EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
(article 88-2 de la
Constitution)
Autorisation de transferts de
compétences
L'article 1
er
du projet de loi constitutionnelle
tend
à modifier l'article 88-2 de la Constitution afin d'autoriser les
transferts de compétences dont le Conseil constitutionnel a
estimé qu'ils pourraient porter atteinte aux conditions essentielles
d'exercice de la souveraineté nationale.
Dans sa rédaction actuelle, l'article 88-2 prévoit que
"
sous réserve de réciprocité et selon les
modalités prévues par le traité sur l'Union
européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux
transferts de compétences nécessaires à
l'établissement de l'Union économique et monétaire
européenne ainsi qu'à la détermination des règles
relatives au fonctionnement des frontières extérieures des Etats
membres de la Communauté européenne
".
Pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 31
décembre 1997 relative au traité d'Amsterdam, le projet de loi
constitutionnelle tend à autoriser de nouveaux transferts de
compétences. Il prévoit la scission en deux alinéas de
l'article 88-2, le premier étant exclusivement consacré à
l'Union économique et monétaire.
Un second alinéa serait inséré, précisant que
"
sous la même réserve et selon les modalités
prévues par le traité instituant la Communauté
européenne, dans sa rédaction résultant du traité
signé le 2 octobre 1997, peuvent être consentis les transferts de
compétences nécessaires à la détermination des
règles relatives à la libre circulation des personnes et aux
domaines qui lui sont liés
".
Cette rédaction appelle quelques remarques. Tout d'abord, ce second
alinéa permet des transferts de compétences dans des domaines
plus nombreux que l'article 88-2 dans sa rédaction actuelle, lequel ne
vise que le franchissement des frontières extérieures des Etats
membres. Par ailleurs, le nouvel alinéa prévoit que les
transferts sont possibles "
selon les modalités prévues
par le traité instituant la Communauté européenne, dans sa
rédaction résultant du traité signé le 2 octobre
1997
". Il faut en déduire que si, ultérieurement, de
nouvelles modalités d'exercice des compétences pour lesquelles un
transfert est autorisé venaient à être envisagées,
une nouvelle habilitation serait peut-être nécessaire.
Il convient également de noter que le projet de loi prévoit que
les transferts de compétences "
peuvent être
consentis
", alors que dans sa rédaction actuelle, l'article
88-2 dispose que "
la France consent
". Il est vraisemblable
que le Président de la République et le Premier ministre n'ont
pas voulu préjuger de la ratification du traité dans le projet de
loi constitutionnelle. Lors de son audition par votre commission, Mme Elisabeth
Guigou, Garde des Sceaux, ministre de la justice, a indiqué que
l'expression "
peuvent être consentis
" visait à
marquer que les décisions essentielles seraient prises après une
période de cinq ans et qu'il serait possible de refuser le passage
à la majorité qualifiée et à la codécision.
Enfin, le nouvel alinéa proposé évoque les
"
transferts de compétences nécessaires à la
détermination des règles relatives à la libre circulation
des personnes et aux domaines qui lui sont liés
". Cette
expression est proche de l'intitulé du titre III A nouveau du
traité instituant la Communauté européenne :
"
Visas, asile, immigration et autres politiques liées à
la libre circulation des personnes
", même si elle n'est pas
identique. En tout état de cause, le champ de l'habilitation
constitutionnelle ne saurait excéder celui du titre III A nouveau du
traité instituant la Communauté européenne. Votre
commission approuve donc la rédaction proposée.
Votre commission vous propose d'adopter l'article 1
er
sans
modification
.
Article 2
(article 88-4 de la
Constitution)
Résolutions des assemblées parlementaires
sur
les propositions d'actes
communautaires
L'Assemblée nationale a ajouté au projet de loi
constitutionnelle un article additionnel modifiant l'article 88-4 de la
Constitution.
Six ans après son introduction dans la Constitution, l'article 88-4
a incontestablement permis une meilleure implication du Parlement dans le
contexte de l'action du Gouvernement en matière européenne.
1. Bilan de l'article 88-4
Depuis l'entrée en vigueur de cette disposition, près de
1.200 propositions d'actes communautaires ont été soumises
au Sénat, imprimées et distribuées. Cela a
incontestablement facilité une meilleure appréhension par les
parlementaires de l'importance de la législation communautaire. A partir
de 1994, la délégation pour l'Union européenne a
examiné de manière systématique ces propositions afin
d'isoler celles qui méritaient une intervention particulière du
Sénat.
101 propositions de résolution ont été
déposées au Sénat depuis l'entrée en vigueur de
l'article 88-4. Notre assemblée a adopté 51 résolutions
dont 19 en séance publique. Cette procédure a ainsi permis au
Sénat de prendre position sur des propositions importantes comme celles
concernant le passage à la troisième phase de l'Union
européenne et monétaire, le droit de vote et
d'éligibilité des ressortissants communautaires aux
élections municipales, le marché intérieur de
l'électricité et du gaz naturel. La commission des affaires
économiques a adopté très récemment une
résolution sur l'importante question de la réforme des fonds
structurels.
