PREMIÈRE PARTIE
-
ÉQUILIBRES FINANCIERS
GÉNÉRAUX
I. LES LOIS DE FINANCEMENT : UN INSTRUMENT PERFECTIBLE
Les lois
de financement de la sécurité sociale, mises en place par la loi
organique du 22 juillet 1996, constituent un progrès essentiel de la
démocratie et de la transparence, salué désormais par
l'ensemble des forces politiques.
L'examen et le suivi des lois de financement par le Parlement supposent une
information fiable et cohérente. Cette question de l'information reste
majeure. Certes, les progrès réalisés depuis une vingtaine
d'années sont importants. La réforme voulue avec courage par M.
Alain Juppé a conforté un processus amorcé par la
création, en 1979, de la Commission des comptes de la
sécurité sociale.
L'information est désormais
présente ; elle demeure complexe et multiple.
La réforme
constitutionnelle et la loi organique de 1996 n'ont pas toujours défini
les concepts utilisés, d'où une période de
" rodage " inévitable. Beaucoup d'informations sont
disponibles ; peu s'avèrent réellement
" utiles "
1(
*
)
. Il
convient désormais de préciser, de hiérarchiser et
d'homogénéiser les tableaux de bord, afin d'assurer un meilleur
suivi de l'évolution des recettes et des dépenses.
Loin de considérer qu'il s'agit là d'un débat
réservé aux techniciens, votre rapporteur estime que ces
questions sont de nature politique. Pour ne donner qu'un seul exemple, la mise
sous condition de ressources des allocations familiales -décision
politique
annoncée par M. Lionel Jospin dans son discours de
politique générale le 19 juin 1997- est justifiée
a
posteriori
par une argumentation
technique
: le dérapage
des dépenses de la branche famille. Votre rapporteur constate que ce
dérapage a été surestimé.
Les chiffres ont plus que jamais des conséquences politiques et
normatives.
Votre rapporteur a jugé utile de procéder à un rapide
et premier bilan de la réforme institutionnelle de 1996, à l'aide
notamment des documents de la Cour des comptes et de la Commission des comptes
de la sécurité sociale.
En effet, les lois de financement de la sécurité sociale sont
encore très récentes, à l'inverse des lois de finances,
contemporaines de l'histoire des Parlements, et dont l'architecture est
fixée depuis quarante ans par la Constitution de 1958 et l'ordonnance
portant loi organique du 2 janvier 1959.
Il apparaît possible
d'améliorer le contenu des lois de
financement de la sécurité sociale (A)
et de
renforcer la
transparence des comptes (B).
A. AMÉLIORER LE CONTENU DES LOIS DE FINANCEMENT
1. Clarifier les enjeux des lois de financement
La clarification des enjeux des lois de financement passe d'abord par une meilleure définition des soldes tendanciels des régimes de sécurité sociale -présentés lors de la Commission des comptes de sécurité sociale- et des soldes corrigés par le projet de loi.
a) Une confusion entre des soldes tendanciels et des soldes corrigés par la loi de financement
Les
comptes tendanciels justifient pour une grande part les mesures correctrices
prises par le Gouvernement.
Les soldes tendanciels, établis par la Commission des comptes de la
sécurité sociale, s'appuient sur des objectifs de croissance de
la masse salariale qui peuvent être sous-estimés ou
surestimés. Les effets financiers des mesures de correction semblent
-à leur tour- mal appréciés.
L'exemple des prévisions concernant la branche famille pour
l'année 1998 apparaît caricatural. Le déficit tendanciel
était de
11,8 milliards de francs
2(
*
)
. Le déficit estimé
est désormais de
0,9 milliard de francs
. Les mesures
d'économie contestées lors de la discussion du projet de loi de
financement pour 1998
(mise sous condition de ressources des allocations
familiales et plafonnement de l'AGED)
sont chiffrées à 4,6
milliards de francs. En ce qui concerne la mise sous condition de ressources
des allocations familiales, mesure sur laquelle le Gouvernement revient en
arrière dans le projet de loi de financement pour 1999, Mme Martine
Aubry argumente ce "
pas de clerc
"
3(
*
)
par l'impératif de financement.
