C. QUESTIONS D'ACTUALITÉ
En
dernier lieu, il a d'abord paru utile de restituer, de façon très
factuelle, le contexte des crises d'inégale importance qui ont
affecté le fonctionnement de deux secteurs de l'administration de la
culture : la Bibliothèque nationale de France et l'administration
de l'archéologie nationale. D'autres situations de crise comme celle
qu'a traversée le Musée d'Orsay, ne seront pas
évoquées, même si votre rapporteur spécial y voit la
manifestation de difficultés structurelles de gestion des musées
en matière de gardiennage.
Votre rapporteur évoquera également dans cette partie le
programme " Culture 2000 " en cours de négociation à
Bruxelles, qui marque un certain changement de dimension des interventions de
l'Union européenne dans le domaine de la Culture.
1. La situation de la Bibliothèque nationale de France
La
grève de certains personnels de la Bibliothèque nationale de
France qui a paralysé cet organisme au moment où avec l'ouverture
au début du mois d'octobre du rez - de - jardin destiné aux
chercheurs, il devait prendre son allure de croisière est significative
des difficultés inhérentes aux " méga-institutions
culturelles " dont notre pays a le secret.
Votre rapporteur a tendance à considérer qu'au-delà de
problèmes informatiques qui devraient pouvoir trouver une solution
technique, la crise actuelle tient moins aux hommes qu'aux structures et plus
à la conception même du projet qu'à la façon dont il
est mis en oeuvre. Aujourd'hui, le coup est parti, " la nave va " et
il faut gérer au mieux ce porte-avions de la culture, peut-être
inadapté dans sa conception avant même que d'être
lancé.
Alors que le feu couve encore, il n'est pas question donc de porter de jugement
sur la façon dont est gérée la crise et votre rapporteur
veut simplement rappeler les éléments factuels du dossier.
On peut d'abord rappeler qu'outre le transfert des services qui a
débuté pendant l'été 1995, celui des collections
est en voie d'achèvement : les collections de Versailles (et sites
annexes) ont déménagé au cours du premier semestre
1997 ; l'ordre de service du déménagement des collections du
site de Richelieu a été lancé le 16 mars dernier ;
l'opération devrait s'achever en janvier 1999.
Comme permet de le constater le tableau ci-dessous, le coût de la
construction de ce grand équipement s'établit à 7964,8
millions de francs imputés en ce qui concerne les acquisitions de
terrains sur le chapitre 56-11 entre 1991 et 1993 et au chapitre 66-91 (
articles 61 et 62 entre 1989 et 1993, puis article 20 ) pour la construction.
La Bibliothèque nationale de France bénéficie de personnels dont une partie importante est rémunérée par le budget de l'État et de 513 contractuels pris en charge directement sur le budget de l'établissement.
Personnels
rémunérés sur le budget de
l'État (1998)
|
|
Personnels administratifs |
199 |
Personnels scientifiques et techniques des bibliothèques |
795 |
Personnels de surveillance et de magasinage |
644 |
Personnels ouvriers et techniciens |
275 |
TOTAL |
1913 |
Évolution des moyens en personnels de la BNF
|
1993
|
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
Nombre total d'emplois |
1468 |
1548 |
1848 |
2426 |
2426 |
2426 |
dont
créations :
|
135 |
20 |
100 |
20 |
16 |
0 |
budget de l'État |
0 |
60 |
200* |
558 |
-16 |
0 |
TOTAL des créations |
135 |
80 |
300 |
578 |
0 |
0 |
* dont
100 surnombres autorisés
Le budget de personnel de l'établissement (hors dépenses
imputées sur le budget de l'État) a évolué comme
suit :
|
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
Budget personnel établissement |
222,6* |
229,8 |
235,2 |
235,9 |
dont
rémunérations principales :
|
15,3
|
17
|
24,2
|
25,4
|
*
crédits inscrits aux chapitres de personnel + part des crédits de
l'enveloppe initiale du projet qui a été consacrée
à la rémunération de personnels sur crédits pour la
préparation du transfert
Par ailleurs, le Ministère de la culture et de la communication
rémunère les 1913 fonctionnaires affectés à la BNF
pour un montant de 344 millions de francs
On note que les recettes propres pour cette même année atteignent
à 60,4 millions ; elles s'établissent à 61 millions
pour 1999
7(
*
)
.
