III. L'AVENIR DE LA FISCALITE LOCALE
A. L'EXCEPTION FRANÇAISE EST MAL EN POINT
1. La fiscalité directe locale, une particularité française qui pourrait être un atout ...
Les
collectivités locales françaises sont une exception au sein de
l'Union européenne en ce que la moitié de leurs recettes
proviennent d'une fiscalité directe
19(
*
)
dont elles votent les taux depuis
1980.
Cette spécificité pourrait constituer un atout. En effet, les
élus locaux sont mieux à même de mener des politiques de
développement dynamiques lorsque leurs ressources dépendent du
niveau des rentrées fiscales plutôt que des dotations de l'Etat.
De plus, comme le souligne le rapporteur pour avis des crédits des
collectivités locales au nom de la commission des lois de
l'Assemblée nationale, "
le pouvoir fiscal local donne à
la collectivité une plus grande capacité d'endettement et donc de
programmation de ses dépenses d'investissement
"
20(
*
)
.
D'ailleurs, lors de leur audition par la mission sénatoriale
d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation,
les représentants du cabinet Arthur Andersen ont déclaré
que plusieurs Etats de l'Union européenne, notamment l'Italie,
procédaient actuellement à des transferts d'impôts au
profit des collectivités locales.
2. ... mais qui souffre d'un démantèlement de plus en plus prononcé
L'état actuel des impôts directs perçus
par les
collectivités locales françaises conduit à s'interroger
sur l'existence véritable d'une fiscalité locale :
-
les taux votés par les collectivités s'appliquent à
des bases de plus en plus réduites
. Ce phénomène est
particulièrement marqué s'agissant de la taxe professionnelle,
dont les bases ont été abattues de 16 % en 1987 et seront
réduites de 35 % lorsque la fraction de son assiette assise sur les
salaires aura totalement disparu. Dans le même ordre d'idée, le
pouvoir fiscal de certaines collectivités est réduit lorsque
l'Etat décide de supprimer la faculté pour des
collectivités de percevoir certains impôts. Ainsi, la loi de
finances pour 1993 a supprimé la part régionale et la part
départementale de la taxe foncière sur les
propriétés non bâties.
Il convient de souligner que les allégements de fiscalité locale
ainsi réalisés se traduisent par des pertes de recettes pour les
collectivités locales car les compensations versées en
contrepartie par l'Etat ne prennent généralement pas la forme de
dégrèvements, et leur montant évolue moins vite que les
anciennes bases
21(
*
)
.
-
les impôts locaux sont de moins en moins acquittés par leurs
contribuables théoriques, et de plus en plus par le contribuable
national
. L'inadaptation de l'assiette des impôts directs locaux,
obsolètes car assises sur des stocks non actualisés et non sur
des flux, a conduit les gouvernements successifs à multiplier les
dégrèvements et les exonérations. Le projet de loi de
finances pour 2000 prolonge ce phénomène en abaissant de
1.500 francs à 1.200 francs le montant maximum de taxe
d'habitation supporté par les redevables à faibles revenus.
Dans le projet de loi de finances pour 2000, la dépense fiscale
consacrée aux impôts directs locaux s'élève à
97 milliards de francs, contre 78 milliards de francs en 1998, soit
plus du quart du produit total de la fiscalité directe locale. Pour
avoir une idée de l'importance du coût pour l'Etat de cette prise
en charge, il est utile de comparer ces 97 milliards de francs au montant
total de la DGF, qui est de l'ordre de 111 milliards de francs.
Cette progression s'explique par la réforme de la taxe professionnelle
et, compte tenu de la montée en charge progressive du coût de
cette réforme, il est probable que les sommes consacrées par
l'Etat à la prise en charge des impôts locaux seront, dans les
années à venir, d'un montant équivalent à celui de
la dotation globale de fonctionnement (DGF). Au terme de la réforme de
la taxe professionnelle, seulement 40 % de cet impôt sera
acquitté par les entreprises, les 60 % restant étant
à la charge du contribuable national.
Prise en charge par l'Etat de la fiscalité locale en 1999 et en 2000
(en millions de francs)
-
l'évolution du produit des impôts directs locaux est
déconnectée de l'évolution des taux
. La liberté
des collectivités locales en matière de vote des taux des
impôts directs locaux a toujours été relative puisque
l'article 1636 B
septies
du code général des impôts
prévoit que les taux d'une collectivité ne peuvent pas
s'écarter de plus de 2 % ou 2,5 %, selon l'impôt
concerné, du taux moyen national. De plus, l'article 1636 B
sexies
du code général des impôts détermine
les règles de lien entre l'évolution des différents
impôts au sein d'une même collectivité.
Aujourd'hui, du fait de la multiplication des allégements de taxe
professionnelle qui ne sont pas compensés par des
dégrèvements
22(
*
)
et des modifications
apportées à l'assiette de la taxe professionnelle, le
système fiscal local perd de son sens puisque la prise en charge d'une
fraction croissante du produit de cet impôt par le budget de l'Etat et
les modifications apportées à l'assiette de l'impôt local
ne permettent plus au taux de déterminer le produit de l'impôt.
En 1999, l'augmentation du produit des impôts locaux due à
l'évolution des taux est de 0,7 %. Si l'on y ajoute le montant des
compensations versées par l'Etat
23(
*
)
, l'augmentation totale du produit
de la fiscalité locale s'élève à 4,2 %.
