ARTICLE 27 bis
Non déductibilité des sommes
versées au profit d'agents publics étrangers en vue d'obtenir des
avantages dans les transactions internationales, à compter de
l'entrée en vigueur d'une convention
Commentaire : cet article, introduit à
l'Assemblée Nationale, a pour objet de rendre non déductibles les
sommes versées à des agents publics étrangers en vue
d'obtenir des avantages dans les transactions internationales. Cette mesure
s'appliquera à compter de l'entrée en vigueur de la convention de
l'OCDE sur la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales
internationales.
Chacun s'accorde sur la nécessité de donner plus de moyens
à la lutte contre la corruption, qui constitue un des fléaux du
système économique, tant national qu'international.
La volonté de lutter contre la corruption dans les transactions
internationales sera de nouveau affirmée par la signature prochaine, le
17 décembre, de la convention de l'OCDE sur la lutte contre la
corruption d'agents publics étrangers.
Parmi les
cibles de la lutte contre la corruption figurent
effectivement ce que l'on appelle pudiquement " les frais commerciaux
exceptionnels " et qui constituent en réalité des
" pots-de-vins " destinés à remporter des contrats
internationaux.
Par cet article, il a été choisi d'accompagner cette convention
et de lutter contre la corruption par une mesure purement fiscale, consistant
à imposer les sommes versées à des agents publics
étrangers.
I. PRÉSENTATION DU DISPOSITIF LÉGISLATIF EXISTANT
A. LA LÉGISLATION FISCALE AUTORISE SOUS CERTAINES CONDITIONS LA
DÉDUCTION DES " COMMISSIONS " ILLICITES
La législation fiscale existante, telle qu'elle découle de
l'article 39-1 du code général des impôts, permet aux
entreprises de déduire les " commissions " versées
à des agents publics étrangers sur le fondement du principe de
neutralité fiscale, moyennant certaines conditions (caractère
effectif de la dépense déduite qui doit être
comptabilisée et appuyée de justifications suffisantes ;
intérêt de cette dépense en relation avec l'objet social de
l'entreprise ; montant non excessif).
Ainsi, lorsqu'un marché est obtenu grâce à l'entremise d'un
tiers, la commission qui lui est versée est normalement
déductible, dès lors toutefois que le service rendu est
réel, que le taux est normal, que l'identité du
bénéficiaire est connue et que le montant de la
rémunération est mentionné sur le relevé
spécial des honoraires.
Par ailleurs, les versements occultes sont réintégrés dans
le bénéfice imposable lorsqu'ils sont découverts.
Lorsqu'au cours d'un contrôle, l'administration découvre
l'existence de rémunérations ou de distributions occultes, elle
rehausse le bénéfice imposable de la société
(articles 238 et 240 du CGI : les entreprises perdent le droit de
déduire de leurs résultats imposables les commissions, honoraires
et autres rémunérations de même nature qu'elles n'auraient
pas déclarés à l'administration fiscale).
B. LA JURISPRUDENCE CONSIDÈRE QU'UN ACTE ILLICITE N'EST PAS
NÉCESSAIREMENT UN ACTE ANORMAL DE GESTION
La pratique jurisprudentielle a constamment défini qu'
une
dépense peut présenter un caractère illicite sans pour
autant constituer un acte anormal de gestion
: en effet,
l'argument
" moral " se situe sur le plan pénal
avec la
constatation
d'une infraction qui donnera lieu à poursuite et éventuellement
amendes.
Dans un arrêt du 11 juillet 1983, le Conseil d'Etat a
considéré, au sujet de cadeaux illicites, que "
la seule
circonstance qu'aux yeux de l'administration fiscale, ces pratiques constituent
une infraction à la législation économique (...) ne permet
pas de les regarder comme étrangères à une gestion
commerciale normale
". Les sommes considérées peuvent
donc être déduites de l'impôt.
Dans un arrêt du 31 juillet 1992, le Conseil d'Etat a également
jugé que des commissions versées à des salariés
d'entreprises clientes correspondaient à des charges déductibles
"
eu égard à leur montant qui n'était pas
exagéré compte tenu de la contrepartie qu'en attendait la
société
".
La jurisprudence indique que la dépense doit avoir été
engagée dans l'intérêt de l'entreprise (Conseil d'Etat, 18
décembre 1989, Rockwell-Collins).
Le présent article vise donc à contrecarrer une jurisprudence
constante.
Mais s'il poursuit des objectifs louables, il emploie de mauvais moyens
juridiques.
