B. UN RENFORCEMENT DES CONTRAINTES ENCADRANT LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE : DE L'ARTICLE 104 C DU TRAITÉ AU RÈGLEMENT 1467/97 DU 7 JUILLET 1997
L'article 104 C et l'une des dispositions importantes
introduites par le traité sur l'Union européenne puisqu'il a
posé
une règle communautaire d'encadrement des politiques
budgétaires conduites
par les Etats membres. Cet article vise
fondamentalement à
combattre les déficits publics excessifs et
à fonder la discipline budgétaire imposée aux Etats
membres
au nom de l'Union économique et monétaire.
Destiné à entrer en vigueur de façon progressive à
mesure que se déroulerait le cheminement de l'union monétaire,
l'article 104 C a été complété par le
règlement 1467/97 du 7 juillet 1997 qui constitue l'un des trois
piliers du pacte de stabilité et de croissance.
L'analyse des difficultés résultant de ces dispositifs conduit
à mettre en évidence un choix de politique budgétaire
sous-jacent à l'unification monétaire qui peut être
discuté, ainsi que quelques difficultés résultant des
modalités d'application des règles européennes de
discipline budgétaire.
1. L'article 104 C du traité sur l'Union européenne
L'article 104 C est le cadre juridique de la discipline budgétaire imposée aux Etats membres dans le contexte de la réalisation d'une union monétaire.
a) Une application par étapes
L'article 104 C organise la surveillance et la lutte
contre ce que l'usage a désigné du nom de "déficits
excessifs".
Divisé en 14 chapitres, son application a été
conçue comme évolutive dans le temps à mesure des
progrès réalisés sur la voie de l'unification
monétaire en Europe. L'article 109 E du traité
prévoit ainsi que l'article 104 C, à l'exception des
paragraphes 1, 9, 11 et 14 s'applique
dès le début de la
deuxième phase
... de l'Union économique et monétaire
qui a commencé le 1er janvier 1994 et que l'article 104 C,
paragraphes 1, 9, et 11 s'applique
dès le début de la
troisième phase
, c'est-à-dire le 1er janvier 1999 lors
de l'instauration de l'euro.
S'agissant des paragraphes 1, 9 et 11, qui ne s'appliqueront donc qu'à
partir du 1er janvier 1999, il faut souligner que les paragraphes 9 et 11
ne s'appliqueront qu'aux Etats ayant adopté l'euro, les Etats "hors
euro" étant cependant soumis au paragraphe 1 dès cette date.
Objet des paragraphes destinés à entrer en application le 1er janvier 1999
Le paragraphe 1
de l'article 104 C comporte une
injonction aux Etats membres d'éviter les déficits publics
excessifs.
Les paragraphes 9 et 11
complètent la procédure de
l'article 104 C en introduisant deux nouvelles étapes.
Le paragraphe 9
introduit la faculté laissée au
Conseil de
mettre en demeure
un Etat en déficit excessif de
prendre des mesures correctrices.
Le paragraphe 11 donne au Conseil la faculté de prononcer une
série de sanctions contre un Etat qui ne se serait pas conformé
à cette mise en demeure.
Il faut aussi souligner que c'est le traité sur l'Union
européenne lui-même qui a organisé le renforcement des
pouvoirs du Conseil sur la politique budgétaire des Etats membres
après l'adoption de la monnaie unique et non pas le "pacte de
stabilité et de croissance".
b) L'édiction de règles de "discipline budgétaire"
L'expression 'discipline budgétaire" doit être
considérée comme une commodité. Les règles
posées par l'article 104 C et précisées par le
protocole n° 5 annexé au traité concernent en effet la
situation globale des finances publiques appréhendée à
travers les dettes publiques et les besoins de financement des administrations
publiques, soit deux "critères" sensiblement différents par leurs
champs du concept de déficit budgétaire.
