PJL relatif à la modification des articles 88-2 et 88-4 de la Constitution
FAUCHON (Pierre)
RAPPORT 102 (98-99)
Table des matières
- LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
-
EXPOSÉ GÉNÉRAL
- I. LE TRAITÉ D'AMSTERDAM PRÉVOIT LA " COMMUNAUTARISATION " DE LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES ET DES MATIÈRES QUI LUI SONT LIÉES
- II. LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL CONSTATE UN RISQUE D'ATTEINTE AUX CONDITIONS ESSENTIELLES D'EXERCICE DE LA SOUVERAINETÉ
- III. LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
- IV. LES CONCLUSIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : APPROUVER LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE
- EXAMEN DES ARTICLES
- ANNEXES
-
ANNEXE N° 1
LES TRAVAUX DE LA COMMISSIONAUDITION DE MME ELISABETH GUIGOU,
GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE,
ET DE M. PIERRE MOSCOVICI,
MINISTRE DÉLÉGUÉ CHARGÉ DES AFFAIRES EUROPÉENNES - EXAMEN DU RAPPORT
-
ANNEXE N° 2
DÉCISION N° 97-394
DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL -
ANNEXE N° 3
LE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE SUR LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE DANS QUELQUES ÉTATS MEMBRES
DE L'UNION EUROPÉENNE
N°
102
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 9 décembre 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi constitutionnelle, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, modifiant les articles 88-2 et 88-4 de la Constitution ,
Par M.
Pierre FAUCHON,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM.
Jacques
Larché,
président
; René-Georges Laurin, Mme Dinah
Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour,
vice-présidents
; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck,
Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest,
secrétaires
;
Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José
Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret, Guy-Pierre Cabanel,
Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière,
Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye,
Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec,
Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier,
Lucien Lanier, François Marc, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jacques
Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex
Türk, Maurice Ulrich.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale (11
ème législ.)
:
1072
,
1209, 1212
et T.A.
203
.
Sénat
:
92
(1998-1999).
Union européenne.
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
Réunie le mercredi 9 décembre 1998
sous la
présidence de M. Jacques Larché, président, la
commission des Lois a examiné, sur le rapport de
M. Pierre Fauchon, le projet de loi constitutionnelle n° 92
(1998-1999) modifiant les articles 88-2 et 88-4 de la Constitution.
Le projet de loi constitutionnelle a pour objet de modifier la Constitution
pour permettre la ratification de certaines stipulations du traité
d'Amsterdam, dont le Conseil constitutionnel a estimé qu'elles
pourraient porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la
souveraineté nationale. Le titre III A nouveau du traité
instituant la Communauté européenne dans sa rédaction
issue du traité d'Amsterdam prévoit en effet la
communautarisation des matières liées à la libre
circulation des personnes. Les décisions, dans ces matières,
seront, pour l'essentiel, prises à l'unanimité au sein du Conseil
de l'Union européenne pendant une période de cinq ans, ce dernier
pouvant décider à l'unanimité, au terme de cette
période, que les décisions seront désormais prises
à la majorité qualifiée et selon la procédure de
codécision avec le Parlement européen.
Le projet de loi constitutionnelle tend donc à permettre les transferts
de compétences nécessaires à la détermination,
conformément aux modalités prévues par le traité
d'Amsterdam, des règles relatives à la libre circulation des
personnes et aux domaines qui lui sont liés.
Le rapporteur a estimé que l'ouverture des frontières
intérieures, corollaire de la réalisation du marché
unique, impliquait une action en commun pour la gestion des frontières
extérieures et en particulier pour la conduite de la politique
d'immigration.
Il a approuvé l'ajout par l'Assemblée nationale d'un article
additionnel élargissant le champ d'application de l'article 88-4 de
la Constitution, relatif aux prérogatives de contrôle des
assemblées en matière européenne.
La commission a adopté sans modification le projet de loi
constitutionnelle n° 92 (1998-1999)
adopté par
l'Assemblée nationale.
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
"
La République participe aux Communautés
européennes et à l'Union européenne, constituées
d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont
instituées, d'exercer en commun certaines de leurs
compétences
".
L'article 88-1 de la Constitution, introduit dans notre Loi fondamentale
lors de la révision constitutionnelle préalable à la
ratification du traité sur l'Union européenne, définit
ainsi très clairement la nature de la construction entreprise il y a
maintenant plus de quarante ans. L'exercice en commun de
compétences à l'échelle de l'Europe est à
l'évidence de plus en plus nécessaire, l'action isolée
d'un État devenant difficile voire impossible dans nombre de domaines.
Cet exercice en commun de compétences ne saurait être confondu
avec un abandon de la souveraineté nationale. L'exercice en commun de
compétences est le fruit du constat qu'une souveraineté
partagée offre à ceux qui l'acceptent des possibilités
d'action plus grandes qu'une souveraineté solitaire aujourd'hui
largement fictive.
Le principe de subsidiarité, explicitement énoncé dans le
traité sur l'Union européenne, permet de préciser ce que
doivent être les champs d'action respectifs de l'Union et des
Communautés européennes d'une part, des États qui les
composent d'autre part. Ainsi, "
dans les domaines qui ne
relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté
n'intervient (...) que si et dans la mesure où les objectifs de l'action
envisagée ne peuvent pas être réalisés de
manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison des
dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux
réalisés au niveau communautaire
" (art. 3 B du
traité sur l'Union européenne
1(
*
)
).
Il est clair que ce principe devrait animer constamment les institutions
communautaires afin que les actions qui peuvent être mieux conduites au
niveau communautaire, toutes celles-ci et seulement celles-ci, soient
menées dans ce cadre.
Le traité d'Amsterdam invite aujourd'hui les Etats à franchir une
nouvelle étape dans la mise en commun de certaines compétences,
en particulier en ce qui concerne le franchissement des frontières
intérieures et extérieures de l'Union européenne. Le
Conseil constitutionnel a estimé que les transferts de
compétences prévus dans ces matières appelaient une
révision de notre Constitution, dans la mesure où les conditions
essentielles d'exercice de la souveraineté nationale pourraient se
trouver affectées.
Afin de permettre la ratification du traité, le Président de la
République, sur proposition du Premier ministre, a pris l'initiative
d'une révision constitutionnelle que le Sénat est aujourd'hui
invité à examiner.
*
Avant
d'aborder le contexte du projet de loi constitutionnelle et son contenu, votre
rapporteur souhaite formuler une observation préalable.
Il était possible de s'interroger sur la nature de la révision
constitutionnelle à accomplir à l'occasion de la ratification du
traité d'Amsterdam. La ratification du traité de Maastricht a
nécessité une révision constitutionnelle, la ratification
du traité d'Amsterdam en appelle aujourd'hui une nouvelle. Il est
à prévoir que les évolutions futures de l'Union
européenne imposeront à nouveau de faire appel au Constituant. La
Constitution de la Vème République, adoptée au moment
même de l'entrée en vigueur du traité de Rome, n'a pas
été conçue en prenant en considération la
création progressive d'une organisation permanente telle que l'Union
européenne. Il a fallu attendre 1992 pour que la participation de la
France aux Communautés européennes et à l'Union
européenne soit inscrite dans la Constitution.
Dans ces conditions, les avancées de la construction européenne
pourraient impliquer régulièrement des révisions de notre
Loi fondamentale. L'exercice en commun de compétences concerne en effet
désormais des matières traditionnellement
considérées comme étant au coeur des souverainetés
nationales : affaires judiciaires et policières, politique
extérieure, sécurité et défense...
La question pouvait être soulevée de l'introduction dans notre
Constitution d'une clause générale qui couvrirait les adaptations
rendues nécessaires par les futurs traités. Une telle clause
éviterait que chaque traité européen appelle une nouvelle
révision constitutionnelle. Notre collègue M.Patrice
Gélard a exprimé, lors de l'examen du présent rapport, des
préoccupations voisines.
Malgré l'attrait d'un système qui pourrait simplifier la
procédure de ratification des futurs traités, votre rapporteur
constate que le Président de la République et le Gouvernement
n'ont pas fait ce choix, optant pour une révision limitée.
*
Après avoir brièvement évoqué les principales stipulations du traité d'Amsterdam, votre rapporteur s'attardera plus longuement sur la décision du Conseil constitutionnel et les conséquences que le projet de loi constitutionnelle tend à en tirer.
I. LE TRAITÉ D'AMSTERDAM PRÉVOIT LA " COMMUNAUTARISATION " DE LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES ET DES MATIÈRES QUI LUI SONT LIÉES
Conformément à sa vocation
réglementaire,
votre commission des Lois ne souhaite porter aucune appréciation sur les
dispositions du traité d'Amsterdam qui n'ont pas été
déclarées contraires à la Constitution
, cette mission
relevant de notre commission des affaires étrangères qui sera
saisie du projet de loi autorisant la ratification du traité si le
présent projet de loi constitutionnelle est définitivement
adopté par le Constituant. D'ores et déjà, des
évaluations critiques ont été établies au sein de
notre assemblée, tant par la commission des affaires
étrangères
2(
*
)
que par la
délégation pour l'Union européenne
3(
*
)
.
Votre rapporteur se limitera donc à un bref rappel des principales
stipulations du traité, afin que le cadre de la révision
constitutionnelle soit clairement défini, et évoquera plus
longuement les aspects du traité relatifs aux visas, à l'asile,
à l'immigration et aux autres politiques liées à la libre
circulation des personnes.
A. LES PRINCIPALES STIPULATIONS DU TRAITÉ
- Les
stipulations institutionnelles
:
En matière institutionnelle, le traité prévoit en premier
lieu un accroissement des
prérogatives du Parlement
européen
. La procédure de codécision entre le
Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne est
étendue à de nouvelles matières. Elle couvre
désormais tous les domaines dans lesquels le Conseil statue à la
majorité qualifiée (à l'exception de la politique agricole
commune et de la politique commerciale commune) ainsi que quelques domaines
où le Conseil statue à l'unanimité (libre circulation des
citoyens de l'Union, accès aux professions non salariées,
sécurité sociale des travailleurs migrants). Cette
procédure, qui permettait déjà au Parlement
européen de rejeter définitivement un texte, est modifiée,
de sorte que le Conseil et le Parlement sont désormais placés
strictement à égalité.
La désignation du président de la Commission européenne
sera désormais soumise à l'approbation du Parlement
européen, appelé ensuite à investir la Commission en tant
que collège après audition de chacun des membres pressentis. Le
nombre de membres du Parlement européen est plafonné à 700.
Le
vote à la majorité qualifiée
au sein du Conseil
de l'Union européenne est étendu à de nouvelles
matières : les principales dispositions de la politique sociale , la
politique de l'emploi, la santé publique, la lutte anti-fraude, le
programme-cadre de recherche...
En ce qui concerne la
pondération des votes au sein du Conseil
lorsqu'il statue à la majorité qualifiée, un protocole
annexé au traité prévoit que, lorsque l'Union comptera de
seize à vingt membres, la pondération actuelle devra normalement
être modifiée par la mise en place, soit d'une nouvelle
pondération, soit d'un système de double majorité. Le
protocole fait de cette modification une condition du changement de la
composition de la Commission européenne qui, toujours dans
l'hypothèse d'une Union de seize à vingt membres, devrait alors
en principe comprendre un commissaire par État membre : en l'absence de
cette révision du système de pondération, les
" grands " Etats garderaient donc un second commissaire comme c'est
actuellement le cas.
La
compétence de la Cour de justice des Communautés
européennes
est étendue : elle est notamment
compétente pour vérifier que les actes communautaires respectent
les droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la Convention
européenne des droits de l'homme et tels qu'ils résultent des
traditions constitutionnelles des Etats. La Cour est en outre
compétente, sous certaines réserves, pour les matières
transférées du troisième vers le premier pilier.
Le traité prévoit la possibilité de
coopérations
renforcées
entre les Etats membres. Une coopération
renforcée devra être lancée par au moins une
majorité d'Etats membres, ne devra être utilisée qu'en
dernier ressort et rester ouverte à tous les Etats membres.
- Les stipulations relatives aux principes des Communautés et de
l'Union européenne
Si un Etat membre viole de manière grave et persistante les principes
démocratiques ou les droits de l'homme, le Conseil européen peut
décider, à la majorité qualifiée, de suspendre
certains des droits de cet Etat, y compris son droit de vote au sein du Conseil.
Par ailleurs, le Conseil de l'Union européenne peut prendre des mesures
pour
" combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la
race ou l'origine ethnique, la religion ou les croyances, un handicap,
l'âge ou l'orientation sexuelle "
.
La promotion de
l'égalité entre hommes et femmes
fait
désormais partie des missions de la Communauté au même
titre par exemple que le développement harmonieux,
équilibré et durable des activités économiques ou
la promotion d'un niveau d'emploi et de protection sociale élevé.
Un nouvel article 7D concerne les
services publics
et précise que
la Communauté et les Etats membres veillent à ce que les services
d'intérêt économique général
" fonctionnent sur la base de principes et dans les conditions qui leur
permettent d'accomplir leurs missions "
.
