III. DES EFFORTS ENCORE NÉCESSAIRES POUR AMÉLIORER LES RÉSULTATS EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ, DE JUSTICE ET DE CONTRÔLE DE L'IMMIGRATION
1. Une stabilisation de la délinquance à un niveau élevé
Le tableau suivant récapitule les taux de criminalité (pour 1.000 habitants) constatés dans les différents départements d'outre-mer en 1996 1( * ) , ainsi que leur évolution par rapport à l'année précédente et au cours des cinq dernières années.
Taux de criminalité (pour 1.000 habitants)
1996 |
Evolution 1995/1996 |
Evolution 1992/1996 |
|
Guadeloupe |
59,90 |
- 3,43 % |
+ 7,37 % |
Martinique |
52,55 |
- 6,80 % |
+ 4,43 % |
Guyane |
178,81 |
- 52,61 % |
- 10,75 % |
Réunion |
45,30 |
+ 4,08 % |
+ 9,32 % |
Moyenne DOM |
61,46 |
- 5,04 % |
+ 6,03 % |
Moyenne métropole |
61,35 |
- 1,82 % |
- 5,28 % |
Au cours des cinq dernières années, le taux
de criminalité
pour mille habitants
et le nombre de crimes
et délits
constatés par les services de police et de
gendarmerie
ont progressé respectivement de 6,03 % et
10,86 % en moyenne dans les départements d'outre-mer,
tandis
qu'ils enregistraient une baisse respective de 5,28 % et 7,62 % en
métropole.
En 1996, on a constaté une stabilisation voire une diminution de la
délinquance de voie publique dans les DOM, sauf à La
Réunion. Toutefois, on a en même temps enregistré un
durcissement des formes violentes de criminalité
illustré
par l'augmentation des vols avec armes à feu et des vols avec violences
en Guadeloupe et en Guyane, et les statistiques doivent, comme en
métropole, être interprétées avec prudence, compte
tenu du découragement croissant des victimes dissuadées de porter
plainte par le taux réduit d'élucidation et le nombre
élevé des classements sans suite, même lorsque l'auteur de
l'infraction est identifié.
Le taux de criminalité moyen dans les DOM s'établit à
61,46 pour 1000 habitants, soit un chiffre légèrement
supérieur à celui constaté en métropole.
L'évolution de la délinquance présente cependant des
spécificités dans chacun des départements.
- La
Guadeloupe
a connu, depuis le milieu des années 1980, une
forte poussée de la délinquance qui l'a fait passer brutalement
d'un niveau moyen à un niveau élevé
d'insécurité. La stabilisation globale constatée en 1996
(- 3,43 %) dissimule dans ce département une forte
augmentation des vols avec violence (+ 36,75 %) et des vols à
main armée (+ 20,7 %), l'agglomération de
Pointe-à-Pitre concentrant à elle seule plus de la moitié
des crimes et délits constatés.
Par ailleurs, même si une baisse de 11,64 % des infractions à
la législation sur les stupéfiants a été
enregistrée, la quasi-totalité des saisies de cocaïne
outre-mer a été réalisée en Guadeloupe, avec plus
de 1,1 tonne saisie dans la zone des Iles du Nord (Saint-Martin et
Saint-Barthélémy).
- En
Martinique
, après plusieurs années
consécutives de hausse, la délinquance de voie publique a
reculé de 6 % en 1996, malgré une progression sensible des
vols à main armée et des vols avec arme blanche imputables pour
partie, comme en Guadeloupe, à des toxicomanes consommateurs de
" crack ".
- En
Guyane
, si le taux de criminalité a baissé de
10,75 % au cours des cinq dernières années, il demeure
néanmoins le plus élevé de tous les départements
français : 178,81 pour 1000 habitants. Cette situation
particulière est cependant largement imputable aux délits
à la police des étrangers dont la part dans la délinquance
globale s'élève à 53 %. En outre, on y observe,
depuis deux ans, une forte augmentation des agressions violentes imputables en
partie à l'immigration irrégulière qui a
représenté, en 1996, 49 % des personnes mises en cause
à Cayenne.
