3. L'élargissement de l'OTAN : des spécificités
Dans ce
contexte d'ouverture politique et d'extension géographique à
l'Est des instances de l'Europe occidentale, l'élargissement de l'OTAN,
pour légitime qu'il soit, revêt cependant quelques
spécificités.
En effet, l'OTAN a été avant tout conçue et mise en oeuvre
en tant qu'outil politique et surtout militaire de défense collective,
en application de l'article 5 du traité de Washington du
4 avril 1949 créant l'Alliance Atlantique. Il s'est agi, pendant 45
ans, de se prémunir contre toute agression territoriale vers les Etats
membres, en provenance de l'Union soviétique et/ou de ses Etats
satellites qui s'étaient regroupés d'ailleurs, en 1952, en une
organisation comparable, au sein du Pacte de Varsovie.
La fin de l'Union soviétique et la dissolution du Pacte de Varsovie
pouvaient donc laisser entrevoir celle de l'OTAN, celle-ci ayant en quelque
sorte perdu sa raison d'être. C'était compter sans les nombreux
ressorts de l'Organisation qui, bien loin de se considérer comme une
survivance anachronique, a démontré, depuis huit ans, une
vitalité certaine et une étonnante capacité d'adaptation.
Ainsi peut-on relever trois éléments principaux qui, selon votre
rapporteur, ont abouti à un renouveau de l'OTAN plutôt qu'à
sa disparition.
En premier lieu,
l'OTAN constitue pour les Etats-Unis la seule instance
où ils peuvent entretenir une influence particulière sur
l'évolution du continent européen,
considéré
comme la première ligne de défense de leurs intérêts
vitaux. Il était peu probable que les Etats-Unis renoncent à un
instrument au sein duquel leur prééminence générale
n'est que rarement contestée.
En second lieu,
pour 13 des 14 membres européens de
l'Alliance
3(
*
)
, l'OTAN constitue
le cadre privilégié de leur défense,
une part
importante de leurs forces étant affectée à l'Organisation
atlantique. Ceci explique non seulement leur réticence durable à
l'égard de l'émergence d'une organisation européenne de
défense qui soit distincte de l'OTAN, mais aussi leur attachement
indéfectible à celle-ci.
En troisième lieu et enfin,
pour les pays d'Europe centrale et
orientale eux-mêmes, l'accession à l'OTAN constitue le symbole
suprême de leur émancipation et la garantie irrévocable de
leur nouveau statut de démocraties parlementaires en même temps
que celle de leur sécurité.
Dans l'ordre de priorité
vers de nouvelles appartenances, l'Union européenne pour
l'économie de marché, le Conseil de l'Europe pour leur brevet de
démocratisation, c'est l'OTAN qui, pour leur sécurité,
occupe assurément le premier rang. Le président tchèque,
Vaclav Havel, déclarait ainsi : "
Sur le plan de la
sécurité, il est pour nous plus urgent d'adhérer à
l'OTAN qu'à l'Union européenne. Personne ne sait comment la
situation en Russie va évoluer et si nous n'allons pas connaître
des surprises désagréables de ce côté. Il est
vraiment temps de négocier notre adhésion à l'OTAN, elle
seule offre une garantie de sécurité. L'intégration dans
l'Union européenne demeure un processus à long terme"
4(
*
)
.
Pour ces pays, l'organisation de
sécurité qu'est l'OTAN et l'existence de ce lien
privilégié impliquant les Etats-Unis dans leur avenir, font de
l'appartenance à l'OTAN la marque indélébile de leur
nouveau statut.
L'élargissement de l'OTAN ne survient pas brutalement, il est
l'aboutissement d'un processus progressif,
engagé dès le
lendemain des bouleversements européens.
.
Le Conseil de Coopération Nord Atlantique (CCNA)
Le CCNA, qui a rassemblé jusqu'à 45 Etats (y compris
4 observateurs) a été créé par le sommet de
l'OTAN de Rome en novembre 1991, afin d'instaurer un
dispositif de
consultations régulières
entre l'OTAN et les nouvelles
démocraties d'Europe centrale et orientale et de la zone eurasiatique.
