CHAPITRE PREMIER
LA POLITIQUE DE L'OUTRE-MER
Votre rapporteur souhaite ici évoquer, dans ses grandes lignes, le contexte général dans lequel s'inscrit la politique de l'outre-mer, particulièrement sur les plans institutionnel, économique et social, avant de présenter les moyens qui lui sont consacrés et qui dépassent de très loin les seuls crédits du secrétariat d'Etat à l'outre-mer.
I. LE CONTEXTE GÉNÉRAL
Avec une intensité variable selon les départements et territoires, l'enjeu principal pour l'outre-mer réside toujours dans le développement économique et social, avec en toile de fond des interrogations sur l'évolution des statuts institutionnels.
A. LES ASPECTS INSTITUTIONNELS
Au-delà de l'évolution statutaire de la Nouvelle-Calédonie, la question de l'organisation administrative des collectivités d'outre-mer est régulièrement évoquée alors que parallèlement la situation financière des collectivités locales demeure souvent difficile.
1. Les évolutions institutionnelles
L'année 1998 a essentiellement été
marquée par l'accord intervenu sur
l'évolution
institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie
. Votre rapporteur
n'évoquera que brièvement le contenu de cet accord, largement
débattu par le Parlement avant que ne soit adoptée le 6 juillet
dernier par le Congrès la révision constitutionnelle permettant
l'organisation du référendum du 8 novembre approuvant
l'accord de Nouméa et posant le principe d'un transfert définitif
de compétences de l'Etat aux institutions du territoire.
Rappelons simplement que l'accord de Nouméa ouvre une nouvelle
période transitoire qui durera quinze à vingt ans et au cours de
laquelle des compétences -à l'exception des pouvoirs
régaliens- seront progressivement transférées de
manière irréversible au territoire, en particulier dans le
domaine économique et social. Le territoire sera doté d'un nouvel
exécutif -un gouvernement collégial élu par le
Congrès et responsable devant lui- qui exercera les attributions
actuellement dévolues au Haut-Commisaire, et d'un pouvoir
législatif -le Congrès- qui adoptera des "lois du pays"
susceptibles de recours devant le Conseil constitutionnel.
A l'issue de la période transitoire
"les populations
intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées
à se prononcer sur l'accession à la pleine
souveraineté"
(article 77 de la Constitution).
Il faut signaler que la conclusion de l'accord de Nouméa a
été facilitée par l'accord intervenu le
1er février, dit "accord de Bercy", prévoyant les conditions
dans lesquelles des titres d'exploitation de massifs miniers actuellement
détenus par Eramet (actionnaire principal de la société Le
Nickel) pourront être cédés à la
Société minière du sud Pacifique (contrôlée
par la société de financement de la province nord) afin de lui
garantir un approvisionnement en minerai en vue de la construction d'une usine
de traitement du nickel dans la province nord.
L'évolution intervenue en Nouvelle-Calédonie a suscité un
intérêt tout particulier en
Polynésie Française,
territoire dont les compétences ont d'ores et déjà
été notablement élargies dans le cadre du statut de 1996
qui renforce son autonomie. Des discussions ont été ouvertes
entre le président du gouvernement du territoire et le
secrétariat d'Etat à l'outre-mer en vue de la préparation
d'un projet de loi constitutionnelle qui pourrait en partie s'inspirer de
certaines dispositions statutaires adoptées par la
Nouvelle-Calédonie. Le chef de l'Etat a approuvé le principe de
la mise au point d'un tel projet.
Une réforme constitutionnelle est également envisagée sur
le
statut de Mayotte
, collectivité territoriale dont le statut,
défini en 1976, avait été conçu comme transitoire.
La réflexion engagée par le précédent gouvernement
a été poursuivie avec pour objectif une consultation de la
population de Mayotte d'ici l'an 2000. Aucune option ne se dégage
clairement pour l'instant, entre les différentes formules mises à
l'étude, qui vont du statut de territoire d'outre-mer à celui de
département d'outre-mer, avec plusieurs variantes, en passant par un
statut de collectivité territoriale à vocation
départementale.
Enfin,
l'organisation administrative des départements d'outre-mer
fait également l'objet de débats.
Plusieurs parlementaires de
la Réunion
, s'appuyant sur les
réalités géographiques et sur la volonté d'un
rééquilibrage économique, souhaitent la
division de
l'île en deux départements
. Selon les informations
communiquées à votre rapporteur, l'instauration d'un second
département supposerait la création de 475 emplois nouveaux
et une dépense annuelle supplémentaire de l'ordre de
100 millions de francs, au titre des rémunérations et du
fonctionnement. Mais sans doute ces éléments budgétaires
ne sont-ils pas les seuls à prendre en compte.
La question du statut des îles de Saint-Barthélémy et de
Saint-Martin, qui avait fait l'objet d'un rapport d'information de la
commission des lois du Sénat l'an passé, demeure toujours en
suspens.