En tout état de cause, au terme du dispositif de
l'article 104 C, paragraphe 2, la discipline budgétaire
est censée avoir été respectée
en tant qu'elle
intéresse les déficits publics
si le rapport entre ceux-ci,
qu'ils soient prévus ou effectifs, ne dépasse pas 3 % du
PIB. Si tel n'est pas le cas, un manquement à la discipline
budgétaire n'est pour autant pas nécessairement établi.
Autrement dit,
le dépassement de la valeur de 3 % du PIB ne
constitue pas automatiquement un fait "d'indiscipline budgétaire"
.
Deux cas de figure alternatifs sont envisagés. Ils permettent tous deux
de décerner un label de bonne conduite budgétaire, même si
le critère quantitatif évoqué ci-dessus n'est pas
atteint :
si le rapport entre le déficit public et le PIB a diminué
de manière
substantielle
et
constante
et
atteint un
niveau proche de 3 % du PIB
;
si le dépassement de la valeur de référence n'est
qu'
exceptionnel
et
temporaire
et que
le rapport entre le
déficit public et le PIB reste proche de 3 %.
On peut donc énoncer qu'un déficit public excessif est, au sens
du traité, un déficit public excédant 3 % du PIB ou
un déficit public d'une valeur éloignée de 3 % du
PIB, ou encore un déficit public un peu supérieur à
3 % du PIB si le dépassement de cette valeur ne peut être
considéré comme exceptionnel et temporaire ou comme s'inscrivant
dans un processus de diminution substantielle et constante du rapport du
déficit public dans le PIB.
Lorsque le déficit public d'un Etat ne dépasse pas 3 % du
PIB, il est réputé respecter la norme de discipline
budgétaire relative au niveau de son déficit public.
Toutefois, même si un Etat membre respecte ce critère, la
Commission est habilitée à élaborer un rapport et à
transmettre son avis au Conseil si elle estime qu'il y a un
risque
de
déficit excessif dans cet Etat membre (article 104 C,
paragraphe 3, second alinéa).
En ce cas, le Conseil ne pouvant que décider s'il y a ou non
déficit public excessif, le paragraphe 6 de
l'article 104 C ne lui ouvrant pas la faculté de
décider qu'il y a un
risque
de déficit public excessif,
l'avis de la Commission ne peut que servir de support à une
décision du Conseil constatant l'inexistence d'un déficit public
excessif.
Une incertitude subsiste sur le
fait de savoir si un Etat membre qui
respecte strictement la règle des 3 % obtient de ce fait la
garantie d'être considéré comme budgétairement
discipliné.
L'article 104 C organise la surveillance communautaire des
déficits publics
des Etats membres mais aussi du montant de leur
dette publique
(paragraphe 2 de l'article 104 C). Il
indique en effet que
la discipline budgétaire suppose le respect des
critères précisés ci-dessus relatif au rapport du
déficit public dans le PIB, mais aussi des critères suivants qui
concernent la dette publique
. La discipline budgétaire est
respectée si le rapport entre la dette publique dans le PIB ne
dépasse pas une valeur de référence fixée à
60 % par le protocole n° 5 annexé au traité. Dans
le cas contraire, la discipline budgétaire n'est pas respectée
à moins que ledit rapport "ne diminue
suffisamment
et
'
approche de 60 % à un rythme satisfaisant
".
Cependant, la question se pose de savoir quelles sont les
conséquences du non-respect de critère relatif à la dette
publique.
Précisons qu'elle se pose dans le cadre d'une lecture
littérale du traité mais que la coutume ne semble ni infirmer ni
confirmer cette lecture.
L'article 104 C du traité énonce en effet que si un Etat
membre ne satisfait pas les critères relatifs au déficit public
et (ou) à la dette publique, la Commission élabore un rapport
(paragraphe 3). En revanche, lorsque le même article donne mission
à la Commission d'adresser un avis au Conseil (paragraphe 5) sur la
base duquel celui-ci décide s'il y a ou non déficit excessif
(paragraphe 6), il ne vise pas autre chose que l'existence d'un
déficit excessif (ou d'un risque de déficit excessif).