- Les stipulations modifiant le premier pilier (Communauté
européenne
4(
*
)
)
Un nouveau
titre sur l'emploi
est inséré dans le
traité, qui prévoit notamment que les Etats membres
considèrent la promotion de l'emploi comme une question
d'intérêt commun et qu'ils coordonnent au sein du conseil leur
action dans ce domaine. Le conseil définit chaque année des
" lignes directrices " ; il peut adresser des recommandations
aux Etats membres, il peut également adopter des " actions
d'encouragement " destinées à développer les
échanges d'information et à favoriser des expériences
pilotes.
Le
protocole social
annexé au Traité de Maastricht,
désormais accepté par la Grande-Bretagne, est
intégré au Traité instituant la Communauté
européenne
-
Les stipulations relatives au deuxième pilier (Politique
étrangère et de sécurité commune)
La
politique étrangère et de sécurité
est
dotée d'un nouvel instrument, les " stratégies
communes ", qui précisent les objectifs de l'Union et les moyens
pour les atteindre. Les stratégies communes sont arrêtées
par le Conseil européen (composé des chefs d'Etat et de
Gouvernement) sur recommandation du Conseil de l'Union européenne
(composé des ministres compétents). Lorsqu'une stratégie
commune a été décidée, le Conseil de l'Union
européenne peut adopter à la majorité qualifiée les
actions communes et les positions communes nécessaires à sa mise
en oeuvre.
En l'absence d'une stratégie commune, des actions communes et des
positions communes ne peuvent être adoptées par le Conseil
qu'à l'unanimité. Lorsqu'une décision doit être
prise à l'unanimité, l'abstention d'un ou plusieurs Etats
n'empêche pas l'adoption de cette décision.
Une déclaration prévoit la création d'une unité de
planification de la politique étrangère et de
sécurité commune (PESC) et d'alerte rapide. Elle est
placée sous la responsabilité du secrétaire
général du Conseil qui reçoit la fonction de
Haut
représentant pour la PESC
.
Pour l'élaboration et la mise en oeuvre des actes de l'Union ayant des
implications dans le domaine de la défense, le principe reste le
" recours à l'UEO " avec laquelle sont recommandées
" des relations institutionnelles plus étroites " en vue d'une
" intégration éventuelle de l'UEO dans l'Union, si le
Conseil européen en décide ainsi ".
-
La réforme du troisième pilier maintenu (coopération
policière et judiciaire en matière pénale)
Si les questions concernant la libre circulation, l'asile et l'immigration,
ainsi que la coopération en matière civile, sont
transférées du troisième pilier au premier, en revanche
les objectifs du troisième pilier sont définis en termes plus
larges, comprenant désormais en tant qu'objectifs à part
entière la lutte contre le racisme et la xénophobie, le
terrorisme, la traite d'êtres humains et les crimes contre les enfants,
le trafic de drogue, le trafic d'armes, la corruption et la fraude.
Les missions d'Europol sont renforcées. Il peut notamment appuyer la
préparation et la mise en oeuvre d'actions opérationnelles
menées par des équipes conjointes et coordonner des
enquêtes.
Parmi les objectifs de la coopération en matière pénale
figure l'adoption de mesures "
instaurant des règles minimales
relatives aux éléments constitutifs des infractions
pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la
criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de
drogue
".
B. LES DISPOSITIONS RELATIVES AUX VISAS, À L'ASILE, À L'IMMIGRATION ET AUX AUTRES POLITIQUES LIÉES À LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES
L'un des
volets les plus importants du traité d'Amsterdam concerne la circulation
des personnes et les domaines qui lui sont liés. Cet aspect du
traité à lui seul justifie le projet de loi constitutionnelle qui
nous est soumis. En effet,
plusieurs matières qui relevaient
jusqu'à présent du troisième pilier de l'Union
européenne font l'objet d'une " communautarisation "
,
c'est-à-dire qu'elles sont intégrées dans le traité
instituant la Communauté européenne. Un programme d'action dans
les domaines concernés est explicitement prévu par le
traité.
Ainsi, en matière de
libre circulation des personnes
, dans un
délai de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur du
traité, le Conseil de l'Union européenne devra décider la
suppression de tout contrôle aux frontières intérieures de
l'Union, définir les conditions de franchissement des frontières
extérieures de l'Union, enfin fixer les conditions dans lesquelles les
ressortissants des pays tiers pourront circuler librement dans l'Union pendant
une durée maximale de trois mois.
Des
dérogations
sont prévues pour plusieurs Etats membres.
Les mesures concernant les matières transférées du
troisième vers le premier pilier ne sont normalement pas applicables au
Royaume-Uni et à l'Irlande qui ont toutefois la possibilité de
participer à l'adoption et à l'application de certaines d'entre
elles. Le Danemark bénéficie également d'une
dérogation, mais est dans une situation différente, dans la
mesure où il est désormais partie aux accords de Schengen. Aussi
le traité prévoit-il que lorsque le Conseil de l'Union prend des
mesures qui constituent un développement de l' " acquis de
Schengen ", le Danemark décide s'il incorpore ces mesures dans sa
législation nationale.
L'un des aspects importants du traité d'Amsterdam est effectivement
l'incorporation de l' " acquis de Schengen " dans le cadre de
l'Union européenne
. L' " acquis de Schengen "
regroupe non seulement l'accord de Schengen du 14 juin 1985, la convention
d'application de cet accord du 12 juin 1990 et les accords
d'adhésion, mais également l'ensemble des décisions
adoptées par le Comité exécutif, instance de
décision des accords de Schengen. Dès l'entrée en vigueur
du traité, le Conseil se substituera au Comité exécutif.
L'intégration de l' " acquis de Schengen " mettra un terme
à la dualité des structures contribuant à la mise en place
d'un espace de libre circulation par les citoyens.
Le Conseil de l'Union européenne devra déterminer à
l'unanimité la base juridique applicable à chacune des
dispositions qui constituent l'acquis de Schengen. Certaines décisions
prendront ainsi leur place au sein du pilier communautaire, d'autres au sein du
troisième pilier. Le travail de répartition est actuellement en
cours.
En matière d'
asile et d'immigration
, le Conseil de l'Union
européenne est invité à adopter dans les cinq ans des
mesures relatives à l'asile (critères de détermination de
l'Etat membre chargé de l'examen de la demande, normes minimales
d'accueil...), des mesures concernant les personnes déplacées,
enfin des mesures relatives à l'immigration (conditions d'entrée
et de séjour, immigration clandestine).
Enfin, dans la mesure nécessaire au fonctionnement du marché
intérieur, le Conseil de l'Union est invité à prendre des
mesures concernant la
coopération judiciaire en matière
civile
. Il s'agit notamment d'améliorer la signification
transfrontière des actes, la coopération en matière
d'obtention de preuves...
En ce qui concerne la
procédure de décision applicable aux
matières transférées dans le premier pilier
, durant
les cinq années suivant l'entrée en vigueur du traité, le
Conseil statue à l'unanimité sur proposition de la Commission ou
à l'initiative d'un État membre. Le Parlement européen est
consulté. Toutefois, certaines mesures concernant les visas sont,
dès l'entrée en vigueur du traité, prises à la
majorité qualifiée sur proposition de la Commission. A l'issue de
cette période de cinq ans, seule la Commission a l'initiative des
textes : le Conseil, statuant à l'unanimité, peut
décider d'appliquer la procédure de codécision et le vote
à la majorité qualifiée à la totalité ou
à une partie des questions transférées du troisième
vers le premier pilier. Toutefois, quelques mesures concernant les visas sont
d'office régies par la procédure de codécision et la
majorité qualifiée à l'issue du délai de
cinq ans.
Votre rapporteur évoquera plus largement ces modalités de mise en
oeuvre de ces compétences, qui ont, pour certaines d'entre elles,
été considérées comme contraires à la
Constitution.
II. LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL CONSTATE UN RISQUE D'ATTEINTE AUX CONDITIONS ESSENTIELLES D'EXERCICE DE LA SOUVERAINETÉ
A. LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX
1. La procédure
Les
engagements internationaux peuvent être soumis au Conseil constitutionnel
par l'intermédiaire de deux procédures. L'
article 61
de la
Constitution permet tout d'abord de
saisir le Conseil constitutionnel d'une
loi autorisant la ratification ou l'approbation d'un engagement
international
. Dans le cadre d'une telle saisine, le Conseil peut
être amené à vérifier la conformité à
la Constitution de la convention qui lui est soumise. Le Conseil
constitutionnel a, jusqu'à présent, été saisi
à sept reprises de lois autorisant la ratification ou l'approbation
d'engagements internationaux.
Toutefois, le traité d'Amsterdam a été soumis
conjointement par le Président de la République et le Premier
ministre au Conseil constitutionnel sur le fondement de
l'
article 54
de la Constitution. Cet article permet au
Président de la République, au Premier ministre, au
Président de l'une ou l'autre assemblée ou à soixante
députés ou soixante sénateurs
5(
*
)
de
saisir le Conseil constitutionnel d'un
engagement international
afin qu'il vérifie sa conformité
à la Constitution.
Si le Conseil a déclaré qu'un
engagement international comporte une clause contraire à la
Constitution, l'autorisation de le ratifier ou de l'approuver ne peut
intervenir qu'après révision de la Constitution.
2. Les précédents
Avant la
décision du Conseil constitutionnel relative au traité
d'Amsterdam, l'article 54 de la Constitution n'a donné lieu
qu'à cinq applications :
- en 1970, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur le
traité du 22 avril 1970 portant modification de certaines
dispositions budgétaires des traités instituant les
Communautés européennes et du traité instituant un Conseil
unique et une Commission unique des Communautés européennes,
ainsi que sur la décision du Conseil des Communautés
européennes du 21 avril 1970 relative au remplacement des
contributions des Etats membres par des ressources propres aux
Communautés ;
- en 1976, le Conseil s'est prononcé sur la décision du Conseil
des Communautés européennes relative à l'élection
de l'Assemblée européenne ;
- en 1985, le Conseil constitutionnel a été saisi du
protocole n° 6 additionnel à la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort ;
- en 1992, le Conseil constitutionnel s'est prononcé à deux
reprises dans le cadre de l'article 54 de la Constitution sur le
traité sur l'Union européenne signé à Maastricht.
Dans une seule décision, la
décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992 relative
au traité sur l'Union européenne, le Conseil constitutionnel a
estimé que l'autorisation de ratification d'un engagement international
nécessitait une révision de la Constitution.
Dans chacune de ces décisions, le Conseil constitutionnel s'est
prononcé sur le respect de la souveraineté nationale. En
règle générale, il s'est assuré que l'engagement
qui lui était soumis ne portait pas atteinte "
aux conditions
essentielles d'exercice de la souveraineté nationale
". Ainsi,
dans sa décision du 19 juin 1970, le Conseil a estimé
que l'engagement qui lui était déféré "
ne
peut porter atteinte, ni par sa nature, ni par son importance, aux conditions
essentielles d'exercice de la souveraineté nationale
".
Dans sa décision de 1976 relative à l'élection de
l'Assemblée des Communautés européennes, le Conseil avait
opéré une distinction entre les "
les limitations de
souveraineté
" envisageables et les "
transferts de
souveraineté
" contraires à la Constitution. Il a par la
suite abandonné cette distinction.
La décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992 a
exprimé très clairement la méthode de contrôle
utilisée par le Conseil constitutionnel et rendait largement
prévisible la décision relative au traité d'Amsterdam.
Dans sa décision de 1992, le Conseil a tout d'abord, dans un
considérant de principe important, affirmé que "
le
respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce
que, sur le fondement des dispositions précitées du
préambule de la Constitution de 1946, la France puisse conclure, sous
réserve de réciprocité, des engagements internationaux en
vue de participer à la création et au développement d'une
organisation internationale permanente, dotée de la personnalité
juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts
de compétences consentis par les Etats membres
".
Toutefois, le Conseil a considéré que "
au cas où
des engagements internationaux souscrits à cette fin contiennent une
clause contraire à la Constitution ou portent atteinte aux conditions
essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de
les ratifier appelle une révision constitutionnelle ".
Dès cette décision du Conseil constitutionnel, il était
apparu que pour apprécier la conformité à la Constitution
d'un transfert de compétences, le Conseil prenait en
considération non seulement la matière concernée, mais
également les modalités d'exercice des compétences
transférées.
Dans cette décision, le Conseil avait ainsi estimé que certaines
stipulations du traité de Maastricht étaient directement
contraires à certains articles de la Constitution française (
stipulations relatives au droit de vote et d'éligibilité des
ressortissants communautaires aux élections municipales).
En ce qui concerne l'Union économique et monétaire, le Conseil
avait estimé "
que la réalisation d'un semblable objectif
se traduira par la mise en oeuvre d'une politique monétaire et d'une
politique de change uniques suivant des modalités telles qu'un
État membre se trouvera privé de compétences propres dans
un domaine où sont en cause les conditions essentielles d'exercice de la
souveraineté nationale ".
A propos de la politique des visas, le Conseil constitutionnel avait fait
valoir que
" l'abandon de la règle de l'unanimité
à compter du 1er janvier 1996, comme le prévoit le
paragraphe 3 de l'article 100 C, pourrait conduire (...) à ce
que se trouvent affectées des conditions essentielles d'exercice de la
souveraineté nationale ".
