c) Les contributions des régimes sociaux : un détournement de finalité
L'affectation au fonds de financement d'une contribution des
organismes de sécurité sociale et de l'UNEDIC n'est pas une
nouveauté ; elle avait été annoncée par le
Gouvernement dès le dépôt du premier projet de loi Aubry.
Votre commission ne peut que réaffirmer son opposition à ces
contributions, suivant une doctrine constante.
L'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale affirme
solennellement : "
toute mesure d'exonération, totale ou
partielle, de cotisations de sécurité sociale, instituée
à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi n° 94-637
du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, donne
lieu à compensation intégrale aux régimes concernés
par le budget de l'Etat pendant toute la durée de son
application
".
Le Gouvernement avait tenu à annoncer, dès l'exposé des
motifs du projet de loi d'orientation et d'incitation à la
réduction du temps de travail et l'étude d'impact jointe au
projet, que cette règle ne serait pas respectée :
" Afin de tenir compte des rentrées de cotisations que l'aide
à la réduction du temps de travail induira pour les
régimes de sécurité sociale
190(
*
)
, cette aide donnera lieu, à
compter du 1
er
janvier 1999, à un remboursement partiel de la
part de l'Etat aux régimes concernés. Cette disposition figurera
dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour
1999, après concertation avec les partenaires sociaux sur le taux de
cette compensation. "
191(
*
)
Cette démarche n'avait toutefois pas convaincu les caisses de
sécurité sociale qui ont en conséquence émis un
avis négatif sur le projet de loi le 2 décembre 1997 pour la
CNAF et le 3 décembre 1997 pour la CNAMTS.
Comme l'expliquait déjà votre rapporteur lors de l'examen du
projet de loi d'orientation et d'incitation à la réduction du
temps de travail
192(
*
)
, la
démarche du Gouvernement n'est pas convaincante pour trois
raisons :
"
Elle remet en cause tout d'abord un principe nécessaire
à une gestion saine et responsable de la sécurité sociale
dans la perspective nécessaire d'un retour à l'équilibre
de ses comptes. Dès lors que toute exonération de cotisations
décidée par l'Etat -du moins faut-il l'espérer- a un
objectif d'intérêt général, le principe de
" solidarité " évoqué par le Gouvernement pourra
toujours justifier la non-application du principe de la compensation
intégrale.
" En second lieu, la comptabilité " administrative " des
emplois créés ne prendra en compte ni les effets d'aubaine, ni
les emplois détruits. Elle ne prendra pas davantage en compte l'effet
sur les ressources de la sécurité sociale d'une moindre
progression de la masse salariale imputable à la
" modération " des rémunérations qui, selon les
experts, est l'une des conditions des créations d'emplois. Seules seront
prises en compte ces créations d'emplois et non l'effort demandé
aux salariés en place qui se traduira pourtant par un tassement des
cotisations.
" La clarification des relations financières entre l'Etat et la
sécurité sociale, que votre commission appelait de ses voeux lors
de l'examen de la loi de financement pour 1998, n'en sortira pas à
l'évidence renforcée.
" Comment, dans ces conditions, exiger des gestionnaires des caisses, de
leurs personnels, des assurés et des professionnels, l'effort de rigueur
indispensable au redressement financier de la sécurité
sociale ?
"
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers
généraux et de l'assurance maladie, ajoutait lors de l'examen du
projet de loi de financement de la sécurité sociale pour
1999 :
" Ce principe inédit depuis la loi de 1994 d'une
neutralité scrupuleuse de la compensation, grâce à un
calcul méticuleux des " retours " attendus par la
sécurité sociale, gagnerait en crédibilité s'il
appliquait à l'ensemble des exonérations de charges, et donc aux
dispositifs antérieurs à la loi de 1994, qui restent non
compensés et dont le coût est évalué à 17
milliards de francs. "
Dans les débats parlementaires du printemps 1998, Mme Martine
Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, assurait pouvoir
" compter " un par un les emplois créés, afin de
déterminer les " retours ".
Dans le cadre du présent projet de loi, il en va différemment.
Mme Martine Aubry se réfère désormais au seul
" retour "... de la croissance
193(
*
)
.
Votre rapporteur souhaite rappeler que les recettes de la
sécurité sociale et du régime d'assurance chômage
sont prélevées sur des entreprises, des salariés, des non
salariés et des inactifs (via la CSG sur les revenus du patrimoine et
les produits de placement) dans le but de financer la sécurité
sociale, et non de financer une politique de l'emploi. Les impositions
affectées à l'Etat (IRPP, IS, TVA, etc.) ont pour but de financer
une telle politique.
Il serait dangereux de croire qu'il s'agit de la même chose et de douter
de l'autonomie des finances sociales, en évoquant notamment tous les
flux de financement croisés entre l'Etat et la sécurité
sociale... à moins de souhaiter, bien évidemment,
l'étatisation de la sécurité sociale. Dans ce cas, et dans
ce cas seulement, il serait légitime de considérer que les
" finances budgétaires " et les " finances
sociales " sont parfaitement interchangeables.
Demander des contributions à la sécurité sociale et
à l'UNEDIC pour financer des allégements de charges et la
réduction du temps de travail est un détournement de
finalité.
Aucune concertation n'a eu lieu, pendant toute l'année 1998, entre
l'Etat et les partenaires sociaux. La loi de financement de la
sécurité sociale pour 1999 n'a pas comporté la disposition
annoncée, sans que le Gouvernement n'ait changé sa philosophie du
" recyclage " d'un iota
194(
*
)
.
Les régimes sociaux et les partenaires sociaux ont
réaffirmé en juillet et en septembre 1999 leur opposition
à cette contribution, en votant négativement, tant lors de
l'examen pour avis du projet de loi portant réduction
négociée du temps de travail que du projet de loi de financement
de la sécurité sociale. La presse s'est fait largement
l'écho de l'émoi des partenaires sociaux, la CFDT
précisant dans un communiqué que ce prélèvement
n'était pas " négociable ", le MEDEF annonçant
sa décision de quitter les organismes paritaires dans le cas d'une
" ponction " des régimes de sécurité sociale et
d'assurance chômage.
Le Gouvernement a pris le risque de mettre fin au paritarisme dans les
régimes sociaux, ce qui serait extrêmement grave.
Au surplus, ces contributions présentent le caractère
d'impositions. Le législateur est seul compétent pour fixer les
règles concernant
" l'assiette, le taux et les modalités
de recouvrement des impositions de toutes natures "
, selon l'article
34 de la Constitution du 4 octobre 1958.
Le projet de loi relatif à la réduction négociée du
temps de travail ne fixe aucune de ces règles, pas plus que le projet de
loi de financement de la sécurité sociale.
En cas d'échec -prévisible- des conventions, un décret en
Conseil d'Etat, suivi d'arrêtés ministériels, pris selon
l'imagination de leurs auteurs, constituerait le seul régime juridique
de ces contributions.
Inébranlable dans son raisonnement, et fort d'une " règle
de trois ", le Gouvernement ne s'apprêtait-il pas à violer la
Constitution, en opérant des
" prélèvements de
droit divin "
195(
*
)
sur
les régimes sociaux ?
Mais devant la pression des partenaires sociaux, le Gouvernement a
renoncé.