II. AUDITIONS

A. AUDITION DE M. PIERRE JOXE, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES

Réunie le jeudi 15 octobre 1998 , sous la présidence de M. Jean Delaneau, président, la commission a procédé à l'audition de M. Pierre Joxe, Premier Président de la Cour des Comptes, accompagné de M. Gabriel Mignot, président de la VIe chambre et Mme Anne-Marie Boutin, rapporteur général de cette chambre, sur le rapport annuel de la Cour consacré à l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

M. Jean Delaneau, président, a tout d'abord souligné l'importance de cette audition pour la commission, la Cour des Comptes étant chargée par l'article 47-1 de la Constitution d'assister le Parlement dans le contrôle de l'application des lois de financement. Il a indiqué que le rapport déposé par la Cour le 13 octobre 1998 était le premier rapport permettant de disposer du bilan d'une loi de financement, à savoir celle de 1997.

Puis, M. Jean Delaneau a souhaité formuler trois observations liminaires. Il a tout d'abord fait part de l'irritation des parlementaires face aux nombreuses " fuites " dont est l'objet chaque année le rapport qui, selon la loi organique, doit être remis au Parlement " sitôt son arrêt par la Cour des Comptes ". Il s'est interrogé sur la part relativement réduite du rapport consacrée spécifiquement à l'application de la loi de financement pour 1997 ; il a enfin souhaité savoir s'il était possible pour la Cour d'avancer la date de remise de son rapport.

M. Pierre Joxe a tout d'abord considéré que les finances sociales demandaient un certain degré de spécialisation, en raison de la complexité des dispositions législatives et réglementaires et de l'organisation même des régimes sociaux. Il a estimé que le choix par le Sénat d'une commission réservée aux affaires sociales, ainsi que le mode de renouvellement triennal, donnaient à la Haute Assemblée des atouts intéressants dans le cadre de l'examen des lois de financement.

M. Pierre Joxe, en réponse aux interrogations de M. Jean Delaneau, a indiqué que si la Cour avait parfois le moyen de prouver l'origine des fuites dont ses rapports étaient l'objet, elle n'en était pas moins désarmée, en raison de la procédure contradictoire et de l'envoi de tout ou partie du rapport à un grand nombre de ministères et d'organismes. Il a rappelé l'origine du rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale, provenant d'un amendement sénatorial, et il a indiqué que l'ensemble du rapport contribuait -au moins de façon indirecte- à l'éclairage du Parlement dans son contrôle de l'application des lois de financement. Il a souligné le manque d'expérience dont dispose la Cour vis-à-vis du contrôle des finances sociales, à la différence de celui effectué sur le budget de l'Etat. Il a observé que la sixième chambre de la Cour, consacrée spécifiquement à la sécurité sociale, s'était constituée depuis seulement l'année dernière. Il a indiqué que ne lui paraissait pas fondée la distinction faite habituellement entre des lois de finances contraignantes et des lois de financement moins normatives. En recettes, comme en dépenses, il lui a semblé que les lois de financement étaient véritablement un " budget-bis ".

Il a observé que la Cour n'avait été destinataire des comptes des régimes sociaux qu'à la mi-septembre 1998. Il a rappelé que le rapport de la Cour des Comptes sur l'exécution des finances était désormais disponible en juillet, parce que les données de l'Etat étaient disponibles dès le mois de mai, en raison de la normalisation et de l'homogénéisation des comptes. Il a souligné le manque d'homogénéité et de rigueur des comptes sociaux. Il s'est montré soucieux que l'utilisation par les commissions parlementaires compétentes du rapport de la Cour des Comptes sur la sécurité sociale valorise le travail effectué par la haute juridiction.

M. Gabriel Mignot, président de la sixième chambre, a présenté l'articulation du rapport de la Cour. Il a observé que si un seul chapitre reprenait effectivement les articles de la loi elle-même, les développements des première et deuxième parties permettaient de mieux apprécier l'application de la loi de financement pour 1997. Il a remarqué que des développements avaient été consacrés dans les troisième (branche maladie), quatrième (branche famille) et cinquième parties (branche vieillesse) à la demande des commissions parlementaires compétentes. Il a indiqué que la sixième partie du rapport était relative à la gestion des branches et des organismes et que la septième partie du rapport était consacrée à l'activité des comités départementaux d'examen des comptes des organismes de sécurité sociale (CODEC). Il a insisté sur l'importance et l'originalité de la huitième partie qui établit un bilan des propositions faites par la Cour dans ses trois premiers rapports.

M. Gabriel Mignot a observé que l'accélération des délais de remise des comptes serait un processus qui demanderait quelques années.

Abordant la réalisation des objectifs de dépenses et de recettes pour 1997, il a indiqué que ces objectifs avaient été atteints ce qui était tout à fait remarquable, eu égard aux masses financières.