Au regard de cette décision de 1992, la décision du Conseil
constitutionnel relative au traité d'Amsterdam était largement
prévisible.
B. LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LE TRAITÉ D'AMSTERDAM
Le 4
décembre 1997, le Président de la République et le Premier
ministre ont conjointement saisi le Conseil constitutionnel afin qu'il statue
sur la conformité du traité d'Amsterdam à la Constitution.
Celui-ci a rendu sa décision le 31 décembre 1997 et a
déclaré contraires à la Constitution certaines
stipulations du titre III A nouveau (Visas, asile, immigration et autres
politiques liées à la libre circulation des personnes) du
traité instituant la Communauté européenne tel qu'il est
modifié par le traité d'Amsterdam. Il a également
estimé qu'aucune des autres stipulations du traité d'Amsterdam
n'était contraire à la Constitution.
Dans sa décision n°97-394 du 31 décembre 1997, le
Conseil constitutionnel suit un raisonnement identique à celui qu'il
avait tenu en 1992, tout en apportant un certain nombre de précisions.
Conformément à son habitude, le Conseil énumère
tout d'abord les
normes de référence applicables
, en
particulier le préambule de la Constitution de 1958, l'article 3 de la
déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ("
Le principe
de toute souveraineté réside essentiellement dans la
nation "
), l'article 3 de la Constitution (
" la
souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses
représentants et par la voie du référendum ")
.
Aux normes de référence déjà citées en 1992
à propos du traité de Maastricht, le Conseil ajoute l'article
88-1 de la Constitution, qui consacre la participation de la France aux
Communautés et à l'Union européenne.
Le Conseil indique ensuite, comme il l'avait fait en 1992, que
le respect de
la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que la France
puisse participer à la création et au développement d'une
organisation internationale permanente, dotée de la personnalité
juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts
de compétences consentis par les Etats membres.
Le Conseil rappelle toutefois que l'autorisation de ratifier un engagement
international appelle une révision constitutionnelle lorsque
l'engagement contient une disposition contraire à la Constitution ou
porte atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté
nationale.
C'est à ce stade que le Conseil formalise la méthode qu'il avait
utilisée en 1992 en prenant en compte à la fois les
compétences transférées et les modalités
d'exercice de ces compétences
. Le Conseil indique en effet
qu'appellent une nouvelle révision constitutionnelle les clauses du
traité qui opèrent des transferts de compétences mettant
en cause les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté
nationale, soit que ces transferts interviennent dans un
domaine autre que
ceux pour lesquels des transferts sont autorisés
par
l'article 88-2 de la Constitution
6(
*
)
, soit
que les clauses du nouveau traité fixent
d'autres modalités
que celles prévues par le traité de Maastricht
pour
l'exercice des compétences dont le transfert a été
autorisé par l'article 88-2.
Une fois ces critères dégagés, le Conseil constitutionnel
examine successivement les mesures relatives à l'asile, à
l'immigration et au franchissement des frontières intérieures des
Etats membres puis les mesures relatives au franchissement des
frontières extérieures des Etats membres.
Cette distinction est justifiée par le fait qu'aucune habilitation
constitutionnelle n'a jusqu'à présent été
donnée en matière d'asile, d'immigration et de franchissement des
frontières intérieures des Etats membres, tandis que
l'article 88-2 contient une telle habilitation en matière de
franchissement des frontières extérieures.
On notera que le Conseil ne s'intéresse explicitement qu'à
certaines mesures prévues dans le titre III A. Il n'évoque
ainsi à aucun moment les mesures prévues par
l'article 73 M relatif à la coopération judiciaire en
matière civile ayant une incidence transfrontière, alors
même que les modalités d'adoption de ces mesures sont les
mêmes qu'en matière d'asile et d'immigration (vote à
l'unanimité au sein du Conseil pendant cinq ans, puis décision
à l'unanimité du Conseil de passer au vote à la
majorité qualifiée et à la procédure de
codécision avec le Parlement européen.
De fait, ces mesures,
parce qu'elles tendent pour l'essentiel à améliorer et simplifier
certaines procédures, ne paraissent pas intéresser l'exercice de
la souveraineté nationale.
1. Les mesures relatives à l'asile, à l'immigration et au franchissement des frontières intérieures des Etats
A propos
des mesures relatives à l'asile (article 73 K), à
l'immigration (article 73 J) et au franchissement des
frontières intérieures des Etats membres, le Conseil
constitutionnel se réfère explicitement au
principe de
subsidiarité
qui implique que la Communauté n'intervient que
si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne
peuvent être réalisés de manière suffisante par les
Etats membres. Le Conseil n'en tire aucune conséquence juridique,
observant que
" la seule mise en oeuvre de ce principe pourrait ne pas
faire obstacle à ce que les transferts de compétences
autorisés par le traité (...) revêtent une ampleur et
interviennent selon des modalités telles que puissent être
affectées les conditions essentielles d'exercice de la
souveraineté nationale "
.
Le Conseil examine alors les modalités d'adoption des mesures
prévues en matière d'asile, d'immigration et de franchissement
des frontières intérieures des Etats membres pour estimer que les
conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ne
seront pas affectées pendant la période de cinq ans pendant
laquelle les mesures seront prises à l'unanimité, les Etats
conservant un pouvoir d'initiative au même titre que la Commission
européenne.
En revanche, après la période de cinq ans, la perte par les Etats
de leur pouvoir d'initiative et la possibilité pour le Conseil, par un
vote à l'unanimité, de décider que les mesures
concernées seront prises à la majorité qualifiée et
selon la procédure de codécision avec le Parlement
européen n'emportent pas la même appréciation du Conseil.
Celui-ci
déclare ces stipulations contraires à la
Constitution
en faisant valoir que la mise en oeuvre de ces
procédures
"pourrait conduire à ce que se trouvent
affectées les conditions essentielles d'exercice de la
souveraineté nationale "
.
Pour justifier cette appréciation, le Conseil note que
le passage
à la majorité qualifiée et à la procédure de
codécision
" ne nécessitera, le moment venu, aucun acte
de ratification ou d'approbation nationale, et ne pourra ainsi pas faire
l'objet d'un contrôle de constitutionnalité sur le fondement de
l'article 54 ou de l'article 61, alinéa 2, de la
Constitution "
.
Cette justification explique que d'autres dispositions du traité,
intéressant l'exercice de la souveraineté nationale, n'aient pas
été déclarées contraires à la Constitution.
Ainsi, l'article K 14 du traité sur l'Union européenne
tel qu'il résulte du traité d'Amsterdam prévoit que le
Conseil peut décider à l'unanimité que les actions
concernant la coopération policière et judiciaire en
matière pénale prévue par l'article K 1
relèveront du traité instituant la Communauté
européenne ( " communautarisation ") et se verront appliquer
la procédure de codécision et le vote à la majorité
qualifiée. L'article K 14 précise cependant que le
Conseil de l'Union européenne
" recommande l'adoption de cette
décision par les Etats membres conformément à leurs
règles constitutionnelles respectives "
.
On peut donc en déduire que si le traité avait imposé
l'adoption par les Etats membres selon leurs procédures
constitutionnelles respectives de la décision de passer au vote à
la majorité qualifiée et à la procédure de
codécision en matière d'asile, d'immigration et de franchissement
des frontières intérieures des Etats membres, les stipulations du
traité relatives aux modalités d'exercice de ces
compétences n'auraient pas été déclarées
contraires à la Constitution.
On peut également conclure de la comparaison entre les mécanismes
prévus dans le titre III A et ceux figurant dans l'article K 14 que les
chefs d'Etat et de gouvernement ont volontairement écarté
l'hypothèse d'une approbation par les Etats selon leurs règles
constitutionnelles respectives de la décision de passage à la
majorité qualifiée pour la libre circulation des personnes et les
matières qui lui sont liées, dans la mesure où ils ont
prévu une telle approbation dans d'autres domaines.
2. Les mesures relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats membres
L'appréciation du Conseil sur les mesures relatives au
franchissement des frontières extérieures des Etats membres
(article 73 J) prend en compte le fait que l'article 88-2 de la
Constitution, inséré dans la Loi fondamentale en 1992, dispose
que
" sous réserve de réciprocité et selon les
modalités prévues par le Traité sur l'Union
européenne signé le 7 février 1992, la France
consent aux transferts de compétences nécessaires (...) à
la détermination des règles relatives au franchissement des
frontières extérieures des Etats membres de la Communauté
européenne "
.
Le Conseil s'attache donc à rechercher si certaines stipulations du
traité d'Amsterdam constituent des modalités nouvelles d'exercice
des compétences pour lesquelles un transfert a été
autorisé.
En ce qui concerne les procédures applicables en matière de
franchissement des frontières extérieures, trois cas de figure
doivent être distingués :
- certaines mesures relatives aux courts séjours dans l'Union
européenne (liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis
à l'obligation de visa ; modèle type de visa) sont soumises
au
vote à la majorité qualifiée après
consultation du Parlement européen dès l'entrée en vigueur
du traité d'Amsterdam
. Le Conseil considère que ces
dispositions ne sont pas contraires à la Constitution dans la mesure
où ces procédures de décision étaient
déjà prévues par le traité sur l'Union
européenne (article 100 C) dans sa rédaction issue du
traité de Maastricht et qu'elles sont donc couvertes par
l'article 88-2 de la Constitution ;
- certaines mesures (détermination des procédures et conditions
de délivrance des visas de court séjour par les Etats
membres ; règles applicables en matière de visa uniforme)
seront prises
automatiquement
à la majorité
qualifiée et selon la procédure de codécision au terme
d'une période de cinq ans pendant laquelle continuera à
s'appliquer le vote à l'unanimité et la consultation du Parlement
européen. Le Conseil a estimé que ces modalités nouvelles
étaient contraires à la Constitution.
On notera donc que ces dispositions justifient à elles seules une
révision de notre Constitution.
Par conséquent, même si le traité avait imposé que
la décision de passage à la majorité qualifiée et
à la procédure de codécision, lorsqu'elle est
laissée à l'appréciation du Conseil statuant à
l'unanimité, soit approuvée par les Etats conformément
à leurs règles constitutionnelles, une révision de la
Constitution n'en aurait pas moins été
nécessaire ;
- enfin, comme en matière de franchissement des frontières
intérieures des Etats membres, certaines mesures (normes et
modalités auxquelles doivent se conformer les Etats membres pour
effectuer les contrôles des personnes aux frontières
extérieures) pourront faire l'objet, au terme d'une période de
cinq ans, d'une décision de passage à la majorité
qualifiée et à la procédure de codécision par le
Conseil de l'Union européenne statuant à l'unanimité. Le
Conseil a logiquement estimé que ces dispositions étaient
contraires à la Constitution.
Le tableau ci-après retrace l'ensemble des mesures que le Conseil de
l'Union européenne est invité à prendre en matière
de " Visas, asile, immigration et autres politiques liées à
la libre circulation des personnes " ainsi que les procédures
applicables. Il fait également apparaître les cas de
contrariété avec la Constitution.