- Enfin,
La Réunion
constitue le seul département
d'outre-mer où la criminalité et la délinquance se sont
accrus en 1996 : la délinquance de voie publique y a
progressé de 20 %, tandis que les vols avec violence sur la voie
publique ont augmenté de 12,69 %.
2. Une progression soutenue de l'activité des juridictions
Comme celles de métropole,
les juridictions des
départements d'outre-mer doivent faire face à une importante
augmentation des flux de contentieux.
Entre 1991 et 1995, le nombre d'affaires civiles nouvelles s'est accru de
seulement 3,27 % à la cour d'appel de
Fort-de-France
, mais
de respectivement 34,09 % et 15,40 % dans les tribunaux de grande instance
de Fort-de-France et de Cayenne.
En
Guadeloupe
, ce nombre a progressé de 30,47 % à la
cour d'appel de Basse-Terre et de 62,09 % au tribunal de grande instance
de Pointe à Pitre, même s'il a en même temps
légèrement diminué au tribunal de grande instance de
Basse-Terre.
A
la Réunion
, l'augmentation du flux d'affaires civiles nouvelles
sur cette même période a été particulièrement
forte : + 204,38 % à la cour d'appel, + 67,58 %
au tribunal de grande instance de Saint-Denis et + 74,42 % au
tribunal de grande instance de Saint-Pierre.
En ce qui concerne l'activité pénale, on note une forte
progression des flux
en Guyane
où le nombre de jugements rendus
par le tribunal correctionnel de Cayenne s'est accru de plus de 70 % entre
1991 et 1995.
Les
délais moyens de traitement des affaires civiles
restent
néanmoins légèrement inférieurs à la moyenne
nationale pour les cours d'appel qui s'établit à 14,7 mois :
13,5 mois à la cour d'appel de Fort-de-France, 11,8 mois à
la cour d'appel de Basse-Terre et 12,9 mois à la cour d'appel de
Saint-Denis de la Réunion. En revanche, ces délais
dépassent nettement la moyenne nationale dans certains tribunaux de
grande instance : 11,5 mois au tribunal de grande instance de
Fort-de-France et 14,3 mois au tribunal de grande instance de
Pointe-à-Pitre, contre une moyenne nationale de 8,8 mois.
Confrontées à la progression de leur activité, les
juridictions des départements d'outre-mer ont certes pu
bénéficier d'un
renforcement substantiel des effectifs de
magistrats et de fonctionnaires
qu'il est prévu -rappelons-le- de
poursuivre en 1998.
Les récentes créations d'emplois de magistrats ont ainsi
porté à 158 l'effectif budgétaire global des DOM
(dont 49 postes en Guadeloupe, 39 postes en Martinique,
13 postes en Guyane et 57 postes à La Réunion).
Elles ont notamment permis l'affectation dans chaque cour d'appel d'au moins un
juge et un substitut " placés "
2(
*
)
permettant de faire face à des
situations de sous-effectif temporaire, ainsi que la localisation de deux
emplois de juge de l'application des peines dans les ressorts de juridictions
dans lesquels se sont ouverts de nouveaux centres de rétention
(Pointe-à-Pitre et Fort-de-France).
On déplore cependant quatre vacances de postes et
les efforts devront
être poursuivis en vue d'une meilleure répartition des moyens pour
faire face à la progression des flux.
Par ailleurs, il est à noter que les tribunaux administratifs de
Fort-de-France, de Basse-Terre, de Cayenne et de Saint-Denis de la
Réunion doivent également faire face à une progression
constante du contentieux entraînant une augmentation sensible du stock
des affaires en instance qui s'est par exemple accru de près de
75 % depuis 1993 à La Réunion.
