3. La Suède a anticipé la directive européenne sur l'ouverture du marché de l'électricité
Devant
la diversité de leurs ressources énergétiques, la
variété de leurs systèmes de production et la
multiplicité des acteurs, les pays nordiques ont très tôt
envisagé, pour optimiser leur complémentarité, une
exploitation unifiée de leurs moyens de production électrique.
Cette coopération a abouti à la création d'un
marché scandinave de l'électricité, le
Nordic power
exchange
.
Dans la perspective de son adhésion à l'Union européenne,
la Suède a engagé dès 1991 une réflexion sur la
restructuration de son secteur électrique.
Celle-ci s'est traduite dans un premier temps, le 1
er
janvier 1992,
par la transformation du plus gros producteur suédois, Vattenfall, en
société par actions, dont l'Etat a cependant conservé le
contrôle. Bien que ce secteur n'ait jamais été totalement
centralisé ou nationalisé, Vattenfall était, depuis la fin
des années 1940, en tant qu'établissement public, l'unique
responsable du réseau national de transport et des connexions
internationales et était propriétaire, avec une dizaine des plus
importantes entreprises de production, des réseaux régionaux
d'alimentation. Pour répondre aux critiques que suscitait cette
structure d'un point de vue concurrentiel, l'activité de grand transport
de Vattenfall fut confiée à une société neutre
spécialement créée, Svenska Kraftnät,
également détenue par l'Etat.
Mais c'est une nouvelle loi adoptée par le Parlement suédois
le 25 octobre 1995
et entrée en vigueur le 1
er
janvier 1996, qui marque officiellement la
libéralisation du
marché électrique
, très largement inspirée de
l'expérience norvégienne.
Le principe de base de cette réforme est la
séparation entre
la production et la vente d'électricité d'un côté,
et le transport/distribution de l'autre
. Les premières doivent
fonctionner selon les lois normales de tout marché concurrentiel, tandis
que les activités de réseau, du fait de leur caractère de
monopole naturel, continuent d'être encadrées par le biais de
concessions de lignes et de zone géographique délivrées
pour une période maximale de cinq ans par une autorité de
régulation et de contrôle.
Les détenteurs des concessions ont une obligation de connexion et de
desserte à des conditions raisonnables et non discriminatoires. Aussi
les comptabilités des différentes activités des
opérateurs doivent-elles être séparées afin que l'on
puisse s'assurer du respect de cette exigence.
En outre, la loi a confié à Svenska Kraftnät, dont
relèvent maintenant le réseau des lignes à haute tension
(400 kV et 220 kV) et la plupart des interconnexions avec l'étranger, la
responsabilité du système électrique national,
c'est-à-dire de gérer l'équilibre entre l'offre et la
demande, en imposant des contraintes d'approvisionnement aux
sociétés de distribution. Cet organisme doit par ailleurs
être informé de tout contrat d'importation ou d'exportation d'une
durée supérieure à six mois. Quant à la
construction de nouvelles lignes connectées aux réseaux
étrangers, elles font l'objet d'une autorisation spéciale du
Gouvernement.
La régulation du système est aujourd'hui du ressort de NUTEK,
dont l'autorité dépasse le secteur électrique et couvre
tous les domaines relatifs à la mise en place d'un contexte favorable au
développement industriel suédois.
En dehors de ces contraintes, le
marché électrique
suédois est totalement ouvert à la concurrence : dès
le 1
er
janvier 1996
, tout client final a eu la
possibilité légale de choisir son fournisseur
d'électricité, tout producteur a obtenu réciproquement
liberté de choix de ses clients. En même temps, toutes les formes
d'intermédiaires entre producteur et consommateur ont été
autorisées. L'accès au réseau de tous les acteurs a donc
été total dès le début. Du moins en théorie,
car, en pratique, la possibilité de changer de fournisseur s'est vite
avérée limitée notamment pour les clients domestiques,
compte tenu de la nécessité de s'équiper de nouveaux
compteurs capables de suivre la consommation heure par heure.
Ainsi, l'administration nationale de la concurrence a constaté dans un
rapport daté de novembre 1996, que le coût de l'installation de
comptage horaire était trop élevé
(8 000 couronnes suédoises en moyenne) par rapport au gain
financier que pouvaient tirer les petits usagers d'un changement de
fournisseur. De fait, neuf mois après l'entrée en vigueur de la
loi, aucun abonné particulier n'avait sauté le pas et, dans la
pratique, seuls les grands clients industriels avaient pu, jusqu'alors tirer
profit de l'ouverture du marché.
Pour pallier ce dysfonctionnement, le Gouvernement a donc décidé
de limiter le prix des équipements de mesure à un plafond de
2 500 couronnes (soit 1 965 francs). Par ailleurs, après
une période de relative passivité, il semble que quelques
compagnies électriques (dont Vattenfall, Stockholm Energi, Graninge et
Telge Energi) aient décidé de se faire plus ouvertement
concurrence en abaissant de quelques centimes le prix du kilowattheure, et en
offrant même, pour certains d'entre eux, le compteur aux prospects
démarchés.
Les autorités de contrôle se sont élevées contre le
renforcement de la concentration du secteur, lequel semble aller à
l'encontre de la logique habituelle de fragmentation des politiques de
dérégulation. La production reste, en effet, dominée par
les deux grands que sont Vattenfall (50 % du marché) et Skydraft (23 %
du marché). La déréglementation a été
marquée en outre par l'arrivée de compagnies
étrangères dans le capital des sociétés de
production (EDF, Pressen Elektra, IVO et Statkraft notamment).
Réciproquement, les
électriciens suédois investissent
à l'étranger
, essentiellement dans les pays proches. En
réponse à ces griefs, le ministre de l'industrie considère
qu'il convient de considérer le poids des acteurs à
l'échelle du marché nordique et non pas à l'échelle
nationale. Il faut donc s'attendre à ce que les pouvoirs publics
continuent dans l'avenir à encourager la
restructuration du
marché
.
Celle-ci devrait s'opérer plus spécialement par des rachats
d'entreprises dans le domaine de la distribution (250 compagnies qui
appartiennent souvent à des municipalités), à laquelle
s'intéressent aussi bien les producteurs électriques que les
opérateurs multi-énergies, comme Statoil, Norsk Hydro et la Shell.
Enfin, courant 1996, la loi de déréglementation a permis
l'institution d'une " bourse de l'électricité ",
baptisée
NordPool
, commune à la Suède et à
la Norvège. A l'automne 1997, environ 180 acteurs (norvégiens,
suédois, mais aussi danois et finlandais) intervenaient sur le
marché. Il semble cependant que cette bourse n'ait pas pleinement
répondu aux attentes des participants suédois qui en
espéraient, par des importations bon marché d'énergie
hydraulique norvégienne, une forte diminution du prix de
l'électricité. Malheureusement, la rigueur de l'hiver et le
faible niveau de remplissage des réservoirs norvégiens ont
entraîné un renchérissement des volumes
échangés.
Au total, le système électrique suédois apparaît
à la fois précurseur en matière de
dérégulation, caractérisé par des coûts de
production parmi les plus bas du monde et bien préparé aux enjeux
que représente le marché unique de l'électricité
ainsi qu'à l'ouverture espérée des pays d'Europe centrale
et orientale.