II. L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE DE L'ARTICLE
Le présent article prévoit, pour les contrats conclus à
compter de l'entrée en vigueur de la convention de lutte contre la
corruption internationale de l'OCDE, la non déductibilité fiscale
des sommes versées directement ou par des intermédiaires au
profit d'un agent public étranger ou d'un tiers pour que cet agent
favorise l'obtention ou la conservation d'un marché ou tout autre
avantage indu dans les transactions commerciales internationales.
Ce dispositif ne s'appliquera qu'à compter de l'entrée en vigueur
de la convention.
La convention pourrait toutefois entrer en vigueur avant la fin de
l'année 1998
dans la mesure où les conditions prévues
dans son article 15 seront remplies.
L'entrée en vigueur de la convention est prévue le
soixantième jour suivant le dépôt, par cinq pays qui
comptent parmi les dix premiers pays pour la part des exportations et qui
représentent au moins 60 % des exportations totales de ces dix pays, de
leur instrument d'acceptation, d'approbation ou de ratification et, pour les
pays qui auraient déposé leur instrument après cette
entrée en vigueur, le soixantième jour après le
dépôt de cet instrument.
III. CET ARTICLE N'OFFRE PAS DE GARANTIES JURIDIQUES SUFFISANTES
A. L'ARTICLE FAIT RÉFÉRENCE À UNE CONVENTION ENCORE
PROVISOIRE ET S'ÉLOIGNE DE SON OBJET
1. Un texte encore provisoire et perfectible
L'article fait référence à l'entrée en vigueur
d'une convention qui juridiquement n'existe pas et plus encore aux dispositions
de l'un de ses articles.
La convention consiste aujourd'hui en un texte, provisoire, adopté dans
le cadre d'une conférence de négociation de l'OCDE, qui devrait
être signé le 17 décembre prochain lors d'une
réunion au niveau ministériel. Le Conseil de l'OCDE
"
invite instamment tous les Participants à la Conférence
de négociation à signer la convention à cette
occasion
".
Cette convention, une fois signée, devrait être soumise au
Parlement pour ratification d'ici la fin de l'année 1998.
L'objectif poursuivi par cette convention, à savoir la lutte contre la
corruption au niveau international, pourrait ne pas être satisfait par le
texte actuel de la convention, qui ne concerne que les agents publics
étrangers.
Il est en effet envisageable que les actes de corruptions empruntent d'autres
voies.
C'est la raison pour laquelle il est indiqué dans le communiqué
du Conseil de l'OCDE invitant à signer la convention actuelle, que les
travaux sur la corruption menés dans le cadre de l'OCDE devraient
être poursuivis s'agissant des actes de corruption commis à
l'encontre de personnes de droit privé.
2. Des dispositions qui s'écartent de l'objet du texte de la
convention
Si l'argument consistant à ne pas voter une disposition
législative s'appuyant sur un texte encore non signé est
important, il serait toutefois envisageable de témoigner de l'engagement
de la France à respecter les objectifs de cette convention en
introduisant des dispositions législatives destinées à
accompagner son entrée en vigueur.
Toutefois, il semble que les dispositions fiscales envisagées ne
constituent pas véritablement un élément d'application de
la convention.
L'article premier du texte provisoire de la convention fixe les objectifs de
celle-ci. Il dispose dans son premier alinéa que "
chaque partie
prend les mesures nécessaires
pour que constitue une infraction
pénale
en vertu de sa loi le fait intentionnel, pour toute personne,
d'offrir, de promettre ou d'octroyer un avantage indu, pécuniaire ou
autre, directement ou par des intermédiaires, à un agent public
étranger, à son profit ou au profit d'un tiers, pour que cet
agent agisse ou s'abstienne d'agir dans l'exécution de fonctions
officielles, en vue d'obtenir ou conserver un marché ou un autre
avantage indu dans le commerce international
".
L'ensemble du texte de la convention fait donc référence à
la création ou au renforcement des sanctions pénales applicables
à la corruption internationale. Seuls les alinéas 2 et 3 et 4 de
l'article 3 sont un point d'appui à des sanctions complémentaires
:
" 2 -
Si, dans le système juridique d'une partie, la
responsabilité pénale n'est pas applicable aux personnes morales,
cette Partie fait en sorte que les personnes morales soient passibles de
sanctions non pénales efficaces, proportionnées et dissuasives, y
compris pécuniaires
, en cas de corruption d'agents publics
étrangers.
3 -
Chaque partie prend les mesures nécessaires pour assurer que
l'instrument et les produits de la corruption d'un agent public étranger
ou des avoirs d'une valeur équivalente à celle de ces produits
puissent faire l'objet
d'une saisie et d'une confiscation ou que ces
sanctions pécuniaires d'un effet comparable soient
prévues
.