Or, un déficit excessif n'est pas une dette excessive
. Dans ces
conditions,
il apparaît loisible de considérer que sans que cet
Etat soit réputé budgétairement discipliné
-la
Commission peut (paragraphe 3) élaborer un rapport à ce
sujet-
un Etat qui connaîtrait une dette excessive ne pourrait
être l'objet de la part du Conseil d'aucune autre décision prise
dans le cadre de l'article 104 C
. Seule, dans ce cadre là, la
Commission pourrait agir en élaborant un simple rapport.
Cette interprétation à la lettre n'est évidemment pas la
seule possible. Mais il faut admettre qu'elle s'inscrit dans un contexte d'une
pratique communautaire où le "critère" de dette publique
n'apparaît pas comme le plus fondamental des deux "critères" de
finances publiques.
Un débat s'est ouvert opposant les tenants d'une appréciation
stricte des règles de discipline budgétaire à ceux
favorables à une interprétation souple de ces règles. Si
la lettre même du traité donne plutôt raison à ces
derniers en ce qu'elle admet -voir supra- quelques écarts par rapport
aux valeurs arithmétiques fixées dans le protocole n° 5
annexé au traité, force est de reconnaître que celui-ci ne
laisse pourtant que de faibles marges aux Etats membres.
Si le déficit public d'un Etat membre peut dépasser la valeur de
référence de 3 % du PIB sans pour autant être
considéré comme excessif, il n'en doit pas moins, pour
échapper à cette qualification, satisfaire des critères
exigeants.
D'abord, le traité impose qu'il prenne
une valeur proche
de
3 % du PIB. Aucune définition précise de ce qu'est une
valeur proche de 3 % du PIB n'est donnée par le texte. Mais, on
peut inférer de la pratique récente de la Commission suivie par
le Conseil que cette valeur ne saurait être éloignée de
plus de quelques dixièmes de points de PIB de la valeur de 3 %.
Ensuite, il faut, on le rappelle, que ce dépassement soit, soit
exceptionnel et temporaire, soit inscrit dans un processus d'ajustement
budgétaire caractérisé par une réduction
substantielle et constante du rapport du déficit public dans le PIB.
Une source d'assouplissement aurait pu provenir de la rédaction du
paragraphe 6 de l'article qui prévoit que pour décider s'il
y a ou non déficit excessif le Conseil entreprend une "évaluation
globale".
Il est toutefois difficile de concilier cette marge d'appréciation
laissé au Conseil avec la rigueur des règles posées par le
paragraphe 2 de l'article. On doit en outre indiquer que manquent des
indications sur la méthode d'évaluation globale que devrait
suivre le Conseil.
Sans doute s'agit-il de prendre en considération
tous les éléments pertinents pour juger de la situation des
finances publiques d'un Etat et, en particulier, leur évolution sur
moyenne période. Mais, on conviendra que cela est un peu vague.
Peut-être alors pourrait-on considérer que le paragraphe 3 de
l'article est susceptible d'apporter un peu de précision quant à
la méthode d'évaluation globale que devrait suivre le Conseil. Il
y est en effet indiqué que lorsqu'elle élabore un rapport en cas
de déficit ou de dette excessifs, la Commission examine "
si le
déficit public excède les dépenses publiques
d'investissement
" et "
tient compte de tous les autres facteurs
pertinents, y compris la position économique et budgétaire
à moyen terme de l'Etat membre
".
Si tel était le cas, le Conseil bénéficierait d'une
marge d'appréciation tout à fait considérable.
Car, si
l'élaboration d'un rapport par la Commission suppose que celle-ci ait au
préalable pris acte que l'Etat membre se trouve en situation de
déficit ou de dette publics excessifs, le Conseil pourrait lui, à
la lumière d'une évaluation globale conduite sur les bases
indiquées ci-dessus, requalifier le déficit public de cet Etat
et, en un mot, l'absoudre.
Dans les faits, le Conseil n'a jusqu'à présent pas usé
de cette marge d'appréciation.
c) Une procédure d'une très grande complexité
L'article 104 C organise en outre la procédure dite des déficits excessifs.
