CHAPITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES
À LA COMPÉTENCE DU JUGE
UNIQUE
EN MATIÈRE CORRECTIONNELLE
Article 3
(Articles 398 et 398-2 du code de
procédure pénale)
Compétence du juge unique en
matière correctionnelle
Cet
article tend à modifier les articles 398 et 398-2 du code de
procédure pénale, relatifs à la compétence du juge
unique en matière correctionnelle.
Dans sa rédaction actuelle, l'article 398 du code de
procédure pénale prévoit que, pour le jugement d'un
certain nombre de délits énumérés à
l'article 398-1, le tribunal correctionnel est composé d'un seul
magistrat du siège, alors que cette juridiction est en principe
composée d'un président et de deux juges.
Jusqu'en 1995, le recours à un magistrat unique pouvait intervenir pour
certaines infractions limitativement énumérées par le code
de procédure pénale et était laissé à
l'appréciation du tribunal de grande instance. En 1995, le
législateur a décidé d'élargir la liste des
infractions soumises au juge unique et d'ôter tout pouvoir
d'appréciation au président du tribunal en prévoyant que
les infractions concernées relèvent d'un juge unique sauf lorsque
le prévenu est en état de détention provisoire lors de sa
comparution à l'audience ou que celle-ci se fait selon la
procédure de comparution immédiate. La liste des délits
relevant de la compétence du juge unique figure dans le tableau
ci-dessous.
La
compétence du juge unique en matière
correctionnelle
DISPOSITIONS
|
|
PEINES D'EMPRISONNEMENT ET D'AMENDE ENCOURUES |
Art. 66 et 69 du décret-loi du 30.10.1935 |
-
retrait de la provision d'un chèque ou opposition à son paiement
dans l'intention de porter atteinte aux droits d'autrui ;
|
- cinq
ans ;
|
- Code
de la route
|
- tous
les délits du code de la route
|
- trois
mois à six ans ;
|
- Loi du
14.04.1992
|
Délits en matière de coordination des transports |
- trois
mois, un an, trois ans (le plus souvent aucune peine d'emprisonnement
prévue) ;
|
Code rural |
Délits en matière de chasse et de pêche |
- trois,
quatre ou huit mois, deux ans ;
|
Art. 222-11, 222-12 du code pénal |
-
Violences ayant entraîné une incapacité totale de travail
de plus de huit jours
|
- trois
ans ;
|
Art. 222-13 du code pénal |
- Violences n'ayant pas entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours |
- trois
ou cinq ans ;
|
Art. 222-16 du code pénal |
Appels téléphoniques malveillants |
- un
an ;
|
Art. 222-17 et 222-18 du code pénal |
Menaces |
- de six mois à cinq ans et de 50.000 F à 500.000 F selon les circonstances. |
Art. 222-32 du code pénal |
Exhibition sexuelle |
- un
an ;
|
Art. 227-3 et 227-4 du code pénal |
Abandon de famille |
- de
six mois à deux ans ;
|
Art. 227-5 à 227-8 et 227-11 du code pénal |
Atteintes à l'exercice de l'autorité parentale |
- six
mois à cinq ans ;
|
Art. 311-3 et 311-4 du code pénal |
Vol |
- trois
à cinq ans ;
|
Art. 313-5 du code pénal |
Filouterie |
- six
mois ;
|
Art. 314-5 et 314-6 du code pénal |
Détournement de gage ou d'objet saisi |
- trois
ans ;
|
Art. 322-1 à 322-4 du code pénal |
Destruction de bien |
- deux
à cinq ans ;
|
Art. 322-12 à 322-14 du code pénal |
Menaces de destruction, de dégradation ou de détérioration et fausses alertes |
- six
mois à trois ans ;
|
Art. 433-3, premier alinéa |
Actes d'intimidation commis contre les personnes exerçant une fonction publique |
|
Art. 433-5 du code pénal |
Outrage |
- six
mois ;
|
Art. 521-1 du code pénal |
Sévices à animaux |
- six
mois ;
|
Art. L. 628 du code de la santé publique |
Usage de stupéfiants |
- un
an ;
|
Art. 32-2° du décret-loi du 18.04.1939 |
Port d'armes de la sixième catégorie |
- trois
ans ;
|
L'article 3 du projet de loi tend à apporter une
double
limite à la compétence du juge unique.
I- Tout d'abord,
celui-ci ne serait pas compétent en cas de
délit commis par une personne se trouvant en état de
récidive légale
.
Cette modification vise à prendre en considération le fait que,
parmi les délits qui relèvent aujourd'hui du juge unique,
certains sont passibles de cinq ans d'emprisonnement de sorte que, en cas de
récidive, un juge pourrait éventuellement être amené
à prononcer seul des peines de dix ans d'emprisonnement.
L'hypothèse est certes théorique, mais mérite
néanmoins qu'un correctif soit apporté à la situation
actuelle.