Les
dispositions du traité d'Amsterdam
relatives aux visas, à
l'asile, à l'immigration et aux autres politiques
liées
à la libre circulation des personnes
Mesures à prendre
|
Procédure décisionnelle applicable |
||
|
|
||
Libre
circulation des personnes
|
|
||
1/ mesures visant à assurer l'absence de tout contrôle des personnes aux frontières intérieures de l'Union |
- pendant 5 ans, proposition de la Commission ou initiative d'un Etat, unanimité au Conseil, consultation du Parlement européen ; après cinq ans, initiative exclusive de la Commission ; le Conseil prend une décision à l'unanimité en ce qui concerne le passage au vote à la majorité qualifiée et à la codécision avec le Parlement européen Contraire à la Constitution française |
||
2/
mesures relatives au franchissement des frontières extérieures de
l'Union :
|
|
||
a)
normes et modalités auxquelles doivent se conformer les Etats pour
effectuer les contrôles des personnes aux frontières
extérieures ;
|
idem
|
||
b) règles relatives aux visas pour les séjours d'une durée maximale de trois mois : |
|
||
i) liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa ; |
- dès l'entrée en vigueur du traité, majorité qualifiée au sein du Conseil, consultation du Parlement européen Non contraire à la Constitution française |
||
ii) procédures et conditions de délivrance des visas par les Etats ; |
- pendant 5 ans, proposition de la Commission ou initiative d'un Etat, unanimité du Conseil, consultation du Parlement européen ; après 5 ans, initiative exclusive de la Commission ; passage automatique au vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil et à la codécision avec le Parlement européen. Contraire à la Constitution française |
||
iii) modèle type de visa ; |
- dès l'entrée en vigueur du traité, majorité qualifiée au sein du Conseil, consultation du Parlement européen Non contraire à la Constitution française |
||
|
Contraire à la Constitution française |
||
|
Contraire à la Constitution française |
||
|
|
|
|
Asile et
immigration
|
|
|
|
1/ mesures relatives à l'asile : |
}} |
|
|
a) critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre chargé de l'examen d'une demande ; |
}}} |
|
|
b) normes minimales régissant l'accueil des demandeurs d'asile ; |
}}} |
|
|
c) normes minimales concernant les conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers pour prétendre au statut de réfugié ; |
}}}} |
|
|
d) normes minimales concernant la procédure d'octroi ou de retrait du statut de réfugié. |
}}} |
- pendant 5 ans, proposition de la Commission ou initiative d'un Etat, unanimité du Conseil, consultation du Parlement européen ; après 5 ans, initiative exclusive de la Commission ; le Conseil |
|
2/ mesures concernant les personnes déplacées : |
} |
prend une décision à l'unanimité en ce qui concerne |
|
|
}}} |
le passage à la majorité qualifiée et à la codécision avec le Parlement européen Contraire à la Constitution française |
|
|
}}} |
|
|
3/ mesures relatives à l'immigration : |
}}} |
|
|
a) conditions d'entrée et de séjour, normes concernant les procédures de délivrance de visas et de titres de séjour de longue durée* ; |
}}}} |
- pendant 5 ans, proposition de la Commission ou initiative d'un Etat, unanimité du Conseil, consultation du parlement européen ; après 5 ans, initiative exclusive de la Commission ; le Conseil prend une décision à l'unanimité en ce qui concerne le passage à la majorité qualifiée et à la codécision |
|
b) immigration clandestine et séjour irrégulier, y compris le rapatriement des personnes en séjour irrégulier ; |
}}}} |
Contraire à la Constitution française |
|
4/ mesures définissant les droits des ressortissants des pays tiers en situation régulière de séjour dans un Etat membre de séjourner dans les autres Etats membres et les conditions dans lesquelles ils peuvent le faire * |
}}}}} |
|
|
|
|
|
|
Coopération judiciaire en
matière civile
|
|
|
|
|
}}}}}} |
|
|
Il s'agit notamment : |
}} |
- pendant 5 ans, proposition de la Commission ou initiative d'un État, unanimité du Conseil, consultation du Parlement européen ; |
|
- d'améliorer et de simplifier le système de signification transfrontalière des actes judiciaires et extrajudiciaires, la coopération en matière d'obtention de preuves, la reconnaissance et l'exécution des décisions ; |
}}}}}} |
après 5 ans, initiative exclusive de la Commission ; le Conseil prend une décision à l'unanimité en ce qui concerne le passage à la majorité qualifiée et à la codécision avec le Parlement européen Non contraire à la Constitution française |
|
- de favoriser la compatibilité des règles applicables dans les Etats membres en matière de procédure civile et de conflits de compétence ; |
}}}} |
|
|
- d'éliminer les obstacles au bon déroulement des procédures civiles, au besoin en favorisant la compatibilité des règles de procédure civile applicables par les Etats membres. |
}}}} |
|
* La période de cinq ans prévue pour que le Conseil arrête des mesures ne s'applique pas à ces alinéas.
III. LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Le projet de loi constitutionnelle soumis au Sénat a été adopté par l'Assemblée nationale le 1er décembre dernier.
1. Le projet initial
Le
projet initial contenait un article unique tendant à modifier
l'article 88-2 de la Constitution. Dans sa rédaction actuelle,
issue de la révision constitutionnelle de 1992, préalable
à la ratification du traité de Maastricht, cet article dispose :
"
sous réserve de réciprocité et selon les
modalités prévues par le Traité sur l'Union
européenne signé le 7 février 1992, la France
consent aux transferts de compétences nécessaires à
l'établissement de l'Union économique et monétaire
européenne ainsi qu'à la détermination des règles
relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats
membres de la Communauté européenne. "
Le projet de loi constitutionnelle tend à modifier cet article de
manière à permettre la ratification du traité d'Amsterdam,
compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel du
31 décembre 1997. Comme l'a noté votre rapporteur en
introduction au présent rapport, le Gouvernement a choisi de
présenter un projet limité se référant aux
dispositions déclarées contraires à la Constitution et non
d'introduire une clause générale autorisant par avance des
transferts de compétences ultérieurs.
Ainsi, le projet de loi constitutionnelle vise à autoriser, sous
réserve de réciprocité et selon les modalités
prévues par le traité instituant la Communauté
européenne dans sa rédaction résultant du traité
signé le 2 octobre 1997, les transferts de compétences
" nécessaires à la détermination des règles
relatives à la libre circulation des personnes et aux domaines qui lui
sont liés ".
2. Les travaux de l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a approuvé le projet de loi
constitutionnelle. Elle a adopté un article additionnel modifiant
l'article 88-4 de la Constitution. Dans sa rédaction actuelle,
l'article 88-4 prévoit la soumission aux assemblées des
propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature
législative, les assemblées pouvant adopter des
résolutions sur ces propositions.
La mise en oeuvre de l'article 88-4 depuis maintenant six ans a
révélé certaines imperfections de cette disposition. En
particulier le terme
" propositions d'actes communautaires "
a
conduit le Gouvernement à refuser de soumettre aux assemblées les
propositions ou projets relevant des deuxième et troisième
piliers de l'Union européenne.
La limitation du dispositif aux propositions d'actes comportant des
dispositions de nature législative a également eu, dans certains
cas, des conséquences fâcheuses, des textes très importants
pouvant échapper au contrôle parlementaire.
L'Assemblée nationale a adopté un amendement étendant le
champ d'application de l'article 88-4 aux propositions ou projets d'actes
de l'Union européenne. Elle a en outre prévu que le Gouvernement
pourrait
soumettre aux assemblées
" les autres projets ou
propositions d'actes ainsi que tout document émanant d'une institution
de l'Union européenne "
.
IV. LES CONCLUSIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : APPROUVER LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Appelée à examiner le projet de loi
constitutionnelle,
votre commission devait tout d'abord vérifier que ce projet permettait
de faire disparaître complètement les motifs
d'inconstitutionnalité relevés par le Conseil constitutionnel
dans le traité d'Amsterdam. Il lui revenait également d'examiner
les transferts de compétences que tend à permettre le projet de
loi constitutionnelle.
En ce qui concerne le champ de la révision proposée, votre
commission approuve le contenu du projet de loi constitutionnelle, qui tend
à permettre les "
transferts de compétences
nécessaires à la détermination des règles relatives
à la libre circulation des personnes et aux domaines qui lui sont
liés "
.
Cette formulation recouvre en effet le contenu du titre III A nouveau du
traité instituant la Communauté européenne tel qu'il
résulte du traité d'Amsterdam, intitulé "
Visas,
asile, immigration et autres politiques liées à la libre
circulation des personnes ".
Sur le fond, votre commission approuve une modification constitutionnelle qui
permettra le moment venu au Parlement de se prononcer sur la ratification du
traité.
Il paraît difficile de nier l'intérêt d'une politique
commune en matière de franchissement des frontières
intérieures et extérieures des Etats membres. Les politiques
nationales d'immigration en particulier ont trouvé leurs limites et le
cadre européen paraît offrir des perspectives meilleures pour
exercer une politique efficace en cette matière. Personne aujourd'hui ne
conteste la nécessité d'une action au niveau européen dans
les matières visées au titre III A du traité instituant la
Communauté européenne tel qu'il résulte du traité
d'Amsterdam.
Il est bien évident que
l'ouverture des frontières
intérieures, corollaire naturel de l'Union économique, rend en
pratique inopérants les contrôles dans le cadre national et
entraîne une homogéneité du territoire européen,
dont la seule frontière opérationnelle ne peut être que le
réseau des frontières extérieures
. Il importe
dès lors que le contrôle de celles-ci soit géré en
commun. Pour votre rapporteur, l'attribution de compétences à
l'Union européenne dans ces domaines n'est pas à proprement
parler un nouveau progrès de la construction européenne. Il
s'agit plutôt de la conséquence logique et nécessaire de
l'ouverture des frontières intérieures qui, elle, fait partie des
grandes avancées vers l'union des Etats européens.
Si le principe d'une action au niveau européen dans les matières
liées à la libre circulation des personnes n'est donc
guère contesté, la " communautarisation " de ces
matières est parfois remise en cause et singulièrement la
perspective du vote à la majorité qualifiée au sein du
Conseil.
Il faut pourtant constater que la méthode intergouvernementale
appliquée depuis l'entrée en vigueur du traité de
Maastricht n'a pas conduit à des résultats probants et ne pouvait
aboutir à de tels résultats. Dans ces domaines, une politique
efficace n'est possible que par la mise en oeuvre des mécanismes
prévus par le traité instituant la Communauté
européenne, dont l'expérience a montré qu'en dépit
de la complexité des problèmes, ils permettaient de concilier
l'exigence d'efficacité et la prise en compte des points de vue
nationaux. Certes, la mise en oeuvre des accords de Schengen a pour sa part
permis des avancées plus substantielles, mais on conviendra que le
maintien d'une dualité de structures pour les questions relatives
à la libre circulation des personnes n'est pas un gage
d'efficacité.
La " communautarisation " impliquera une modification des
méthodes d'élaboration des textes : les conventions seront
remplacées par les instruments traditionnels du droit communautaire,
règlements et directives ; les matières transférées
dans le premier pilier feront l'objet, sous certaines réserves, d'un
contrôle par la Cour de justice ; après une période de
cinq ans, la Commission européenne bénéficiera du monopole
de l'initiative (les Etats bénéficiant d'un droit d'initiative
pendant les cinq années suivant l'entrée en vigueur du
traité) ; enfin, le traitement au Conseil de l'Union des propositions se
fera par des groupes de travail et par le Comité des
représentants permanents (COREPER) et non plus par les multiples niveaux
menant au comité dit K4 existant dans le cadre du troisième
pilier.
On peut espérer que ces nouvelles méthodes de travail permettront
une véritable action de la Communauté, dont on perçoit mal
ce que la France aurait à craindre.
En ce qui concerne le passage à la majorité qualifiée
-quelles que soient les conditions de ce passage- il constitue pour l'essentiel
un moyen de rendre plus efficace le processus communautaire de décision.
Le système de la majorité qualifiée est une incitation
pour les Etats à négocier sérieusement sur les
propositions qui leur sont faites, tandis que l'unanimité est un facteur
d'inertie et de marchandage.
La France a-t-elle en matière de visas, d'asile, d'immigration, des
intérêts si différents de ceux de l'Allemagne ou de
l'Italie par exemple qu'elle puisse craindre d'être mise en
minorité sur des textes qui auraient pour elles de graves
conséquences ?
Dans la plupart des cas, le passage à la majorité
qualifiée et à la procédure de codécision sera
décidé à l'unanimité par le Conseil de l'Union
européenne, ce qui permettra à ce dernier de définir les
domaines auxquels s'appliqueront les nouvelles modalités. On peut ainsi
penser que le Conseil ne décidera pas un passage
" en
bloc "
à la majorité qualifiée pour l'ensemble
des mesures prévues par le nouveau titre du traité.
Rappelons aussi que la majorité qualifiée n'est pas la
majorité simple et que, dans le cadre de ce système, 70% des voix
sont nécessaires pour qu'une décision puisse être
adoptée, chaque Etat disposant d'un certain nombre de voix en rapport
avec son poids démographique
7(
*
)
. Il est
vrai que cette pondération mérite aujourd'hui d'être revue,
les élargissements successifs ayant conduit à une érosion
du poids des grands Etats. Un protocole, dont la valeur contraignante est
égale à celle du traité, "
sur les institutions
dans la perspective de l'élargissement de l'Union
européenne
" fait d'ailleurs de la révision de cette
pondération une condition de la réduction du nombre de membres de
la Commission européenne.
Il convient enfin de mentionner qu'une sécurité est prévue
par le traité.
Ainsi, aucune des mesures adoptées dans le
cadre du nouveau titre du traité instituant la Communauté
européenne ne devra porter atteinte à l'exercice des
responsabilités qui incombent aux Etats membres pour le maintien de
l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure.
Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission s'est prononcée en
faveur de l'adoption du projet de loi constitutionnelle.
*
* *
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
(article 88-2 de la
Constitution)
Autorisation de transferts de
compétences
L'article 1
er
du projet de loi constitutionnelle
tend
à modifier l'article 88-2 de la Constitution afin d'autoriser les
transferts de compétences dont le Conseil constitutionnel a
estimé qu'ils pourraient porter atteinte aux conditions essentielles
d'exercice de la souveraineté nationale.
Dans sa rédaction actuelle, l'article 88-2 prévoit que
"
sous réserve de réciprocité et selon les
modalités prévues par le traité sur l'Union
européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux
transferts de compétences nécessaires à
l'établissement de l'Union économique et monétaire
européenne ainsi qu'à la détermination des règles
relatives au fonctionnement des frontières extérieures des Etats
membres de la Communauté européenne
".
Pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 31
décembre 1997 relative au traité d'Amsterdam, le projet de loi
constitutionnelle tend à autoriser de nouveaux transferts de
compétences. Il prévoit la scission en deux alinéas de
l'article 88-2, le premier étant exclusivement consacré à
l'Union économique et monétaire.
Un second alinéa serait inséré, précisant que
"
sous la même réserve et selon les modalités
prévues par le traité instituant la Communauté
européenne, dans sa rédaction résultant du traité
signé le 2 octobre 1997, peuvent être consentis les transferts de
compétences nécessaires à la détermination des
règles relatives à la libre circulation des personnes et aux
domaines qui lui sont liés
".
