B. L'ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL DE LA ZONE EURO, UN RÉÉQUILIBRAGE PROBLÉMATIQUE
1. Un scénario d'environnement international favorable
Les
budgets économiques sont construits sur l'hypothèse d'une
accélération de la demande mondiale adressée à la
zone euro. Celle-ci passerait de 2,3 % en 1999 à 5,7 % l'an
prochain.
Cette accélération proviendrait elle-même d'une
augmentation du rythme de croissance dans le monde.
Croissance mondiale (1) du PIB par zone
|
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
Monde (2) |
4,4 |
4,2 |
2,2 |
2,8 |
2,9 |
dont : |
|
|
|
|
|
Etats-Unis |
3,4 |
3,9 |
3,9 |
3,8 |
2,1 |
Canada |
1,2 |
3,8 |
3,0 |
2,9 |
2,8 |
Japon |
5,2 |
1,4 |
- 2,9 |
1,0 |
0,1 |
Royaume-Uni |
2,6 |
3,5 |
2,2 |
1,3 |
2,4 |
dont : Pays émergents |
|
|
|
|
|
Europe centrale |
4,9 |
4,8 |
3,1 |
2,0 |
3,1 |
Principaux pays d'Asie (hors Japon) |
8,3 |
6,9 |
2,9 |
5,2 |
5,5 |
Chine |
9,7 |
8,8 |
7,8 |
7,0 |
6,4 |
Inde |
7,0 |
5,2 |
5,8 |
6,0 |
5,4 |
Pays d'Asie en crise |
6,9 |
4,9 |
- 6,1 |
2,0 |
4,2 |
Principaux pays d'Amérique latine |
3,7 |
5,8 |
2,3 |
- 1,3 |
2,2 |
(1)
Hors zone euro
(2) Y compris la zone euro
Source : Rapport économique, social et financier. Projet de loi de
finances pour 2000
Les évolutions de la croissance mondiale peuvent être mises en
rapport avec la structure des exportations françaises
récapitulée dans le tableau ci-après :
Structure géographique des exportations françaises en 1998 et état des soldes commerciaux
(en % et milliards de francs courants)
Régions |
Exportations |
Solde |
Monde |
100,0 |
73,0 |
Union européenne |
63,8 |
66,3 |
Zone Euro |
50,5 |
13,0 |
Allemagne |
16,1 |
- 7,9 |
Italie |
9,2 |
- 6,2 |
UEBL |
7,9 |
7,4 |
Espagne |
8,8 |
34,8 |
Grande Bretagne (1) |
10,1 |
37,5 |
Principaux pays industrialisés hors U.E. (2) |
14,8 |
- 22,1 |
dont |
|
|
Etats-Unis |
7,5 |
- 15,6 |
Japon |
1,6 |
- 28,9 |
Suisse |
3,4 |
19,2 |
Pays du Proche et Moyen-Orient (3) |
2,3 |
12,1 |
Pays en transition |
3,5 |
10,5 |
CEI |
0,9 |
- 3,4 |
Europe Centrale et Orientale (4) |
2,6 |
13,9 |
Afrique |
5,8 |
33,7 |
Asie émergente (5) |
5,3 |
- 19,1 |
dont |
|
|
Chine |
1,1 |
- 23,3 |
ASEAN |
1,8 |
- 8,0 |
Corée du Sud |
0,6 |
- 0,6 |
Hong-Kong |
1,0 |
13,6 |
Amérique latine |
2,6 |
16,0 |
dont |
|
|
Mexique |
0,4 |
4,1 |
Brésil |
0,7 |
0,4 |
Argentine |
0,5 |
6,2 |
Source : Douanes
(1) Pays en réalité hors zone euro
(2) Etats-Unis, Canada, Japon, Australie, Suisse, Norvège
(3) Arabie Saoudite, Iran, Irak, Koweït, Bahrein, Qatar, EAU, Oman, Yemen,
Liban, Syrie, Israël, Jordanie
(4) Pologne, Hongrie, République Tchèque, République
slovaque, Bulgarie, Roumanie, Albanie, Estonie, Lettonie, Lituanie
(5) Chine, Corée du Sud, Taïwan, Hong-Kong, Bruneï, ASEAN
(Thaïlande, Indonésie, Malaisie, Singapour, Philippines)
Les données relatives aux échanges commerciaux rappelées
plus haut ne rendent pas seules compte de la sensibilité de
l'économie française aux évolutions économiques
mondiales. Il faut en effet y ajouter la dimension financière et
monétaire, toujours susceptible d'être significativement
altérée par les modifications de l'équilibre international.
