III. LA SITUATION DES QUATRE PAYS PARTENAIRES : DES POTENTIALITÉS ÉCONOMIQUES FRAGILISÉES PAR DES SITUATIONS INTÉRIEURES OU RÉGIONALES DIFFICILES
A. LES ETATS DU CAUCASE SONT CONFRONTÉS À DE LOURDS DÉFIS INTERNES OU RÉGIONAUX
La Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan ont en commun une situation géographique qui les place en position de limite d'une part entre l'espace européen et l'espace asiatique sur l'axe Est-Ouest et d'autre part, sur l'axe Nord-Sud, entre le monde russe et le Moyen-Orient. L'intérêt stratégique lié à cette situation de carrefour stratégique revêt une importance capitale compte tenu de l'enjeu que eprésente le choix des itinéraires de transport des ressources pétrolières de la mer Caspienne. On sait que quatre itinéraires sont le plus souvent évoqués : vers le port russe de Novorossiisk -projet existant dont le renforcement est soutenu par la Russie- ou le port géorgien de Soupsa en cours d'achèvement, tous deux aboutissant en Mer noire ; l'itinéraire de la Turquie vers la Méditerranée -privilégié par l'Azerbaïdjan ; l'itinéraire par l'Iran vers le Golfe auquel s'opposent les Etats Unis.
1. La Géorgie : la stabilisation politique malgré la persistance des séparatismes
Depuis
son accession au pouvoir en 1992, le Président Edouard
Chevarnadzé est parvenu à restaurer un Etat qui avait, en 1991,
recouvré son indépendance dans l'anarchie née de la guerre
civile et du morcellement ethnique. Une fois l'ordre rétabli, des
nouvelles institutions ont été mises en place dans le cadre d'un
régime présidentiel fort qui n'a pas empêché
l'émergence progressive d'une vie politique pluraliste, qui s'exprime
notamment à travers des médias où la liberté
d'expression est quasi totale.
Cela étant, l'avenir de la Géorgie reste très
dépendant de la solution donnée aux aspirations
séparatistes de l'Ossétie du sud et de l'Abkhazie. Dès
l'indépendance du pays en effet, les anciennes provinces à statut
spécial -les républiques autonomes d'Abkhazie et d'Adjarie, la
région autonome d'Ossétie du sud, ont fait sécession. Les
combats ont aujourd'hui cessé et si une solution d'autonomie, proche de
l'indépendance, a pu être trouvée pour l'Adjarie musulmane,
les négociations engagées avec les Ossètes et les Abkhazes
n'ont pas abouti.
Un statut reste à trouver pour ces provinces, qui conditionnera celui de
la Géorgie elle-même, et le choix entre fédération
et confédération.
Cette question contribue par ailleurs à compliquer les rapports,
déjà difficiles, avec la Russie. Celle-ci a joué en effet
un rôle de premier plan dans le succès des insurrections
séparatistes. Elle assure aujourd'hui, en Abkhazie, la séparation
des belligérants à travers une force d'interposition de
3 000 hommes aux côtés d'une force légère
d'observateurs de l'ONU. Elle est militairement présente, avec quelque
15 à 20 000 hommes dans quatre bases et avec des milliers de
gardes-frontières le long de la frontière turque.
Enfin la Géorgie constitue, de par sa situation géographique, un
enjeu essentiel pour la Russie : la principale voie ferrée et la
principale route d'accès de la Russie vers le Sud passe par Tbilissi.
Surtout, la Russie considère avec préoccupation
l'hypothèse d'un "grand oléoduc" (Main Exportation Pipe-Line) qui
convoierait vers l'Europe, via la Géorgie, les productions principales
du pétrole de la mer Caspienne -soit quelque 35 MT annuelles
à l'horizon 2010, alors que Moscou souhaiterait bénéficier
d'une part de ce transfert sur un itinéraire plus au Nord qui
desservirait son territoire.
2. La prospérité de l'Arménie passe par la solution du conflit au Karabagh
En 1992
et 1993, l'Arménie est intervenue victorieusement contre
l'Azerbaïdjan lors du conflit lié à l'enclave du
Haut-Karabagh, située en territoire azerbaïdjanais et
peuplée très majoritairement d'Arméniens -les
Karabaghtsis. Ceux-ci, soutenus par l'armée arménienne, se sont
assuré non seulement le contrôle de l'entité qu'ils
revendiquent, mais aussi de larges parties du territoire azerbaïdjanais.
De ces territoires occupés, les Karabaghtsis ont fait un glacis de
sécurité, assurant la continuité de leur territoire avec
celui de l'Arménie et le contrôle d'une partie de la
frontière internationale avec l'Iran.
