III. LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES A SOUHAITÉ SUPPRIMER LES ABUS TOUT EN PRÉSERVANT UNE ACTIVITÉ EN DEVENIR
A. LE TEXTE DE LA PROPOSITION DE LOI ÉLARGISSAIT LA NOTION DE DÉLIT DE MARCHANDAGE
La
proposition de loi n° 211 présentée par M. Jean-Paul
Delevoye et cosignée par votre rapporteur, comprenait trois articles.
• Le premier article proposait de supprimer le terme
" à but lucratif " de l'article L. 125-1 du code du travail.
Cette modification aurait donné une portée plus
générale au délit de marchandage et sa reconnaissance n'en
aurait été que facilitée.
La commission des Affaires sociales s'est interrogée sur
l'opportunité d'une telle extension du champ du délit de
marchandage. Elle a considéré que le secteur à but non
lucratif, constitué par le secteur non marchand et, en particulier, les
activités associatives, était suffisamment distinct du champ
d'application du marchandisage pour considérer que cette disposition
n'était pas en relation directe avec l'objet de la présente
proposition de loi.
Dans ces conditions, la commission des Affaires sociales a
décidé de ne pas reprendre cet article.
• Le deuxième article interdisait toute forme de
marchandisage en instituant une présomption simple de marchandage
lorsque la vente d'un bien était accompagnée d'une fourniture de
personnel effectuant une prestation dans des locaux exploités par
l'acheteur, notamment par la mise en rayon, la gestion du stock, la prise de
commande.
• Le troisième article prévoyait la possibilité
pour les conseils des prud'hommes de requalifier les contrats de travail au nom
de l'utilisateur. Cette possibilité existe déjà pour les
contrats à durée déterminée (art. L. 122-3-13 du
code du travail) et les missions d'intérim (art. L. 124-7-1 du code du
travail).
Les trois articles de la proposition de loi avaient pour objet de renforcer
l'arsenal juridique pour lutter contre les abus constatés dans la
pratique du marchandisage. Dans cette perspective, il était
proposé d'étendre le champ du délit de marchandage afin
d'être sûr de pouvoir constater le délit. Après
réflexion, cette démarche est apparue à votre commission
comme étant trop radicale. Celle-ci a préféré
essayer de limiter l'interdiction aux seules pratiques susceptibles de donner
lieu à des abus.
La commission des Affaires sociales s'est ainsi interrogée sur
l'exacte portée de l'article 2 en prenant en compte en particulier ses
conséquences sur l'emploi.
Les nombreuses auditions auxquelles a procédé le rapporteur ont
en effet mis en évidence le caractère complexe et
hétérogène des pratiques du marchandisage.
Comme le précisaient les auteurs de la proposition de loi dans
l'exposé des motifs
2(
*
)
:
" de prestations de marchandisage proprement dites, effectuées
par des salariés des entreprises productrices, on débouche dans
certains cas sur des prestations de sous-traitance classique, dans le domaine
de la manutention ou du réassort des rayons. Ces tâches non
spécialisées sont effectuées par des salariés mis
à disposition des distributeurs pour le compte des producteurs (ou des
prestataires de services habituels du distributeur) par des
sociétés extérieures spécialisées, dont la
raison sociale officielle est en général la
distribution-promotion et qui interviennent en fait comme intermédiaires
entre les uns et les autres.
La commission des Affaires sociales a considéré que le
marchandisage, tel qu'il était pratiqué par les producteurs avec
leur propre personnel, n'était pas, dans la quasi-totalité des
cas, de nature à porter un préjudice manifeste à la
situation sociale des salariés concernés comparativement à
celle des employés de libre service de la distribution.
Bien au contraire, il apparaît que très souvent ces
salariés marchandiseurs bénéficient de conditions plus
favorables, que ce soit en termes de garanties sociales ou de plan de travail.
Ils disposent d'une formation adéquate qui leur permet de mettre en
oeuvre des savoir-faire propres et des techniques de vente spécifique,
leur intervention est créatrice de valeur ajoutée. Il n'est pas
rare que l'entreprise mette à leur disposition un véhicule de
fonction et les temps de trajet sont toujours pris en compte dans le calcul du
temps de travail effectif.
Pour des petites entreprises, l'intervention des marchandiseurs est
indispensable. C'est notamment le cas de grosses PME françaises qui
interviennent sur des marchés très concurrentiels face à
des entreprises originaires de pays à main d'oeuvre bon marché.
L'entreprise française doit insister sur la qualité de ses
produits et l'étendue de ses références pour compenser
l'attrait d'un prix plus bas. Le marchandisage devient alors indispensable pour
assurer la gestion la plus fine possible des linéaires.
Ces entreprises doivent nécessairement recourir à leurs propres
forces de vente car les distributeurs considèrent qu'il ne leur serait
pas possible, pour des raisons de technicité et de rentabilité,
d'assurer la même qualité de service.
Par ailleurs, ces entreprises considèrent leurs techniques de ventes
spécifiques comme une véritable richesse à laquelle elles
ne se sentent pas prêtes à renoncer.
Ce qui est vrai pour des produits très particuliers se vérifie
également pour des produits de grande consommation. L'arrêt du
marchandisage dans plusieurs hypermarchés du nord de la France a
donné lieu à des baisses de chiffres d'affaires de près de
30 % pour certaines boissons non alcoolisées, ce qui tendrait à
démontrer que, même pour un produit de grande consommation, le
marchandisage, lorsqu'il était pratiqué par de véritables
professionnels employés par l'industriel, constituait une technique de
vente indispensable.
La commission des Affaires sociales a donc souhaité recentrer la
proposition de loi sur les abus constatés dans la pratique du
marchandisage. A cet égard, il lui a semblé qu'il était
nécessaire de réglementer cette pratique en interdisant au besoin
son exercice par des employeurs peu regardants sur les conditions de travail de
leurs salariés.