Cette rédaction appelle quelques remarques. Tout d'abord, ce second
alinéa permet des transferts de compétences dans des domaines
plus nombreux que l'article 88-2 dans sa rédaction actuelle, lequel ne
vise que le franchissement des frontières extérieures des Etats
membres. Par ailleurs, le nouvel alinéa prévoit que les
transferts sont possibles "
selon les modalités prévues
par le traité instituant la Communauté européenne, dans sa
rédaction résultant du traité signé le 2 octobre
1997
". Il faut en déduire que si, ultérieurement, de
nouvelles modalités d'exercice des compétences pour lesquelles un
transfert est autorisé venaient à être envisagées,
une nouvelle habilitation serait peut-être nécessaire.
Il convient également de noter que le projet de loi prévoit que
les transferts de compétences "
peuvent être
consentis
", alors que dans sa rédaction actuelle, l'article
88-2 dispose que "
la France consent
". Il est vraisemblable
que le Président de la République et le Premier ministre n'ont
pas voulu préjuger de la ratification du traité dans le projet de
loi constitutionnelle. Lors de son audition par votre commission, Mme Elisabeth
Guigou, Garde des Sceaux, ministre de la justice, a indiqué que
l'expression "
peuvent être consentis
" visait à
marquer que les décisions essentielles seraient prises après une
période de cinq ans et qu'il serait possible de refuser le passage
à la majorité qualifiée et à la codécision.
Enfin, le nouvel alinéa proposé évoque les
"
transferts de compétences nécessaires à la
détermination des règles relatives à la libre circulation
des personnes et aux domaines qui lui sont liés
". Cette
expression est proche de l'intitulé du titre III A nouveau du
traité instituant la Communauté européenne :
"
Visas, asile, immigration et autres politiques liées à
la libre circulation des personnes
", même si elle n'est pas
identique. En tout état de cause, le champ de l'habilitation
constitutionnelle ne saurait excéder celui du titre III A nouveau du
traité instituant la Communauté européenne. Votre
commission approuve donc la rédaction proposée.
Votre commission vous propose d'adopter l'article 1
er
sans
modification
.
Article 2
(article 88-4 de la
Constitution)
Résolutions des assemblées parlementaires
sur
les propositions d'actes
communautaires
L'Assemblée nationale a ajouté au projet de loi
constitutionnelle un article additionnel modifiant l'article 88-4 de la
Constitution.
Six ans après son introduction dans la Constitution, l'article 88-4
a incontestablement permis une meilleure implication du Parlement dans le
contexte de l'action du Gouvernement en matière européenne.
1. Bilan de l'article 88-4
Depuis l'entrée en vigueur de cette disposition, près de
1.200 propositions d'actes communautaires ont été soumises
au Sénat, imprimées et distribuées. Cela a
incontestablement facilité une meilleure appréhension par les
parlementaires de l'importance de la législation communautaire. A partir
de 1994, la délégation pour l'Union européenne a
examiné de manière systématique ces propositions afin
d'isoler celles qui méritaient une intervention particulière du
Sénat.
101 propositions de résolution ont été
déposées au Sénat depuis l'entrée en vigueur de
l'article 88-4. Notre assemblée a adopté 51 résolutions
dont 19 en séance publique. Cette procédure a ainsi permis au
Sénat de prendre position sur des propositions importantes comme celles
concernant le passage à la troisième phase de l'Union
européenne et monétaire, le droit de vote et
d'éligibilité des ressortissants communautaires aux
élections municipales, le marché intérieur de
l'électricité et du gaz naturel. La commission des affaires
économiques a adopté très récemment une
résolution sur l'importante question de la réforme des fonds
structurels.
L'adoption de certaines résolutions en séance publique a permis
un débat en matière européenne dépassant le cadre
de notre délégation spécialisée et de la commission
permanente compétente.
D'une manière générale, l'article 88-4 a
facilité l'implication des parlementaires français dans les
questions européennes et a permis à chaque assemblée de
prendre officiellement position sur des textes communautaires importants.
Il faut noter que cette implication nouvelle du Parlement s'est faite en
coopération avec le Gouvernement et qu'à aucun moment, un risque
d'atteinte à la liberté de négociation du Gouvernement ne
s'est manifesté du fait de l'adoption de résolutions.
Les assemblées ont pourtant connu des difficultés dans
l'application de l'article 88-4, difficultés qui tiennent, pour
l'essentiel, au champ d'application de cette disposition.
Le Gouvernement a décidé de saisir le Conseil d'Etat afin de
déterminer, parmi les propositions européennes, celles qui
devaient être soumises à l'Assemblée nationale et au
Sénat.
Le Conseil d'Etat a interprété très strictement les
dispositions du premier alinéa de l'article 88-4, qui prévoit la
soumission aux assemblées des " propositions d'actes communautaires
comportant des dispositions de nature législative " :
- il a estimé que seuls les textes constituant véritablement des
" propositions "
devaient être soumis aux
assemblées, ce qui a conduit le Gouvernement à ne pas soumettre
les
documents de consultation
de la Commission européenne, tels
que les livres blancs ou les livres verts qui sont pourtant destinés
à recueillir le plus grand nombre d'avis possible avant le
dépôt d'une proposition formelle ; les assemblées
n'ont ainsi pas été en mesure d'adopter une résolution sur
le document " Agenda 2000 " publié en 1997 par la Commission
européenne, qui définissait des orientations sur l'avenir des
politiques communes dans la perspective de l'élargissement.
- le Gouvernement, conformément à l'avis du Conseil d'Etat, a
également refusé de soumettre aux assemblées les
projets d'accords interinstitutionnels
. Les accords interinstitutionnels
sont conclus entre le Conseil de l'Union européenne, la Commission
européenne et le Parlement européen. Dans certains cas, ils sont
prévus par le traité lui-même et ont pour objet de
définir les modalités d'application de certaines dispositions.
Dans d'autres cas, au contraire, ces accords visent à mettre fin
à un conflit entre institutions. Ils peuvent alors avoir des
conséquences sur l'équilibre institutionnel au sein de l'Union
européenne ;
- le Gouvernement, à la suite de l'avis du Conseil d'Etat, a
estimé que la notion de
" propositions d'actes
communautaires "
excluait les
propositions entrant dans le champ
des deuxième et troisième piliers de l'Union
, c'est à
dire les propositions relatives à la justice et aux affaires
intérieures d'une part, à la politique étrangère et
de sécurité d'autre part. En 1995, à la suite de demandes
des assemblées, le Premier ministre a accepté de transmettre ces
documents aux assemblées, sans toutefois que celles-ci puissent adopter
des résolutions ;
- enfin, la limitation du champ d'application de l'article 88-4 aux
propositions comportant des dispositions de nature législative a conduit
le Gouvernement à ne pas soumettre certains textes importants, en
particulier les propositions relatives à la fixation des prix agricoles,
la proposition sur le système de l'heure d'été, certaines
propositions sur les organisations communes de marchés en matière
agricole.
Face à cette situation, quelques propositions d'élargissement du
champ d'application de l'article 88-4 ont été
formulées au sein de la délégation pour l'Union
européenne de notre assemblée, en particulier par M. Lucien
Lanier
8(
*
)
et votre rapporteur
9(
*
)
, afin que le Sénat et l'Assemblée
nationale puissent adopter des résolutions sur certains documents
importants qui ne leur sont actuellement pas soumis.
La révision constitutionnelle préalable à la ratification
du traité d'Amsterdam paraît être un bon cadre pour modifier
l'article 88-4. Le traité d'Amsterdam évoque en effet le
rôle des Parlements nationaux dans un protocole annexé.
Il prévoit, en particulier, que :
- tous les documents de consultation de la Commission européenne (livres
verts, livres blancs et communications) sont transmis rapidement aux parlements
nationaux des Etats membres ;
- les propositions législatives de la Commission européenne sont
communiquées à temps pour que le Gouvernement de chaque
État membre puisse veiller à ce que le parlement national les
reçoive comme il convient ;
- un délai de six semaines s'écoule entre le moment où une
proposition est mise, par la Commission, à la disposition du Parlement
européen et du Conseil dans toutes les langues et la date à
laquelle elle est inscrite à l'ordre du jour du Conseil en vue d'une
décision, des exceptions étant possibles pour des raisons
d'urgence.
Le traité d'Amsterdam invite donc au renforcement de l'association
des Parlements nationaux aux activités de l'Union européenne.
2. Le contenu du projet de loi constitutionnelle
L'article 2 du projet de loi, ajouté par l'Assemblée nationale,
modifie le champ d'application de l'article 88-4 de la Constitution :
- en premier lieu, les propositions d'actes " des Communautés
européennes et
de l'Union européenne
" et non plus
des seules Communautés européennes seront
désormais soumises aux assemblées ; cette rédaction
inclut les propositions entrant dans le
champ des deuxième et
troisième piliers.
Une telle évolution apparaît nécessaire. Certes, les
documents entrant dans le champ du deuxième pilier (politique
étrangère et de sécurité commune) sont actuellement
peu nombreux (un seul a été transmis aux assemblées depuis
que le Gouvernement a accepté de les communiquer sans toutefois que des
résolutions soient possible). Rien ne permet cependant d'affirmer qu'une
telle situation perdurera.
Certes, le transfert d'une partie du troisième pilier dans le premier
pilier ou " communautarisation " diminue l'intérêt d'une
soumission aux assemblées des propositions entrant dans le champ du
troisième pilier. Toutefois, ce dernier a été refondu par
le traité d'Amsterdam et comporte des matières importantes telles
que la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue, le trafic d'armes, la
corruption et la fraude, sur lesquelles il est souhaitable que les
assemblées puisent prendre position en adoptant des résolutions.
Le projet de loi constitutionnelle adopté par l'Assemblée
nationale prévoit par ailleurs une
soumission facultative aux
assemblées de tous autres documents et propositions ou projets d'actes,
quelle qu'en soit la nature
. Cette soumission pourrait concerner les
documents de consultation de la Commission européenne, les projets
d'accords interinstitutionnels, enfin les propositions ne comportant pas de
dispositions de nature législative.
*
Votre
commission approuve l'esprit des modifications apportées par
l'Assemblée nationale à l'article 88-4, qui sont proches de
celles envisagées par les rapporteurs de la délégation du
Sénat pour l'Union européenne.
Votre rapporteur aurait souhaité qu'il soit précisé que
les documents de consultation de la Commission européenne devaient
être soumis aux assemblées sans qu'il s'agisse d'une simple
faculté pour le Gouvernement. En effet, le caractère facultatif
de la soumission des documents de consultation de la Commission
européenne ne paraît guère justifié. Ces textes, qui
peuvent prendre la forme de livres verts, de livres blancs, de communications,
ne constituent en rien des documents de travail internes à la Commission
comme on le pense parfois.
Il s'agit au contraire de textes d'orientation
destinés à recueillir le plus grand nombre d'avis possible avant
la présentation d'une proposition normative
. Toutes les personnes
intéressées sont en général invitées
à faire connaître leurs observations sur ce document afin que la
Commission puisse éventuellement les prendre en considération
dans la proposition normative qu'elle envisage de présenter
ultérieurement.
Dans ces conditions, on ne voit pas de raison qui empêcherait les
assemblées parlementaires françaises de prendre position par une
résolution sur ces documents. Une telle intervention peut permettre
d'attirer très tôt l'attention du Gouvernement sur telle ou telle
question qu'il conviendra d'avoir à l'esprit lorsqu'une proposition
normative sera discutée. Ainsi, n'aurait-il pas été utile
que les assemblées, dans le cadre des débats qui se
déroulent en France sur ce sujet, puissent prendre position sur le livre
vert sur les retraites complémentaires publié en juin 1997 ?
De même, le Parlement n'était-il concerné en rien par le
livre vert sur la convergence des secteurs des
télécommunications, des médias et des technologies de
l'information ?
Toutefois, l'inscription dans la Constitution de l'obligation pour le
Gouvernement de soumettre ces documents n'est peut-être pas, à la
réflexion, indispensable
. Il faut en effet souligner que le
protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union
européenne annexé au traité d'Amsterdam prévoit que
"
tous les documents de consultation de la Commission (livres verts,
livres blancs et communications) sont transmis rapidement aux parlements
nationaux des Etats membres
". Dans ces conditions, le Gouvernement
sera tenu de respecter le protocole en soumettant ces documents aux
assemblées. Cette communication aura lieu au titre de la dernière
partie du premier alinéa de l'article 88-4 modifié et elle
permettra donc le vote de résolutions conformément au second
alinéa de l'article 88-4.
Par ailleurs, le mécanisme facultatif prévu pour la soumission
des autres documents est quelque peu surprenant. Dans la mesure où
l'article 88-4 entre davantage dans la fonction de contrôle du Parlement
que dans sa fonction législative, dans la mesure aussi où les
résolutions adoptées n'ont aucune portée contraignante
pour le Gouvernement, il paraîtrait normal que les assemblées
puissent choisir les propositions sur lesquelles elles souhaitent se prononcer.
Le Parlement dispose d'un pouvoir de contrôle général et il
peut paraître choquant de laisser à la discrétion du
pouvoir exécutif le choix des documents sur lesquels les
assemblées pourront prendre position.
