ARTICLE 17
Paiement fractionné de l'impôt
correspondant
aux créances acquises des professions
libérales
Commentaire : le présent article constitue une
étape supplémentaire dans la construction législative
élaborée depuis plusieurs années tendant à
faciliter l'exercice des professions libérales dans le cadre de
sociétés de capitaux assujetties à l'impôt sur les
sociétés.
Il s'agit de permettre l'étalement sur cinq ans au lieu de trois du
paiement de l'impôt sur le revenu afférent aux créances
acquises des professionnels libéraux, en cas de transformation d'une
exploitation non commerciale en société d'exercice
libéral, ou en cas d'option pour l'impôt sur les
sociétés d'une société civile professionnelle.
I. LA SITUATION ACTUELLE
Plusieurs dispositions législatives ont tenté, depuis 1990, de
faciliter l'exercice des professions libérales dans le cadre de
sociétés de capitaux assujetties à l'impôt sur les
sociétés, afin de rendre plus aisé le financement et le
développement de ces professions dans un contexte de concurrence parfois
vive. Cet encouragement s'est fait en plusieurs étapes :
A. LA CRÉATION DES SOCIÉTÉS D'EXERCICE
LIBÉRAL (SEL)
La loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à
l'exercice sous forme de société des professions libérales
soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont
le titre est protégé a créé les
sociétés d'exercice libéral
(SEL) pour permettre
aux membres des professions libérales d'exercer leur activité
sous la forme de sociétés de capitaux.
Il s'agissait de permettre aux professions libérales de faire face
à la concurrence internationale en facilitant le regroupement des
capitaux et la constitution de réseaux. En outre, la soumission des SEL
à l'impôt sur les sociétés devait renforcer leur
situation financière en améliorant leur capacité
d'autofinancement. Enfin, l'organisation de ces sociétés devait
faciliter l'introduction du salariat dans la profession d'avocat et la
mobilité des professionnels.
Concrètement, la SEL peut être constituée directement ou
résulter de l'apport d'une activité libérale
précédemment exercée à titre individuel ou dans le
cadre d'une société civile professionnelle. La principale
dérogation de la SEL aux dispositions de la loi du 24 juillet 1966 sur
les sociétés commerciales concerne les règles relatives
à la détention du capital social. Ainsi, plus de la moitié
du capital social et des droits de vote doit être détenue par des
professionnels en exercice au sein de la société.
La loi vise l'ensemble des professions libérales reconnues,
c'est-à-dire soumises à un statut législatif ou
réglementaire, ou dont le titre est protégé. Cela concerne
l'ensemble des professions médicales, y compris les pharmaciens
d'officine, les professions juridiques et judiciaires, ainsi que des
professions telles que géomètre-expert, expert agricole et
foncier, architecte, conseil en propriété industrielle...
B. L'ÉTALEMENT DES CRÉANCES ACQUISES EN CAS DE
TRANSFORMATION D'UNE EXPLOITATION NON COMMERCIALE EN SOCIÉTÉ
D'EXERCICE LIBÉRAL
La difficulté d'adopter un tel statut résultait du statut fiscal
lié à la transformation d'une exploitation non commerciale en
SEL. En effet, le
changement de régime fiscal s'analyse comme une
cessation d'activité
, suivie d'un apport à une
société passible de l'impôt sur les sociétés,
avec toutes les
conséquences fiscales
que cela entraîne
pour les associés, et notamment l'imposition immédiate entre
leurs mains, des bénéfices sociaux non encore imposés
à la date de l'option.
Parmi ces derniers, figurent les
créances acquises
qui
correspondent à des factures émises mais non encore
recouvrées pour des prestations de services réalisées ou
à réaliser. En effet, l'activité libérale
exercée à titre individuel relève du régime des
bénéfices non commerciaux (BNC), cadre dans lequel seules sont
comptabilisées les recettes effectivement perçues et les
dépenses payées. En revanche, la SEL est une structure
commerciale soumise au régime des bénéfices industriels et
commerciaux (BIC). Le résultat doit alors être établi selon
les règles de la comptabilité commerciale, en tenant compte des
créances acquises et des dépenses certaines (comptabilité
d'engagement).
Dès lors, le passage d'un cabinet individuel en SEL rendait
immédiatement taxable entre les mains du professionnel concerné,
la totalité des créances facturées mais non encore
encaissées. De fait, le contribuable pouvait se trouver confronté
à un problème de trésorerie d'autant plus important que,
selon les professions concernées, les créances acquises peuvent
représenter jusqu'à quatre mois de chiffre d'affaires.
Pour éviter de pénaliser les contribuables choisissant d'exercer
leur profession sous la forme d'une SEL, l'article 23 de la loi de finances
rectificative n° 94-1163 du 29 décembre 1994 a permis
l'étalement sur trois ans du paiement de l'impôt correspondant
à des créances acquises
en cas de transformation d'une
exploitation non commerciale en société d'exercice
libéral. Cette faculté, qui doit faire l'objet d'une demande
expresse du contribuable dans le délai de 60 jours suivant l'option pour
le régime fiscal des sociétés de capitaux, est
codifiée à l'article 1663
bis
du CGI. Le fractionnement
donne lieu au paiement de l'intérêt au taux légal.