Ce conflit a largement pesé dans le remplacement du Président
arménien Ter-Petrossian par M. Kotcharian, beaucoup moins disposé
que son prédécesseur à un compromis sur le Haut-Karabagh.
De ce fait, la négociation sur ce dossier, engagée dans le cadre
de l'OSCE à travers le "groupe de Minsk" -coprésidé par la
France, la Russie et les Etats-Unis- se poursuit dans des conditions fort
difficiles.
Or ces tensions sont, à terme, un danger pour l'avenir économique
de l'Arménie. Celle-ci aura besoin, pour prendre le relais des
financements internationaux, d'investissements étrangers qui ne seront
guère encouragés tant que perdurera cette situation conflictuelle
qu'aggravent d'ailleurs les blocus routiers et ferroviaires mis en place par la
Turquie et l'Azerbaïdjan.
Pour compenser cet environnement difficile, la diplomatie arménienne se
tourne vers les puissances régionales et vers l'Europe. Elle soigne en
effet ses relations avec la Russie et joue le rôle d'élève
modèle de la CEI. De même s'efforce-t-elle de resserrer ses liens
avec l'Iran qui est son premier fournisseur de biens de consommation et de
biens alimentaires. Le rapprochement avec l'Occident et l'Europe est une autre
priorité de la diplomatie arménienne, puisque le pays est l'un
des tout premiers bénéficiaires, par habitant, de l'aide
occidentale.
3. L'Azerbaïdjan, également affaibli par le conflit du Karabagh, mise sur ses richesses pétrolières
L'Azerbaïdjan est le pays du Caucase qui dispose du
potentiel
économique le plus élevé. La découverte de
gisements en mer Caspienne, au large de Bakou, peut faire de ce pays un
producteur de pétrole important à l'horizon de la prochaine
décennie : 700 000 barils/jour estimés, soit 35 MT par
an à l'horizon 2010 pour le seul "contrat du siècle",
accordé en septembre 1994 au consortium AIOC.
Ces perspectives favorables que la situation actuelle du marché
pétrolier conduit d'ailleurs à relativiser, mais qui ont
suscité l'intérêt des compagnies occidentales, ne
compensent pas, pour l'heure, l'affaiblissement du pays consécutif aux
revers militaires subis par Bakou dans le conflit qui l'oppose à
l'Arménie sur le Haut-Karabagh : 20 % de son territoire est
contrôlé par les séparatistes arméniens, et un
million de personnes sont réfugiées en Azerbaïdjan.
Sur le plan intérieur, si le Président Aliev est parvenu à
mettre un terme à l'instabilité politique et à jeter les
bases minimales d'un Etat de droit, les conditions de régularité
de sa récente réélection a la tête de l'Etat sont
une ombre au tableau. La persistance des réseaux claniques dans la
distribution du pouvoir et de l'argent vient également compliquer la
donne.
4. Les échanges commerciaux des trois pays avec l'Union européenne
Sur le
plan économique, les trois pays du Caucase voient se concrétiser
progressivement les résultats des efforts consentis vers une gestion
plus rigoureuse et la mise en oeuvre des réformes.
L'Azerbaïdjan, depuis 1996, renoue avec la croissance : elle a atteint
5,2 % en 1997 et la prévision est de 8 % pour 1998. Le
déficit budgétaire est réduit à 4 % et le taux
d'inflation à 5 %, ce qui contribue à la parfaite
stabilité de la monnaie nationale, le "manat". La richesse du pays en
ressources pétrolières n'est évidemment pas
étrangère à ces performances : elles lui permettent ainsi
de devenir, pour toute la partie orientale de l'Europe, l'un des principaux
bénéficiaires des investissements étrangers.
L'Azerbaïdjan est donc exempté d'un endettement extérieur
qui affecte en revanche ses deux voisins géorgien et arménien.
La Géorgie, qui après son indépendance, avait subi une
grave récession (- 65 %), connaît désormais une
croissance vigoureuse (+ 12 % en 1996, + 9 % en 1997), soutenue par
le développement de l'agriculture et des services. La monnaie -le
"lari"- est stable et l'inflation est maîtrisée (10 %). Le
redressement des finances publiques n'en est toutefois qu'à ses
débuts et la dette extérieure, en progression, représente
aujourd'hui quelque 30 % du PNB.
L'Arménie, pour sa part, reste conduite sur la ligne que le
Président Kotchairan avait tracée lorsqu'il occupait les
fonctions de premier ministre : rigueur accrue dans la gestion, lutte contre la
corruption et poursuite des réformes dictées par les institutions
internationales. Il en résulte pour 1998 une stabilisation de comptes,
venant après la dégradation de 1997 qui avait réduit la
croissance à 3 %, porté l'inflation à 22 % et
affecté la balance commerciale et les comptes courants.