Le scénario du gouvernement repose sur un rééquilibrage
harmonieux de la croissance dans le reste du monde.
La croissance économique resterait soutenue aux Etats-Unis, mais son
rythme décélérerait. La reprise observée au Japon
en 1999 ne se prolongerait pas l'an prochain mais l'économie japonaise
ne connaîtrait pas à proprement parler de récession.
L'activité s'amplifierait au Royaume-Uni. Enfin, dans le reste du monde
en développement ou émergent, la sortie de crise se poursuivrait
avec un retour à une croissance soutenue.
Cet ensemble d'hypothèses dessine une conjonction favorable à la
stabilité monétaire et financière mondiale qui,
d'ailleurs, conditionne à son tour chacune d'elles.
Le ralentissement de la croissance aux Etats-Unis éloigne les risques de
turbulences. Le desserrement des tensions inflationnistes qu'il permet
d'envisager, le moindre recours à l'endettement, réduiraient la
pression sur les taux d'intérêt et les risques de variations
importantes de la parité du dollar. Cette dernière perspective
doit d'ailleurs être appréciée en tenant compte de
l'essoufflement de la reprise au Japon qui libérerait de
l'épargne, et accrédite le scénario de stabilité
monétaire internationale. Celui-ci à son tour renforce
l'hypothèse du maintien de la reprise dans les pays émergents.
L'épargne mondiale reviendrait vers ces économies, nulle chute du
dollar ne viendrait menacer leur compétitivité extérieure
regagnée à force de dépréciation de leur monnaie et
la demande intérieure qui, au coeur de la crise, avait
considérablement chuté, se nourrirait d'anticipations redevenues
favorables.
Ce panorama international recèle toutes les qualités
indispensables à une reprise solide en Europe. La stabilité des
conditions monétaires -ni appréciation, ni
dépréciation significative du dollar et du yen- favorise la
reprise en Europe qui, de son côté, ne provoque pas de
pénurie d'épargne. Le redressement du solde extérieur
américain, l'amélioration du solde des échanges entre
l'Europe et les pays émergents et le maintien d'une forte
capacité de financement au Japon permettent à la reprise
européenne de n'être pas déstabilisante.
2. Ce scénario est soumis à de nombreuses incertitudes
Sans
prétendre que ce scénario soit irréaliste, il faut
à tout le moins souligner les aléas qui l'entourent. Ceux-ci
portent sur chacune des hypothèses de croissance posées pour les
différents grands pôles de l'économie mondiale. Ils portent
aussi et, peut-être surtout, sur la combinaison de ces hypothèses.
L'incertitude majeure est évidemment du côté des
Etats-Unis. La poursuite d'une forte croissance aux Etats-Unis ou, en sens
inverse, un atterrissage brutal de l'économie américaine,
constituent deux risques majeurs dont la combinaison n'est d'ailleurs pas
à exclure. Un dérèglement économique suscité
par le maintien d'une croissance non soutenable peut en effet créer les
conditions d'une récession ultérieure.
La croissance américaine n'a cessé d'être soutenue depuis
1994, son rythme s'accélérant à partir de 1996. Cette
croissance excède le sentier de croissance durable depuis 1997.
L'écart entre la production effective et la production potentielle est
constant depuis et ne cesse de s'amplifier.
