IV. LES CONCLUSIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : APPROUVER LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Appelée à examiner le projet de loi
constitutionnelle,
votre commission devait tout d'abord vérifier que ce projet permettait
de faire disparaître complètement les motifs
d'inconstitutionnalité relevés par le Conseil constitutionnel
dans le traité d'Amsterdam. Il lui revenait également d'examiner
les transferts de compétences que tend à permettre le projet de
loi constitutionnelle.
En ce qui concerne le champ de la révision proposée, votre
commission approuve le contenu du projet de loi constitutionnelle, qui tend
à permettre les "
transferts de compétences
nécessaires à la détermination des règles relatives
à la libre circulation des personnes et aux domaines qui lui sont
liés "
.
Cette formulation recouvre en effet le contenu du titre III A nouveau du
traité instituant la Communauté européenne tel qu'il
résulte du traité d'Amsterdam, intitulé "
Visas,
asile, immigration et autres politiques liées à la libre
circulation des personnes ".
Sur le fond, votre commission approuve une modification constitutionnelle qui
permettra le moment venu au Parlement de se prononcer sur la ratification du
traité.
Il paraît difficile de nier l'intérêt d'une politique
commune en matière de franchissement des frontières
intérieures et extérieures des Etats membres. Les politiques
nationales d'immigration en particulier ont trouvé leurs limites et le
cadre européen paraît offrir des perspectives meilleures pour
exercer une politique efficace en cette matière. Personne aujourd'hui ne
conteste la nécessité d'une action au niveau européen dans
les matières visées au titre III A du traité instituant la
Communauté européenne tel qu'il résulte du traité
d'Amsterdam.
Il est bien évident que
l'ouverture des frontières
intérieures, corollaire naturel de l'Union économique, rend en
pratique inopérants les contrôles dans le cadre national et
entraîne une homogéneité du territoire européen,
dont la seule frontière opérationnelle ne peut être que le
réseau des frontières extérieures
. Il importe
dès lors que le contrôle de celles-ci soit géré en
commun. Pour votre rapporteur, l'attribution de compétences à
l'Union européenne dans ces domaines n'est pas à proprement
parler un nouveau progrès de la construction européenne. Il
s'agit plutôt de la conséquence logique et nécessaire de
l'ouverture des frontières intérieures qui, elle, fait partie des
grandes avancées vers l'union des Etats européens.
Si le principe d'une action au niveau européen dans les matières
liées à la libre circulation des personnes n'est donc
guère contesté, la " communautarisation " de ces
matières est parfois remise en cause et singulièrement la
perspective du vote à la majorité qualifiée au sein du
Conseil.
Il faut pourtant constater que la méthode intergouvernementale
appliquée depuis l'entrée en vigueur du traité de
Maastricht n'a pas conduit à des résultats probants et ne pouvait
aboutir à de tels résultats. Dans ces domaines, une politique
efficace n'est possible que par la mise en oeuvre des mécanismes
prévus par le traité instituant la Communauté
européenne, dont l'expérience a montré qu'en dépit
de la complexité des problèmes, ils permettaient de concilier
l'exigence d'efficacité et la prise en compte des points de vue
nationaux. Certes, la mise en oeuvre des accords de Schengen a pour sa part
permis des avancées plus substantielles, mais on conviendra que le
maintien d'une dualité de structures pour les questions relatives
à la libre circulation des personnes n'est pas un gage
d'efficacité.
La " communautarisation " impliquera une modification des
méthodes d'élaboration des textes : les conventions seront
remplacées par les instruments traditionnels du droit communautaire,
règlements et directives ; les matières transférées
dans le premier pilier feront l'objet, sous certaines réserves, d'un
contrôle par la Cour de justice ; après une période de
cinq ans, la Commission européenne bénéficiera du monopole
de l'initiative (les Etats bénéficiant d'un droit d'initiative
pendant les cinq années suivant l'entrée en vigueur du
traité) ; enfin, le traitement au Conseil de l'Union des propositions se
fera par des groupes de travail et par le Comité des
représentants permanents (COREPER) et non plus par les multiples niveaux
menant au comité dit K4 existant dans le cadre du troisième
pilier.
On peut espérer que ces nouvelles méthodes de travail permettront
une véritable action de la Communauté, dont on perçoit mal
ce que la France aurait à craindre.
En ce qui concerne le passage à la majorité qualifiée
-quelles que soient les conditions de ce passage- il constitue pour l'essentiel
un moyen de rendre plus efficace le processus communautaire de décision.
Le système de la majorité qualifiée est une incitation
pour les Etats à négocier sérieusement sur les
propositions qui leur sont faites, tandis que l'unanimité est un facteur
d'inertie et de marchandage.
La France a-t-elle en matière de visas, d'asile, d'immigration, des
intérêts si différents de ceux de l'Allemagne ou de
l'Italie par exemple qu'elle puisse craindre d'être mise en
minorité sur des textes qui auraient pour elles de graves
conséquences ?
Dans la plupart des cas, le passage à la majorité
qualifiée et à la procédure de codécision sera
décidé à l'unanimité par le Conseil de l'Union
européenne, ce qui permettra à ce dernier de définir les
domaines auxquels s'appliqueront les nouvelles modalités. On peut ainsi
penser que le Conseil ne décidera pas un passage
" en
bloc "
à la majorité qualifiée pour l'ensemble
des mesures prévues par le nouveau titre du traité.
Rappelons aussi que la majorité qualifiée n'est pas la
majorité simple et que, dans le cadre de ce système, 70% des voix
sont nécessaires pour qu'une décision puisse être
adoptée, chaque Etat disposant d'un certain nombre de voix en rapport
avec son poids démographique
7(
*
)
. Il est vrai que cette
pondération mérite aujourd'hui d'être revue, les
élargissements successifs ayant conduit à une érosion du
poids des grands Etats. Un protocole, dont la valeur contraignante est
égale à celle du traité, "
sur les institutions
dans la perspective de l'élargissement de l'Union
européenne
" fait d'ailleurs de la révision de cette
pondération une condition de la réduction du nombre de membres de
la Commission européenne.
Il convient enfin de mentionner qu'une sécurité est prévue
par le traité.
Ainsi, aucune des mesures adoptées dans le
cadre du nouveau titre du traité instituant la Communauté
européenne ne devra porter atteinte à l'exercice des
responsabilités qui incombent aux Etats membres pour le maintien de
l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure.
Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission s'est prononcée en
faveur de l'adoption du projet de loi constitutionnelle.
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