AVIS N° 90 TOME VII - PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 1998 ADOPTE PAR L'ASSEMBLEE NATIONALE, DEPARTEMENTS D'OUTRE MER
M. François BLAIZOT, Sénateur
COMMISSION DES LOIS - Avis n°90Tome VII - 1997/1998
Table des matières
-
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
- I. L'ÉVOLUTION DES CRÉDITS CONSACRÉS AUX DÉPARTEMENTS ET AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES D'OUTRE-MER
- II. LA SITUATION DES SERVICES DE L'ETAT
- III. DES EFFORTS ENCORE NÉCESSAIRES POUR AMÉLIORER LES RÉSULTATS EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ, DE JUSTICE ET DE CONTRÔLE DE L'IMMIGRATION
-
IV. LES PERSPECTIVES D'ÉVOLUTIONS INSTITUTIONNELLES OU LÉGISLATIVES
- 1. L'évolution des relations des départements d'outre-mer avec l'Union européenne : l'avancée obtenue à Amsterdam
- 2. Une adaptation nécessaire de la législation relative à l'aménagement du territoire pour prendre en compte la spécificité des départements d'outre-mer
- 3. La poursuite de l'adaptation de la législation applicable à Mayotte et la réflexion engagée sur l'avenir de la collectivité
- 4. Le problème posé par la situation spécifique de Saint-Barthélémy et Saint-Martin
N° 90
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 20 novembre 1997.
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 1998 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
TOME VII
DÉPARTEMENTS D'OUTRE-MER
Par M. François BLAIZOT,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Jacques Larché,
président
;
René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles
Jolibois, Robert Pagès, Georges Othily,
vice-présidents
;
Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson,
secrétaires
; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert
Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl,
Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel
Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli,
Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Jean Derian, Michel
Dreyfus-Schmidt, Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault,
Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel
Millaud, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre
Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale
(
11
ème législ.) :
230
,
305
à
310
et T.A.
24
.
Sénat
:
84
et
85
(annexe n°
33
)
(1997-1998).
Lois de finances.
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
Après avoir procédé à l'audition
de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, le
mardi 18 novembre 1997, la commission des Lois, réunie le mercredi 19
novembre 1997 sous la présidence de M. Jacques Larché,
président, a examiné, sur le rapport pour avis de M.
François Blaizot, les crédits du projet de loi de finances pour
1998 consacrés aux départements d'outre-mer, à Mayotte et
à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Au-delà de l'analyse des crédits consacrés à ces
collectivités par les ministères de l'outre-mer, de
l'intérieur et de la justice, elle a concentré ses observations
sur les problèmes concernant la fonction publique, la
sécurité, la justice et la maîtrise de l'immigration.
La commission des Lois a émis un avis favorable à l'adoption des
crédits consacrés aux départements d'outre-mer, à
Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon dans le projet de budget du
secrétariat d'Etat à l'outre-mer, ramenés aux montants
proposés par la commission des Finances.
Elle a cependant estimé qu'un effort de rattrapage important devrait
être poursuivi en faveur du développement économique et
social de ces collectivités, ainsi que l'a souligné M. Georges
Othily.
Elle s'est par ailleurs interrogée sur le choix du Gouvernement de
légiférer par ordonnances dans de très nombreux domaines
du droit applicable outre-mer, constatant que ce choix conduisait à
priver le Parlement de la possibilité d'amender ces textes avant leur
entrée en vigueur.
Mesdames, Messieurs,
Le budget du secrétariat d'Etat à l'outre-mer pour 1998, d'un
montant total de 5,2 milliards de francs, enregistre une progression de
7,27 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1997, qui
bénéficie essentiellement aux départements et
collectivités territoriales d'outre-mer.
Cependant, il ne représente qu'une faible part d'un effort
budgétaire interministériel global en faveur de ces
départements et collectivités s'élevant à un peu
plus de 37 milliards de francs, dont l'augmentation, de 3,16 %
seulement, reste sensiblement plus modérée.