3. La persistance d'une surpopulation carcérale
L'ouverture de deux nouveaux établissements
pénitentiaires : Baie-Mahault en Guadeloupe et Ducos en
Martinique
a permis de désaffecter des établissements
vétustes et inadaptés et de remédier partiellement
à la surpopulation carcérale ; elle sera en outre suivie de
la
mise en service, prévue le 1er mars 1998, du centre
pénitentiaire de Rémiré-Montjoly en Guyane.
Par ailleurs, des
travaux de rénovation
sont en cours à la
maison d'arrêt de Basse-Terre et au centre de la Plaine des Galets
à La Réunion.
Consécutivement à une progression rapide de la population
carcérale dans les DOM (+ 25 % entre 1991 et 1996, soit plus
du double de la métropole),
le taux d'occupation des
établissements pénitentiaires reste néanmoins très
élevé
et généralement supérieur à
la moyenne nationale : 272 % en Guyane, 110 % en Martinique,
108 % en Guadeloupe et 145 % à La Réunion (ce taux
atteignant 195 % à la maison d'arrêt de Saint-Pierre).
4. Le problème aigu du contrôle de l'immigration
Si les départements d'outre-mer sont dans leur ensemble
confrontés à une
importante immigration
irrégulière
, ce problème revêt une acuité
particulière à Saint-Martin (Guadeloupe), en Guyane et à
Mayotte.
· A
Saint-Martin
, la population étrangère est
évaluée à 57 % de la population totale, soit environ
17.000 personnes, qui seraient pour les quatre cinquièmes en
situation irrégulière.
Ainsi qu'a pu le constater sur place votre rapporteur au cours d'une mission de
la commission des Lois au mois de mars 1997, le contrôle de l'immigration
irrégulière y est particulièrement difficile, voire
impossible, en raison de l'absence de frontière
matérialisée entre la partie française et la partie
néerlandaise et de la localisation de l'aéroport international
dans cette dernière zone.
Faute de ratification par le Royaume des Pays-Bas, l'accord
franco-néerlandais relatif au contrôle des personnes sur
l'aéroport de Saint-Martin, signé le 17 mai 1994 et dont le
Parlement français a autorisé la ratification le 20 juillet
1995, n'est toujours pas appliqué.
Cependant, la procédure d'aide au retour volontaire mise en place par le
ministère de l'outre-mer à la suite du passage du cyclone Luis
à Saint-Martin en 1995 a permis le départ d'un certain nombre
d'étrangers en situation irrégulière qui souhaitaient
quitter l'île en raison de la perte de leur habitation et de leur
travail ; 505 personnes sont effectivement retournées à
Haïti grâce à cette procédure.
· En
Guyane
, la population étrangère est
également très nombreuse ; elle représenterait la
moitié de la population du département, soit environ
70.000 personnes dont 50 % de clandestins.
Les flux migratoires y sont également très difficiles à
contrôler en raison de la forte attractivité de ce territoire
français pour les populations pauvres des Etats voisins ne
bénéficiant pas du même niveau de protection sociale, et de
la facilité du franchissement des frontières fluviales avec le
Surinam et le Brésil en Amazonie.
L'Etat a cependant mis en place deux dispositifs de contrôle
renforcé des frontières :
- le plan Alizé-Bis mis en place depuis janvier 1992 sur le fleuve
Maroni, comportant des patrouilles par des pirogues rapides pour surveiller les
déplacements en provenance du Surinam ;
- le plan Galerne sur le fleuve Oyapock, dispositif permanent de surveillance
de la frontière avec le Brésil fonctionnant depuis
janvier 1995.
En outre, la loi n° 97-396 du 24 avril 1997 portant dispositions
diverses relatives à l'immigration a étendu à la Guyane la
possibilité de contrôler sommairement les véhicules autres
qu'individuels dans une bande de 20 km le long des frontières
terrestres (art. 3) et a permis de procéder à des
contrôles d'identité destinés à vérifier le
respect des obligations de détention, de port et de présentation
des titres et documents prévus par la loi dans une bande de 20 km
le long du littoral et des frontières terrestres (art. 18).
En 1996, la lutte contre l'immigration clandestine en Guyane a donné
lieu à plus de 10.000 expulsions et reconduites à la
frontière.