Il s'avère que si ces mesures contestées n'avaient pas
été prises,
le déficit n'aurait été que
d'un peu plus de 5 milliards, puisque les autres mesures de redressement ont eu
un effet plus important que prévu et que l'ensemble des recettes avait
été sous-estimé.
On ne saurait méconnaître que la prévision est un art
difficile et l'erreur toujours possible. Mais, au-delà, la
séparation entre ce qui relève des " prévisions
tendancielles " et ce qui tient des " mesures de correction "
est très floue.
Les prévisions effectuées en septembre 1998 sont -de ce point de
vue- tout à fait étonnantes pour deux raisons principales :
- elles prennent en compte des mesures gouvernementales, et notamment le
plan Aubry assurance maladie de l'été 1998, à hauteur des
effets souhaités par le Gouvernement ;
- les dépenses d'assurance maladie sont calculées sur la
base d'un ONDAM progressant de 2,6 %, ce qui est le chiffre retenu par le
Gouvernement dans le projet de loi.
La définition d'un ONDAM tendanciel mérite certes discussion :
doit-il être une simple reconduction de l'existant (ONDAM de
l'année précédente) ou une prévision s'appuyant sur
l'évolution spontanée des dépenses d'assurance maladie ?
Quoi qu'il en soit, dans le cas présent, le Gouvernement se contente de
constater l'évolution " tendancielle " des dépenses.
En outre, la confusion entre le " tendanciel " et le
" correctif " est symbolisée par l'annonce, le même
jour, des prévisions de la Commission des comptes de la
sécurité sociale et des mesures correctrices du Gouvernement.
C'est dans le cadre de la réunion de la Commission des comptes que le
Gouvernement présente les grandes lignes du projet de loi de financement
et diffuse son dossier de presse.
La Commission des comptes de la sécurité sociale
La
commission se réunit deux fois par an, une session de printemps
étant consacrée aux comptes du régime
général et une session d'automne à l'ensemble des comptes
des régimes de sécurité sociale.
Un débat récurrent agite la Commission des comptes : faut-il que
ses membres disposent du rapport quelques jours avant la réunion ou au
moment même de la réunion ?
S'agissant d'un rapport de plus de cinq cents pages, il apparaîtrait plus
logique de le distribuer préalablement, afin que les membres de la
commission puissent en prendre connaissance. Il n'est pas essentiel de
réserver aux partenaires sociaux la primeur de l'annonce de ces comptes.
La réunion devrait ainsi mieux distinguer :
- ce qui relève d'une simple observation des comptes (le
" tendanciel "),
- ce qui relève des mesures proposées par le Gouvernement
dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (le
" correctif ").
b) Deux dispositions normatives difficiles à apprécier
Les lois
de financement contiennent deux dispositions normatives, l'ONDAM et le plafond
d'avances de trésorerie, qui apparaissent pourtant difficiles à
apprécier.
•
L'ONDAM est marqué par des incertitudes
statistiques, empêchant de disposer d'une estimation claire de sa
réalisation en cours d'année
La création par la loi organique de 1996 d'un outil pour contrôler
l'évolution des dépenses d'assurance maladie représente un
grand progrès. La question essentielle est désormais celle de son
suivi.
Deux statistiques différentes sur les dépenses d'assurance
maladie, alors même qu'elles se nourrissent des mêmes sources, sont
disponibles
4(
*
)
:
- les prévisions de la Direction de la sécurité
sociale, qui ne sont pas rendues publiques ;
- les prévisions de la CNAM, qui utilise une application
dénommée GERICO (gestion des risques et contrôle des
prévisions) ayant l'intérêt d'être
décentralisée.
Ces prévisions -rendues publiques-
concernent le régime général, le régime agricole et
le régime des non-salariés non agricoles (CANAM).