L'écart à la croissance potentielle : " l'écart de croissance "
Le taux
de croissance potentielle est celui qui serait atteint si les facteurs de
production -le travail et le capital pour l'essentiel- étaient
normalement utilisés. L'écart entre le taux de croissance
potentielle et le taux effectif de croissance -" l'écart de
croissance "- permet de rendre compte, lorsque le second est plus
élevé que le premier, de phénomènes de
rareté et d'anticiper des tensions inflationnistes.
Lorsque la situation inverse se présente, il permet de rendre compte de
phénomènes de sous-utilisation des facteurs de production
(chômage, sous-investissement).
Cependant, l'observation d'un " écart de croissance " n'a
guère de portée explicative en tant que telle, parce que la
mesure de la croissance potentielle suppose que soient résolues des
questions aussi importantes que celle du niveau soutenable d'utilisation des
facteurs ou encore celle du niveau de leur productivité.
Partant, l'observation d'un " écart de croissance " n'a une
valeur opératoire efficace que pour autant que ces questions soient
correctement résolues.
Pour illustrer la portée de ces deux observations, on peut raisonner sur
l'exemple de l'emploi.
La croissance potentielle dépend d'une utilisation normale du facteur
travail disponible. La population active détermine
quantitativement
les disponibilités. Mais la question des
facteurs déterminant
qualitativement
l'utilisation
" normale " de la population active se pose en de tout autres termes.
La réponse donnée à cette question suppose un jugement
normatif et passe généralement par l'idée qu'une
utilisation normale de la population active est celle qui n'engendre pas de
tensions inflationnistes ou de tensions salariales.
On remarquera d'abord que l'une et l'autre de ces deux conditions ne sont pas
entièrement assimilables -tensions salariales et inflationnistes ne vont
de pair qu'à partage inchangé des gains de productivité
entre profits et salaires.
On remarquera surtout que l'évaluation du taux de chômage
nécessaire pour que lesdites tensions soient contenues est conjecturale
et très certainement variable en fonction de multiples
paramètres : le coût du travail bien sûr mais aussi la
qualité de la main-d'oeuvre ou encore l'organisation du travail.
Ainsi, le rapprochement de la croissance effective et de la croissance
potentielle suppose de résoudre des problèmes
méthodologiques considérables, ce qui conduit à
préconiser une interprétation prudente de cet instrument.
Ecarts de croissance aux Etats-Unis
|
1996 |
1997 |
1998 |
1999 (1) |
2000 (1) |
Croissance effective |
3,4 |
3,9 |
3,9 |
3,6 |
2 |
Ecarts de croissance |
- 0,2 |
1,1 |
2,1 |
2,8 |
1,9 |
(1)
Prévisions
Source : OCDE
Cet écart de croissance s'est amplifié malgré le dynamisme
exceptionnel, dans son ampleur et sa continuité, de l'investissement.
Formation brute de capital fixe aux Etats-Unis
Croissance en volume
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
7,9 |
7,3 |
9,7 |
6,1 |
L'augmentation rapide des capacités de production aux
Etats-Unis y a sans doute assis la croissance mais n'a pas suffi à lui
assurer une pleine soutenabilité.
Du côté du travail, l'augmentation de la population active et
celle du taux d'activité ont permis d'alimenter l'appareil productif
mais le taux de chômage s'est progressivement réduit pour
atteindre un niveau proche d'une situation de plein emploi.
Dans ces conditions, une certaine modération salariale, d'ailleurs
relative puisque les coûts unitaires de main-d'oeuvre ont davantage
progressé aux Etats-Unis que chez ses concurrents, a pu être
jusqu'alors observée. Les gains de productivité ont
favorisé un certain équilibre auquel les perspectives
patrimoniales des agents américains ont contribué. La
valorisation attendue des actifs a en effet suscité un endettement qui a
de plus en plus secondé les revenus tirés de leur travail par les
ménages américains. La dette brute des agents économiques
américains dépasse désormais 120 % du PIB.
Les tensions inflationnistes que comporte la croissance aux Etats-Unis et les
équilibres financiers sur lesquels elle repose constituent une
conjonction dangereuse.
