CHAPITRE II

LES INSUFFISANCES DE LA POLITIQUE
DE SANTÉ PUBLIQUE

I. LES DYSFONCTIONNEMENTS DE LA LUTTE CONTRE LA TOXICOMANIE

A. LES CRITIQUES DE LA COUR DES COMPTES

La Cour des comptes a rendu public en juillet 1998 un rapport particulier sur le dispositif de lutte contre la toxicomanie, particulièrement critique.

Alors que les crédits pour la lutte contre la toxicomanie dépassent un milliard de francs dans le budget pour 1998, la Cour constate que la multiplicité des administrations concernées et l'implication croissante des collectivités locales rendent difficiles, voire impossible, l'identification de tous les crédits affectés, et donc le contrôle de leur emploi.

Crédits spécifiques toxicomanie en LFI

(en millions de francs)


 

Crédits ministériels

Crédits Santé et ville
(chapitre 47-15)

Total des crédits

1987

250,0

294,2

544,2

1988

200,0

294,2

494,2

1989

200,0

346,4

546,4

1990

250,0

352,6

602,6

1991

250,0

438,9

688,9

1992

246,9

439,9

686,8

1993

246,9

461,1

708,0

1994

237,0

484,5

721,5

1995

215,5

619,1

834,6

1996

230,5

690,4

920,9

1997

230,5

751,4

981,9

1998

294,5

779,7

1.074,2

Les fréquentes modifications de la nomenclature budgétaire compliquent de surcroît l'inventaire et le suivi des crédits spécifiquement alloués au dispositif de lutte contre la toxicomanie.

La Cour des comptes dénonce par ailleurs l'instabilité chronique dont a souffert la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILT), qui a connu 13 responsables différents depuis sa création en 1982.

La Cour estime que la MILT ne parvient pas à financer d'actions innovantes, n'exerce pas un réel contrôle sur l'emploi des crédits interministériels et ne joue qu'un rôle réduit dans le domaine international. Elle relève également que " la capacité d'initiative de la MILDT est compromise par les délais de répartition des fonds aux ministères utilisateurs, qui retardent la mise en place des financements auprès des acteurs de terrain : alors que 70 % des crédits de ce " chapitre-réservoir " devraient avoir été répartis à la fin du premier trimestre d'un exercice, seuls 24,7 % l'ont été, en moyenne, de 1990 à 1996 ; 38 % des répartitions sont intervenues au second semestre. "

Toutefois, la Cour des comptes constate que " les lacunes de la coordination interministérielle ne sont pas imputables aux seuls acteurs administratifs. La volonté politique dans le domaine de la lutte contre la drogue et la toxicomanie, qui devrait s'exprimer au niveau du comité interministériel et orienter la mission interministérielle, a été hésitante (...) "

" Parfois élaborés à la hâte, sans analyse précise des besoins ni évaluation des actions déjà mises en oeuvre, les programmes et plans gouvernementaux comportent des mesures insuffisamment étudiées (...) "

" Ces programmes et plans d'action procèdent plus de la juxtaposition des préoccupations de chaque département ministériel que d'une véritable politique commune. "


S'agissant du financement des antennes toxicomanie, qui sont des centres de soins spécialisés, la Cour des comptes observe que " les délégations de dotations sont tardives et les crédits ne sont versés qu'en fin d'année aux établissements hospitaliers. Les hôpitaux de rattachement des antennes supportent, dès lors, la charge de l'avance de trésorerie sur leur dotation globale, en assurant notamment le règlement des salaires (...)

La gestion budgétaire de ces crédits est parfois peu transparente. Certaines antennes n'ont même pas connaissance de leur budget
".

La Cour s'inquiète également des délégations d'attribution aux associations : " comme dans la plupart des autres pays, les initiatives sont venues des bénévoles ou de professionnels, en marge du système de soins. Le dispositif français reste ainsi marqué par un très large recours au secteur associatif puisque 70 % des centres du dispositif spécialisé sont gérés par des associations .

La conséquence de ce fractionnement est la multiplicité des structures : sur environ 330 institutions répertoriées, 236, soit près des trois-quarts, sont des associations, financées en totalité ou en majeure partie par l'Etat avec lequel elles ont passé des conventions. Ces associations sont très présentes dans le dispositif de soins ; elles le sont encore plus dans le dispositif de prévention et dans celui de réinsertion. "

Cette importance des associations n'est pas sans inconvénient, car " l'implantation géographique des structures associatives dépend souvent plus du dynamisme de leurs animateurs que de l'importance de la toxicomanie dans le département ou la commune où elles sont implantées. Dans la majeure partie des cas, elles agissent de manière séparée. Elles ont une propension à ivre en circuit fermé, sélectionnant " leurs " toxicomanes à partir de leur réseau et ignorant une grande partie des autres acteurs du dispositif sanitaire et social, ainsi que les intervenants institutionnels ".

" Alors que la petite taille des structures associatives existantes entraîne des coûts fixes élevés (charges de personnel, locaux), la dispersion du tissu associatif accroît la difficulté de mettre en oeuvre une politique nationale et de la coordonner efficacement sur tout le territoire, notamment en matière de prévention et de communication ".

Au-delà de ce problème d'adéquation dans la répartition des moyens et de coordination des actions, la délégation de gestion aux associations pose des problèmes de contrôle : " le plus souvent, les pouvoirs publics rencontrent des difficultés quand ils demandent à ces structures de définir des indicateurs de suivi et de résultats, qu'elles assimilent à un contrôle tatillon ; leurs présidents et directeurs sont souvent des personnalités locales ou scientifiques qui siègent aux conseils d'administration ou aux conseils scientifiques d'autres associations. L'évaluation administrative et financière d'un dispositif auquel l'Eat délègue une partie importante de ses prérogatives se heurte à la culture du milieu associatif des intervenants en toxicomanie ".

Enfin, la Cour des comptes regrette " que n'ait pas été mise en place, au sein de la mission scientifique et technique du ministère de la recherche, une instance chargée d'établir la programmation des recherche en toxicomanie, d'en centraliser les résultats et d'en organiser la diffusion. "

Relevant la faible implication du ministère de la recherche dans la procédure et l'action interministérielle, la Cour estime que " l'Etat n'a pas défini les axes prioritaires de la recherche en toxicomanie ni mis en place l'organisation appropriée ".

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