La rédaction retenue par l'Assemblée nationale a toutefois le
mérite d'éviter que les assemblées se voient soumettre
l'ensemble des documents émanant des institutions de l'Union
européenne. Une telle soumission risquerait d'avoir plus
d'inconvénients que d'avantages, compte tenu de la difficulté de
gérer un tel dispositif.
Dans ces conditions, votre commission vous propose d'adopter l'article 2
sans modification
.
*
* *
Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous propose d'adopter le projet de loi constitutionnelle dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale.
ANNEXES
______
ANNEXE N° 1
LES TRAVAUX DE LA
COMMISSIONAUDITION DE MME ELISABETH GUIGOU,
GARDE DES SCEAUX, MINISTRE
DE LA JUSTICE,
ET DE M. PIERRE MOSCOVICI,
MINISTRE
DÉLÉGUÉ CHARGÉ DES AFFAIRES
EUROPÉENNES
Mardi 8 décembre 1998
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de
la
justice
, a tout d'abord rappelé que le Président de la
République et le Premier ministre avaient saisi conjointement le Conseil
constitutionnel afin qu'il statue sur la conformité du traité
d'Amsterdam à la Constitution. Elle a souligné que le Conseil
constitutionnel avait estimé que le passage éventuel au vote
à la majorité qualifiée au sein du conseil de l'Union et
à la procédure de codécision dans les matières
liées à la libre circulation des personnes impliquait une
révision de la constitution. Elle a indiqué que le Gouvernement
et le Président de la République avaient choisi de
présenter un projet de loi constitutionnelle limité, visant
à tirer les conséquences de la décision du Conseil
constitutionnel.
Le garde des sceaux
a alors observé que l'Assemblée
nationale avait souhaité améliorer le contrôle du Parlement
sur la politique européenne du Gouvernement. Soulignant qu'il
était logique que le Parlement veuille donner son point de vue sur les
actes de l'Union, elle a rappelé qu'un protocole annexé au
traité d'Amsterdam invitait au renforcement du rôle des Parlements
nationaux, mais a fait valoir qu'il convenait cependant de respecter les
équilibres institutionnels prévus par la Constitution. Elle a
indiqué que l'Assemblée nationale avait finalement adopté,
avec l'accord du Gouvernement, un amendement prévoyant la soumission aux
assemblées de tous les projets et propositions d'actes relevant des
trois piliers de l'Union européenne, dès lors qu'ils comportaient
des dispositions de nature législative. Elle a ajouté que
l'amendement permettrait en outre au Gouvernement de soumettre tout projet,
proposition ou documents émanant des institutions de l'Union.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la
justice
, a souligné que le Gouvernement était ouvert à
un renforcement du droit de regard des assemblées en matière
européenne, dès lors qu'il ne concernerait que les propositions
comportant des dispositions de nature législative.
Le garde des sceaux
a enfin commenté certains amendements
déposés à l'Assemblée nationale, mais finalement
écartés par les députés. A propos du vote
éventuel d'une loi d'habilitation préalablement à la
décision de passage à la majorité qualifiée et
à la codécision dans les matières liées à la
libre circulation des personnes, elle a souligné que la révision
constitutionnelle avait précisément pour objet de permettre au
Gouvernement, après une période de cinq ans, d'approuver
éventuellement au sein du Conseil une décision de passage
à la majorité qualifiée et à la codécision.
Elle a observé que certains articles du traité de Maastricht,
comme l'article K9 concernant le troisième pilier, stipulaient pour leur
part une approbation par les Etats, selon leurs procédures
constitutionnelles, de décisions visant à modifier les
procédures. Elle en a conclu que dans les domaines où une telle
approbation n'était pas explicitement prévue, la ratification du
traité valait acceptation par un État membre d'un éventuel
passage à la majorité qualifiée par simple décision
du Conseil de l'Union sans habilitation législative.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la
justice
, a alors rappelé que les assemblées pourraient, le
moment venu, voter des résolutions sur les propositions d'actes visant
à permettre le passage au vote à la majorité
qualifiée et à la codécision.
A propos de l'introduction d'un éventuel contrôle de
constitutionnalité du droit communautaire dérivé,
le
garde des sceaux
a tout d'abord estimé qu'un tel contrôle
serait inopérant, dans la mesure où un constat de
contrariété entre une proposition communautaire et la
Constitution ne pourrait empêcher l'adoption de la proposition en cause
dans les cas où le Conseil de l'Union statue à la majorité
qualifiée. Elle a en outre souligné qu'il existait un risque
très limité de contrariété entre les actes de
l'Union et la Constitution. Elle a précisé que le Conseil
constitutionnel vérifiait la conformité à la Constitution
des traités et que la Cour de justice des Communautés
européennes pouvait être saisie pour statuer sur la
conformité au traité des actes de droit communautaire
dérivé. Elle a ajouté que, lorsqu'il avait un doute sur la
constitutionnalité d'une proposition, le Gouvernement pouvait consulter
le Conseil d'Etat. Elle a enfin fait valoir qu'un contrôle de
constitutionnalité du droit communautaire dérivé
risquerait de conduire à un blocage du fonctionnement de l'Union
européenne, surtout si les autres Etats membres mettaient en place un
mécanisme similaire.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des
affaires européennes
, a présenté le contenu du
traité d'Amsterdam, en observant tout d'abord que celui-ci avait
été signé en octobre 1997 et ratifié par la plupart
des Etats membres de l'Union européenne. Il a souligné que
l'absence de réforme des institutions européennes constituait une
lacune majeure de ce traité, mais que celui-ci comportait
néanmoins des avancées intéressantes.
Le ministre
a observé que le traité d'Amsterdam
constituait un correctif au traité de Maastricht, dans la mesure
où il prenait mieux en compte les préoccupations quotidiennes des
citoyens. Il a indiqué que le traité contenait en particulier un
chapitre sur l'emploi, notamment sur la coordination des politiques nationales
dans ce domaine, et qu'il prévoyait l'intégration dans le
traité instituant la Communauté européenne du protocole
social, qui n'y figurait pas jusqu'à présent en raison du refus
du Royaume-Uni de s'y associer. Il a ajouté que le traité
contenait également des dispositions permettant de lutter contre
l'exclusion, ainsi que des dispositions relatives à la santé,
à l'environnement, à la reconnaissance de la
spécificité des services publics. Le ministre a en outre
souligné le renforcement prévu par le traité des
dispositions relatives aux droits de l'homme et aux libertés
fondamentales, de la clause de non-discrimination et du principe
d'égalité entre hommes et femmes.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des
affaires européennes
, a ensuite fait valoir que le traité
d'Amsterdam constituait un complément utile au traité de
Maastricht dans les matières relevant de la justice et des affaires
intérieures, d'une part, de la politique étrangère et de
sécurité commune, d'autre part. A propos de la justice et des
affaires intérieures, il a souligné que les instruments et
procédures prévus dans le cadre du troisième pilier ne
permettaient pas d'avoir une action efficace, en particulier face à la
pression des flux migratoires. Il a souligné que l'Allemagne avait
proposé la " communautarisation " des matières
liées à la libre circulation des personnes dès l'ouverture
de la Conférence intergouvernementale et que la France avait
donné son accord à cette " communautarisation " sous
réserve que toutes les conditions soient remplies pour que la
sécurité soit assurée au sein de cet espace de libre
circulation.
Le ministre
a alors observé que la révision
constitutionnelle visait à ouvrir par anticipation la
possibilité, pour le Conseil de l'Union européenne,
d'arrêter, à l'unanimité, après une période
de cinq ans, que les décisions dans les matières liées
à la libre circulation des personnes seraient prises à la
majorité qualifiée et selon la procédure de
codécision. Il a estimé qu'il ne serait pas conforme au
traité d'envisager l'introduction d'une procédure de ratification
de cette décision, pas plus que le recours à une procédure
d'habilitation. Il a ajouté que si le traité d'Amsterdam avait
prévu une procédure de ratification par les Etats des
décisions de changement de procédure, il n'aurait marqué
aucune évolution par rapport au traité de Maastricht, qui
contenait une clause évolutive avec ratification par les Parlements
nationaux. Il a souligné qu'en matière d'immigration, il ne
pouvait y avoir de solutions que communes et que les Etats tireraient avantage
de la " communautarisation ".
Le ministre
a enfin
indiqué que les assemblées pourraient voter des
résolutions, éventuellement en séance publique, et qu'il
était difficile d'imaginer que le Gouvernement, sur un tel sujet, puisse
passer outre des résolutions qui lui demanderaient de s'opposer au
passage à la majorité qualifiée.
Evoquant la politique étrangère et de sécurité
commune (PESC),
M. Pierre Moscovici, ministre
délégué chargé des affaires européennes
,
a souligné que le traité tendait à doter l'Union de
nouveaux moyens qui renforceraient sa capacité d'agir sur la
scène internationale. Il a cité l'institution d'un Haut
représentant pour la PESC, la création d'un nouvel instrument
juridique, la stratégie commune, dont les dispositions d'application
pourraient être adoptées à la majorité
qualifiée, la mise en place d'une structure d'analyse et de
prévision, enfin le renforcement des dispositions relatives à la
défense.
A propos des institutions de l'Union,
le ministre
a regretté
l'absence de réforme d'ensemble. Il a souligné la
nécessité de reprendre la discussion sur certaines questions, en
particulier la réduction du nombre de commissaires, l'extension du vote
à la majorité qualifiée, la révision de la
pondération des voix au sein du Conseil de l'Union.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des
affaires européennes
, a fait valoir que le traité d'Amsterdam
comportait néanmoins quelques avancées, notamment le renforcement
de l'autorité politique du Président de la Commission
européenne, grâce à son investiture par le Parlement
européen, l'extension de la procédure de codécision, enfin
l'adoption d'un protocole sur les Parlements nationaux visant à
améliorer leur information et à renforcer le rôle de la
COSAC (Conférence des organes spécialisés dans les
affaires communautaires).
Concluant son propos,
le ministre
a souligné que le traité
d'Amsterdam n'était pas le grand traité fondateur de l'Europe
politique et sociale que l'on pouvait souhaiter, mais qu'il réalisait
des avancées et que le Gouvernement proposerait sa ratification avec
lucidité mais sans états d'âme.
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a tout d'abord souligné
que la commission n'était appelée à intervenir que sur les
dispositions du traité d'Amsterdam déclarées contraires
à la Constitution et qu'il reviendrait à la commission des
affaires étrangères d'examiner le traité dans son
ensemble. Il s'est interrogé sur l'emploi de l'expression " peuvent
être consentis des transferts de compétences " dans le projet
de loi constitutionnelle, rappelant que la loi constitutionnelle
préalable à la ratification du traité de Maastricht
prévoyait : " la France consent aux transferts de
compétences ".
Le rapporteur
a souligné que le souhait du Parlement d'être
associé aux décisions de passage à la majorité
qualifiée et à la codécision ne remettait pas en cause les
équilibres institutionnels. Il a observé que la révision
constitutionnelle aurait pour effet, non seulement de rendre conforme à
la Constitution le passage à la majorité qualifiée et
à la codécision, mais encore de déposséder le
Parlement de compétences appelées désormais à
être exercées par le Gouvernement au sein du Conseil de l'Union
européenne. Il a fait valoir que les approfondissements successifs de la
construction européenne s'accompagnaient d'un transfert de certaines
matières du Parlement au Gouvernement et que les résolutions
prévues par l'article 88-4 de la Constitution n'apportaient qu'une
réponse partielle à cette évolution.
A propos de l'article 88-4,
M. Pierre Fauchon,
rapporteur
, a souhaité savoir pour quelles raisons le projet de loi
constitutionnelle ne prévoyait pas la soumission, aux assemblées,
des documents de consultation de la Commission européenne, alors que
celle-ci était prévue par un protocole annexé au
traité d'Amsterdam. Il a jugé curieux que le projet de loi
constitutionnelle amendé par l'Assemblée nationale ouvre en outre
au Gouvernement une faculté de soumettre certains documents. Il a
estimé que cette précision était en tout état de
cause inutile et a souligné que lorsqu'il votait des résolutions,
le Parlement n'agissait pas en tant que législateur et qu'il n'y avait
donc guère de raison de limiter la soumission des propositions d'actes
à celles comportant des dispositions de nature législative. Il a
rappelé que le Parlement disposait d'un pouvoir général de
contrôle de l'action du Gouvernement.
M. Patrice Gélard
a tout d'abord évoqué
l'éventualité d'une loi d'habilitation avant la décision
de passage à la majorité qualifiée et à la
codécision, en soulignant que le traité ne contenait aucune
disposition sur la manière dont chaque État le mettrait en oeuvre
et que la France demeurait libre de prévoir des modalités
particulières en vue de cette décision.
Il a ensuite rappelé que les traités de droit international
classique n'impliquaient pas de transferts de compétences et qu'il
était donc normal qu'ils relèvent du pouvoir exécutif,
sous réserve d'autorisation de la ratification ou de l'approbation de
certains traités ou accords par le Parlement. Il a souligné que
le processus communautaire européen était très
différent et que, dans ce cadre, l'idée d'une autorisation
législative donnée au Gouvernement préalablement à
certaines décisions importantes était justifiée. Il a fait
valoir que le Parlement incarnait la souveraineté nationale et ne
pouvait se dépouiller totalement de ses prérogatives.
