4. La Suède repousse la fermeture d'une première centrale
Au
lendemain de l'accident de la centrale nucléaire de Three Miles Island,
la Suède décidait, à la suite d'un
référendum organisé en 1980, d'arrêter toutes ses
centrales nucléaires. Un vote parlementaire intervenu en 1991 fixa cette
échéance à 2010, avant qu'un rapport de la Commission
publique sur l'énergie conclue, le 18 décembre 1995, que ce
délai ne pourrait pas être respecté.
Après plusieurs mois d'intenses débats entre toutes les
formations politiques portant sur les conclusions de ce rapport, le Parlement a
adopté, en juin 1997, une
loi sur le démantèlement du
nucléaire
. Les motivations politiques à l'origine de ce
projet de loi apparaissent plus clairement si l'on rappelle que le parti du
centre avait posé comme condition de son soutien au parti
social-démocrate, le début du démantèlement des
centrales nucléaires.
Les trois points essentiels de cette loi sont les suivants :
- fermeture définitive d'un des réacteurs de la centrale de
Barsebäck
28(
*
)
avant le
1
er
juillet 1998 ;
- arrêt du second réacteur du même site avant le
1
er
juillet 2001, à condition toutefois que la perte
d'énergie en résultant soit compensée par une augmentation
de la capacité globale de production d'électricité et par
des économies d'énergie à réaliser ; il semble
toutefois que la date du 1
er
juillet 2001 soit purement
indicative ;
- abandon de toute échéance fixe de
démantèlement total du parc nucléaire ; une analyse
approfondie des premiers effets du processus engagé sur l'environnement,
les prix de l'électricité, les investissements et l'emploi devra
être menée avant la fin de la prochaine législature en 2002.
Par ailleurs, des mesures à court terme doivent être prises, en
particulier dans le sud du pays, pour réduire l'utilisation de
l'électricité et apporter au réseau de nouvelles
capacités de production (réduction de l'utilisation de
l'électricité dans le chauffage domestique, accroissement de la
part des énergies renouvelables dans la production, importations
ponctuelles d'électricité en provenance des pays voisins et
accroissement marginal, et en principe temporaire, des combustibles fossiles
dans la production électrique).
En dépit de sa conformité avec les objectifs qui ont
résulté du référendum de 1980,
cette loi suscite
un certain nombre de critiques
. En premier lieu, arguant du fait que la
fermeture des centrales devait s'effectuer, selon les termes du
référendum, "
d'une manière
raisonnable
", et observant que l'exploitation des énergies
renouvelables n'a pas vraiment commencé, certains contestent la solution
en principe transitoire consistant à exploiter davantage le parc
thermique classique et à importer de l'électricité ou du
gaz naturel du Danemark, d'Allemagne et de Norvège. Ils craignent
notamment que cette solution remette en cause l'engagement de la Suède
de ramener d'ici l'an 2000 les quantités de gaz carbonique
rejetées dans l'atmosphère au niveau de 1990.
D'autres invoquent les coûts économiques et sociaux induits par
l'abandon de la centrale de Barsebäck
29(
*
)
. Ils redoutent en particulier une
augmentation du prix de l'électricité pour le consommateur, dans
la mesure où le nucléaire fournit 50 % de
l'électricité suédoise. En outre, si le prix de
l'électricité était également relevé pour
les usages industriels, certaines industries fortement consommatrices
perdraient un avantage concurrentiel important (bois-papier, sidérurgie,
industrie minière, chimie).
Par ailleurs, le choix par le Gouvernement suédois de la centrale de
Barsebäck, exploitée par un opérateur privé,
Skydraft, qui plus est sous contrôle étranger
30(
*
)
, comme premier site nucléaire
à démanteler est à l'origine d'une controverse qui semble
évoluer en faveur de Skydraft.
En effet, Skydraft, qui s'est vu retirer sa licence d'exploitation du
réacteur n° 1 le 5 février dernier, assimile la
décision du Gouvernement à une expropriation de fait et a
formé un recours sur ce motif devant
la Cour administrative
suprême de Suède
. Celle-ci
vient de lui donner raison en
demandant au Gouvernement suédois de surseoir à la fermeture de
la première tranche
de la centrale de Barsebäck.
L'opérateur privé a également porté plainte
auprès de la Commission européenne au motif que la fermeture de
Barsebäck "
renforcera la position déjà
prédominante de la compagnie publique d'électricité
Vattenfall sur le marché suédois
" et
"
contribuera à la distorsion du marché européen
de l'électricité
".
En tout état de cause, Skydraft, qui réclame une compensation
sous forme de capacités de production hydroélectrique et la prise
en compte immédiate de la deuxième tranche du même site
dans le cadre des négociations, se trouve en position de force pour
négocier.
Enfin, si l'on en croit les derniers sondages,
l'opinion publique
suédoise est désormais majoritairement opposée au
démantèlement
(entre 55 % et 66 % selon les
instituts).
Quant aux voisins nordiques, leurs sentiments sont contrastés. Si le
ministre danois de l'environnement a exprimé sa satisfaction que la
centrale - très proche de Copenhague - soit
désactivée, les autorités norvégiennes craignent
des tensions à la hausse sur le marché nordique de
l'électricité.
En définitive, en voulant ainsi montrer que la sortie du
nucléaire est amorcée, le Gouvernement suédois aurait
clairement obéi à des motivations politiques, à la veille
des échéances électorales de septembre prochain. Dans tous
les cas, rien n'indique que cette première fermeture, si elle a lieu,
sera suivie d'autres. En assortissant toute poursuite du
démantèlement du nucléaire au delà de ce premier
réacteur, de conditions qui en rendent l'éventualité
douteuse, le Gouvernement espère sans doute désamorcer
durablement un dossier qui est devenu au fil des années un
" serpent de mer " de la politique suédoise.