LA CONTRAINTE DU DROIT COMMUNAUTAIRE
De
nombreux actes de l'Union européenne, dont la valeur contraignante est
variable, traitent des documents sous forme électronique et de la
signature électronique.
Votre rapporteur ne les citera pas tous, mais s'intéressera à
trois d'entre eux qui limitent la marge de manoeuvre du législateur
national. Force est de constater que les décisions prises au niveau
communautaire n'ont de " recommandation " et de
" directives " que le nom, et qu'elles déterminent
dans le
détail
le régime juridique applicable aux contrats sous forme
électronique.
La recommandation sur les échanges de données informatisées
La
Commission européenne a publié le 19 octobre 1994 une
recommandation concernant les aspects juridiques de l'échange de
données informatisées
20(
*
)
(EDI), qui tend à
généraliser l'usage de l'" accord type européen pour
l'EDI " dans les relations commerciales entre acteurs économiques
et organisations de l'Union européenne.
En application de l'article 4 de cette recommandation, dans la mesure
où les lois nationales le permettent, les parties s'engagent à
accepter, en cas de litige, que les enregistrements des messages EDI qui ont
été conservés conformément aux dispositions de cet
accord soient admissibles devant les tribunaux et
fassent preuve des faits
qu'ils contiennent, à moins qu'une preuve contraire ne soit
présentée
.
De plus, les parties s'engagent à mettre en oeuvre et à maintenir
des procédures et des mesures de sécurité afin d'assurer
la protection des messages EDI contre les risques d'accès non
autorisés, de modification, de retard, de destruction ou de perte. Les
procédures et les mesures de sécurité comprennent la
vérification de l'
origine
et
de
l'
intégrité
, la
non-répudiation
de l'origine
et de la réception des messages EDI et leur
confidentialité
.
Cet accord type européen sur les EDI préfigure les deux objets
du projet de loi soumis à votre examen
: rendre compatible le
droit de la preuve avec les nouvelles modalités d'établissement
et de transmission des données, sécuriser ces échanges par
des moyens technologiques adaptés. S'il n'est pas contraignant, il n'en
va pas de même des deux propositions de directive communautaire qui l'ont
suivi.
La directive sur le commerce électronique
La proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certains aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur 21( * ) n'est pas encore définitive mais a fait l'objet d'un accord politique en Conseil de l'Union européenne, en formation " marché intérieur ", le 7 décembre 1999.
La conclusion de contrats électroniques doit être facilitée
La
directive proposée dispose dans son article 9, consacré au
traitement des contrats par voie électronique, que "
les Etats
membres veillent à ce que leur système juridique rende possibles
les contrats par voie électronique
".
Aux termes de la directive proposée, "
les Etats membres
s'assurent notamment que le régime juridique applicable au processus
contractuel ne fasse pas obstacle à l'utilisation des contrats
électroniques ou
ne conduise pas à priver d'effet et de
validité juridique de tels contrats pour le motif qu'ils sont
passés par voie électronique
".
Cependant, les Etats membres peuvent prévoir que les dispositions
ci-dessus mentionnées ne s'appliquent pas aux contrats suivants :
- les contrats qui créent ou transfèrent des droits sur les
biens immobiliers, à l'exception des droits de location ;
- les contrats pour lesquels la loi requiert l'intervention de tribunaux,
d'autorités publiques ou de professions exerçant une
autorité publique ;
- les contrats de caution et de garantie fournis par des personnes
agissant à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de leur
activité professionnelle ou commerciale ;
- les contrats relevant du droit de la famille ou du droit des
successions.
La directive proposée s'applique à la validité des contrats électroniques
Cette
directive, qui doit être transposée en droit national dans le
délai de dix-huit mois suivant son entrée en vigueur, restreint
considérablement les possibilités offertes au législateur
national.
En effet, elle ne se contente pas de prescrire aux Etats membres de
reconnaître les contrats électroniques selon les modalités
qu'ils jugeront utiles d'adopter, conformément à l'objet d'une
" directive ", censée n'imposer de contraintes qu'en termes
d'
objectifs
.