Le rapport établi conjointement en janvier 1996 par les inspections
générales de l'administration (Culture) et des finances a permis
de mieux cerner le coût global de la BNF " en régime de
croisière ", et notamment du site François Mitterrand
(Tolbiac).
Après une première estimation fixée à 1019 MF,
le rapport définitif a évalué le
coût global de
l'établissement en régime de croisière à 1 029
MF, y compris les rémunérations des agents payés
directement sur le budget de l'État.
En effet, le montant total des subventions de l'État à la BNF
pour 1999 est le suivant :
en millions de francs
Rémunération personnel État (1913 agents) |
344 * |
Fonctionnement (Chap. 36.60) |
602 |
Investissement (Chap. 66.91) |
50 |
TOTAL |
996 |
* Il
s'agit du coût estimé selon le Service du personnel et des
affaires sociales
(= 0,180 MF x 1913 agents). La réalité est inférieure car
la charte d'objectif n'est pas remplie.
2. Le problème de l'archéologie " préventive "
Les
mouvements divers - grève, occupation de musées, irruption sur un
plateau de télévision - qui ont agité le monde
l'archéologie, justifient que l'on porte à la connaissance de la
Haute Assemblée des éléments d'information sur la
situation qui a conduit les archéologues à manifester leur
mécontentement.
On peut rappeler que les principes et l'organisation générale du
service public de l'archéologie reposent aujourd'hui sur les
dispositions de la loi du 27 septembre 1941 modifiée, validée par
une ordonnance du 13 septembre 1945.
Les fouilles archéologiques dites préventives sont entreprises
lorsque des travaux d'aménagements sont de nature à
détruire ou endommager irrémédiablement un site pouvant
contenir des vestiges archéologiques : ces fouilles se sont
développées au rythme des grands chantiers d'aménagement
(routes, TGV) et des opérations d'aménagement de centre - ville
(parking, métro, etc..), pour l'essentiel depuis les années 60,
à partir des prescriptions d'urbanisme.
Pour permettre aux aménageurs de lever l'« hypothèque
archéologique », l'État prescrit, préalablement
à une opération d'aménagement, un diagnostic et, le cas
échéant, des fouilles. L'ensemble de ces opérations est
financé par les aménageurs et, dans la plupart des cas,
réalisé par une association créée à
l'initiative de l'État : l'Association pour les fouilles
archéologiques nationales.
Pour que ces fouilles soient réalisées, l'État, les
aménageurs et les archéologues, qu'ils appartiennent aux services
régionaux de l'archéologie, aux services des collectivités
locales, à l'université ou au CNRS, ont jusqu'à
présent improvisé des solutions dont les limites étaient
connues depuis longtemps.
La réforme de l'archéologie préventive a
été mise en chantier en septembre 1997. L'inspection
générale des finances a rendu un rapport concernant la situation
et les perspectives de l'Association pour les fouilles archéologiques
nationales (AFAN).
La question de la situation de cette association dans le champ
économique, au regard des règles nationales et européennes
de concurrence, a donné lieu à un avis du Conseil national de la
concurrence . En possession de ces rapports et avis - votre rapporteur n'a pas
encore pu prendre connaissance de ces documents - , la préparation d'une
réforme de l'archéologie préventive (acteurs,
procédures, moyens) sera poursuivie pour pouvoir répondre aux
exigences de sauvegarde du patrimoine archéologique que n'envisage pas
la loi du 27 septembre 1941, tout en tenant compte du cadre juridique national
et communautaire.
Créée en 1973, l'AFAN est une association de la loi de 1901,
dotée d'un budget de 350 millions de francs pour 1998. Officiellement,
elle emploie, en 1998, 1 144 personnes
" en équivalent temps plein
"
. En réalité, le personnel se monte à environ 1 650
personnes, une moitié en CDI et une autre en CDD. Cette association
constitue l'aile opérationnelle de l'archéologie nationale. Il
faut distinguer en effet, l'organisation qui dépend de la conservation
archéologique de la réalisation de fouilles elles-mêmes
confiée à l'AFAN.