L'adoption de certaines résolutions en séance publique a permis
un débat en matière européenne dépassant le cadre
de notre délégation spécialisée et de la commission
permanente compétente.
D'une manière générale, l'article 88-4 a
facilité l'implication des parlementaires français dans les
questions européennes et a permis à chaque assemblée de
prendre officiellement position sur des textes communautaires importants.
Il faut noter que cette implication nouvelle du Parlement s'est faite en
coopération avec le Gouvernement et qu'à aucun moment, un risque
d'atteinte à la liberté de négociation du Gouvernement ne
s'est manifesté du fait de l'adoption de résolutions.
Les assemblées ont pourtant connu des difficultés dans
l'application de l'article 88-4, difficultés qui tiennent, pour
l'essentiel, au champ d'application de cette disposition.
Le Gouvernement a décidé de saisir le Conseil d'Etat afin de
déterminer, parmi les propositions européennes, celles qui
devaient être soumises à l'Assemblée nationale et au
Sénat.
Le Conseil d'Etat a interprété très strictement les
dispositions du premier alinéa de l'article 88-4, qui prévoit la
soumission aux assemblées des " propositions d'actes communautaires
comportant des dispositions de nature législative " :
- il a estimé que seuls les textes constituant véritablement des
" propositions "
devaient être soumis aux
assemblées, ce qui a conduit le Gouvernement à ne pas soumettre
les
documents de consultation
de la Commission européenne, tels
que les livres blancs ou les livres verts qui sont pourtant destinés
à recueillir le plus grand nombre d'avis possible avant le
dépôt d'une proposition formelle ; les assemblées
n'ont ainsi pas été en mesure d'adopter une résolution sur
le document " Agenda 2000 " publié en 1997 par la Commission
européenne, qui définissait des orientations sur l'avenir des
politiques communes dans la perspective de l'élargissement.
- le Gouvernement, conformément à l'avis du Conseil d'Etat, a
également refusé de soumettre aux assemblées les
projets d'accords interinstitutionnels
. Les accords interinstitutionnels
sont conclus entre le Conseil de l'Union européenne, la Commission
européenne et le Parlement européen. Dans certains cas, ils sont
prévus par le traité lui-même et ont pour objet de
définir les modalités d'application de certaines dispositions.
Dans d'autres cas, au contraire, ces accords visent à mettre fin
à un conflit entre institutions. Ils peuvent alors avoir des
conséquences sur l'équilibre institutionnel au sein de l'Union
européenne ;
- le Gouvernement, à la suite de l'avis du Conseil d'Etat, a
estimé que la notion de
" propositions d'actes
communautaires "
excluait les
propositions entrant dans le champ
des deuxième et troisième piliers de l'Union
, c'est à
dire les propositions relatives à la justice et aux affaires
intérieures d'une part, à la politique étrangère et
de sécurité d'autre part. En 1995, à la suite de demandes
des assemblées, le Premier ministre a accepté de transmettre ces
documents aux assemblées, sans toutefois que celles-ci puissent adopter
des résolutions ;
- enfin, la limitation du champ d'application de l'article 88-4 aux
propositions comportant des dispositions de nature législative a conduit
le Gouvernement à ne pas soumettre certains textes importants, en
particulier les propositions relatives à la fixation des prix agricoles,
la proposition sur le système de l'heure d'été, certaines
propositions sur les organisations communes de marchés en matière
agricole.
Face à cette situation, quelques propositions d'élargissement du
champ d'application de l'article 88-4 ont été
formulées au sein de la délégation pour l'Union
européenne de notre assemblée, en particulier par M. Lucien
Lanier
8(
*
)
et votre
rapporteur
9(
*
)
, afin que le
Sénat et l'Assemblée nationale puissent adopter des
résolutions sur certains documents importants qui ne leur sont
actuellement pas soumis.
La révision constitutionnelle préalable à la ratification
du traité d'Amsterdam paraît être un bon cadre pour modifier
l'article 88-4. Le traité d'Amsterdam évoque en effet le
rôle des Parlements nationaux dans un protocole annexé.
Il prévoit, en particulier, que :
- tous les documents de consultation de la Commission européenne (livres
verts, livres blancs et communications) sont transmis rapidement aux parlements
nationaux des Etats membres ;
- les propositions législatives de la Commission européenne sont
communiquées à temps pour que le Gouvernement de chaque
État membre puisse veiller à ce que le parlement national les
reçoive comme il convient ;
- un délai de six semaines s'écoule entre le moment où une
proposition est mise, par la Commission, à la disposition du Parlement
européen et du Conseil dans toutes les langues et la date à
laquelle elle est inscrite à l'ordre du jour du Conseil en vue d'une
décision, des exceptions étant possibles pour des raisons
d'urgence.
Le traité d'Amsterdam invite donc au renforcement de l'association
des Parlements nationaux aux activités de l'Union européenne.
2. Le contenu du projet de loi constitutionnelle
L'article 2 du projet de loi, ajouté par l'Assemblée nationale,
modifie le champ d'application de l'article 88-4 de la Constitution :
- en premier lieu, les propositions d'actes " des Communautés
européennes et
de l'Union européenne
" et non plus
des seules Communautés européennes seront
désormais soumises aux assemblées ; cette rédaction
inclut les propositions entrant dans le
champ des deuxième et
troisième piliers.