Il n'est pas possible, à partir de ces statistiques, d'arriver à
un chiffre réellement pertinent sur une exécution mensuelle de
l'ONDAM. La CNAM révise d'ailleurs de mois en mois ses chiffres, donnant
ainsi l'impression d'un manque de fiabilité. Le 15 mai 1998, Mme Martine
Aubry et M. Bernard Kouchner ont demandé à l'IGAS de
contrôler les conditions de collecte de ces statistiques.
Il est tout à fait révélateur que le Parlement ne dispose
pas, à l'occasion de la discussion du présent projet de loi de
financement, d'une estimation précise portant sur la réalisation
de l'ONDAM 1998.
Pour pouvoir suivre avec précision l'évolution des
dépenses d'assurance maladie en disposant du même cadre que celui
fourni par le législateur, le rapport de la Commission des comptes de la
sécurité sociale propose ainsi de mensualiser et de
régionaliser l'ONDAM.
•
Le plafond d'avances de trésorerie consenties au
régime général a été à deux reprises
relevé par le pouvoir réglementaire
La deuxième mesure normative des lois de financement est relative aux
plafonds d'avances de trésorerie.
Or, l'exécution des deux premières lois de financement s'est
traduite par une modification de ces plafonds par voie réglementaire.
Le système est d'une grande souplesse. Une procédure d'alerte
existe entre l'ACOSS et l'Etat, permettant de recourir à un simple
décret en Conseil d'Etat pour relever le plafond d'avances. Un rapport
au Parlement est transmis dans les dix jours suivant la parution du
décret au Journal Officiel.
Le Gouvernement argumente le relèvement du plafond d'avances du
régime général opéré par le décret
n° 98-753 du 26 août 1998 par :
- la majoration de l'allocation de rentrée scolaire (ARS) ;
- le dérapage des dépenses d'assurance maladie ;
- la perception en fin d'année des recettes provenant des
prélèvements sur les revenus du capital.
En ce qui concerne la majoration de l'allocation de rentrée scolaire, la
solution d'un décret d'avance, permettant au Budget
général de mettre à la disposition de la CNAF les sommes
nécessaires au versement de cette prestation, s'impose.
En effet, dès lors que le Gouvernement persiste à ne
décider qu'au dernier moment de l'opportunité d'une majoration de
l'allocation de rentrée scolaire et qu'une mesure réglementaire
" d'urgence " est donc nécessaire, le recours à un
décret d'avance a le mérite de ne pas faire peser cette
décision pendant plusieurs mois sur la trésorerie de la
CNAF.
c) Des objectifs de dépenses et de recettes votés par le Parlement, mais ne constituant pas un équilibre
L'ambition de la réforme de 1995-1996 ne se limitait
pas au
seul régime général. Son objectif était au
contraire de considérer l'ensemble des régimes de
sécurité sociale, pour pouvoir enfin disposer de masses globales
pour tous les régimes obligatoires de plus de 20.000 cotisants.
A cet égard, la distinction entre la réunion de printemps de la
Commission des comptes, consacrée au seul régime
général, et la réunion d'automne, consacrée
à l'ensemble des régimes sociaux, apparaît obsolète,
comme l'indique le secrétaire général de la commission, M.
Philippe Nasse
5(
*
)
.
Mais le législateur de 1996 n'a pas souhaité introduire un
article d'équilibre dans les lois de financement, ni global (le
périmètre des objectifs de dépenses et des
prévisions de recettes n'étant pas identique), ni
a
fortiori
par branche (seuls les objectifs de dépenses étant
présentés par branche, les prévisions de recettes
l'étant par catégorie). Deux raisons principales ont
été avancées.
La première raison tient à l'impossibilité d'assimiler
les finances sociales au budget de l'Etat.
L'expérience de la première loi de financement permet de
considérer que les recettes sociales sont tout à fait comparables
aux recettes fiscales. Elles dépendent étroitement de la
réalisation des mêmes hypothèses de croissance.
Les dépenses sociales apparaissent, au premier abord, plus
éloignées des dépenses du budget de l'Etat.