Interrogé sur ce sujet au cours de son audition devant votre commission
des Lois, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à
l'outre-mer, a indiqué qu'il envisageait de mettre en place un statut
particulier en faveur des populations frontalières de Guyane, constatant
que traditionnellement ces populations ne considéraient pas les fleuves
comme des frontières.
Au cours de l'examen des crédits par la commission, MM. Christian Bonnet
et Georges Othily ont particulièrement insisté sur la
nécessité de parvenir à une maîtrise des flux
migratoires en Guyane.
· Enfin,
Mayotte
est confrontée à une immigration
très importante en provenance des îles composant la
République fédérale islamique des Comores qui n'ont pas le
même niveau de développement économique. Ce problème
s'est aggravé cette année en raison des événements
survenus dans l'île d'Anjouan qui a proclamé son
indépendance et souhaité son rattachement à la France.
Les Comoriens présents à Mayotte seraient au nombre de 20.000 sur
une population d'environ 120.000 habitants, dont une majeure partie en
situation irrégulière. En 1996, 3.482 étrangers ont
été reconduits à la frontière ; en 1997 le
nombre de reconductions entre le 1er janvier et le 31 août
s'élèverait déjà à 6.000.
Les coûts directs et indirects de l'immigration irrégulière
à Mayotte, liés notamment à ses incidences en
matière de santé, de scolarité ou de travail clandestin,
sont évalués à au moins 50 millions de francs par an
pour l'Etat et la collectivité territoriale.
Au cours de son audition, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat
à l'outre-mer, a notamment évoqué le problème
posé par le nombre très élevé d'accouchements de
femmes anjouanaises à Mayotte, faute de disposer d'équipements
sanitaires décents à Anjouan.
Afin de contrôler plus efficacement l'immigration en provenance des
Comores, l'obligation du visa préalable a été
rétablie depuis le 20 janvier 1995 pour les ressortissants
comoriens se rendant à Mayotte ; en outre, le dépôt
d'une caution équivalant au prix du billet de retour aux Comores est
exigée des passagers arrivant à Mayotte et le droit de port
acquitté par les boutres a été relevé.
Le Gouvernement n'entend pas revenir sur le rétablissement des visas
malgré les demandes des autorités comoriennes : un
assouplissement de leur procédure de délivrance est
néanmoins à l'étude.
Par ailleurs, la lutte contre le travail clandestin a été
renforcée, notamment grâce à l'extension à Mayotte
des dispositions imposant aux employeurs de main d'oeuvre
étrangère en situation irrégulière une contribution
aux frais d'expulsion, et de celles excluant des marchés publics,
à titre temporaire, les entreprises recourant au travail clandestin, par
la loi n° 94-638 du 25 juillet 1994 et le décret
d'application n° 97-561 du 27 mai 1997.
*
Pour conclure ce bref tableau de la situation de
l'immigration
dans les DOM, il convient de rappeler que la circulaire du ministre de
l'intérieur du 24 juin 1997 relative au réexamen de la
situation de certaines catégories d'étrangers en situation
irrégulière n'est pas applicable outre-mer ; cependant, les
services préfectoraux ont reçu des instructions en vue d'un
examen individuel approprié de chaque dossier de demande de
régularisation.
Par ailleurs, le projet de loi relatif à l'entrée et au
séjour des étrangers en cours de discussion à
l'Assemblée nationale prévoit le prolongement pour
cinq années supplémentaires des dispositions
dérogatoires concernant l'éloignement des étrangers en
situation irrégulière, notamment le caractère non
suspensif du recours contre les arrêtés préfectoraux de
reconduite à la frontière, "
en raison de la situation
spécifique prévalant outre-mer
" aux termes de
l'exposé des motifs (art. 20).
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a
estimé devant votre commission des Lois que des dispositions
particulières devraient être prises pour renforcer les moyens de
lutte contre l'immigration clandestine, en particulier par
l'amélioration de la coopération avec les Etats voisins.