IV. LES PERSPECTIVES D'ÉVOLUTIONS INSTITUTIONNELLES OU LÉGISLATIVES
Le Gouvernement a récemment déposé sur le
bureau de l'Assemblée nationale, le 10 novembre 1997, un
" projet de loi portant habilitation du Gouvernement à prendre,
par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à
l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable
outre-mer ".
Ce projet de loi tend à permettre la modification du droit applicable
dans les départements d'outre-mer, à Mayotte et à
Saint-Pierre-et-Miquelon dans de nombreux domaines : droit du travail, droit
commercial, droit civil (état-civil notamment) et exercice de certaines
activités libérales, droit de la construction, code des douanes,
droit de la santé publique et de la sécurité sociale,
régime du domaine privé de l'Etat (en Guyane), organisation
juridictionnelle, régime des activités financières, droit
pénal et procédure pénale (à Mayotte et à
Saint-Pierre-et-Miquelon), droit électoral, action foncière, aide
au logement et urbanisme commercial (à Mayotte).
Votre commission s'est cependant interrogée sur le choix du Gouvernement
de légiférer dans ces matières par ordonnances. Elle a en
effet constaté que le choix de cette procédure conduisait
à priver le Parlement de la possibilité d'amender ces textes
avant leur entrée en vigueur.
Le présent avis évoquera en outre sous ce chapitre quelques
questions d'actualité concernant les relations des départements
d'outre-mer avec l'Union européenne, la prise en compte des
spécificités de ces départements dans la politique de
l'aménagement du territoire, la poursuite de l'élaboration d'une
législation adaptée à Mayotte et enfin le problème
posé par la situation spécifique des îles de
Saint-Barthélémy et de Saint-Martin.
1. L'évolution des relations des départements d'outre-mer avec l'Union européenne : l'avancée obtenue à Amsterdam
La conférence intergouvernementale qui s'est
achevée le 17 juin 1997 à Amsterdam a abouti à
une
nouvelle rédaction de l'article 227-2 du Traité de
Rome concernant le statut des régions
" ultrapériphériques "
que constituent les
départements français d'outre-mer ainsi que les Açores,
Madère et les Iles Canaries.
Ce texte figurant dans le Traité d'Amsterdam, signé le
2 octobre 1997 mais non encore ratifié, représente pour les
départements d'outre-mer une avancée significative
renforçant leur position au sein de l'Union européenne.
En effet, il prend en compte les handicaps permanents affectant la situation
économique et sociale des DOM que sont l'éloignement,
l'insularité, la faible superficie, le relief et le climat difficiles,
la dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de
produits.
En conséquence, tout en réaffirmant l'application des
dispositions du Traité de Rome aux DOM, il
consacre au sein
même de ce Traité la possibilité de mettre en oeuvre des
politiques spécifiques en leur faveur, possibilité qui
n'était jusque là prévue que dans une simple
déclaration annexée au Traité sur l'Union
européenne.
Ces mesures spécifiques pourront intervenir dans de nombreux
domaines : politiques douanières et commerciales, politique
fiscale, zones franches, politiques dans le domaine de l'agriculture et de la
pêche, conditions d'approvisionnement en matières premières
et en biens de consommation de première nécessité, aides
d'Etat et conditions d'accès aux fonds structurels et aux programmes
horizontaux communautaires. Surtout, elles seront adoptées par le
Conseil à la majorité qualifiée ; le choix de cette
procédure répond ainsi à une demande de la France qui
constituait un des enjeux principaux de la négociation sur ce texte.
Cependant, la portée de ces dispositions risque d'être quelque peu
affaiblie par le dernier alinéa du nouvel article 227-2 aux termes
duquel : "
le Conseil adopte les mesures visées... sans
nuire à l'intégrité et la cohérence de l'ordre
juridique communautaire, y compris le marché intérieur et les
politiques communes
".
L'interprétation de ce texte relèvera en définitive de la
jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.
Le fondement juridique donné à des politiques spécifiques
à l'égard des DOM, telles que l'octroi de mer, au regard de
l'ordre juridique communautaire reste donc grevé d'incertitudes.
Par ailleurs, il est à noter que le nouvel article 227-2 du
Traité de Rome ne concerne pas les collectivités territoriales
de
Mayotte
et de
Saint-Pierre-et-Miquelon,
celles-ci ayant
vis-à-vis de l'Union européenne le
statut des " pays et
territoires d'outre-mer associés " (PTOM).
Cependant, ce régime d'association est lui-même appelé
à évoluer car, à l'initiative de la France, les chefs
d'Etat et de Gouvernement ont adopté le 17 juin 1997 à
Amsterdam une déclaration invitant le Conseil de l'Union, sur
proposition de la Commission européenne, à réformer en
profondeur ce régime afin de promouvoir plus efficacement le
développement économique et social de ces territoires.