Les dépenses de santé ne peuvent pas être contraintes. Les
dépenses famille et vieillesse sont la conséquence d'une
articulation entre, d'une part, la législation et la
réglementation en vigueur et, d'autre part, l'évolution
démographique. Les régimes de sécurité sociale ne
peuvent cesser leurs paiements ou leurs remboursements faute de crédits
disponibles. De fait, les montants de dépenses par branche inscrits dans
le projet de loi de financement de la sécurité sociale restent
des objectifs et ne sont pas limitatifs.
Il reste que les dépenses budgétaires, dans leur grande
majorité, sont dans la même situation : charges obligatoires de la
dette, remboursement des allégements de charges sociales, traitements
des fonctionnaires, etc. Certaines de ces dépenses ont explicitement un
caractère évaluatif.
Les lois de financement de la sécurité sociale définissent
bien un " budget bis ", selon l'expression employée par M.
Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, lors de son
audition devant votre commission le 15 octobre 1998.
La deuxième raison tient au nombre élevé de
régimes comptant moins de 20.000 cotisants ou retraités
titulaires de droits propres, alors que leurs dépenses
représentent moins de 1 % de l'ensemble.
La loi organique du 22 juillet 1996 a ainsi établi une distinction entre
des objectifs de dépenses par branche pour les régimes
obligatoires de plus de 20.000 cotisants et des objectifs de recettes par
catégorie.
Ces raisons demeurent naturellement fortes. Il reste que l'expérience
des trois premiers projets de loi de financement montre que la notion
d'équilibre est au coeur du débat mais que ce dernier
porte de
façon réductrice sur l'équilibre du seul régime
général
sur lequel, au demeurant, le Parlement ne se prononce
pas (
voir ci-après e)
).
Les annexes prévues par la loi organique contiennent un grand nombre
d'informations générales de très grande qualité. En
revanche, celles qui sont censées détailler les chiffres inscrits
dans le projet de loi ne sont pas réellement exploitables, parce que
trop souvent fondées sur un champ différent, ce qui est
lié à l'utilisation de comptes hétérogènes
(cf. ci-après).
Par exemple, l'annexe d prévue par l'article LO 111-4 II du code de la
sécurité sociale décrit
" pour l'année en cours
et l'année suivante, par catégorie, les ressources des
régimes obligatoires de base de sécurité
sociale "
. Le descriptif de cette annexe n'est pas identique au
contenu obligatoire des lois de financement -voté par le
législateur (art. 12 du présent projet de loi)- qui doit
" prévoir par catégorie les recettes de l'ensemble des
régimes obligatoires de base et des organismes créés pour
concourir à leur financement "
(art. LO 111-3 I-2°).
Pour résumer, le législateur autorise un ensemble de recettes.
Cet ensemble de recettes est détaillé selon des règles
différentes dans l'une des annexes qu'il tient à sa disposition.
La différence s'explique par l'existence du Fonds de Solidarité
Vieillesse et des " transferts ", qui correspondent à la
nuance introduite par le membre de phrase
" organismes
créés pour concourir à leur financement "
. Dans
le projet de loi de financement pour 1999, cette distinction est
expliquée par un rapide paragraphe, situé au bas de la page 14 de
l'annexe c.
d) L'utilisation de comptes hétérogènes
La loi
organique de 1996 n'a pas défini la notion de " branche ".
Cette notion n'a été clairement identifiée que pour le
seul régime général, par la loi du 25 juillet 1994 sur la
sécurité sociale.
En l'absence de définition générale, le Gouvernement a
adopté un certain nombre de conventions pour la ventilation des
dépenses qui sont précisées à l'annexe c du projet
de loi.
Or, de nombreux régimes n'individualisent pas leurs dépenses de
charges annexes par branche et l'annexe c de la loi de financement n'apporte
aucune précision sur la ventilation de ces charges qui ne correspondent
pas à des prestations versées
6(
*
)
.
