LE DROIT EN VIGUEUR N'EST PAS ADAPTÉ AUX ÉCHANGES ÉLECTRONIQUES
L'intervention du législateur est d'autant plus nécessaire que le droit actuellement applicable est source d'incertitudes sur la valeur probante des documents électroniques.
Les questions à résoudre
Les incertitudes sur le statut juridique des messages électroniques
Comme le
souligne le Conseil d'Etat
12(
*
)
,
"
le fait qu'un message électronique puisse, en l'état
actuel des textes, être assimilable à l'un des
écrits
visés à l'article 1341 du code
civil
13(
*
)
demeure
très contesté
".
De multiples interrogations sur le
statut juridique des messages
électroniques
freinent l'essor des échanges en ligne :
- lorsque la loi exige un écrit, les messages électroniques
satisfont-ils à cette obligation ?
- ces messages sont-ils dotés d'une valeur probante ?
- une signature électronique peut-elle conférer à un
message électronique une valeur juridique ?
La signature d'un acte juridique n'est pas définie dans le code civil
Alors
que de nombreux actes juridiques comportent comme condition de leur
validité la signature de la partie à laquelle l'acte est
opposé, le code civil ne définit pas la signature. Cependant, il
existe un consensus sur les fonctions de la signature. Ainsi, la
signature
apposée sur un document est susceptible d'emporter
trois types d'effets
:
- l'expression par l'auteur de l'acte de son consentement ;
- l'établissement de la preuve de cet acte juridique en cas de
contestation (valeur juridique
ad probationem
)
14(
*
)
;
- le respect, le cas échéant, d'un formalisme conditionnant
la validité de l'acte (valeur juridique
ad validitatem
)
15(
*
)
.
Le droit en vigueur envisage les documents électroniques sur un mode mineur
Jusqu'à présent, l'écrit électronique ne constitue qu'un élément de preuve, un indice, une présomption. Il n'est admis en mode de preuve que dans des conditions strictement définies.
En règle générale, l'écrit électronique n'est pas admis en mode de preuve
Il est
à l'heure actuelle impossible de recourir aux messages
électroniques s'agissant des actes pour lesquels, en application de
l'
article 1341
du code civil
16(
*
)
, la preuve par écrit est
exigée, ou pour lesquels la loi impose des conditions de
recevabilité et de force probante :
- engagements supérieurs à 5.000 francs ;
- actes sous seing privé ;
- actes authentiques ;
- actes devant être établis en double exemplaire (actes
synallagmatiques, article 1325 du code civil) ;
- actes devant contenir des mentions spécifiques (article 1326).
Les cas où l'écrit électronique constitue une preuve recevable
La force
probatoire de l'acte est subordonnée à sa forme et à son
support. L'acte juridique exprimé par
un message électronique
constitue une preuve recevable lorsque la loi n'exige aucun formalisme
particulier
.
Il s'agit notamment des
relations commerciales
. L'article 109 du code de
commerce
17(
*
)
dispose qu'à
l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver
par tous moyens, à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la
loi. Il s'agit d'un régime de
liberté de la preuve
,
c'est-à-dire que tous les modes de preuve sont admissibles en
matière commerciale, y compris la preuve par présomption et la
preuve par témoin. Par exemple, le juge peut retenir à titre de
présomption simple la composition d'un code confidentiel d'un
système informatique fonctionnant régulièrement.
En matière civile, des textes législatifs ou
réglementaires ont créé des
dérogations
à l'assimilation de la preuve par écrit au support papier.
Sont ainsi recevables comme mode de preuve les documents
électroniques
:
- lorsqu'ils constatent un engagement inférieur à
5.000 francs (article 1341 du code civil et décret du
15 juin 1980) ;
- lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit
(article 1347 du code civil) ;
- lorsqu'existent des circonstances exceptionnelles, une
impossibilité matérielle ou morale interdisant de
préconstituer une preuve ou de rappeler un original
(1
er
alinéa de l'article 1348 du code civil) ;
- en matière de comptabilité
18(
*
)
et de facture (loi du
11 février 1994 autorisant la dématérialisation
de la facture) ;
Dans les cas énumérés ci-dessus, les messages
électroniques sont admissibles comme preuve car ils sont
considérés comme ayant la même valeur que les documents
papiers originaux.
Le document électronique est un " commencement de preuve par écrit "
L'acte sur support électronique ne vaut que comme
commencement de preuve par écrit, laissé à
l'appréciation du juge.
Le juge détermine la valeur du document électronique en se
fondant sur la notion de " commencement de preuve par écrit "
définie à l'article 1347 du code civil
19(
*
)
comme "
tout acte par
écrit qui est émané de celui contre lequel la demande est
formée, ou de celui qu'il représente, et
qui rend
vraisemblable le fait allégué
".
Les réponses jurisprudentielles sont partielles
La
jurisprudence est rare en matière d'écrits électroniques.
Cependant, un arrêt très remarqué de la
chambre
commerciale de la Cour de cassation
, rendu le
2 décembre
1997
, Société Descamps contre Banque Scalbert Dupont, a
affirmé qu'"
un acte peut être établi et
conservé sur tout support, dès lors que son
intégrité
et l'
imputabilité
de son contenu
à l'auteur désigné ont été
vérifiées, ou ne sont pas contestées
".
Cette jurisprudence reconnaît ainsi la force probante d'un acte quel que
soit son support. Mais il ne s'agit pas d'une règle
générale. Comme dans tous les contentieux de la preuve, les
circonstances de l'espèce sont déterminantes. Or, cet arrêt
a été rendu à propos d'une télécopie, dont
le contenu n'était pas contesté, et portant sur une cession de
créance professionnelle. Ces trois circonstances soulignent que cet
arrêt de la Cour de cassation ne peut en aucun cas être
interprété comme admettant l'écrit électronique en
mode de preuve.
*
Les insuffisances du droit existant et l'absence de réponse globale par la jurisprudence rendent nécessaire une intervention du législateur. Celui-ci est de plus contraint par les prescriptions du droit communautaire.