On peut rappeler qu'il y a au sein de chaque direction régionale des
affaires culturelles (DRAC).
Un conservateur du patrimoine, section archéologie, par région.
Avec lui travaillent un certain nombre de conservateurs en chef et des
ingénieurs techniciens administratifs (ITA), ingénieurs
d'études recrutés sur dossier avec des contrats à
durée indéterminée. Cet ensemble représente environ
300 personnes. Ces agents sont chargés de faire appliquer la
réglementation et d'examiner les permis de construire. Les cinq
comités interrégionaux de l'archéologie (CIRA),
formés de personnalités indépendantes choisies par le
ministre, donnent un avis sur les dossiers soumis par les services
régionaux.
En outre, l'État autorise les collectivités territoriales
(villes ou départements) à entretenir un certain nombre
d'archéologues qui cumulent terrain, laboratoire et travail
administratif. Ils sont environ 220. A Paris ce service s'appelle la Commission
du Vieux Paris qui dépend du cabinet du maire.
Cette dichotomie archéologie de terrain archéologie de
" bureau " correspond aux besoins dans la mesure où les
opérations de fouille sont très fluctuantes et qu'il convenait
pouvoir s'adapter à une demande très variable avec les chantiers.
En dépit des critiques de la Cour des comptes, il faut admettre que ce
fonctionnement souple avec des personnels largement sous contrats à
durée déterminée, correspondait à la nature
très aléatoire de l'activité.
L'agitation a été l'occasion pour les personnes
concernées de réclamer la transformation de l'AFAN en
établissement public.
Pour tenter de désamorcer la crise, Madame le ministre a nommé
un groupe de travail composé de trois membres MM Bernard Poignant, maire
de Quimper, Bernard Pécheur, membre du Conseil d'État, et
Jean-Paul Demoule, professeur à Paris-I avec pour mission de propose
" un ensemble de mesures qui concilient les objectifs fondamentaux du
service public (...), les contraintes économiques et sociales et le
respect des engagements européens de la France "
.
Votre rapporteur attend communication des recommandations des ces experts, qui
ont dû être remises pour le 15 novembre dernier.
Quelles que soient la configuration juridique retenue ainsi que la
définition précise des responsabilités financières
des divers acteurs, il apparaît raisonnable de prévoir un effort
budgétaire, notamment sous forme de subventions aux maîtres
d'ouvrages impécunieux pour les aider à supporter les coûts
des opérations d'archéologie préventive. Une mesure
nouvelle est prévue à ce titre sur le chapitre 66-20, article 50
pour un montant de 10 millions de francs.
3. Le programme européen " Culture 2000 "
En mai
1998, la Commission a proposé au Conseil et au Parlement européen
une nouvelle approche de l'action culturelle communautaire, exposée dans
deux documents distincts, mais étroitement imbriqués :
- une communication présentant un programme cadre pour la culture,
portant sur la période 2000-2004 ;
- un programme dit " culture 2000 ", tendant en application de
celui-ci, à la création d'un instrument unique de financement et
de programmation pour la coopération culturelle.
La délégation du Sénat pour l'Union européenne a
rendu compte de cette initiative et porté un jugement globalement
favorable sur ses modalités.
Le programme cadre
L'intervention de la Commission, qui répond à une demande du
Parlement européen, se fonde sur l'article 128 du traité qui
donne une base juridique spécifique à l'action culturelle de la
Communauté, sans pour autant que celui-ci se substitue à l'action
des États membres.
Jusqu'à présent, les initiatives communautaires ont
déjà souhaité intégrer la dimension culturelle dans
les décisions européennes, mais d'une manière moins
globale. Elles ont notamment cherché à assurer le respect de la
création et de la diversité culturelle et linguistique de
l'Europe au sein des enceintes internationales et à explorer le
potentiel de création d'emplois dans le secteur culturel.
Sur le plan pratique
, les actions ont concerné la mise en oeuvre
de programmes encourageant la coopération culturelle dans le domaine des
" arts vivants " (danse et théâtre) par le programme
Kaléidoscope
, de la littérature, par le programme
Ariane
et du patrimoine, par le programme
Raphaël
8(
*
)
. C'est à ces programmes
que se substitue ce nouvel instrument, désormais unique, d'intervention.
