1. Renforcer la réglementation
a) Dans le secteur de l'habitat
L'habitat est, par excellence, un domaine où une action
réglementaire est légitime dans la mesure où les
intérêts du maître d'ouvrage et de l'utilisateur ne sont pas
compatibles : ainsi, le maître d'ouvrage cherche à minimiser
le coût de la construction au détriment du coût
d'utilisation du logement sur le long terme. L'utilisateur subirait les
conséquences d'un tel choix par une facture d'électricité
et de chauffage accrue si la puissance publique ne venait y mettre bon ordre.
La réglementation thermique mise en place en 1974 définissait des
exigences minimales d'isolation (toits, murs, planchers, vitrages,
renouvellement d'air) peu élevées dans un premier temps,
puisqu'elles entérinaient les bonnes pratiques professionnelles du
moment, puis renforcées progressivement (en 1977, en 1982 puis en 1988).
Il convient de tenir compte des observations émises par l'instance
d'évaluation sur l'efficacité des actions menées par voie
réglementaire pour accroître l'efficacité
énergétique de l'offre d'équipements ayant trait au
logement.
Votre commission recommande de
rendre obligatoires certaines normes
plutôt que d'imposer une performance globale minimale
en laissant au
maître d'ouvrage le choix des moyens.
L'instance d'évaluation recommande ainsi la généralisation
des doubles vitrages peu émissifs et marque une préférence
pour l'isolation par l'extérieur.
Elle observe, en effet, que la réglementation qui a exigé un
niveau minimum de rendement pour les
chaudières
au lieu
d'instaurer une information obligatoire sur leurs performances n'a pas
été suffisamment exigeante pour généraliser
l'emploi des matériels les plus performants et stimuler le
progrès technique. L'instance note à cet égard que la
marque NF gaz est restée une marque " opaque ", classant les
produits de façon binaire (bons ou mauvais), avec un critère peu
sélectif pour l'obtention du label, ce qui n'a pas stimulé la
concurrence.
A l'inverse, l'action réglementaire développée avec
continuité de 1975 à 1988 pour améliorer
l'efficacité énergétique des nouveaux bâtiments est
un exemple d'action réussie qui a eu un impact marqué et
rentable. Néanmoins, l'instance préconise de
rehausser les
exigences réglementaires
qui n'ont pas été revues
depuis 1988, malgré les progrès techniques qui ont
été validés depuis lors. La France, qui se trouvait en
avance en 1988, se voit ainsi aujourd'hui dépassée par ses
voisins.
b) Dans le secteur tertiaire
La
réglementation thermique de la construction d'immeubles " à
usage non résidentiel " a été plus tardive que dans
le secteur résidentiel (1976) et correspond à un niveau
d'exigence moindre de 25 % environ.
Ainsi, contrairement à la réglementation adoptée dans les
logements, celle s'appliquant au secteur tertiaire ne fixe une limite
quantitative que pour les déperditions dans les parois, lesquelles sont
appréciées par un coefficient volumique de déperdition qui
doit être inférieur à un coefficient de
référence déterminé pour un bâtiment
géométriquement identique au projet, et tenant compte d'un
certain nombre de facteurs (catégorie des locaux, type d'énergie
utilisée, zone climatique, caractère de l'occupation...). A cette
contrainte, s'ajoute l'obligation de respecter un certain nombre d'exigences en
matière d'équipements : de régulation et de
programmation du chauffage, de ventilation, de climatisation (lorsqu'elle est
prévue), de comptage de l'énergie.
L'administration compétente justifie le caractère moins exigeant
de cette réglementation, par rapport à celle régissant les
locaux d'habitation, d'une part, par la difficulté de définir a
priori par la réglementation les conditions d'une optimisation du couple
investissement-exploitation, compte tenu de la plus grande complexité et
diversité des locaux concernés et de leurs différents
modes d'occupation, d'autre part, par le sentiment que les maîtres
d'ouvrage sont plus avisés que les usagers des logements en
matière d'optimisation de la dépense globale.
Or, en pratique, une étude réalisée à la demande de
l'instance d'évaluation de la politique de maîtrise de
l'énergie a permis de constater que 5 % seulement des
opérations respectaient rigoureusement la réglementation.
Toutefois, les exigences relatives à l'enveloppe sont mieux
respectées que celles qui concernent les équipements.