D'une manière plus générale, l'organisation administrative
actuelle des DOM qui superpose, sur un même territoire, un conseil
général et un conseil régional, suscite des critiques de
plus en plus vives, sans pour autant qu'une formule de remplacement ne suscite
l'unanimité.
Une évolution est donc largement souhaitée dans le respect de
l'article 73 de la Constitution stipulant que
" le régime
législatif et l'organisation administrative des départements
d'Outre-mer peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation
nécessitées par leur situation particulière ".
Le gouvernement a annoncé son intention de proposer pour
l'automne 1999 une
loi d'orientation sur l'outre-mer,
qui pourrait
traiter de l'évolution institutionnelle des DOM. Entre temps, une
réflexion sur l'approfondissement de la décentralisation,
touchant à la répartition des compétences entre les
collectivités d'une part, et entre celles-ci et l'Etat d'autre part,
sera conduite.
2. La situation des finances locales
Au-delà de la question de l'organisation administrative
des
collectivités d'outre-mer, se pose celle de leur situation
financière qui, surtout dans les DOM, demeure fragile, en raison de
l'insuffisance de ressources propres, de coûts de fonctionnement
élevés et de capacités d'investissement modestes
face
aux besoins locaux.
D'une manière générale, les collectivités des DOM
consacrent une part importante des ressources de fonctionnement au
remboursement de la dette, ce qui limite leur capacité d'emprunt et
d'investissement.
Ces remarques valent pour les collectivités régionales et
départementales (le budget du département de la Guadeloupe pour
1998 devait être géré par le préfet, suite aux
recommandations de la Chambre régionale des comptes), mais surtout pour
les communes.
Nombre d'entre elles sont sous la surveillance des chambres régionales
des comptes qui ont été amenées à proposer des
plans de redressement : c'est le cas pour dix des 34 communes de
Guadeloupe, pour la moitié des communes guyanaises, pour plusieurs
commune de la Réunion et de la Martinique.
Les mesures prises au cours des deux dernières années ont
toutefois permis
d'amorcer un redressement de la situation
. Il en est
ainsi pour la commune de Cayenne, qui a pris des mesures de
rééquilibrage après un protocole d'accord conclu en 1996
avec ses bailleurs de fonds. Son déficit prévisionnel, qui
s'établissait à 248 millions de francs pour 1996, serait
ramené à 28 millions de francs en 1998.
Une grande fragilité caractérise les collectivités
territoriales de Saint-Pierre et Miquelon et de Mayotte, cette dernière
étant largement dépendante de la solidarité nationale du
fait de la faiblesse de ses ressources propres.
S'agissant des TOM, l'équilibre budgétaire demeure de plus en
plus difficile à réaliser à
Wallis et Futuna
, dont
les ressources stagnent alors que les dépenses augmentent à un
rythme élevé.
En
Nouvelle-Calédonie
en revanche, le territoire a
enregistré une nette amélioration de sa situation
financière, du fait d'une forte progression des recettes. Plus
contrastée est la situation des trois provinces, la province nord et
celle des îles Loyauté voyant leur marge de manoeuvre trop
réduite du fait du poids de la charge de la dette et des frais de
fonctionnement alors que la province sud dispose pour sa part de ressources
propres plus conséquentes. Enfin, de création récente, les
communes, à l'exception de celles de l'agglomération de
Nouméa, disposent de bases fiscales très réduites pour
faire face à des dépenses d'équipement et d'entretien
souvent élevées du fait de leur superficie.
En
Polynésie française
enfin, le territoire a
retrouvé une plus grande marge de manoeuvre pour ses opérations
d'équipement en réduisant la charge de remboursement de la dette.
Le
système fiscal
a été modernisé par
l'introduction le 1er janvier 1998 d'une TVA dont le taux, variant de 1
à 3 % selon les produits, est appelé à progresser,
entraînant la disparition du droit fiscal d'entrée qui frappait
les produits arrivant sur le territoire et de la taxe nouvelle pour la
protection sociale. En ce qui concerne les communes, leur situation s'est
très légèrement améliorée, du fait d'une
augmentation de la marge d'autofinancement et de la diminution de
l'annuité de la dette. La consolidation du financement des communes est
l'un des objectifs du projet de loi organique relatif aux communes de
Polynésie française actuellement déposé au
Sénat.
B. LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE
L'outre-mer demeure caractérisé par des structures économiques fragiles et une situation sociale globalement difficile.
1. L'activité économique
L'économie des départements d'outre-mer est
toujours
très dépendante des productions traditionnelles, soumises
à de forts aléas.
L'économie sucrière
a été affectée
ces dernières années par d'importantes variations liées
aux conditions climatiques. A la Réunion, la production a atteint un
point bas en 1994 avant de se redresser depuis, tout en restant
inférieure de 10 % à 20 % au niveau moyen. A la
Guadeloupe, la sécheresse de 1993 et 1994 avait entraîné
une chute de la production qui augmente depuis, sans atteindre ici encore le
maximum de son potentiel.
Ces aléas, ainsi que les exigences de l'accroissement de la
productivité, ont provoqué des fermetures d'usines
sucrières (Beaufonds à la Réunion et Grosse Montagne en
Guadeloupe).