Par ailleurs, la Cour des comptes relève que le concept de
dépenses utilisé par la loi organique ne recoupe pas exactement
celui d'emplois retenu dans les comptes présentés à la
Commission des comptes de la sécurité sociale, les
différences résultant :
- du traitement des dépenses et des recettes des
départements d'outre-mer dans les comptes de la sécurité
sociale ;
- des doubles emplois qui apparaissent dans ces comptes de la
sécurité sociale du fait des transferts internes aux
régimes de base considérés et des dépenses qui
constituent la contrepartie des cotisations prises en charge par les
régimes de sécurité sociale ;
- de l'exclusion des régimes de base de moins de
20.000 cotisants ou bénéficiaires de droits propres.
Enfin, la direction de la sécurité sociale utilise deux cadres
comptables pour les comptes présentés à la Commission des
comptes de la sécurité sociale.
Le premier, utilisé pour le seul régime général,
classe les comptes en " recettes " et en
" dépenses ". La différence forme la
variation du
fonds de roulement
.
Le second, utilisé pour les autres régimes, classe les comptes en
" emplois " et en " ressources ". La différence
forme le
solde des opérations courantes
.
Ce second cadre comptable est utilisé par les annexes du projet de loi
de financement.
Cette situation, d'après les informations communiquées à
votre rapporteur
7(
*
)
, serait
corrigée à l'occasion du prochain projet de loi de financement.
La question des transferts entre branches du régime
général, par exemple, est traitée par la Cour des comptes
dans son rapport 1997
8(
*
)
. On
résumera ainsi le problème : comment traiter les transferts
entre branches du régime général, alors même que la
loi du 25 juillet 1994 a réaffirmé la gestion
séparée des branches ? A l'heure actuelle, la convention
retenue est la suivante : l'objectif des dépenses de la branche
versante inclut les transferts versés aux autres branches, tandis que
l'objectif de dépenses de la branche bénéficiaire est
présenté net des transferts reçus des autres branches. La
Cour des comptes a proposé une formule différente, consistant
à conserver les transferts versés aux autres branches, mais
à ne pas faire apparaître les transferts dans l'objectif de
dépenses de la branche bénéficiaire. Un état des
transferts entre branches serait souhaitable.
De manière générale, la Cour insiste dans son rapport 1998
sur le flou des notions de " branche ", de
" régime ", de " risque ", de " caisse ".
Cette critique est liée à l'organisation même des
régimes de sécurité sociale, historiquement très
complexe.
e) Un discours consacré quasi exclusivement aux comptes du régime général
Les
mesures correctives annoncées par le Gouvernement lors de la loi de
financement restreignent le débat au seul régime
général. Ces mesures corrigent les chiffres
" tendanciels " présentés lors la Commission des
comptes de la sécurité sociale. Lors de la discussion du projet
de loi de financement pour 1998, le déficit prévisionnel du
régime général était de 33 milliards. Les
mesures correctives proposées par le Gouvernement étaient de 21
milliards, pour parvenir à un déficit de 12 milliards. Il n'a
été nullement question d'équilibrer l'ensemble des
régimes sociaux.
Pourtant, la loi de financement ne vote pas explicitement les dépenses
et les recettes du régime général. Mais le débat
sur l'équilibre se concentre sur la page 28 de l'annexe c) du projet de
loi de financement consacré à l'effet des mesures du projet de
loi sur le solde des différentes branches.
Cette restriction du débat au seul régime général
est fâcheuse pour deux raisons :
- ne parler que du déficit du régime général fait
porter sur ce seul régime la responsabilité des dérapages ;
- en sens inverse, les effets du projet de loi de financement sur les autres
régimes sont passés sous silence. A titre d'exemple, le fait
d'avoir attribué la deuxième répartition CSG et droits sur
alcools prioritairement à la CNAM en 1998 a eu pour effet de diminuer
son déficit ; en revanche, cette mesure a été
défavorable à la CANAM. Les intérêts propres des non
salariés, échappant à la " norme " du
régime général, sont souvent méconnus, comme l'a
montré le basculement CSG/cotisations d'assurance maladie de 1998.
Au-delà même de l'ensemble des régimes obligatoires, le
périmètre de la loi de financement devrait être
confronté au besoin ou à la capacité de financement des
administrations de sécurité sociale défini par la
comptabilité européenne, et appelé communément
"
déficit au sens du traité de Maastricht
" qui
est désormais une référence essentielle des finances
publiques.