Une réduction du rythme de croissance est nécessaire pour
amenuiser les risques inflationnistes internes mais aussi externes -prix du
pétrole et des matières premières- que recèle la
croissance américaine. Elle éloignerait aussi les perspectives de
tensions sur les taux d'intérêt américains dont la
propagation mondiale est à redouter.
Toutefois, le ralentissement de la croissance est susceptible de mettre en
difficulté les agents économiques et, en particulier, les
ménages à travers ses effets sur leur revenu courant et de
modifier considérablement leurs comportements dès lors que leurs
anticipations financières se retourneraient. Le patrimoine financier net
des ménages américains leur permet de faire face à leurs
engagements sans difficultés. Toutefois, une variation
défavorable de la valeur des actions qu'ils détiennent
engendrerait des effets négatifs sur leur demande, dont l'ampleur
dépendrait de son niveau.
Le dilemme américain fait ainsi peser une sérieuse menace sur
l'économie mondiale et place la combinaison des politiques
budgétaire et monétaire conduites aux Etats-Unis -seules à
même d'y provoquer un repli ordonné de la croissance- au coeur des
enjeux économiques internationaux.
L'évolution de l'économie japonaise et celle des pays
émergents constituent par ailleurs une variable majeure des
équilibres économiques internationaux.
L'activité au Japon resterait faible en 1999 (1 %) malgré un
déficit public qui atteint 10 % du PIB et qui apparaît seul
soutenir la demande intérieure, et en dépit du très faible
niveau des taux d'intérêt (0,3 % pour le court terme,
1,7 % pour le long terme). La combinaison des politiques
économiques conduites au Japon pose le problème crucial de sa
soutenabilité. La dette publique japonaise dépasse 100 % du
PIB et progresse sur un rythme excessif.
L'économie japonaise occupe une place majeure sur la scène
internationale, à la fois comme pilier de l'économie du Sud-Est
asiatique et du fait de la nature de ses relations avec les Etats-Unis.
Toute récession japonaise est susceptible de se traduire, toutes choses
égales par ailleurs, comme un frein à la reprise des
économies émergentes asiatiques et par une aggravation du
déficit extérieur américain qui est déjà
considérable.
Les excédents japonais sont largement recyclés à
l'extérieur de l'économie nippone et contribuent en particulier
au financement de la croissance américaine. L'appareil financier du
Japon est en cours de restructuration et le succès de cette phase
dépend directement de l'évolution des marchés boursiers.
Une éventuelle récession de l'économie japonaise pourrait
provenir d'une augmentation importante du taux d'épargne des agents
économiques inquiets de l'avenir et, en particulier, des perspectives de
financement de la dette publique et soucieux d'anticiper une hausse des taux
d'intérêt qui ont atteint un niveau peu durable. Ce
supplément d'épargne pourrait ne pas être en rapport direct
avec l'accroissement du taux d'épargne si les revenus auxquels il
s'appliquerait étaient en contraction.
En toute hypothèse, l'orientation qui lui serait donnée, ainsi
d'ailleurs que, plus globalement, celle de l'ensemble de l'épargne
japonaise, conditionne les perspectives de l'économie mondiale. Une
perte d'attractivité des Etats-Unis susciterait une hausse des taux
d'intérêt américains sur fond de dépréciation
du dollar. Il resterait alors à s'interroger sur la devise qui, en
contrepartie, s'apprécierait.
Enfin, la reprise des pays émergents apparaît rapide s'agissant
des pays asiatiques et susceptible de déboucher sur une croissance
moyenne largement positive dans les pays d'Amérique latine.
Ces perspectives reviennent à imaginer un avenir renouant avec un
dynamisme économique dont les fondements ont pu, à la
lumière de la crise, être considérés comme manquant
de solidité.
Il s'agit donc d'une vision optimiste où les ressorts de la grave
crise traversée par ces pays seraient assainis. Les composantes
structurelles de cette crise conduisent à douter d'un
rétablissement si rapide et si complet.