Le
secteur de la banane
, principale activité exportatrice de la
Martinique, qui occupe également une place croissante en Guadeloupe,
traverse pour sa part une période difficile liée au remplacement
de l'organisation nationale par l'
organisation communautaire du
marché (OCM)
et par la vive concurrence des producteurs
latino-américains. Toutefois, les années 1996 et 1997 se
sont traduites par une forte hausse des exportations, atténuées,
surtout en 1996, par des cours moins favorables.
L'action des firmes américaines et des producteurs
latino-américains auprès de l'Organisation mondiale du commerce,
a conduit l'Union européenne à réviser certains
éléments de l'OCM qui avaient été contestés.
Il faut également rappeler que certains Etats membres du nord de
l'Europe souhaitent obtenir une plus grande liberté d'importation.
Aussi, la réforme qui entrera en vigueur le 1er janvier 1999
ouvre-t-elle davantage le marché européen aux bananes non
communautaires. En contrepartie, les planteurs des Antilles ont obtenu une
revalorisation de 8 % (dont 5 % dès 1998) de la "recette" de
référence, sur laquelle sont calculées les subventions
communautaires.
Dans le secteur secondaire, le secteur du bâtiment et des travaux
publics, qui occupe une part non négligeable de la population active, a
vu son activité diminuer, du fait notamment des faibles capacités
d'investissement des collectivités publiques.
Enfin, dans le domaine tertiaire, le tourisme progresse notablement depuis
quatre à cinq ans, surtout en Guadeloupe et à la Réunion.
L'économie de la Nouvelle-Calédonie, très
dépendante des exportations de nickel, a pour sa part connu de 1990
à 1994 une période de croissance ralentie due à la chute
des cours. Après un redressement, le cours du nickel a de nouveau
fortement chuté de près de 40 % sur les douze derniers mois,
pour retrouver un niveau aussi bas qu'en 1993 (2,4 dollar par livre). Au
cours du premier semestre 1998, les exportations de minerais ont
régressé de 19 % en volume et de 32 % en valeur.
Quant à l'économie de la Polynésie française, elle
s'efforce de réussir une reconversion rendue nécessaire par la
fermeture du centre d'expérimentation du Pacifique en
développant, avec des résultats encourageants, le tourisme et les
filières exportatrices (perles, pêche, fruits et légumes
tropicaux).
2. Une situation sociale globalement difficile
Le
niveau de chômage
est structurellement plus important dans les DOM
qu'en métropole, pour des raisons liées à la fois à
la démographie et au niveau de développement économique.
On constate par ailleurs que de 1994 à 1997, il a progressé plus
rapidement dans les DOM qu'en métropole, et qu'en 1998, il a
continué à s'y aggraver alors qu'une légère
décrue était observée en métropole.
D'après les statistiques fournies par l'IEDOM, les taux de chômage
s'établissaient comme suit dans les quatre DOM en 1997 :
- 27,8 % en Guadeloupe (contre 26,8 % en 1996 et 23,8 % en 1994) ;
- 27,2 % en Martinique (contre 27 % en 1996 et 26,2 % en 1994) ;
- 21,4 % en Guyane (contre 19,2 % en 1996 et 18,2 % en 1994) ;
- 42,8 % à la Réunion (contre 40,2 % en 1996 et 36,7 %
en 1994).
En 1997, le nombre de demandeurs d'emploi était de 49.765 en Guadeloupe,
44.919 en Martinique, 12.555 en Guyane et 100.055 à la Réunion.
Dans cet ensemble, la part des jeunes de moins de 25 ans représente
en moyenne 20 %.
Selon les départements, entre 40 et 55 % de demandeurs d'emploi
sont des chômeurs de longue durée.
Autre indicateur social, le
nombre d'allocataires du RMI
qui
s'était stabilisé entre 1990 et 1993 a de nouveau augmenté
depuis 1993. Fin décembre 1997, on comptait
111.305 bénéficiaires du RMI dans les DOM, soit 4,3 %
de plus qu'au début de l'année, l'augmentation étant
particulièrement forte à la Réunion (+ 6,4 %).
Le taux de personnes couvertes
par le RMI
(allocation et ayants
droit) s'établit à
14,4 % de la
population des DOM
,
contre 3,1 % seulement en métropole.
Le chômage atteint également des proportions élevées
à Mayotte (15.463 demandeurs d'emploi sur une population active
estimée à 34.000 personnes, soit un taux de 45 %).
En Nouvelle-Calédonie, le nombre de chômeurs au
31 décembre 1997 s'élevait à un peu plus de
15.000 personnes, sur une population active totale de
64.377 personnes, et avait également légèrement
augmenté par rapport à l'année précédente.
En Polynésie française, où les statistiques de l'Agence
pour l'emploi et la formation professionnelle ne donnent qu'une vision
très partielle du marché de l'emploi (l'inscription comme
demandeur d'emploi étant facultative), on enregistrait en 1997 une
hausse de 11 % des demandeurs d'emploi.