Estimant qu'il n'était pas possible d'envisager un passage subreptice au
vote à la majorité qualifiée et à la
procédure de codécision, il a souligné que si l'on ne
prévoyait aucune disposition spécifique, l'Assemblée
nationale, en cas de désaccord avec la décision du Gouvernement,
ne disposerait que de l'instrument disproportionné de la motion de
censure.
A propos de l'introduction éventuelle d'un contrôle de
constitutionnalité du droit communautaire dérivé,
M. Patrice Gélard
a reconnu que les risques de
contrariété étaient limités, mais qu'il convenait
de les prévoir. Il a indiqué que si le Conseil constitutionnel
constatait qu'une proposition n'était pas conforme à la
Constitution, celle-ci pourrait être modifiée avant que l'acte de
l'Union européenne concerné n'entre en vigueur sur notre
territoire.
Répondant aux orateurs,
Mme Elisabeth Guigou
, garde des
sceaux, ministre de la justice, a tout d'abord indiqué que l'expression
" peuvent être consentis les transferts de compétences "
utilisée dans le projet de loi constitutionnelle avait pour objet de
marquer que les transferts n'auraient lieu que dans cinq ans et qu'il y avait
une possibilité de les refuser. Elle a souligné que le transfert
de certaines compétences à la Communauté ne
dépouillait pas le Parlement de ses prérogatives, dans la mesure
où, lorsque le Conseil de l'Union statuait sur des matières
relevant du domaine de la loi, les décisions donnaient lieu à une
transposition par voie législative.
Le garde des sceaux
a rappelé que le Gouvernement transmettait
aux assemblées, à titre d'information, tous les documents de
l'Union dans le cadre de la loi de 1990, dite loi Josselin. Elle a
estimé que la possibilité éventuelle pour le Parlement de
se saisir lui-même, dans le cadre de l'article 88-4, de documents ne
comportant pas de dispositions législatives pourrait aboutir, par
exemple, à ce que les assemblées veuillent donner un mandat
impératif au Gouvernement sur la négociation des prix agricoles.
Elle a souhaité que le Gouvernement garde la possibilité de
décider de la soumission des documents et a estimé qu'une bonne
intelligence avec les assemblées était préférable,
sans qu'il soit indispensable de l'inscrire dans la Constitution.
Répondant à M. Patrice Gélard,
le garde des
sceaux
a indiqué que le traité distinguait clairement les cas
dans lesquels la décision de passage à la majorité
qualifiée et à la codécision ne nécessitait aucune
autre intervention parlementaire que la ratification du traité et ceux
dans lesquels cette décision impliquait une approbation par les Etats
selon leurs procédures constitutionnelles respectives. Elle a
estimé que ces procédures avaient été voulues par
les rédacteurs du traité. Elle a ajouté qu'en tout
état de cause, les parlementaires défavorables aux dispositions
du traité demeuraient libres de voter contre le projet de loi autorisant
la ratification.
A propos de la veille constitutionnelle,
Mme Elisabeth Guigou, garde des
sceaux, ministre de la justice
, a observé qu'il serait difficile de
prévoir les modalités d'un tel système dans l'avenir et
qu'il existait un risque de blocage du processus décisionnel de l'Union
européenne.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué
chargé des affaires européennes
, a alors
précisé que l'implication du Parlement dans les matières
liées à la libre circulation des personnes continuerait à
être forte. Il a souligné que les assemblées pourraient
adopter des résolutions sur les propositions en discussion et qu'elles
seraient appelées à transposer les directives adoptées par
le Conseil de l'Union et le Parlement européen.
A propos de la soumission éventuelle aux assemblées des documents
de consultation de la Commission européenne,
le ministre
a
indiqué que le protocole annexé au traité d'Amsterdam ne
précisait pas les conditions dans lesquelles ces documents
étaient transmis. Il a alors rappelé que le Gouvernement les
transmettait aux délégations pour l'Union européenne dans
le cadre de la loi de 1990.
Evoquant l'éventualité du vote d'une loi d'habilitation avant la
décision de passage à la majorité qualifiée et
à la codécision,
M. Pierre Moscovici, ministre
délégué chargé des affaires européennes
,
a observé qu'il convenait de prendre garde à la perception par
nos partenaires de l'insertion d'une telle clause dans la Constitution
française. Il a souligné qu'aucun des Etats membres de l'Union
n'avait prévu une telle procédure et a indiqué que le
Parlement néerlandais avait décidé au contraire de
renforcer ses propres prérogatives jusqu'à ce que la
décision de passage à la majorité qualifiée et
à la codécision avec le Parlement européen soit prise.
Répondant à une question de M. Pierre Fauchon,
rapporteur,
M. Pierre Moscovici, ministre
délégué chargé des affaires européennes
,
a déclaré que le projet de loi autorisant la ratification du
traité d'Amsterdam comporterait un article 2, s'ajoutant à
l'article premier autorisant la ratification.
EXAMEN DU RAPPORT
Mercredi 9 décembre 1998
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a tout d'abord
souligné que la commission n'était invitée à se
prononcer que sur la partie du traité d'Amsterdam impliquant une
révision constitutionnelle aux termes de la décision du Conseil
constitutionnel sur ce traité. Il a souligné que le traité
instituant la Communauté européenne comportait, dans sa
rédaction issue du traité d'Amsterdam, un nouveau
titre III.A, intitulé " Visas, asile, immigration et autres
politiques liées à la libre circulation des personnes ". Il
a observé qu'il s'agissait, en pratique, de
" communautariser " l'ensemble des questions liées au
franchissement des frontières qui, jusqu'à présent
relevait en grande partie du troisième pilier de l'Union.
Le rapporteur
a indiqué que dans les matières liées
à la libre circulation des personnes, les décisions seraient,
pour l'essentiel, prises à l'unanimité au sein du Conseil de
l'Union pendant une période de cinq ans et il a ajouté qu'au
terme de cette période, le Conseil de l'Union pourrait décider,
à l'unanimité, de passer au vote à la majorité
qualifiée et à la procédure de codécision avec le
Parlement européen. Il a souligné que ce changement de mode de
décision avait été déclaré contraire
à la Constitution par le Conseil Constitutionnel, dans la mesure
où il existait un risque d'atteinte aux conditions essentielles
d'exercice de la souveraineté nationale.
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a alors précisé
que le Sénat était invité à se prononcer sur le
bien-fondé des transferts de compétences impliquant une
révision de la Constitution. Observant que la réalisation du
marché unique impliquait la disparition des frontières
intérieures européennes, il a estimé que la
" communautarisation " de certaines questions, comme la politique des
visas et la politique de l'immigration, devenait absolument nécessaire
dans un tel contexte. Il a fait valoir que l'absence de frontières
intérieures impliquait que tous les Etats membres puissent avoir un
droit de regard sur la gestion des frontières communautaires et a
ajouté que le vote à la majorité qualifiée pourrait
permettre de surmonter l'inertie d'Etats peu pressés d'agir dans
certains domaines. Il a jugé souhaitables les transferts de
compétences que le projet de loi constitutionnelle tendait à
permettre et a estimé que la France en tirerait avantage.
Abordant le contenu du projet de loi constitutionnelle,
le rapporteur
a
indiqué que, dans sa rédaction actuelle, l'article 88-2 de
la Constitution permettait des transferts de compétences en ce qui
concerne l'Union économique et monétaire, ainsi que le
franchissement des frontières extérieures. Il a indiqué
que le projet de loi constitutionnelle tendait à permettre de
manière plus générale des transferts de compétences
en ce qui concerne la libre circulation des personnes et les domaines qui lui
sont liés. Il a ajouté que la rédaction proposée
prévoyait que " peuvent être consentis les transferts de
compétences " et a rappelé que Mme Elisabeth Guigou, garde
des sceaux, avait souligné devant la commission que cette expression
visait à prendre en compte le fait que les décisions essentielles
ne seraient prises, le cas échéant, qu'après une
période de cinq ans.
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a alors indiqué que
l'Assemblée nationale avait ajouté au projet de loi un article
modifiant l'article 88-4 de la Constitution. Rappelant que cet article,
qui offre aux assemblées la possibilité d'adopter des
résolutions sur les propositions d'actes communautaires, avait
marqué une avancée de l'implication du Parlement dans la
construction européenne, il a observé que la rédaction
adoptée en 1992 s'était révélée trop
restrictive à l'usage. Il a fait valoir que le Gouvernement,
après avis du Conseil d'Etat, avait en particulier refusé de
soumettre aux assemblées les propositions relevant des deuxième
et troisième piliers de l'Union européenne. Il a ajouté
que le texte en vigueur ne prévoyait que la soumission des propositions
comportant des dispositions de nature législative et que cette
limitation ne paraissait guère justifiée, l'article 88-4
faisant partie de la fonction de contrôle du Parlement et non de sa
fonction législative.
Le rapporteur
a alors précisé que l'amendement
adopté par l'Assemblée nationale avec l'accord du Gouvernement
prévoyait la soumission de toutes les propositions d'actes de l'Union
européenne, y compris celles entrant dans le champ des deuxième
et troisième piliers dès lors qu'elles comportaient des
dispositions de nature législative. Il a observé que la nouvelle
rédaction donnait en outre au Gouvernement une faculté de
soumettre tout autre projet ou proposition ainsi que tout document
émanant d'une institution de l'Union européenne.
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a indiqué qu'il aurait
souhaité que les documents de consultation de la Commission
européenne figurent parmi les textes obligatoirement soumis aux
assemblées. Il a toutefois remarqué qu'il ne paraissait pas
nécessaire d'inscrire une disposition en ce sens dans la Constitution,
un protocole annexé au traité d'Amsterdam stipulant explicitement
la transmission aux Parlements nationaux de ces documents.
Le rapporteur
a alors souhaité évoquer l'hypothèse
d'une éventuelle habilitation parlementaire préalablement
à la décision de passer au vote à la majorité
qualifiée et à la procédure de codécision.
Observant que le fait de rendre conforme à la Constitution le passage
à la majorité qualifiée et à la codécision
n'impliquait pas nécessairement le fait d'accepter que certaines
matières sortent de la compétence du Parlement pour entrer dans
celle du Gouvernement, il a estimé que l'idée d'une habilitation
avant le passage à la majorité qualifiée n'était
pas dénuée d'intérêt. Il a toutefois fait valoir
qu'une telle réponse n'apparaissait pas conforme au traité
d'Amsterdam. Soulignant que ce traité stipulait explicitement dans son
article K.14 une approbation par les Etats membres selon leurs
règles constitutionnelles d'une éventuelle décision de
passer à la majorité qualifiée dans le domaine de la
coopération pénale, il a estimé que lorsqu'une telle
approbation n'était pas prévue, il fallait en inférer que
les rédacteurs du traité avaient souhaité l'exclure. Il en
a conclu que l'insertion dans la Constitution d'une clause prévoyant une
loi d'habilitation équivaudrait en quelque sorte à amender le
traité d'Amsterdam. Il a ajouté qu'une telle décision ne
serait pas comprise par les partenaires de la France.
Le rapporteur
a alors proposé d'adopter sans modification le
projet de loi constitutionnelle.
M. Patrice Gélard
a souligné que l'approbation du
traité d'Amsterdam n'était pas en cause mais qu'il devenait
essentiel de s'interroger sur les conséquences de la construction
européenne sur la Constitution et sur les prérogatives du
Parlement. Il a indiqué que la construction européenne
était traitée par des règles totalement inadaptées,
à savoir celles du droit international classique qui concernaient des
traités n'entraînant pas de transferts de souveraineté ou
de compétences. Il a estimé légitime que le Parlement
souhaite prendre position avant des décisions aussi importantes que
celles tendant à passer au vote à la majorité
qualifiée dans des matières telles que l'immigration et a
rappelé que d'autres Etats membres de l'Union disposaient d'instruments
très contraignants. Il a en particulier souligné que les
résolutions en Allemagne liaient plus le Gouvernement qu'en France et a
ajouté que plusieurs Parlements pourraient adopter des positions
contraignantes pour leurs gouvernements sans qu'il ait été
nécessaire de l'inscrire dans les Constitutions des Etats
concernés.
M. Patrice Gélard
a regretté que, lors de la
révision constitutionnelle préalable à la ratification du
traité de Maastricht, il n'ait pas été envisagé
d'introduire des règles nouvelles dans la Constitution pour tenir compte
des spécificités de la construction européenne. Il a
estimé qu'une réflexion plus approfondie aurait peut être
pu permettre d'éviter une cascade de révisions constitutionnelles.
M. Patrice Gélard
a alors fait valoir que le vote d'une loi
préalablement à la décision de passage à la
majorité qualifiée et à la codécision
n'était pas contraire au traité d'Amsterdam, celui-ci n'ayant pas
vocation à réglementer le fonctionnement des institutions.