Avec les pays du Caucase, l'Union européenne dégage des
excédents commerciaux significatifs. Ainsi, avec une part de 36 %
des échanges réalisés entre l'Union européenne et
le Caucase, l'Azerbaïdjan se place en première position, devant la
Géorgie (33 %) et l'Arménie (30 %), pour la
période 1993-1997. Avec 12,6 % des importations du pays, l'Union se
place cependant loin derrière la CEI, la Turquie et l'Iran. L'Union
européenne est devenue, a égalité avec la CEI, le
principal fournisseur de la Géorgie (23 % des importations
géorgiennes). A l'égard de l'Arménie enfin, l'Union, avec
17 % du commerce extérieur arménien, est également
devancée par la CEI (Russie, Turkménistan) et l'Iran.
Les données 1997 des échanges commerciaux entre l'Union
européenne et chacun des trois Etats du Caucase se présentent
comme suit :
|
Importations CE |
Exportations CE |
Total |
Solde |
Total
cumulé
|
Part par pays sur l'ensemble Caucase |
Arménie |
63,2 |
150 |
213,2 |
+ 86,8 |
742,3 |
30,22 % |
Géorgie |
51,8 |
224,7 |
276,5 |
+ 172,9 |
832,3 |
33,89 % |
Azerbaïdjan |
67,9 |
253,9 |
321,8 |
+ 186 |
888,1 |
36,16 % |
B. L'OUZBÉKISTAN OU LA DIFFICILE TRANSITION VERS LA DÉMOCRATIE ET LE MARCHÉ
1. Un présidentialisme autoritaire
Le Président Kamirov, dont le mandat a été prorogé par référendum jusqu'en l'an 2000 concentre le pouvoir en s'appuyant sur une nomenklatura héritée de l'ancien régime et sur des allégeances régionales. Les partis d'opposition sont interdits et le pouvoir contrôle la presse et les processus électoraux. D'une façon générale, cette emprise du pouvoir sur la société, justifiée à Tachkent par la crainte du péril fondamentaliste, la politique d'exaltation de l'identité nationale et la réticence face aux changements peuvent conduire à s'interroger sur l'évolution d'un pays qui dispose pourtant d'atouts non négligeables pour son développement. En effet, sur le plan économique, la lenteur des réformes est un obstacle à l'essor du pays, même si la stratégie d'autosuffisance engagée par les responsables ouzbèkes a atteint son objectif notamment dans le secteur de l'énergie.
2. Une économie dirigée
L'Etat
contrôle encore le fonctionnement de l'économie : la
réforme du secteur financier n'est pas engagée, ni celle du
système de production ou du commerce extérieur.
Le FMI a d'ailleurs décidé de suspendre le versement du
crédit stand-by accordé en 1995, précisément du
fait du manque de réformes structurelles. La législation du
commerce extérieur, inadaptée, et la rigueur du régime des
changes empêche l'Ouzbékistan de bénéficier de
l'apport des investissements étrangers. Les quelques timides
améliorations récemment apportées pour favoriser la venue
de tels investissements ne correspondent pas encore aux attentes des
opérateurs extérieurs.
La croissance ouzbèke est estimée par le FMI à 2,4 %,
l'inflation se situant entre 40 et 50 %. Si les exportations ne
représentent que 97 % de leur niveau de 1996, les importations ont
été drastiquement réduites à la suite d'une stricte
politique d'enregistrement des contrats commerciaux, permettant de contenir le
déficit de la balance commerciale à un niveau très faible.
L'Ouzbékistan a respecté ses engagements en matière de
dépenses publiques, ramenant le déficit courant à
2,3 % du PIB en 1997. La dette extérieure de l'Ouzbékistan
reste faible (18 % du PIB) et le flux des investissements est
estimé à 250 Millions de dollars.
L'économie du pays souffre encore de la spécialisation
cotonnière (l'or blanc), dont il a été l'objet dans le
cadre du système de production soviétique et qui constitue
encore, malgré la baisse des cours, la "rente" du pouvoir. La politique
de diversification agricole engagée par le gouvernement se heurte encore
à sa réticence à mener une véritable réforme
agraire qui entraînerait une diminution de la production de coton.
Au sein de la CEI, l'Ouzbékistan est le cinquième partenaire
commercial de l'Union européenne, après la Russie, l'Ukraine, la
Biélorussie et le Kazakhstan. Ces échanges augmentent
régulièrement de quelque 30 % par an. Le volume du commerce
euro-ouzbek a doublé au cours des cinq dernières années,
essentiellement au profit des exportations européennes
-multipliées par 4 au cours de la même période).