Il a précisé que la Cour critiquait le concept de plafond d'avances, adapté à une comptabilité en encaissements/décaissements mais non à une comptabilité en créances et dettes, ainsi que le processus d'affectation de recettes provenant de la contribution sociale généralisée, qui d'une part intervient très tardivement et d'autre part se révèle d'une complexité redoutable.

Il a observé que la structure de financement de la sécurité sociale évoluait et qu'elle se caractérisait par une augmentation de la part des impôts et des taxes et une diminution de la part des cotisations sociales.

Concernant les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, il a indiqué que la Cour souhaitait un traitement comptable différent des exonérations de cotisations. Abordant les questions de trésorerie, il a relevé la complication entre les dispositions relatives à l'unité de caisse du régime général, gérée par l'ACOSS, et celles relatives à la séparation comptable des branches. Il a indiqué que l'unité de caisse paraissait favorable à la Cour, de même que la gestion par l'ACOSS ou par la Caisse des Dépôts et Consignations d'un compte unique centralisant les établissements publics de santé, leur principal financeur étant la sécurité sociale.

M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie, a tenu tout d'abord à féliciter la Cour des Comptes pour le travail réalisé. Il s'est interrogé sur la manière de mieux définir la notion de branche et sur la pertinence d'avoir choisi de mettre en oeuvre la réforme -par ailleurs nécessaire- des droits constatés avant de disposer d'un plan unique de comptabilité pour les organismes sociaux et d'une hiérarchisation des agents comptables entre Caisses nationales et caisses de base. Il a demandé pourquoi le rapport 1998 de la Cour ne consacrait aucun développement au contrôle de l'assiette de la masse salariale du secteur public et si la Cour avait avancé dans ses réflexions sur la constitution d'un véritable régime spécial de retraite des fonctionnaires civils et militaires de l'Etat. Il s'est interrogé sur les analyses de la Cour vis-à-vis de l'avenir général des régimes de retraite. Il a souhaité savoir si la fiabilité des statistiques d'assurance maladie ne posait pas problème, alors même qu'elles fondent le système de régulation des dépenses.

M. Gabriel Mignot a indiqué que le contrôle de l'assiette de la masse salariale du secteur public ferait partie du prochain programme de travail de la Cour des Comptes. Mme Anne-Marie Boutin a précisé que le rapport sur l'exécution des lois de finances abordait également cette question.

M. Pierre Joxe a rappelé qu'il avait demandé il y a quatre ans une étude approfondie sur les rémunérations du secteur public et que cette étude, selon l'expression consacrée, rencontrait quelques difficultés dans son déroulement mais que ces difficultés étaient surmontées.

Abordant la question des retraites, M. Gabriel Mignot a indiqué que le rapport de la Cour lui consacrait une présentation générale, en intégrant les régimes complémentaires. Il a précisé, à la demande de M. Charles Descours, qu'un magistrat de la sixième chambre était associé aux travaux du commissariat général du plan.

Mme Anne-Marie Boutin a reconnu que l'absence de définition de branche pour l'ensemble des régimes sociaux, à la différence du régime général, posait un grave problème. Elle a indiqué que la direction de la sécurité sociale souhaitait progresser sur ce point. Elle a observé que le projet de loi de financement pour 2000 serait l'occasion de mieux définir l'ensemble des concepts utilisés.

Abordant la question relative à la comptabilité des organismes de sécurité sociale, elle a reconnu que l'un des problèmes de fond était celui du statut juridique de l'ordonnateur et du comptable et de l'organisation entre les caisses centrales et les caisses de base.

Concernant les dépenses d'assurance maladie, Mme Anne-Marie Boutin a souligné combien leur suivi était handicapé par des lacunes fondamentales. Elle a observé que les données produites ou utilisées par l'assurance maladie ne permettaient pas de décrire les actes médicaux. Elle a estimé que les dépenses non encadrées, d'un montant global de 70 milliards de francs, étaient très peu connues, de même que la consommation de médicaments à l'hôpital.

M. Charles Descours, rapporteur, a observé qu'une disposition du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 procédait désormais à l'encadrement des dépenses du secteur médico-social. Il a interrogé les représentants de la Cour des comptes sur l'ampleur d'une éventuelle externalisation des dépenses de l'hôpital dans le secteur privé et sur l'opportunité d'introduire une fongibilité des enveloppes de l'ONDAM.

Mme Anne-Marie Boutin a expliqué que les prescriptions d'un certain nombre de médecins, comme par exemple les médecins à la retraite, n'étaient pas encadrées. Elle a fait état de médicaments achetés en pharmacie, mais prescrits à l'hôpital. Elle a observé que les dépenses du secteur médico-social étaient mal connues, de même que leur répartition entre dépenses médicales et dépenses relevant de l'action sociale.