Rappelant que le constituant était souverain, il a estimé que le
vote d'une loi d'habilitation ne porterait guère atteinte aux
prérogatives gouvernementales et a évoqué
l'éventualité d'un article de la Constitution à
caractère général permettant d'éviter les
révisions en cascade mais associant le Parlement dès lors que des
délégations seraient nécessaires. Il a exprimé la
crainte que l'Europe ne devienne impopulaire faute pour le Parlement
d'intervenir dans une fonction d'aiguillon et de contrôle pour ne pas
éloigner la construction européenne des aspirations des
Français.
Concluant son propos,
M. Patrice Gélard
a indiqué que son
groupe ne pourrait participer à l'adoption de ce texte si les
préoccupations qu'il exprimait en ce qui concerne le rôle du
Parlement n'étaient pas prises en considération. Il a
indiqué que son groupe déposerait trois amendements tendant
respectivement à améliorer l'article 88-4 de la
Constitution, à associer le Parlement à la décision de
passage à la majorité qualifiée, enfin, à mettre en
place un contrôle de constitutionnalité des propositions d'actes
communautaires.
M. Jean-Jacques Hyest
a observé qu'une clause
générale permettant des transferts de compétence
ultérieurs aurait eu des avantages, mais qu'elle aurait
été sans doute mal reçue. A propos d'une éventuelle
loi d'habilitation avant le passage à la majorité
qualifiée, il s'est interrogé sur les conséquences d'un
refus, par le Parlement, d'accepter une décision unanimement
souhaitée par les Etats membres de l'Union et a fait valoir qu'il
existait d'autres moyens pour le Parlement de prendre position dans ce domaine.
Observant qu'il était peut être souhaitable d'étendre les
prérogatives du Parlement, et notamment du Sénat,
M. Jean-Jacques Hyest
a remarqué que cela ne concernait
pas que la construction européenne et qu'il fallait peut-être
envisager une réforme plus générale. Il a enfin
rappelé que l'Assemblée nationale avait adopté à
une très forte majorité le projet de loi constitutionnelle et que
le Sénat émettrait un signal négatif en adoptant un
amendement tel que celui visant à prévoir le vote d'une loi
d'habilitation avant le passage à la majorité qualifiée.
M. Robert Bret
a souligné que la construction
européenne souffrait d'un déficit démocratique et qu'il
était procédé à des " grignotages "
successifs des compétences de l'Etat. Il a exprimé la crainte
d'une dissolution à terme de l'Etat souverain et de la disparition de
ses compétences régaliennes au profit d'un État
supra-national.
M. Maurice Ulrich
a fait valoir que les propositions de son
groupe ne remettraient pas en cause le traité d'Amsterdam, mais
concerneraient la place du Parlement français dans la construction
européenne. Il a estimé nécessaire que le Parlement soit
associé aux décisions de passage au vote à la
majorité qualifiée et s'est prononcé pour un renforcement
de l'article 88-4 de la Constitution permettant aux assemblées de
prendre position sur les textes européens. Il a estimé
préférable de prendre des garanties sans attendre un débat
plus vaste.
M. Jacques Larché, président
, a alors rappelé le
caractère quelque peu paradoxal de l'article 54 de la Constitution,
qui prenait acte de la capacité du Gouvernement de négocier des
engagements internationaux contraires à la Constitution puisque le
Conseil constitutionnel n'était saisi qu'au stade de l'autorisation de
ratification. Il a estimé que le risque de multiplication des
révisions constitutionnelles n'avait rien de théorique.
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a tout d'abord souligné
qu'au moment où serait envisagée la décision de passer
à la majorité qualifiée dans les matières
liées à la libre circulation, les assemblées pourraient
adopter des résolutions. Il a ajouté que de manière
générale, le problème qui se posait était celui de
la démocratisation de la construction européenne. Il a
observé qu'à cet égard, l'extension des
prérogatives du Parlement européen constituait un progrès,
et a estimé qu'il conviendrait de réfléchir à
l'éventualité d'une deuxième chambre représentant
les Parlements des Etats membres de l'Union.
La commission a alors adopté sans modification le projet de loi
constitutionnelle.
ANNEXE N° 2
DÉCISION
N° 97-394
DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
ANNEXE N° 3
LE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE
SUR LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE DANS QUELQUES ÉTATS MEMBRES
DE
L'UNION EUROPÉENNE
ALLEMAGNE
L'article 23-2 de la Loi fondamentale allemande prévoit
que
"
le Bundestag et les Länder, par l'intermédiaire du
Bundesrat, participent aux affaires de l'Union européenne. Le
Gouvernement fédéral doit informer de façon
détaillée le Bundestag et le Bundesrat dans les meilleurs
délais
".
• En ce qui concerne le Bundestag, la Loi fondamentale prévoit
dans son article 23-3 : "
Avant de concourir aux actes normatifs
de l'Union européenne, le Gouvernement fédéral donne au
Bundestag l'occasion de prendre position. Dans les négociations, le
Gouvernement fédéral prend en considération les prises de
position du Bundestag
".
En pratique, le Bundestag est doté d'une commission des affaires de
l'Union européenne, qui comprend cinquante membres titulaires, parmi
lesquels onze membres allemands du Parlement européen, et cinquante
membres suppléants.
Cette commission est compétente pour examiner toutes les questions
concernant l'Union européenne. Elle a la faculté d'émettre
des avis au nom du Bundestag si un groupe politique ou 5 % des
députés le lui demandent.
Les autres commissions du Bundestag demeurent compétentes pour
débattre des propositions d'actes de l'Union européenne qui
entrent dans leur domaine de compétences. Un mécanisme de
concertation permet de déterminer la ou les commissions
compétentes sur chaque proposition.
Le Gouvernement transmet les propositions d'actes de l'Union ainsi que des
notes commentant ces propositions.
La commission compétente peut présenter une recommandation de
décision qui a alors vocation à être examinée par le
Bundestag réuni en séance plénière. Lorsque le
Gouvernement fédéral envisage de prendre une position
différente de celle défendue par le Bundestag, il doit le
justifier auprès de celui-ci.
• Le Bundesrat comporte une commission pour les questions de l'Union
européenne, qui compte 23 membres titulaires, chacun des 16 Länder
disposant au moins d'un représentant.
La commission est compétente pour délibérer sur tous les
textes transmis par les institutions de l'Union européenne. Elle
coordonne les avis éventuellement émis par les autres commissions
et formule des recommandations au Bundesrat sur l'avis qu'il convient
d'adresser au Gouvernement fédéral.
Le Bundesrat est saisi de l'ensemble des textes relevant des premier et
troisième piliers de l'Union. Le Gouvernement fédéral
n'est pas tenu d'envoyer les propositions concernant le deuxième pilier
mais celles-ci sont très peu nombreuses.
Lorsque les propositions concernent l'Etat fédéral, mais
affectent également les intérêts des Länder, le
Gouvernement fédéral doit tenir compte de l'avis du Bundesrat. Il
est obligé de respecter cet avis lorsqu'une proposition porte
essentiellement sur les compétences des Länder.
Il convient en outre de signaler que lorsque les compétences exclusives
des Länder sont en jeu, l'Allemagne est représenté au sein
du Conseil de l'Union européenne par un ministre des Länder
nommé par le Bundesrat.
DANEMARK
Le
Parlement danois (Folketing) est doté d'une commission des affaires
européennes, compétente pour examiner toutes les questions
traitées dans le cadre de l'Union européenne. Cette commission
est composée de 17 membres titulaires et de 11 membres
suppléants.
Elle détient le pouvoir de
donner au Gouvernement danois des mandats
de négociation impératifs en vue des négociations au sein
du Conseil
. Le Gouvernement transmet toutes les propositions
formulées dans le cadre de l'Union européenne, y compris celles
relevant des deuxième et troisième piliers de l'Union. En ce qui
concerne le deuxième pilier (Politique étrangère et de
sécurité commune), le Gouvernement n'a pas besoin d'un mandat de
négociation de la commission, mais doit la tenir informée. Les
propositions sont en général accompagnées de notes
factuelles sommaires, présentant en particulier le contenu du texte et
ses conséquences sur les normes du Danemark.
Avant les réunions du Conseil de l'Union européenne, le
Gouvernement soumet à la commission des affaires européennes un
mandat de négociation et lui présente la position qu'il entend
défendre. Après débat, le ministre concerné
reçoit un mandat sur la base duquel il peut négocier et
participer à toute décision prise par le Conseil. Si, lors des
négociations au sein du Conseil, un compromis s'impose, obligeant le
Gouvernement à s'éloigner de façon significative de sa
position d'origine, la commission doit se réunir avec le Gouvernement
avant que ce dernier ne donne son accord définitif.
Par ailleurs, afin de permettre à la commission des affaires européennes de vérifier que le Gouvernement a tenu compte du mandat qui lui était donné, le ministre compétent doit répondre oralement ou par écrit à toutes les questions qui lui sont posées à ce sujet . ROYAUME-UNI
•
La Chambre des Communes comporte une commission spéciale sur la
législation européenne (Select commitee on european legislation),
composée de 16 membres. Celle-ci reçoit l'ensemble des
propositions communautaires ainsi que de nombreux documents publiés par
les institutions de l'Union européenne. Elle reçoit
également la plupart des documents relevant des deuxième et
troisième piliers de l'Union. Ces documents sont accompagnés de
notes explicatives préparées par le Gouvernement.
La commission examine ces documents dans des rapports périodiques. Les
moins importants sont simplement mentionnés, les autres font l'objet
d'un examen plus détaillé. Si un document soulève des
questions importantes, la commission peut recommander la tenue d'un
débat, qui se déroule soit au sein d'une des deux commissions
européennes permanentes (l'une est compétente dans les domaines
de l'agriculture, de l'environnement et des transports, l'autre dans tous les
autres domaines), soit en séance plénière. Dans les deux
cas, le Gouvernement dépose une motion sur le document, qui donne lieu
à un vote en séance.
Depuis 1980, en vertu d'une pratique désormais codifiée dans une
résolution de 1990,
le Gouvernement britannique est tenu de s'opposer
à l'adoption d'un texte communautaire tant que la chambre des communes
n'a pas achevé de l'examiner
. Certaines " raisons
spéciales ", telles que l'urgence, permettent cependant de
déroger à cette règle.
• La chambre des Lords est dotée d'une commission sur les
Communautés européennes composée de vingt membres. Elle
sélectionne parmi les documents transmis par le Gouvernement ceux qui
nécessitent un examen plus approfondi. Ces documents sont alors
envoyés à l'une des cinq sous-commissions permanentes
spécialisées (agriculture, pêche et protection des
consommateurs : environnement, santé publique et éducation
etc...).
La sous-commission compétente décide si une proposition doit
faire l'objet d'une enquête approfondie et donc d'un rapport à la
Chambre. Certains rapports donnent lieu à un débat en
séance tandis que d'autres ne sont diffusés qu'à titre
d'information. Le Gouvernement présente une réponse écrite
dans les deux mois suivants la publication du rapport ou avant le débat
si celui-ci a lieu avant l'expiration de ce délai.
La chambre des Lords bénéficie elle aussi du mécanisme
de la réserve d'examen parlementaire.
1
Dans son article 12, le
traité
d'Amsterdam prévoit la mise en oeuvre d'une nouvelle numérotation
des articles du traité sur l'Union européenne et du traité
instituant la Communauté européenne.
La nouvelle numérotation étant appelée à entrer en
vigueur en même temps que le traité, votre rapporteur a choisi
d'utiliser l'ancienne numérotation dans le présent rapport, qui
est celle qu'a utilisée le Conseil constitutionnel dans sa
décision sur le traité d'Amsterdam.
2
Rapport n° 508 de M. Xavier de Villepin,
" Faut-il ratifier le traité d'Amsterdam ? ", 1997-1998.
3
Rapport n° 14 de M. Christian de la Malène,
" Le traité d'Amsterdam ", 1997-1998.
4
Au sein de l'Union européenne, les
dispositions
du traité instituant la Communauté européenne constituent
le premier pilier, les dispositions concernant une politique
étrangère et de sécurité commune le deuxième
pilier, les dispositions relatives à la coopération
policière et judiciaire en matière pénale le
troisième pilier.
5
La possibilité pour soixante députés ou
soixante sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel sur ce fondement
résulte de la révision constitutionnelle de 1992 préalable
à la ratification du traité de Maastricht.
6
L'article 88-2 de la Constitution, introduit en 1992,
prévoit que la France consent, sous réserve de
réciprocité et selon les modalités prévues par le
traité sur l'Union européenne signé le 7 février
1992, aux transferts de compétences nécessaires à
l'établissement de l'Union économique et monétaire
européenne ainsi qu'à la détermination des règles
relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats
membres de la Communauté.
7
Dans le système actuel, l'Allemagne, la France, le
Royaume-Uni et l'Italie disposent de 10 voix, l'Espagne de 8 voix, les
Pays-Bas, la Grèce, la Belgique et le Portugal de 5 voix, la
Suède et l'Autriche de 4 voix, le Danemark, la Finlande et l'Irlande de
3 voix, le Luxembourg de 2 voix.La majorité qualifiée est
atteinte lorsque 62 voix sur 87 sont réunies.
8
Faut-il modifier l'article 88-4 de la
Constitution, rapport n° 281, 1997-1998.
9
Le Sénat face au traité d'Amsterdam, rapport
n° 432, 1997-1998.