La
définition du besoin ou de la capacité de financement
des
administrations publiques en comptabilité européenne
Le
secteur des administrations publiques regroupe les catégories suivantes :
- l'Etat (budget général, comptes spéciaux, budgets
annexes) ;
- les organismes divers d'administration centrale (ODAC) : il s'agit des
organismes publics ou privés financés majoritairement par des
taxes affectées ou par des subventions de l'Etat ;
- les administrations publiques locales (APUL) : elles recouvrent les
collectivités locales proprement dites, les établissements
publics locaux et les organismes divers d'administration locale (centres
communaux d'action sociale, caisses des écoles, organismes consulaires,
agences de bassin) ;
- les administrations de sécurité sociale (ASSO) : elles
sont constituées de l'ensemble des régimes d'assurance sociale
obligatoire (régime général, régimes
complémentaires, régimes spécifiques, UNEDIC,...), ainsi
que des organismes financés par ces régimes (dont les
hôpitaux publics ou privés participant au service public
hospitalier).
Le champ couvert par la comptabilité européenne est plus large
que celui des lois de financement : il intègre les régimes
complémentaires obligatoires et l'UNEDIC.
En France, il correspond au compte de la protection sociale, compte satellite
des comptes nationaux de l'INSEE ou à l'effort social de la nation
Il est à noter que la notion de besoin de financement en
comptabilité européenne n'est pas identique au concept habituel
de déficit budgétaire (écart entre les charges et les
ressources, quelle que soit leur nature). Le besoin de financement correspond
aux flux nets de dettes des flux nets de créances.
L'application des droits constatés aux organismes de
sécurité sociale devrait leur permettre d'être
familières à cette notion de besoin de financement.
Le rapport économique, social et financier du projet de loi de finances
pour 1999 donne une évolution de la capacité de financement des
administrations publiques, dont les administrations de sécurité
sociale.
(en points de PIB) |
1997 |
1998 |
1999 |
Administrations de sécurité sociale |
- 0,6 |
- 0,15 |
+ 0,15 |
Administrations publiques |
- 3,0 |
- 2,9 |
- 2,3 |
Le jaune
budgétaire " Effort social de la nation " permet de disposer
d'informations utiles, mais datant des années précédentes.
La question d'une meilleure compréhension des différents champs
des comptes sociaux demeure ainsi posée.
2. Compléter l'information du Parlement
a) Un " vert " loi de financement apparaît nécessaire
Aucun
document n'est fourni aux parlementaires à l'issue du vote de la loi de
financement de la sécurité sociale hormis naturellement la loi
promulguée. Par analogie avec les lois de finances, il n'y a donc pas de
"
vert
" lois de financement. Ce type de documents
apparaît pourtant fort utile puisque la discussion parlementaire peut
apporter des modifications sensibles par rapport aux chiffres
présentés par le Gouvernement. De plus, une des recettes des
régimes d'assurance maladie -les droits sur les tabacs- dépend du
vote de la loi de finances.
La loi promulguée comporte par définition les objectifs de
dépenses et de recettes. Mais le projet de loi s'adosse sur des
éléments -que l'on retrouve dans certaines annexes
9(
*
)
- qui dépendent directement des
objectifs votés. Ces éléments gagneraient à
être actualisés en fonction des votes intervenus. Il est bien
sûr hors de question que le Gouvernement réédite l'ensemble
des annexes. En revanche, il serait souhaitable que le Parlement dispose des
comptes du régime général tels qu'ils résultent des
objectifs de dépenses et de recettes votés en loi de financement.
En conséquence, il serait souhaitable qu'un document -bref- soit
transmis au Parlement, au cours du mois de janvier suivant l'adoption des lois
de finances et de financement de la sécurité sociale,
comprenant :
- le récapitulatif des dépenses du régime
général par branche ;
- le récapitulatif des recettes du régime
général par branche. L'observation de la Cour des
comptes
10(
*
)
trouverait ainsi sa
place : "
La Cour souhaite que, pour le régime
général en particulier, les recettes soient décrites par
branche dans les comptes annexés au projet de loi de financement, ce qui
serait en cohérence avec la loi de juillet 1994
";
- le récapitulatif des incidences financières des mesures
votées, tant pour le régime général que pour
l'ensemble des régimes sociaux.