B. LES COLLECTIVITÉS LOCALES DOIVENT BÉNÉFICIER DE RESSOURCES FISCALES, MAIS RÉNOVÉES
1. La transformation des impôts locaux en dotations de l'Etat n'est pas une solution
Depuis
deux ans, le gouvernement a engagé une réforme de la
fiscalité locale qui consiste à supprimer progressivement
certains impôts, et à les remplacer par des dotations
versées aux collectivités locales.
Cette solution présente de nombreux inconvénients. Elle aboutit
tout d'abord à soumettre l'évolution des ressources anciennement
fiscales aux règles de calcul complexes et restrictives qui
régissent les dotations de l'Etat. Elle conduit ensuite à une
perte de recettes autant pour l'Etat, qui assume la charge des compensations,
que pour les collectivités locales, qui ne sont pas compensées
intégralement, alors que les allégements consentis aux
contribuables passent pratiquement inaperçus. Par exemple, la baisse des
droits de mutation n'est pas à l'origine de la reprise du marché
de l'immobilier. De même, la suppression intégrale de la part
" salaires " des petites entreprises en 1999 n'a pas conduit à
une augmentation des créations d'emplois.
Enfin, les modalités de la transformation des impôts locaux en
dotations de l'Etat ne semblent pas conformes à l'esprit de la
décentralisation. En effet, la logique qui préside à cette
évolution est celle d'un contrôle total par l'Etat des ressources
locales, supposé lui permettre de peser, par ricochet, sur les
dépenses de celles-ci, de manière à éviter un
dérapage des dépenses des administrations publiques locales.
Cette logique est erronée dans ses fondements, car la
décentralisation suppose que l'Etat fasse confiance aux
collectivités locales. Elle est également démentie par la
réalité, puisque les collectivités locales se
révèlent dans l'ensemble meilleures gestionnaires que l'Etat, qui
serait bien en peine de respecter l'équilibre budgétaire que la
loi impose aux collectivités locales.
2. Les ressources fiscales sensibilisent les collectivités locales à l'intérêt d'une politique de croissance
Lorsque
leurs ressources dépendent de l'évolution du produit de la
fiscalité, les collectivités locales et l'Etat partagent un
objectif commun, celui de la croissance économique, qui conduit à
l'amélioration des recettes.
A l'inverse, des ressources qui dépendraient surtout de dotations de
l'Etat contribuerait à aviver les conflits d'intérêt entre
l'Etat et les collectivités locales qui deviendraient alors un groupe de
pression supplémentaire, ajoutant leurs demandes aux autres
revendications catégorielles. En période de basse conjoncture,
lorsque les ressources de l'Etat se raréfient, un tel cas de figure
deviendrait difficilement gérable.
Lorsque les ressources des collectivités locales dépendent de la
croissance, les gestionnaires locaux sont directement en prise avec celle-ci,
sont responsabilisés et s'efforcent d'ajuster leurs dépenses aux
fluctuations de leurs rentrées fiscales.
3. Les collectivités locales doivent bénéficier du produit d'impôts modernes
Les
collectivités locales sont confrontées à une triple
difficulté. D'une part, il n'est pas souhaitable qu'une plus grande
partie de leurs recettes subissent les contraintes de la gestion des concours
de l'Etat. D'autre part, le maintien de ressources fiscales est
nécessaire. Pourtant, la fiscalité dont elles disposent
aujourd'hui est moribonde, et son démantèlement
s'accélère.
La solution réside en une transformation des impôts qui leur sont
affectés. Cette évolution est d'autant plus nécessaire que
la référence aux " quatre vieilles " est de plus en
plus inadaptée, puisque celles-ci ne constituent plus l'essentiel des
ressources fiscales des collectivités locales. Par exemple,
l'augmentation rapide du produit et des taux de la taxe d'enlèvement des
ordures ménagères est largement passée sous silence.
Aujourd'hui, le produit de cette taxe est trois fois supérieur à
celui de la taxe foncière sur les propriétés non
bâties.
Partant du constat de l'impossibilité de rénover les impôts
directs locaux, le moment est venu pour les collectivités locales de
rompre avec des impôts obsolètes, assis sur des stocks
revalorisés de manière forfaitaire en fonction d'indices
déconnectés de la réalité, et de
bénéficier du produit d'impôts dynamiques, assis sur des
flux.
Aujourd'hui, les principaux impôts de ce type, l'impôt sur les
sociétés, l'impôt sur le revenu ou encore la TVA, sont
perçus par l'Etat. Le transfert aux collectivités locales de leur
produit, et a fortiori du vote de leur taux, n'est pas envisageable.
En revanche, il ne serait pas absurde d'étudier un partage de leur
produit entre l'Etat et les collectivités locales, en s'inspirant des
systèmes en vigueur dans d'autres pays européens, les Pays-Bas ou
l'Allemagne par exemple. Cette solution, combinée au maintien de taxes
foncières rénovées, conduirait à revenir
partiellement sur le principe du vote des taux, conquis en 1980.
Toutefois, le délabrement de la fiscalité directe locale est tel
que le débat sur le vote des taux est à bien des égards
dépassé, et l'alternative réside aujourd'hui entre, d'une
part, le partage du produit de certains impôts et, d'autre part, la
transformation progressive mais totale des impôts locaux en dotations de
l'Etat.