Une telle évolution apparaît nécessaire. Certes, les
documents entrant dans le champ du deuxième pilier (politique
étrangère et de sécurité commune) sont actuellement
peu nombreux (un seul a été transmis aux assemblées depuis
que le Gouvernement a accepté de les communiquer sans toutefois que des
résolutions soient possible). Rien ne permet cependant d'affirmer qu'une
telle situation perdurera.
Certes, le transfert d'une partie du troisième pilier dans le premier
pilier ou " communautarisation " diminue l'intérêt d'une
soumission aux assemblées des propositions entrant dans le champ du
troisième pilier. Toutefois, ce dernier a été refondu par
le traité d'Amsterdam et comporte des matières importantes telles
que la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue, le trafic d'armes, la
corruption et la fraude, sur lesquelles il est souhaitable que les
assemblées puisent prendre position en adoptant des résolutions.
Le projet de loi constitutionnelle adopté par l'Assemblée
nationale prévoit par ailleurs une
soumission facultative aux
assemblées de tous autres documents et propositions ou projets d'actes,
quelle qu'en soit la nature
. Cette soumission pourrait concerner les
documents de consultation de la Commission européenne, les projets
d'accords interinstitutionnels, enfin les propositions ne comportant pas de
dispositions de nature législative.
*
Votre
commission approuve l'esprit des modifications apportées par
l'Assemblée nationale à l'article 88-4, qui sont proches de
celles envisagées par les rapporteurs de la délégation du
Sénat pour l'Union européenne.
Votre rapporteur aurait souhaité qu'il soit précisé que
les documents de consultation de la Commission européenne devaient
être soumis aux assemblées sans qu'il s'agisse d'une simple
faculté pour le Gouvernement. En effet, le caractère facultatif
de la soumission des documents de consultation de la Commission
européenne ne paraît guère justifié. Ces textes, qui
peuvent prendre la forme de livres verts, de livres blancs, de communications,
ne constituent en rien des documents de travail internes à la Commission
comme on le pense parfois.
Il s'agit au contraire de textes d'orientation
destinés à recueillir le plus grand nombre d'avis possible avant
la présentation d'une proposition normative
. Toutes les personnes
intéressées sont en général invitées
à faire connaître leurs observations sur ce document afin que la
Commission puisse éventuellement les prendre en considération
dans la proposition normative qu'elle envisage de présenter
ultérieurement.
Dans ces conditions, on ne voit pas de raison qui empêcherait les
assemblées parlementaires françaises de prendre position par une
résolution sur ces documents. Une telle intervention peut permettre
d'attirer très tôt l'attention du Gouvernement sur telle ou telle
question qu'il conviendra d'avoir à l'esprit lorsqu'une proposition
normative sera discutée. Ainsi, n'aurait-il pas été utile
que les assemblées, dans le cadre des débats qui se
déroulent en France sur ce sujet, puissent prendre position sur le livre
vert sur les retraites complémentaires publié en juin 1997 ?
De même, le Parlement n'était-il concerné en rien par le
livre vert sur la convergence des secteurs des
télécommunications, des médias et des technologies de
l'information ?
Toutefois, l'inscription dans la Constitution de l'obligation pour le
Gouvernement de soumettre ces documents n'est peut-être pas, à la
réflexion, indispensable
. Il faut en effet souligner que le
protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union
européenne annexé au traité d'Amsterdam prévoit que
"
tous les documents de consultation de la Commission (livres verts,
livres blancs et communications) sont transmis rapidement aux parlements
nationaux des Etats membres
". Dans ces conditions, le Gouvernement
sera tenu de respecter le protocole en soumettant ces documents aux
assemblées. Cette communication aura lieu au titre de la dernière
partie du premier alinéa de l'article 88-4 modifié et elle
permettra donc le vote de résolutions conformément au second
alinéa de l'article 88-4.
Par ailleurs, le mécanisme facultatif prévu pour la soumission
des autres documents est quelque peu surprenant. Dans la mesure où
l'article 88-4 entre davantage dans la fonction de contrôle du Parlement
que dans sa fonction législative, dans la mesure aussi où les
résolutions adoptées n'ont aucune portée contraignante
pour le Gouvernement, il paraîtrait normal que les assemblées
puissent choisir les propositions sur lesquelles elles souhaitent se prononcer.
Le Parlement dispose d'un pouvoir de contrôle général et il
peut paraître choquant de laisser à la discrétion du
pouvoir exécutif le choix des documents sur lesquels les
assemblées pourront prendre position.
La rédaction retenue par l'Assemblée nationale a toutefois le
mérite d'éviter que les assemblées se voient soumettre
l'ensemble des documents émanant des institutions de l'Union
européenne. Une telle soumission risquerait d'avoir plus
d'inconvénients que d'avantages, compte tenu de la difficulté de
gérer un tel dispositif.
Dans ces conditions, votre commission vous propose d'adopter l'article 2
sans modification
.
*
* *
Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous propose d'adopter le projet de loi constitutionnelle dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale.