C. LA MODULATION DES AIDES : UNE BONNE IDÉE MAL APPLIQUÉE

1. Le principe est intéressant

Le 28 juillet 1999, le ministre a présenté un projet de nouveau mode de répartition des aides à l'agriculture qui " met l'accent sur la solidarité (et) la justice sociale ".

En effet, l'accord de Berlin du 26 mars 1999 autorise les Etats de l'Union européenne à effectuer un prélèvement sur les aides directes perçues par les agriculteurs, dans la limite de 20 % de leur montant total, et à l'utiliser pour augmenter les crédits destinés au développement rural. Le règlement européen prévoit l'utilisation de trois critères de modulation : le montant total des aides directes, la marge brute standard et l'emploi.

La France est le premier pays de l'Union européenne à tester ce nouveau dispositif.

2. L'application est hasardeuse

Le ministre a donc décidé de dégager ainsi environ 1 milliard de francs pour financer les futurs CTE.

La répartition des aides sera modulée selon deux critères. Le critère de la marge brute standard ayant été jugé trop complexe, ont donc été retenus les deux critères suivants :

le montant total des aides actuelles : seuls les agriculteurs recevant plus de 250.000 francs d'aides directes par an verront le montant de celles-ci diminuer (ce qui correspond à des exploitations d'au moins 100 hectares de céréales, protéagineux et oléagineux). Un barème progressif fixe le taux de modulation avec un maximum de 20 % pour les exploitations bénéficiant de plus de 700.000 francs d'aides annuelles.

• l'emploi : pour les groupements, le montant des aides sera divisé par le nombre d'associés actifs (principe de la transparence des sociétés). Des réductions forfaitaires sur le montant du prélèvement sont aussi prévues : 15.000 francs par emploi salarié à temps plein et 5/12 e des charges sociales (plafonné à 15.000 francs) pour la main d'oeuvre familiale.

Sur les 680.000 exploitations françaises, 30.000 seraient concernées, soit 4 %. Le prélèvement ne devrait pas représenter en moyenne plus de 3 % du total des aides accordées aux exploitations françaises. Dans 80 % des cas le prélèvement sera inférieur à 6 % et seuls 1.400 exploitants auront un prélèvement de 20 %.

Mais à bien des aspects la modulation des aides telle que prévue pour 2000 entraînera des inéquités et des effets pervers :

• ce sont les zones intermédiaires, là où les rendements sont faibles ou moyens, qui seront les plus touchées (Lorraine, Bourgogne, une partie du Centre, Poitou-Charentes) ;

• certaines productions seront très sensibles à la modulation en raison de leur montant d'aides à l'hectare très élevé (fécule de pomme de terre et tabac par exemple ; pour cette dernière production, la modulation risque de mettre en cause la survie des tabaculteurs puisque la moitié du revenu tabacole pourrait être amputée) ;

• les " scopeurs " (exploitants de surfaces en céréales, oléagineux et protéagineux) seront également fortement mis à contribution (leur bénéfice après modulation pourrait diminuer de 77 % dans certains cas).

Les critères retenus ne reflètent absolument pas le niveau de revenus de l'exploitation : ce mécanisme s'apparente à un impôt sur le chiffre d'affaires. Il faudrait prendre en compte la prospérité globale de l'exploitation pour renforcer l'équité du dispositif. Le dispositif proposé n'est donc pas acceptable en l'état.

Votre rapporteur spécial s'inquiète que, comme dans le cadre de la politique des 35 heures, il faille trouver " coûte que coûte " des ressources nouvelles dans des échéances brèves et qu'ainsi les dispositifs de financement proposés à la représentation nationale ne soient pas satisfaisants.

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