En l'état actuel, il est nécessaire d'attendre la réunion
de printemps de la Commission des comptes de la sécurité sociale
(cette année, le 11 mai), pour disposer de ces informations.
b) Le calendrier d'examen de la loi de financement devra tenir compte de l'évolution du calendrier d'examen de la loi de finances
•
L'articulation entre la loi de finances et la loi de financement
est nécessaire
Contrairement aux craintes exprimées lors de la discussion de la loi
organique de 1996, le double examen par le Parlement, à l'automne, de la
loi de financement et de la loi de finances s'effectue de telle manière
que toute discordance entre les deux textes de loi semble avoir
été évitée, en dehors du BAPSA
11(
*
)
. La cohérence des
prévisions macro-économiques (croissance du PIB, croissance de la
masse salariale) est nécessaire. Tout décalage de calendrier
rendrait impossible cette cohérence.
De fait, la question du calendrier n'est pas tant celle de l'articulation loi
de finances/loi de financement, mais celle des délais très
serrés laissés aux partenaires sociaux et au Parlement.
•
Un calendrier très serré, mais susceptible
d'évoluer
D'un point de vue strictement parlementaire, il est profondément
regrettable que le projet de loi de financement ait été
adopté en Conseil des ministres le 7 octobre 1998, laissant à
l'Assemblée nationale à peine quinze jours avant l'ouverture de
la discussion générale et au Sénat à peine plus
d'une semaine entre l'adoption du texte à l'Assemblée nationale
et le début de la discussion dans la Haute Assemblée.
Ce calendrier serré n'est pas une fatalité ; il souffre du
délai de production des comptes de la sécurité sociale et
de l'évaluation des compensations.
La réforme comptable doit
accélérer ce délai.
La Commission des comptes de la sécurité sociale pourrait se
réunir dès l'adoption en Conseil des ministres du projet de loi
de finances. Cette année, le projet de loi de finances -et c'est un
progrès- a été présenté dès le 9
septembre 1998. En conséquence, il est regrettable que la Commission des
comptes de la sécurité sociale n'ait été
réunie que le 22 septembre 1998. Une modification du décret
n° 96-834 du 20 septembre 1996 pourrait être nécessaire,
puisque ce décret prévoit que cette commission se réunit
deux fois par an : entre le 15 avril et le 15 juin, entre le 15
septembre et le 15 octobre.
En outre, il serait souhaitable que le rapport de la Cour des comptes soit
rendu public peu de temps avant la réunion de la Commission des comptes.
Il apparaît important de souligner que ce rapport -qui apporte beaucoup
dans la compréhension des comptes de la sécurité sociale-
est remis trop tardivement au Parlement, alors même que des
" fuites " répétées sont observées chaque
année, permettant à certains journaux d'en faire état
dès le début du mois de septembre.
Le délai de consultation des caisses (qui est de 7 jours, selon le
décret du 10 septembre 1996) semble actuellement très court. Une
réunion plus précoce de la Commission des comptes permettrait de
donner davantage de temps aux partenaires sociaux.
Les étapes du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999
22, 23 et 24 juin 1998 |
Conférence nationale de santé |
9 septembre 1998 |
Adoption du projet de loi de finances en Conseil des ministres |
22 septembre 1998 |
Réunion de la Commission des comptes de la sécurité sociale |
23 septembre 1998 |
Transmission de l'avant-projet de loi aux caisses |
30 septembre 1998 |
Avis des caisses |
1 er octobre 1998 |
Avis du Conseil d'Etat |
7 octobre 1998 |
Adoption du projet de loi de financement en Conseil des ministres |
13 octobre 1998 |
Sortie du rapport de la Cour des comptes |
15 octobre 1998 |
Dépôt du projet et de ses annexes à l'Assemblée nationale |
27 octobre - 3 novembre 1998 |
Discussion à l'Assemblée nationale |
La
volonté du Gouvernement d'adopter le projet de loi de finances en
conseil des ministres dès la fin du mois de juillet, à partir de
1999
12(
*
)
, après
l'étape intermédiaire de 1998 (présentation en deux
temps : fin juillet, les grandes orientations, notamment fiscales ;
début septembre, le projet lui-même), aura des conséquences
sur le projet de loi de financement :
- positives, si le projet de loi de financement est présenté
également plus tôt, ce qui aura pour effet une réunion de
la Commission des comptes de la sécurité sociale beaucoup plus
avancée, ce qui correspondra à l'objectif affiché plus
haut ;
- négatives, s'il apparaît un décalage trop important
entre les grandes orientations macro-économiques adoptées en
juillet, et les chiffres présentés en septembre.
A tout le moins, il est nécessaire que le Gouvernement précise
ses intentions concernant le calendrier de la loi de financement.
c) La proposition d'un véritable débat d'orientation sur le financement de la sécurité sociale dans le cadre du débat d'orientation budgétaire
Lors de
la discussion de la loi organique de 1996, M. Jacques Barrot, alors ministre
des Affaires sociales, s'était engagé à organiser au
printemps 1997 un débat d'orientation sur le financement de la
sécurité sociale, à l'image des débats
d'orientation budgétaire. Un tel débat ne s'est tenu ni en 1997,
en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale, ni en 1998.
De fait, un débat spécifique consacré au financement de la
sécurité sociale n'apparaît pas souhaitable pour deux
raisons. La première raison est liée au processus de
qualification à l'euro, tout comme les engagements souscrits au titre du
Pacte de stabilité et de croissance de juin 1997, qui imposent la
référence au
" besoin de financement des administrations
publiques "
, dépassant le cadre de la loi de finances, et
incluant les finances des collectivités locales et de la
sécurité sociale. La seconde raison est liée à la
nature des lois de financement de la sécurité sociale, qui
forment une seconde catégorie de lois de finances publiques.
L'évolution logique serait que le débat d'orientation
budgétaire, spécifiquement consacré aux ressources et
dépenses de l'Etat, devienne un
" débat d'orientation sur
l'évolution des finances publiques "
, selon l'expression du
Président Jean-Pierre Fourcade
13(
*
)
. Le débat d'orientation
budgétaire, qui s'est tenu au Sénat le 25 juin 1998, a
montré que le Gouvernement était resté à la
" croisée des chemins ". Certes, trois des quatre objectifs
fixés dans le rapport déposé par le Gouvernement à
l'occasion du débat concernaient de près ou de loin les finances
sociales. Mais, le Gouvernement, en l'absence du ministre de l'emploi et de la
solidarité, n'a pas indiqué de véritables orientations sur
ce que serait le projet de loi du financement de la sécurité
sociale, les analyses consacrées aux finances sociales étant
restées très insuffisantes.
A titre anecdotique, on peut rappeler que les ministres des Finances et du
Budget expliquaient à l'occasion de leur audition devant la commission
des finances de l'Assemblée nationale le dérapage des
dépenses d'assurance maladie par une simple épidémie de
grippe, alors qu'au même moment, Mme Martine Aubry ne voyait aucune
raison sanitaire à cette dérive.
La proposition d'organiser un véritable débat sur les finances
publiques, au cours du mois de juin, est pertinente. Elle permettrait d'amorcer
un débat au Parlement, qui pourrait se continuer avec les organismes
professionnels
14(
*
)
pendant
trois mois, avant que le Gouvernement ne dépose le projet de loi devant
le Parlement.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au Budget, a donné acte
de cette proposition : "
Peut-être faudra-t-il qu'en 1999,
dans le prochain débat d'orientation budgétaire, nous trouvions
ensemble une façon de traiter plus directement de la question de la
sécurité sociale
"
15(
*
)
.
Votre rapporteur est naturellement prêt à toute concertation
allant dans ce sens.