2. Une adaptation nécessaire de la législation relative à l'aménagement du territoire pour prendre en compte la spécificité des départements d'outre-mer
La loi d'orientation
n° 95-115
du
4 février 1995
, d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire,
est en principe globalement applicable
aux départements d'outre-mer
et à Saint-Pierre-et-Miquelon,
ainsi que, pour certains articles seulement, à Mayotte.
Cependant, cette loi n'y produit pas ses pleins effets
car les DOM ne
comportent aucune zone d'aménagement du territoire (ZAT) et
l'application de critères nationaux inadaptés y rend
quasi-inexistantes les zones de revitalisation rurale (ZRR) au sein des
territoires ruraux de développement prioritaire (TRDP).
Aussi le précédent Gouvernement avait-il déposé sur
le bureau du Sénat un projet de loi
3(
*
)
visant à mieux intégrer
les départements d'outre-mer et la collectivité territoriale de
Saint-Pierre-et-Miquelon dans le dispositif national d'aménagement du
territoire.
Ce projet de loi tendait, d'une part, à reconnaître le
caractère de " zone prioritaire
ultrapériphérique " à chaque département
d'outre-mer, avec un régime juridique équivalent à celui
de la zone d'aménagement du territoire.
D'autre part, il prévoyait de prendre en compte les difficultés
supplémentaires rencontrées dans ces régions
ultrapériphériques par la mise en place de mesures de
désenclavement économique comportant en particulier :
- la possibilité donnée aux régions d'accorder des primes
d'équipement spécifiques ainsi qu'une aide au fret ;
- l'institution d'un régime incitatif en faveur des entreprises
nouvelles réalisant plus de 70 % de leur chiffre d'affaires hors
taxes dans la production de biens et de services vendus hors de la zone
prioritaire ultrapériphérique en cause.
Lors de l'audition par la commission de M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'Outre-mer, au mois de juillet dernier,
notre collègue Georges Othily, sénateur de Guyane, constatant les
difficultés d'application de la loi d'orientation pour
l'aménagement du territoire dans les DOM, avait souligné
l'urgence de la discussion d'un texte sur ce sujet.
Le ministre avait alors précisé que ce projet devrait être
réexaminé dans le cadre d'une réflexion
générale en vue d'une réforme de la loi d'orientation du
4 février 1995 menée par Mme Dominique Voynet, ministre de
l'environnement ; il a confirmé cette perspective au cours de son
audition du 18 novembre 1997.
3. La poursuite de l'adaptation de la législation applicable à Mayotte et la réflexion engagée sur l'avenir de la collectivité
La
modernisation de la législation applicable
à la collectivité territoriale de Mayotte se poursuit sur la base
d'un rapprochement avec la législation applicable en
métropole
, sous réserves des adaptations destinées
à tenir compte des spécificités mahoraises, et en
particulier de l'existence d'un statut civil personnel de droit local,
régi par l'article 75 de la Constitution.
Ainsi, le nouveau code pénal a notamment été étendu
à Mayotte par l'ordonnance n° 96-267 du 28 mars 1996 et
le décret n° 97-544 du 28 mai 1997. De même,
la partie législative du code de procédure pénale a
été étendue à Mayotte par l'ordonnance
n° 96-268 du 28 mars 1996 ; la partie réglementaire
devrait également être étendue, par décret, d'ici la
fin du premier trimestre 1998
4(
*
)
.
Une ordonnance n° 96-87 du 5 septembre 1996 a défini
un statut général pour les fonctionnaires de Mayotte ; votre
rapporteur souhaite que la loi de ratification de cette ordonnance,
actuellement en instance de deuxième lecture à l'Assemblée
nationale, puisse être adoptée définitivement dans un
délai rapide.
Enfin, une ordonnance n° 96-1122 du 20 décembre 1996 a
étendu à Mayotte certaines dispositions du code de la
santé publique ; cette ordonnance concernant également
l'établissement public de santé territorial de Mayotte, ainsi que
la réforme du statut de la caisse de prévoyance sociale, a
donné lieu au dépôt d'un projet de loi de ratification
à l'Assemblée nationale.
Par ailleurs,
une réflexion a été engagée sur
l'avenir statutaire de la collectivité.
Le Président de la
République a annoncé une consultation de la population mahoraise,
d'ici la fin du siècle, sur l'évolution de son statut au sein de
la République française.
Dans la perspective de la préparation de cette consultation, deux
groupes de réflexion sur l'avenir institutionnel de Mayotte ont
été mis en place en septembre 1996 : un groupe local
constitué de représentants de la société mahoraise
sous la présidence du préfet et un groupe national composé
des principaux élus de l'île et de diverses personnalités
qualifiées.
La synthèse des travaux de ces deux groupes de réflexion devrait
être achevée avant la fin de l'année.