Symbole de l'approche "coopérative" de la sécurité, il a,
le premier, incarné la volonté de l'Alliance atlantique de
poursuivre ses objectifs sécuritaires sur des bases plus politiques que
militaires. Durant six années, le CCNA a permis d'établir une
consultation sur les questions politiques et de sécurité, dont le
contenu d'ailleurs a largement évolué avec le temps : des
conditions du retrait des troupes de l'ex-Union soviétique des Etats
baltes et du conflit du Haut Karabakh, par exemple au renforcement des
relations de bon voisinage ou au maintien de la paix.
Le CCNA a permis également d'avancer sur des dossiers concrets : la mise
en oeuvre de dispositions sur la vérification du traité sur les
forces conventionnelles en Europe, la conversion des industries de
défense, etc...
.
Le Partenariat pour la Paix (PPP)
Créé dans le cadre du CCNA, lors du sommet de l'OTAN de Bruxelles
en janvier 1994, le Partenariat pour la Paix a constitué une
étape complémentaire au CCNA destinée à
réaliser une coopération plus ciblée. Il se traduit par un
contrat de partenariat
, conclu entre chacun des pays partenaires d'une
part et l'OTAN d'autre part, qui permet de répondre au voeu du pays
partenaire : chaque programme de partenariat individuel peut être
adapté et spécifique, en quelque sorte "sur mesure". La Pologne a
ainsi placé l'intéropérabilité de ses forces au
premier rang de ses priorités -défense aérienne et
communications notamment-, la Géorgie pour sa part a sollicité de
l'OTAN une aide pour rien moins que la constitution de ses propres forces
armées.
Dans ce cadre, vingt-trois Etats de l'ex-Pacte de Varsovie et de la CEI, dont
la Russie, ont passé un accord de partenariat avec l'OTAN, auxquels
s'ajoutent d'ailleurs la Finlande, la Suède, l'Autriche et... la Suisse.
Le Partenariat pour la Paix a cet avantage de répondre à trois
profils de nations dans leurs relations présentes ou prévisibles
avec l'Organisation atlantique :
- les nations qui doivent intégrer l'OTAN rapidement, en clair les trois
pays faisant l'objet des trois présents protocoles : la Pologne, la
Hongrie et la République tchèque,
- celles qui souhaitent adhérer, mais qui devront attendre -pour une
période encore indéterminée- une deuxième vague
d'adhésion,
- celles enfin qui n'entendent pas intégrer l'Organisation mais
souhaitent bénéficier d'un savoir-faire et tenir leur place dans
l'organisation de la sécurité européenne.
Les activités du Partenariat pour la Paix recouvrent aussi bien les
exercices destinés à développer
l'intéropérabilité, dans la perspective notamment d'une
participation des pays partenaires à des opérations de maintien
de la paix, que la mise en place d'un contrôle démocratique des
forces armées ou encore l'acquisition de matériels de
défense, la coordination du trafic aérien, les plans civils
d'urgence...
.
Le Conseil de Partenariat euro-atlantique
Indéniablement, le Partenariat pour la Paix a constitué une
réussite technique qui a conduit le Conseil atlantique, en mai 1997
à Sintra (Portugal) à lui conférer un volet politique
nouveau, le Conseil de Partenariat euro-atlantique (CPEA). Celui-ci,
conçu comme un
lieu de dialogue et de concertation
-mais non de
décision- regroupe à ce jour
44 Etats, dont la Russie
,
soit 28 "partenaires" aux côtés des actuels 16 membres de plein
exercice.
Parallèlement, il a été également
décidé à Sintra d'élargir le partenariat à
l'ensemble des missions militaires. A cette fin, des cellules
d'état-major du Partenariat seront créées et
installées dans les états-majors les plus importants de l'OTAN.
Dirigées par un officier allié, ces cellules, auxquelles
participeront d'ailleurs des officiers français, seront
composées, à hauteur de 60 %, d'officiers des pays partenaires.
Ce nouveau "tandem" Partenariat amélioré-CPEA, à base de
coopération technique plus étroite pour les questions militaires
et d'une concertation politique plus dense, pourrait constituer un outil
diplomatique et sécuritaire privilégié,
parallèlement à un processus d'élargissement dont on ne
peut aujourd'hui préjuger le rythme et l'ampleur à venir.