L'article 24 de la loi précitée a en outre prévu de ne pas
remettre en cause les reports d'imposition des plus-values obtenus par les
associés lors de l'apport de leur activité individuelle à
une société civile professionnelle, lorsque cette dernière
société se transforme en société d'exercice
libéral.
C. L'ASSUJETTISSEMENT OPTIONNEL DES SOCIÉTÉS CIVILES
PROFESSIONNELLES (SCP) À L'IMPÔT SUR LES
SOCIÉTÉS
Malgré les assouplissements fiscaux évoqués
précédemment, la SEL n'a pas rencontré le succès
que l'on escomptait. De fait, il est apparu qu'elle n'était pas
adaptée à toute les situations. Ainsi, non seulement la structure
" société de capitaux " ne cadre pas
nécessairement avec le mode d'exercice ou la tradition
d'indépendance de certaines professions, mais la SEL ne permet pas les
apports en industrie.
A l'inverse, les apports en industrie sont possibles dans les
sociétés civiles professionnelles. Ils représentent
d'ailleurs des apports essentiels dans la mesure où chaque
associé n'entre dans la société que pour y exercer sa
profession. Bien que n'étant pas pris en compte pour la formation de
capital, ils ouvrent droit à l'attribution de parts sociales. Or, les
sociétés civiles professionnelles étaient les seules
sociétés civiles à ne pas pouvoir opter pour leur
assujettissement à l'impôt sur les sociétés.
Aussi, dans une troisième étape, votre commission des finances
a-t-elle proposé d'autoriser les sociétés civiles
professionnelles à opter pour le régime fiscal des
sociétés de capitaux
. Cela a fait l'objet de l'article 3 de
la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions
d'ordre économique et financier (DDOEF).
Et pour limiter le coût fiscal du passage d'une comptabilité
d'encaissements-décaissements à une comptabilité
créances-dettes, l'article 41 de la loi de finances pour 1997 a
étendu aux associés d'une société de personne
exerçant une activité libérale qui aurait opté pour
l'impôt sur les sociétés, la possibilité de
fractionner sur trois ans le paiement des droits correspondant à
l'imposition des créances acquises.
Par ailleurs, l'option d'une société pour son assujettissement
à l'impôt sur les sociétés rend les droits et taxes
de mutation à titre onéreux exigibles sur les apports des
associés à la société. Toutefois, le droit
d'enregistrement est réduit à 500 francs (contre 8,6 %) si
les associés s'engagent à conserver pendant cinq ans les titres
détenus à la date du changement de régime fiscal.
Votre commission des finances a estimé que cette dernière
condition risquait de dissuader les associés d'une société
d'entreprendre un changement de régime fiscal et l'a assouplie en
prévoyant que lorsque la cession des titres intervient au profit d'une
personne qui reprend l'engagement de conserver les titres jusqu'au terme du
délai de cinq ans, le droit d'enregistrement est maintenu à
500 F. C'était l'objet de l'article 23 de la loi de finances
rectificative pour 1996).
II. LE PRÉSENT ARTICLE COMPLÈTE CE DISPOSITIF
En dépit des améliorations apportées à la
législation fiscale relative à l'exercice des professions
libérales dans le cadre d'une société de capitaux, il est
apparu que les cabinets libéraux optaient rarement pour le régime
fiscal des sociétés de capitaux en raison du coût
prohibitif constitué par les conséquences fiscales de l'option.
Ainsi, en dépit des mesures rappelées plus haut, le nombre de SEL
demeure réduit. En mai 1996, on ne comptait que 1.303 SEL contre
13.872 SCP (dont 2.159 SCP d'avocats).
Or, l'exercice sous forme de société de capitaux des professions
libérales, et notamment des cabinets d'avocats, apparaît
indispensable si la France veut soutenir la concurrence des grands cabinets
anglo-saxons.
En effet, contrairement aux entreprises individuelles ou aux
sociétés de personne soumises à l'impôt sur le
revenu, les sociétés de croissance sont condamnées
à dégager un profit qui, non seulement assure la subsistance des
dirigeants, mais encore finance le développement de l'entreprise, au
moins en partie, grâce aux bénéfices mis en réserve.
L'impôt sur les sociétés convient mieux à ce type
d'entreprises car les sommes affectées à l'autofinancement ne
subissent qu'un prélèvement de 33,33 % (ou 41,66 %
après les contributions supplémentaires de 10 % et
15 %) au titre de l'impôt sur les sociétés, au lieu de
54 % (61,5 % si l'on inclut la CSG) dans le cadre de l'impôt
sur le revenu, soit une différence de 20 points.
Le présent article permet en conséquence le fractionnement sur
cinq ans au lieu de trois du paiement de l'impôt dû sur les
créances acquises lors d'une transformation de statut ou d'un changement
de régime fiscal, afin d'éviter des ressauts de fiscalité
trop importants.
Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter
cet article sans modification.