Mme Anne-Marie Boutin a aussi indiqué que les dépenses hospitalières étaient particulièrement mal suivies. Elle a observé que le travail d'élaboration de nouvelles références médicales opposables (RMO) avait été ralenti. Elle a précisé que les références de bonne pratique devraient également être applicables dans les hôpitaux. Concernant le tarif interministériel des prestations sanitaires (TIPS), elle a fait remarquer qu'il n'avait de sens que dans les cliniques privées et que -citant l'exemple des défibrillateurs cardiaques- les innovations médicales n'étaient que tardivement prises en considération par le TIPS en raison d'une procédure administrative particulièrement lourde. Elle a indiqué que les tarifs de remboursement variaient considérablement en fonction des prescripteurs et des prestataires de soins.

Mme Anne-Marie Boutin , faisant part d'une réflexion globale sur les outils d'une meilleure connaissance des dépenses médicales, a estimé que les objectifs variaient considérablement dans le temps, jusqu'à la contradiction. Prenant l'exemple de SESAM-VITALE, elle a observé que l'objectif premier d'une productivité accrue dans le traitement des feuilles de soins avait été relayé par un objectif de maîtrise médicalisée des soins. Elle a indiqué que la répartition des dépenses par prescripteur ou par région pouvait aboutir à des découpages n'ayant plus de sens. Abordant la question de la fongibilité des enveloppes, elle a estimé que les agences régionales d'hospitalisation étaient prêtes à en assumer les conséquences, mais qu'il convenait de tenir compte de la différence existant entre les règles de fonctionnement et de financement des établissements de santé publics et privés.

M. Jacques Machet, rapporteur pour la famille, a relevé que la Cour des Comptes, dans son rapport, invitait à revoir l'ensemble des avantages vieillesse consentis aux personnes du fait qu'elles ont eu ou élevé des enfants. Il s'est enquis des éventuelles propositions que la Cour des Comptes serait en mesure de formuler sur ce point.

Mme Anne-Marie Boutin a estimé qu'il était nécessaire de clarifier les 70 milliards de francs constituant les différents avantages donnés aux personnes âgées ayant élevé des enfants. Elle a remarqué que la majoration de pension ne donnait pas lieu à cotisations sociales. Elle a observé que ces différentes allocations n'avaient pas toutes une finalité redistributive et que des solutions de plafonnement et de forfaitisation semblaient souhaitables.

M. Dominique Leclerc s'est interrogé sur les progrès récents réalisés en matière de comptabilité, sur la compensation par l'Etat des exonérations de cotisations sociales et sur la gestion déléguée aux mutuelles autres que celles du monde étudiant.

M. Gabriel Mignot a indiqué que si la Cour des Comptes s'était penchée cette année sur la gestion de la mutuelle étudiants, elle consacrerait l'année prochaine des investigations aux autres mutuelles d'assurance maladie.

M. Pierre Joxe a précisé que le programme de travail de la Cour n'était pas extensible, sa nouvelle mission ne s'étant accompagnée d'aucune création de postes. Il a observé que la chambre sociale ne comprenait qu'une quinzaine de magistrats.

Mme Anne-Marie Boutin a estimé que si la réforme des droits constatés avait été mise en place de façon correcte, l'harmonisation des pratiques comptables n'avait fait l'objet d'aucun progrès sur la dernière année.

En ce qui concerne les exonérations de cotisations, elle a observé que leur gestion posait problème, d'où une récente mission de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale des affaires sociales concernant l'ACOSS.

Abordant la question de la compensation démographique des régimes vieillesse, elle a fait état d'une mécanique très compliquée, avec des systèmes de calcul différents et parfaitement arbitraires selon les compensations. Elle a observé que même lorsque la comptabilité des organismes de sécurité sociale sera homogène, des problèmes de consolidation demeureront, en raison de transferts de compensation ne portant pas sur le même exercice.

A M. Louis Boyer , s'interrogeant sur la lecture par les cabinets ministériels des rapports de la Cour des Comptes, M. Pierre Joxe a indiqué que lorsqu'il était ministre, il était parfaitement attentif aux propositions effectuées par la Cour, mais qu'il n'était pas toujours en mesure de réformer lui-même ce qui était critiqué. Il a observé que dans le domaine nouveau des finances sociales, les propositions de la Cour faisaient l'objet d'un taux de réponse élevé.

M. Guy Fischer , faisant référence aux déclarations d'un directeur de caisse national, a demandé quelles étaient les économies à attendre en matière de protection sociale.

M. Pierre Joxe a indiqué que la fixation claire de grands choix de santé publique, comme une meilleure organisation économique pouvaient générer d'importantes économies.

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