Ainsi, la réglementation est aisément respectée en
matière d'isolation, ce qui confirmerait l'intérêt d'un
relèvement sensible des exigences réglementaires dans ce domaine.
La dispersion des performances plaiderait quant à elle pour une
meilleure prise en compte de certaines caractéristiques architecturales.
Il conviendrait par exemple de prendre en compte les avantages résultant
des apports solaires dans la détermination du coefficient de
référence s'appliquant aux surfaces vitrées.
En revanche, les équipements sont soit de mauvaise qualité, soit
mal utilisés. Ces manquements résultent davantage, selon
l'instance d'évaluation, d'une mauvaise compréhension de la
réglementation et d'une négligence dans son application que d'une
volonté d'économiser sur l'investissement. De meilleurs
résultats semblent pouvoir être obtenus par une
réglementation plus descriptive
qui fixerait par exemple les
différentes catégories de surface de l'enveloppe (opaques,
vitrées), ou qui exigerait le recours à des vitrages peu
émissifs ou à des huisseries performantes à partir d'une
certaine proportion de surfaces vitrées. Cette réglementation
descriptive s'appliquerait également à l'éclairage,
à la ventilation et à la climatisation.
Il convient donc, comme s'y est engagé le ministre de l'Equipement,
des transports et du logement, devant votre commission d'enquête,
d'harmoniser les exigences du secteur tertiaire au niveau de celles des
logements individuels.
c) Dans les bâtiments de l'État
Les
audits réalisés au ministère de la justice
révèlent que la rationalisation de la gestion de l'énergie
dans les bâtiments de l'Etat permettrait d'économiser au moins 10
% des consommations annuelles. Ce gisement d'économies n'a guère
été exploité à ce jour en raison des
difficultés de financement des opérations de maîtrise de
l'énergie et d'une insuffisance des moyens humains consacrés
à la gestion et à l'animation de ce programme.
En effet, le thème de la maîtrise de l'énergie ne mobilise
en effet pas aujourd'hui les hauts fonctionnaires responsables du patrimoine
public qui ont d'autres priorités. Seul le ministère de la
justice a mené avec l'ADEME une action de formation afin de sensibiliser
les gestionnaires du patrimoine aux économies d'énergie. En
outre, les investissements nécessaires à la maîtrise de
l'énergie se heurtent à la centralisation des crédits
d'investissement et à l'absence de liens entre les budgets
d'investissement et les budgets de fonctionnement.
Ainsi, alors que le programme français de prévention de l'effet
de serre arrêté début 1995, prévoyait que l'ADEME
consacrerait 10 millions de francs cette année-là à la
promotion des économies d'énergie dans les bâtiments
publics, les sommes effectivement déboursées pour cette action
jugée prioritaire n'ont atteint que 2 millions de francs, contre 2,8
millions de francs en 1994.
L'instance d'évaluation suggère en conséquence que
l'optimisation du budget énergie des bâtiments de l'Etat soit
l'objectif prioritaire de l'ADEME et soit appuyé par un recours
très large au crédit-bail, voire par la création d'une
caisse de financement de ces investissements qui se rémunérerait
sur les économies d'énergie réalisées. La
procédure du crédit-bail est astucieuse en ce qu'elle permet la
couverture de la charge financière des loyers par les économies
d'énergie. Néanmoins, la loi du 2 juillet 1966 impose au
crédit-bailleur d'être propriétaire des biens, ce qui est
incompatible avec le principe d'inaliénabilité du domaine public.
C'est en partie pour cette raison que la circulaire du 13 février 1991
qui autorisait déjà le recours au crédit-bail pour le
financement d'équipements mobiliers économisant l'énergie
n'a pas trouvé d'application. Il conviendrait en conséquence
qu'une loi déroge au principe d'inaliénabilité en faveur
des investissements de maîtrise de l'énergie, comme cela a
déjà été fait pour l'informatique et les
équipements portuaires.
Il est important, en effet, que l'Etat donne l'exemple dans ce domaine et que
l'Agence démontre aux administrations concernées qu'il peut y
avoir des économies d'énergie rentables malgré les bas
prix de l'énergie.
Pour la construction de bâtiments nouveaux, il convient d'introduire,
dans les règles applicables aux marchés publics, l'obligation de
retenir l'offre qui a le coût global (investissement + exploitation) le
plus faible et non le moins disant sur le seul poste investissement.