Après avoir analysé, au-delà des dotations propres du
secrétariat d'Etat à l'outre-mer, les incidences
prévisibles des contributions des ministères de
l'intérieur, de la décentralisation et de la justice, et avoir
fait le point sur la situation des services de l'Etat, votre commission des
Lois concentrera ses observations sur les efforts encore nécessaires
pour améliorer les résultats en matière de
sécurité, de justice et de maîtrise de l'immigration.
Le présent avis évoquera en outre quelques questions
d'actualité concernant les perspectives d'évolutions
législatives ou institutionnelles.
I. L'ÉVOLUTION DES CRÉDITS CONSACRÉS AUX DÉPARTEMENTS ET AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES D'OUTRE-MER
Seul l'" Etat récapitulatif de l'effort
budgétaire et financier consacré aux départements et
collectivités territoriales d'outre-mer "
(" jaune "
présenté en annexe du projet de loi de finances) permet
d'appréhender dans leur globalité les moyens budgétaires
consacrés d'une part aux départements d'outre-mer (Guadeloupe,
Guyane, Martinique, La Réunion) et d'autre part, aux
collectivités territoriales d'outre-mer à statut particulier que
constituent Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon.
En effet, l'ensemble des ministères contribuent à l'effort
financier en faveur de l'outre-mer et les crédits du secrétariat
d'Etat à l'outre-mer ne représentent que 11 % des moyens
budgétaires alloués aux départements et
collectivités territoriales d'outre-mer pour 1998, qui atteignent un
montant total d'un peu plus de 37 milliards de francs (dépenses
ordinaires et crédits de paiement).
Au total, l'évolution de l'effort budgétaire global en faveur de
ces départements et collectivités apparaît
contrastée :
faible progression des moyens de paiement
(+ 3,1 %), mais
légère régression des
autorisations de programme
(- 5,7 %) par rapport à 1997.
Votre rapporteur regrette que la diminution des autorisations de programme,
déjà constatée en 1997, se poursuive en 1998, au risque de
compromettre l'effort d'investissement nécessaire dans les
départements d'outre-mer au cours des années à venir.
Au-delà des dotations propres du secrétariat d'Etat à
l'outre-mer, le présent avis présenté par votre commission
des Lois s'attachera également à analyser les incidences
prévisibles des contributions des ministères de
l'intérieur, de la décentralisation et de la justice.
Les deux tableaux suivants retracent l'évolution prévisionnelle
des moyens de paiement et des autorisations de programme de ces
différents ministères destinés aux départements
d'outre-mer, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Moyens de paiement destinés aux DOM, à Mayotte
et à Saint-Pierre-et-Miquelon
(dépenses ordinaires et
crédits de paiement)
1997 |
1998 |
||||
Montant |
Part du total |
Montant |
Part du total |
Evolution en % |
|
Ensemble des ministères dont : |
35 917,922 |
(100 %) |
37 053,123 |
(100 %) |
+ 3,16 % |
- Outre-mer |
3 516,739 |
9,79 % |
4 133,981 |
11,16 % |
+ 17,55 % |
- Intérieur et Décentralisation |
7 810,470 |
21,75 % |
7 837,482 |
21,15 % |
+ 0,35 % |
- Justice |
943,368 |
2,63 % |
1 026,668 |
2,77 % |
+ 8,83 % |
(tableau réalisé à partir des données du " jaune " budgétaire) (en millions de francs)
Autorisations de programme destinées aux DOM,
à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon
1997 |
1998 |
||||
Montant |
Part du total |
Montant |
Part du total |
Evolution en % |
|
Ensemble des ministères dont : |
5 275,556 |
(100 %) |
4 973,581 |
(100 %) |
- 5,72 % |
- Outre-mer |
1 763,951 |
33,44 % |
1 914,920 |
38,56 % |
+ 8,56 % |
- Intérieur et Décentralisation |
921,184 |
17,46 % |
926,124 |
18,62 % |
+ 0,54 % |
- Justice |
211,157 |
4,00 % |
43,000 |
0,86 % |
- 79,64 % |
(tableau réalisé à partir des données du " jaune " budgétaire) (en millions de francs)
1. Une progression apparemment marquée des dotations du secrétariat d'Etat à l'outre-mer
Les dotations du secrétariat d'Etat à
l'outre-mer en faveur des départements et collectivités
territoriales d'outre-mer connaissent une progression marquée :
+ 17,55 % pour les moyens de paiement et + 8,56 % pour les
autorisations de programme.
