EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est appelé à examiner le projet de loi relatif
aux alternatives aux poursuites et renforçant l'efficacité de la
procédure pénale.
Son premier objectif est de tenter d'apporter un remède à
l'absence de réponse pénale donnée à un très
grand nombre d'infractions. Le développement considérable de la
petite délinquance a pour corollaire un taux de classements sans suite
qui n'a cessé d'augmenter au cours des dix dernières
années.
Le présent projet de loi, qui contient par ailleurs des dispositions
très disparates, tend donc principalement à mettre en oeuvre une
nouvelle procédure, qui permettrait au procureur de proposer certaines
mesures aux personnes majeures reconnaissant avoir commis certains
délits ou contraventions. L'idée n'est pas neuve, puisqu'elle ne
constitue qu'une nouvelle version de l'injonction pénale
déclarée contraire à la Constitution en 1995.
On peut être sceptique sur la capacité d'un tel remède
à mettre fin à lui seul à l'engorgement de la justice
pénale. Il convient cependant d'examiner ce dispositif avec un esprit
constructif, compte tenu des effets positifs qu'il pourrait avoir.
I. ALTERNATIVES AUX POURSUITES ET COMPENSATION JUDICIAIRE : UNE RÉPONSE AU CONTENTIEUX DE MASSE
A. LA JUSTICE PÉNALE IMPUISSANTE
1. Des chiffres toujours inquiétants
Depuis
de nombreuses années déjà, s'est fait jour le constat
d'une incapacité de notre justice à faire face à la
prolifération d'un petit contentieux, souvent appelé contentieux
de masse, en matière civile comme en matière pénale.
En
matière pénale, l'impuissance de notre justice se traduit par des
taux de classement sans suite qui ont constamment augmenté au cours des
dix dernières années pour atteindre 80 % en 1995 et 1996
. Si
l'on ne prend en considération que les procédures dans lesquelles
l'auteur de l'infraction est connu, ce taux reste d'environ 50 %. Le tableau
ci-après retrace les évolutions récentes dans ce domaine.
Ces données n'ont d'ailleurs qu'une valeur relative puisqu'elles ne
prennent en compte que les infractions " enregistrées ". La
" connaissance des auteurs " prise en considération pour le
calcul du nombre d'infractions poursuivies est elle-même une variable qui
est en partie commandée par l'efficacité du système
judiciaire.
La justice pénale ne peut s'accommoder de cette situation qui signifie
en fait l'impunité complète pour un grand nombre de
délinquants et l'insécurité chronique de leurs victimes.
Un classement sans suite, lorsque l'auteur de l'infraction est connu, est un
formidable aveu d'impuissance à l'origine d'une perte des repères
sociaux pour un certain nombre de jeunes délinquants, en particulier
dans les zones urbaines. Les statistiques déjà
inquiétantes en elles-mêmes, masquent le fait que nombre de
victimes elles-mêmes ont désormais intégré cette
impuissance de la justice et renoncent bien souvent à porter plainte.
C'est ainsi que grâce à l'amende forfaitaire ou à
l'ordonnance pénale, des contraventions de police sont bien plus
sûrement réprimées que des délits intentionnels tels
que le vol à l'étalage...
Il semble toutefois que les statistiques relatives aux classements sans suite
doivent être affinées pour avoir une idée
véritablement précise du nombre d'infractions
" poursuivables " qui font l'objet d'un tel classement.
D'après les informations transmises à votre rapporteur, la
Chancellerie a décidé de mettre en place une réforme de la
statistique pénale qui devrait permettre de recenser
précisément les motifs de classement : classements pour motifs
juridiques (absence d'infraction, infraction insuffisamment
caractérisée, prescription, amnistie...), pour poursuite
inopportune (désistement du plaignant, préjudice ou trouble peu
important...), après réussite d'une procédure alternative
(médiation, rappel à la loi...) et, enfin, par non identification
de l'auteur. Une première expérimentation sur quatre tribunaux au
cours des derniers mois de 1997 a montré que les taux de classement sans
suite sur les infractions " poursuivables " se situeraient entre 25
et 33 % selon les juridictions, ce qui est donc très inférieur au
taux de classement des infractions dont l'auteur est connu. Il est permis de
s'étonner d'apprendre que de telles informations ne sont pas encore
disponibles à l'échelle de l'ensemble des ressorts.
Il reste qu'affiner l'outil statistique ne résoudra pas la grande
difficulté de la justice pénale à traiter un contentieux
proliférant.