Toutefois, la solution préconisée dans le projet de loi
paraît trop radicale. Si, en effet, il paraît souhaitable de
réserver au juge collégial la connaissance de certains
délits commis en état de récidive, cette solution ne
présente pas le même intérêt pour tous les
délits et pourrait s'avérer lourde de conséquences pour
l'efficacité du fonctionnement des tribunaux correctionnels. Certains
délits punis de faibles peines d'emprisonnement (six mois,
un an, deux ans) font, malheureusement, fréquemment l'objet de
récidive, sans qu'il paraisse pour autant nécessaire de renvoyer
l'affaire devant le juge collégial. C'est le cas par exemple de la
conduite en état alcoolique, punie de deux ans d'emprisonnement.
8.026 cas de récidive de cette infraction ont ainsi
été relevés en 1996. Pour concilier l'amélioration
des garanties offertes aux personnes poursuivies et l'efficacité des
procédures judiciaires, votre commission vous propose un
amendement
tendant à prévoir la
compétence du juge
collégial seulement lorsque la peine encourue, compte tenu de
l'état de récidive de la personne poursuivie, est
supérieure à cinq ans d'emprisonnement
.
II- Par ailleurs, l'article 3 du projet de loi tend à modifier
l'article 398-2 du code de procédure pénale pour
prévoir que le juge unique peut, si la complexité des faits le
justifie, décider, d'office ou à la demande des parties ou du
ministère public, de renvoyer l'affaire devant le juge collégial.
Cette décision ne serait pas susceptible de recours.
Sur le fond, une telle procédure peut paraître avoir une certaine
utilité. Compte tenu de l'extension de la compétence du juge
unique, celui-ci peut avoir à connaître d'affaires relativement
complexes, dont il peut estimer qu'elles méritent l'examen par le
tribunal correctionnel siégeant en formation collégiale. Cette
disposition tend à instaurer un élément de souplesse dans
la répartition des compétences.
La question qui se pose néanmoins est celle de la
constitutionnalité d'un tel dispositif.
En 1975, le législateur avait décidé de laisser au
président du tribunal de grande instance la faculté, dans presque
toutes les matières relevant du tribunal correctionnel de décider
si le tribunal se réunirait en formation collégiale ou en
formation de juge unique. Le Conseil constitutionnel avait censuré cette
disposition en avançant les arguments suivants :
"
Considérant que des affaires de même nature pourraient
ainsi être jugées ou par un tribunal collégial ou par un
juge unique, selon la décision du président de la juridiction ;
Considérant qu'en conférant un tel pouvoir l'article 6 de la loi
déférée au Conseil constitutionnel, en ce qu'il modifie
l'article 398-1 du code de procédure pénale, met en cause,
alors surtout qu'il s'agit d'une loi pénale, le principe
d'égalité devant la justice qui est inclus dans le principe
d'égalité devant la loi proclamé dans la
Déclaration des Droits de l'homme de 1789 et solennellement
réaffirmé par le préambule de la Constitution ;
Considérant, en effet, que le respect de ce principe fait obstacle
à ce que des citoyens se trouvant dans des conditions semblables et
poursuivis pour les mêmes infractions soient jugés par des
juridictions composées selon des règles
différentes
".
En 1995, le législateur a supprimé tout pouvoir
d'appréciation du président du tribunal de grande instance en
cette matière.
Le projet de loi qui nous est soumis propose que le juge unique lui-même,
d'office ou à la demande des parties ou du ministère public,
puisse renvoyer l'affaire devant le juge collégial si la
complexité des faits le justifie . La Chancellerie estime que cette
mesure ne devrait pas soulever de difficulté constitutionnelle. Elle
fait en effet valoir que le renvoi ne pourrait se faire que du juge unique
à la collégialité et non de la collégialité
au juge unique ; on ne peut donc aller que dans le sens d'un renforcement des
garanties offertes aux parties. Par ailleurs, la décision serait prise
par le juge unique lui-même, au vu d'un dossier et sur la base du
critère de la complexité de l'affaire et non par le
président du tribunal en l'absence de tout critère.
Malgré les précautions prises, votre commission est
réservée en ce qui concerne la constitutionnalité d'un tel
dispositif, dans la mesure où le principe d'égalité devant
la loi ne paraît pas pleinement respecté. Par ailleurs, la
faculté de renvoi d'une affaire à la collégialité
introduit un élément de complexité dans la
procédure alors qu'il est encore difficile de dresser un bilan de
l'extension des compétences du juge unique réalisée en
1995. Enfin, compte tenu de la nature des délits qui relèvent de
la compétence du juge unique, on peut penser que les affaires
réellement complexes sont en fait relativement rares. Votre commission
vous soumet donc un
amendement
tendant à supprimer le second
paragraphe de cet article.
Votre commission vous propose d'adopter l'article 3
ainsi
modifié
.