La population et les élus locaux paraissent dans l'ensemble favorables
à la départementalisation.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a
confirmé devant votre commission des Lois, de même qu'il l'avait
fait sur place au cours d'un déplacement récent, la perspective
d'une consultation de la population mahoraise d'ici la fin du siècle.
4. Le problème posé par la situation spécifique de Saint-Barthélémy et Saint-Martin
Enfin, votre rapporteur a souhaité évoquer
à nouveau, dans le cadre du présent avis, le problème
posé par la situation spécifique de
Saint-Barthélémy et Saint-Martin qui a tout
particulièrement retenu l'attention de votre commission des Lois au
cours de l'année qui vient de s'écouler.
En décembre 1996, faute de disposer d'informations suffisamment
précises pour être en état de se prononcer en toute
connaissance de cause, le Sénat avait décidé de disjoindre
du projet de loi de ratification de l'ordonnance relative à la fonction
publique à Mayotte deux articles additionnels relatifs au statut
administratif, fiscal et douanier de ces deux communes du département de
la Guadeloupe, qui avaient été introduits par l'Assemblée
nationale à l'initiative de M. Pierre Mazeaud.
A la suite de cette décision, votre commission des Lois a estimé
souhaitable d'organiser une
mission d'information
chargée
d'étudier le régime juridique applicable à ces îles,
répondant ainsi à une vive attente des élus locaux.
A l'issue d'un déplacement effectué du 2 au 8 mars 1997 à
Basse-Terre, Saint-Martin et Saint-Barthélémy, votre rapporteur a
rédigé avec l'autre membre de cette mission, M. Michel
Dreyfus-Schmidt, un rapport d'information faisant le point sur la situation des
" îles du Nord " et leur régime administratif, fiscal et
douanier
5(
*
)
.
Ce rapport a mis en lumière l'absence de clarté d'un
régime fiscal et douanier caractérisé par des distorsions
peu satisfaisantes entre le droit théoriquement applicable et les
pratiques constatées, notamment en matière d'impositions directes.
Il a également fait ressortir le besoin fortement ressenti par les
élus locaux d'une plus grande autonomie administrative et
financière pour accompagner le développement de ces communes
particulièrement éloignées de leur département de
rattachement, situé à 250 kilomètres.
C'est après avoir procédé à cette étude
approfondie des singularités de Saint-Barthélémy et de
Saint-Martin que votre rapporteur a été amené à
déposer une proposition de loi
6(
*
)
sur ce sujet avec le
Président Jacques Larché et Mme Lucette Michaux-Chevry.
Loin de tendre à créer une zone d'immunité, voire un
véritable " paradis fiscal ", cette proposition de loi se
limitait à consacrer un état de fait au bénéfice
des seuls résidents en procédant à une
" photographie " de la situation douanière et fiscale
actuelle. En contrepartie, elle jetait les bases novatrices d'une
fiscalité locale adaptée à l'économie de ces
îles.
Elle permettrait en outre aux deux communes d'exercer, grâce aux
ressources dégagées par cette fiscalité nouvelle, des
compétences plus étendues qu'actuellement, par des conventions
conclues avec l'Etat, la région et le département.
Lors de son audition devant votre commission des Lois au mois de juillet
dernier, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'Outre-mer,
a cependant indiqué que cette proposition de loi soulevait certaines
interrogations de sa part et risquait à ses yeux d'ouvrir un
débat sur la constitutionnalité de l'instauration d'un tel
régime particulier dans le cadre d'un département d'outre-mer.
Quoi qu'il en soit, la question de l'évolution du statut de
Saint-Barthélémy et Saint-Martin demeure néanmoins
posée.
Elle reste l'objet d'une vive préoccupation des élus locaux et
retient l'attention du conseil général de la Guadeloupe qui avait
émis un accord de principe à l'érection de la commune de
Saint-Barthélémy en collectivité territoriale à
statut particulier et a récemment mis en place, le 20 octobre 1997, une
commission chargée d'étudier le contenu du nouveau statut
souhaité.
Interrogé sur cette question par votre rapporteur, au cours de sa
dernière audition devant votre commission des Lois, le 18 novembre 1997,
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a
déclaré que les demandes formulées par les maires de
Saint-Barthélémy et de Saint-Martin faisaient apparaître
des problèmes de nature différente dans les deux îles.
Il a considéré qu'une voie moyenne, permettant d'adapter la
fiscalité en fonction des besoins, pourrait peut-être être
trouvée entre l'application du droit commun et la mise en place d'un
statut particulier susceptible de poser beaucoup de difficultés.
*
Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission des Lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés aux départements d'outre-mer et aux collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon dans le projet de budget du secrétariat d'Etat à l'outre-mer pour 1998, ramenés aux montants proposés par la commission des Finances.