4 -
Chaque partie envisage
l'application de sanctions
complémentaires civiles ou administratives
à toute personne
soumise à des sanctions pour corruption d'un agent public
étranger. "
L'ensemble de ces dispositions montre que sont envisagées de
réelles sanctions complémentaires, que la simple non
déductibilité des sommes en cause ne peut représenter.
Il serait donc légitime de s'interroger pour savoir si des dispositions
plus importantes, à caractère de sanctions, ne pourraient
être envisagées.
Le présent article ne répond pas à cet objectif.
En outre la rédaction de l'article fait référence
à un " agent public " au sens du 4 de l'article 1 de la
convention, qui définit " l'agent public étranger " :
l'agent public français n'entrerait donc pas dans le champ de cette
nouvelle disposition.
En définitive, cet article aurait un champ très réduit
puisqu'il ne s'appliquerait ni aux agents publics français, ni aux
personnes privées.
De plus, cet article soulève de nombreuses difficultés
juridiques.
En effet, des
difficultés majeures existent sur le fond
,
en ce qui concerne particulièrement les droits du contribuable.
B. LA RÉFÉRENCE À DES DISPOSITIONS PÉNALES
S'AVÈRE INDISPENSABLE
1. Un texte déterminant les infractions pénales est
indispensable à la définition de mesures fiscales
On peut légitimement chercher à renforcer les moyens de la
lutte contre la corruption, mais cette lutte doit en premier lieu emprunter la
voie pénale, afin de faire constater des infractions.
C'est d'ailleurs l'objet de la convention de l'OCDE qui sera signée le
17 décembre prochain.
Il apparaît
que
à défaut d'un texte
pénal
définissant certains faits d'infraction pénale,
et précisant dans quelles conditions ils sont constitutifs d'une telle
infraction,
l'administration fiscale aurait des difficultés à
déterminer quelles dépenses ne pouvaient être
déductibles au motif qu'elles constituent un acte de corruption
.
Il est donc établi qu'un texte pénal est nécessaire pour
appuyer un dispositif fiscal, comme le montre d'ailleurs la jurisprudence
constante en matière d'acte anormal de gestion.
Or, la France doit ratifier la convention sur la lutte contre la corruption
internationale d'ici la fin de l'année 1998 et la transposer
corrélativement en droit pénal interne.
Le texte pénal indispensable à la mise en oeuvre de
dispositions fiscales complémentaires n'existe donc pas encore en droit
interne
.
Le déroulement logique de la procédure législative aurait
dû consister à procéder à une transposition en droit
pénal de la convention et sur le fondement de cette transposition,
à déterminer éventuellement des compléments de
sanctions de nature fiscale.
2. Le texte du présent article ne fait référence
à aucune procédure judiciaire
Le présent article aurait pour objet "
d'interdire la
déductibilité fiscale de versements constitutifs d'une infraction
pénale
" (note du ministère de l'Economie, des Finances
et de l'Industrie), mais il ne fait référence à aucune
procédure judiciaire.
La formulation retenue ("
les sommes versées ou avantages
octroyés, ... ne sont pas admises en déduction des
bénéfices soumis à l'impôt
") ne donne
aucune garantie au contribuable quant à la manière dont la
non-déductibilité des sommes en cause sera
déterminée et mise en oeuvre.
Il n'est pas indiqué que ces sommes sont
réintégrées après une procédure de
contrôle fiscal ou une procédure judiciaire offrant toutes les
garanties au contribuable.
En l'absence de garanties précises, la réintégration
pourrait donc porter sur des sommes qui constituent simplement des charges
liées à la conclusion de contrats par une entreprise.
Il paraît donc indispensable de faire référence à
une procédure judiciaire permettant de mettre en évidence une
infraction pénale. Cette infraction pénale devrait reposer sur
les dispositions mises en oeuvre en droit pénal interne pour mettre en
application la convention internationale de l'OCDE.
Si la lutte contre la corruption emprunte la voie fiscale, et cela
paraît également légitime, il convient que toutes les
garanties soient données au contribuable. Ce n'est pas le cas.
Pour toutes ces raisons, il est donc proposé d'attendre la signature
de la convention relative à la corruption des agents publics
étrangers et de préciser alors, avec les garanties juridiques
nécessaires, les conditions de mise en oeuvre de dispositions
destinées à lutter contre la corruption, dont les plus
importantes devront s'appuyer sur la définition précise
d'infractions pénales.
Décision de la commission : votre commission vous propose de supprimer
cet article.