'impossibilité de produire une preuve littérale.
Il existe des
divergences d'appréciation sur la question des
exceptions à la preuve littérale
.
Le Conseil national du crédit et du titre (CNCT), dans un rapport
consacré aux "
Problèmes juridiques liés à
la dématérialisation des moyens de paiement et des
titres
" (mai 1997), s'est prononcé en faveur d'une
modification de l'article 1348 du code civil, afin que l'exigence d'un
écrit reçoive exception lorsque le titre est établi et
conservé sous forme électronique dans des conditions assurant son
intégrité et permettant l'imputabilité à son auteur.
De même, certains proposent de faire du recours à l'informatique
un cas de dispense systématique du premier alinéa de l'article
1348 du code civil, en ajoutant à l'impossibilité
matérielle et morale l'impossibilité technique. Cette solution
présenterait l'inconvénient de faire de l'écrit
informatique un mode de preuve imparfait, en tant qu'exception à
l'article 1341.
Le projet de loi n'a pas retenu la proposition tendant à ranger le
message électronique dans la catégorie du
commencement de
preuve par écrit (article 1347 du code civil
). En effet, il ne
s'agirait que d'un début de preuve qui devrait être
complété par d'autres éléments extrinsèques
à l'acte (par exemple un témoignage) ; de plus, le
commencement de preuve doit émaner de celui contre lequel la demande est
formée. Dans ces conditions, il paraît difficile d'apporter des
éléments de preuve dans un contexte d'échanges
informatiques.
Le projet de loi écarte la solution tendant à intégrer le
document électronique dans les dérogations ouvertes par le
premier alinéa de l'
article 1348
du code civil, relatif aux cas
d'
impossibilité de se procurer un écrit
, en ajoutant
l'impossibilité technique. En effet, il n'est jamais impossible
techniquement d'accompagner un échange électronique par un
contrat écrit. Or, l'esprit de l'article 1348 consiste à
réserver la dérogation à un fait exceptionnel, auquel il
paraît difficile d'assimiler l'état de la technique.
Enfin, le projet de loi n'a pas rangé les documents électroniques
dans le champ des exceptions à l'écrit posées par le
second alinéa de l'article 1348, ce qui reviendrait à les
assimiler à des copies constituant une
reproduction fidèle et
durable
, dans la mesure où la logique de la copie, qui suppose
l'existence d'un original, se prête mal à l'informatique.
Pas de hiérarchisation entre support électronique et support papier
De
nombreux débats ont eu lieu autour de la question de
l'établissement dans la loi d'une hiérarchie des preuves en
cas de contradiction entre un écrit sur support papier et un
écrit électronique
.
Le GIP " Droit et Justice ", avec prudence, a considéré
qu'il était nécessaire de maintenir une hiérarchie entre
l'écrit sur support papier et l'écrit électronique, dans
les cas où l'écrit sur support papier était
authentifié, c'est-à-dire signé des parties.
Il lui a paru utile de prévoir dans la loi qu'
" il ne peut
être prouvé par un écrit électronique outre et
contre un acte rédigé sur des registres ou papiers quelconques et
signé des parties
".
De plus, s'interrogeant sur la force probante de l'écrit
électronique quand celui-ci n'est pas opposé à un
écrit sur support papier, le comité d'experts a
décidé de rappeler le principe selon lequel la preuve contraire
ne peut être admise que sur le fondement de présomptions graves,
précises et concordantes
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*
)
.
Cette rédaction tendrait à reconnaître un poids certain
à la force probante de l'écrit électronique,
qui ne
peut être remise en cause que par des présomptions graves,
précises et concordantes
, l'appréciation des
présomptions étant laissée à l'intime conviction du
juge.
Le code civil québécois va plus loin, en prévoyant que les
inscriptions informatisées peuvent être contredites
par tous
moyens
, c'est-à-dire que l'écrit électronique peut
être contesté par tout mode de preuve, en particulier par
témoin.
Cependant, cette hiérarchisation entre les supports de preuve
littérale n'a pas été retenue par le projet de loi (voir
infra
).