Ce dossier se situe
dans l'optique et le prolongement
d'Agenda 2000
, qui fait du développement et de la
réorganisation des politiques internes de la Communauté une
priorité et qui souligne le rôle essentiel de la culture pour la
réussite du processus d'élargissement à l'Est.
La création d'un instrument unique de programmation et de
financement
Cet instrument devrait permettre d'éviter une dispersion des fonds
européens sur des petits projets et de réaliser désormais
" des projets culturels de dimension véritablement communautaire
et ayant un réel impact "
.
Doté d'un budget global, pour les cinq années de la
période, de
167 millions d'euros
, il est destiné
à financer trois types d'actions :
- Des actions intégrées au sein d'accords de
coopération culturelle
Ces accords, d'une durée maximale de
trois ans, pourraient concerner les activités suivantes :
coproduction d'oeuvres et de manifestations d'envergure (expositions,
festivals...), actions de formation, de perfectionnement des professionnels et
de diffusion des connaissances, encouragements à la connaissance
mutuelle de la culture et de l'histoire des peuples européens. Toutes
ces opérations pourraient bénéficier d'un soutien
financier à hauteur de 60 % et de dotations annuelles comprises
entre 200 000 et 350 000 euros, dès lors que plusieurs
États, membres ou non de l'Union européenne, sont
impliqués dans ces actions ;
- Des accords majeurs à rayonnement européen ou
international pour permettre l'organisation
d'événements
culturels spéciaux comme la ville européenne de la culture, la
création d'un festival culturel de l'Union, l'organisation de
tournées européennes, la reconnaissance de talents...Ces
opérations peuvent bénéficier d'un financement
jusqu'à 60 %, compris entre 200 000 et 1 million d'euros.
- Des actions spécifiques, innovatrices et
expérimentales
pour l'émergence de nouvelles formes
d'expression culturelle, une meilleure participation des citoyens,
l'accès à la lecture ou la sauvegarde du patrimoine. Ces projets,
d'une envergure moindre, bénéficieraient d'un financement
jusqu'à 60 %, compris entre 50 000 et 100 000 euros,
voire 150 000 euros selon les dernières discussions en cours.
On note que la fixation d'un " plancher de financement " marque bien
la volonté de la Commission de soutenir des projets importants et
d'éviter le saupoudrage des fonds disponibles ; on remarque
également qu'il est prévu un comité de gestion permettant
de mieux associer les états à la gestion de ce fonds dans le
respect des pouvoirs dévolus à la Commission en la
matière..
Le Parlement européen a adopté le 21 octobre dernier, le rapport
de Mme Nana Mouskouri, qui a modifié en profondeur la proposition
initiale de la Commission, en particulier sur les points suivants :
- souhait de voir porter l'enveloppe financière globale de
167 millions d'euros à 250 millions d'euros ;
- ouverture de financements communautaires pour des projets de petite et
moyenne envergure ;
- établissement d'une grille indicative de répartition du budget
sur six actions verticales thématiques (théâtre et
danse : 9 %, musique : 16 %, arts plastiques :
7 %...) et trois actions horizontales et transectorielles (synergies,
actions conjointes et actions symboliques : 20 %).
Nous sommes ici dans le domaine de la codécision. Le Conseil devait
aboutir, hier, à un accord politique et la procédure d'adoption
définitive va se prolonger dans les mois à venir.
L'on peut à ce stade de la procédure partager le sentiment de la
Délégation du Sénat pour l'Union Européenne et
considérer comme relativement satisfaisante la proposition de la
Commission, telle qu'elle a été modifiée, semble
plutôt cohérente et constructive.
Les propositions financières initiales de 167 millions d'euros
paraissent déjà très généreuses, compte tenu
des contraintes financières qui pèsent sur le budget
européen : une simple reconduction de l'existant aboutirait à un
budget d'environ 130 à 150 millions. Il semble que les États
membres soient plutôt favorables à cet effort budgétaire
-et même prêts à l'accroître, seuls les Pays-Bas ayant
considéré qu'il fallait s'en tenir à une simple
reconduction des moyens financiers précédemment accordés
à la culture.