Au contraire, elle impose aux Quinze de garantir aux contrats
électroniques "
effet et validité juridique
".
Cette disposition est précisée dans la directive
spécialement consacrée aux signatures électroniques.
La directive sur les signatures électroniques
La
directive 1999/93/CE du Parlement européen et du Conseil du
13 décembre 1999 sur un cadre communautaire pour les signatures
électroniques a été publiée au Journal Officiel des
Communautés européennes le 19 janvier 1999.
L'
objectif
de cette directive est de faciliter l'utilisation des
signatures électroniques et de contribuer à leur reconnaissance
juridique. Comme la directive sur le commerce électronique, elle
s'attache avant tout à garantir le bon fonctionnement du marché
intérieur.
Elle ne couvre pas les aspects liés à la conclusion et à
la validité des contrats ou d'autres obligations légales lorsque
des exigences d'ordre formel sont prescrites par la législation
nationale ou communautaire (article 1
er
).
La notion de " signature électronique avancée "
La
directive définit les nombreuses notions nouvelles introduites dans le
droit applicable (article 2).
La signature électronique est définie comme "
une
donnée sous forme électronique, qui est jointe ou liée
logiquement à d'autres données électroniques et qui sert
de méthode d'authentification
".
La directive introduit la notion de "
signature électronique
avancée
" qui est celle que transpose le projet de loi soumis
à votre examen. La signature électronique est
avancée
lorsqu'elle satisfait aux exigences suivantes :
- être liée uniquement au signataire ;
- permettre d'identifier le signataire ;
- être créée par des moyens que le signataire puisse
garder sous son contrôle exclusif ;
- et être liée aux données auxquelles elle se
rapporte, de telle sorte que
toute modification ultérieure des
données soit détectable
22(
*
)
.
Stricte égalité entre signature manuscrite et signature électronique avancée
L'article 5 de la directive est consacrée aux
effets
juridiques
des signatures électroniques : les Etats membres
veillent à ce que les signatures électroniques avancées
fondées sur un " certificat qualifié " et
créées par un dispositif sécurisé de
création de signature :
-
répondent aux exigences légales
d'une signature
à l'égard de données électroniques
de la
même manière qu'une signature manuscrite
répond
à ces exigences à l'égard de données manuscrites ou
imprimées sur papier ; c'est le principe de
non-discrimination
;
- et
soient recevables comme preuves en justice
23(
*
)
.
De nombreuses dispositions de la directive s'appliquent aux prestataires de
service de certification. Leur transposition relèvera du pouvoir
réglementaire.
Cette directive doit être transposée en droit national dans le
délai de
dix-huit mois
suivant son entrée en vigueur.
Force est de constater l'avance prise par la France en la matière,
puisque le présent projet de loi a été adopté en
Conseil des ministres le 1
er
septembre 1999 alors que la directive
qu'il transpose n'a été adoptée que le 13 décembre
1999.
En vertu de cette directive, la signature électronique répondant
à certaines exigences techniques sera automatiquement
réputée de même valeur qu'une signature manuscrite et aura
force de preuve dans les procédures judiciaires.
Votre commission des Lois ne peut que constater la solution ainsi
imposée au législateur national. Toute proposition tendant
à nuancer la valeur juridique d'un document électronique pourrait
se voir opposer le non-respect du droit communautaire.
Pourtant, la stricte égalité entre signature manuscrite et
signature électronique avancée ne va pas de soi (voir
infra
). De nombreuses autres solutions auraient pu être
apportées, dans la mesure où le droit français de la
preuve en matière civile offre des nuances souvent protectrices, dans le
domaine contractuel où la réduction de l'inégalité
entre les parties doit être un objectif constant du législateur.
*
Au contraire, le projet de loi s'inscrit pleinement dans la logique de la directive communautaire qu'il est chargé de transposer.