Les différentes étapes de la procédure
1. Le rapport de la Commission (paragraphe 3)
Si un Etat membre ne satisfait pas aux exigences du critère relatif
à la dette publique et à celui du déficit public, ou si
elle estime qu'il existe un risque de déficit excessif, la Commission
élabore un rapport
5(
*
)
.
Aucun autre paragraphe de l'article 104 C ne visant
littéralement l'existence dans un Etat membre d'une dette publique
excessive, il y a lieu de s'interroger sur le point de savoir si la seule
"sanction" ménagée par ce texte dans ce cas consiste dans
l'élaboration par la Commission d'un rapport tel qu'il est
indiqué au paragraphe 3 de l'article.
Cette étape de procédure, lorsqu'elle concerne l'hypothèse
où un déficit public excessif serait constaté par la
Commission est, sans doute possible quant à elle, suivie d'autres
étapes.
2. L'avis de la Commission (paragraphe 5)
C'est ainsi que la Commission ayant élaboré le rapport sus-dit,
elle adresse alors un avis au Conseil -paragraphe 5 de l'article
104 C- qu'il y ait
déficit excessif
ou, d'ailleurs, qu'un
tel déficit
risque de se produire.
Il est assez piquant d'observer que, dans cette dernière
hypothèse, la Commission n'a pas la même latitude que lors de
l'élaboration du rapport visé au paragraphe 3 :
elle
doit
adresser un avis au Conseil. Plus étonnant encore est le sort
que réserve le paragraphe 6 à l'avis de la Commission si
celui-ci n'est fondé que sur le
risque
de survenance d'un
déficit excessif -voir infra-.
3. La décision du Conseil (paragraphe 6)
En effet, cette clause énonce que le Conseil qui statue à la
majorité qualifiée sur la recommandation de la Commission n'a
qu'une alternative : décider soit qu'il y a
déficit
excessif
, soit qu'il n'y a pas
déficit excessif. On souligne que
le Conseil n'a alors littéralement pas vocation à décider
qu'il y a dette excessive
. Mais au-delà, il faut aussi souligner que
saisi d'un avis de la Commission qui ne ferait que constater l'existence d'un
risque
de déficit excessif,
on voit mal le Conseil sauf
à ce qu'il s'éloigne de l'avis de la Commission décider
autre chose que l'inexistence d'un déficit excessif.
4. Les recommandations du Conseil (paragraphes 7, 8 et 10)
Une fois prise par le Conseil la décision qu'existe
un déficit
excessif
, celui-ci adresse des recommandations à l'Etat
concerné afin que celui-ci mette un terme à cette situation dans
un délai donné. En l'état, le délai n'est pas
précisé par le texte et est donc fixé à la
discrétion du Conseil. Les recommandations du Conseil ne sont pas
rendues publiques sauf si, paragraphe 8, le Conseil constate qu'aucune
action suivie d'effets n'a été prise en réponse à
ses recommandations.
Le paragraphe 10 précise que les voies de recours organisées
par les articles 169 et 170 du traité -la saisine de la Cour de justice
par la Commission ou un Etat membre qui s'estimerait lésé par le
non-respect par un autre membre de ses obligations- ne peuvent être
exercées dans le cadre des paragraphes 1 à 9.
5. L'abrogation des décisions du Conseil (paragraphe 12)
Lorsqu'il estime que le
déficit excessif
dans l'Etat membre a
été corrigé, le Conseil abroge toutes ou certaines des
décisions visées aux paragraphes 6 à 9 et 11. En
l'état, seuls les paragraphes 6, 7 et 8 étant en vigueur, les
seules décisions susceptibles d'être abrogées par le
Conseil sont celles prises sur la base de ces paragraphes.
Une formalité particulière est imposée au Conseil si
celui-ci a décidé de rendre publiques ses recommandations, celle
de déclarer publiquement qu'il n'y a plus de
déficit
excessif
dans cet Etat membre.