Cependant, ces chiffres traduisent en fait le regroupement au sein du budget de
l'outre-mer de davantage de crédits bénéficiant aux DOM,
grâce à des transferts en provenance des budgets des autres
ministères et notamment des ministères du travail et du logement.
En conséquence,
la part du budget de l'outre-mer
dans l'ensemble
des moyens de paiement affectés aux DOM
s'accroît
, passant
de 9,79 % à 11,16 %.
Cette progression du budget de l'outre-mer consacrée aux DOM est
très largement destinée au
renforcement des moyens de la
politique en faveur de l'emploi et du soutien au logement social
: ainsi,
la dotation du Fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer
(FEDOM), d'un montant total de 1,7 milliard de francs, augmente de 14,3 %
grâce à une enveloppe de 300 millions de francs prévue
pour le financement des emplois jeunes, tandis que les crédits de
paiement de la ligne budgétaire unique d'aide au logement (LBU), d'un
montant total de 568,54 millions de francs, sont accrus de 23 % par rapport
à 1997, notamment en raison de l'inscription de crédits en faveur
de la résorption de l'habitat insalubre, précédemment
gérés par le ministère du logement.
D'autre part, les moyens de paiement du
Fonds d'investissement des
départements d'outre-mer (FIDOM)
qui atteignent 232,5 millions
de francs pour la
section générale
, en augmentation de
6,7 %, devraient permettre le respect des engagements de l'Etat
résultant des contrats de plan avec les départements d'outre-mer
et la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi que
de la convention signée avec la collectivité territoriale de
Mayotte.
En revanche, la
mise en extinction de la section décentralisée
du FIDOM,
engagée il y a deux ans, se poursuit, cette section
n'étant plus dotée que de 15 millions de francs de crédits
de paiement, soit une réduction de plus de 50 % par rapport à
l'an dernier. Sur ce dernier point, votre rapporteur tient à souligner
que le retard important pris pour l'inscription des crédits de paiement
par rapport aux autorisations de programme antérieures s'accentue encore
cette année.
On note par ailleurs un renforcement de
l'effort d'investissement public en
Guyane
, avec notamment une dotation supplémentaire pour les
équipements scolaires et une augmentation de 37 % des autorisations
de programme destinées aux infrastructures de ce département et
tout particulièrement au financement de la route
Régina-Saint-Georges ; une dotation exceptionnelle de 10 millions de
francs en faveur de la ville de Cayenne est en outre prévue dans le
cadre du redressement des finances communales.
2. Une stabilité de la contribution du ministère de l'intérieur et une progression des crédits du ministère de la justice
Les crédits de paiement et autorisations de programme
provenant des
ministères de l'intérieur et de la
décentralisation
, qui représentent environ un
cinquième de l'effort financier global de l'Etat en faveur des DOM,
restent stables ; on rappellera que ces crédits correspondent pour
l'essentiel aux prélèvements sur recettes des dotations
bénéficiant aux collectivités locales : dotation globale
de fonctionnement (DGF), dotation de développement rural (DDR), fonds
national de péréquation (FNP), fonds de compensation pour la taxe
sur la valeur ajoutée (FCTVA), dotation spéciale instituteurs
(DSI).
En ce qui concerne la contribution du
ministère de la justice
, on
constate une progression sensible des moyens de paiement (+ 8,8 %) qui
dépasseront le seuil d'un milliard de francs en 1998 ; il convient
néanmoins de souligner que les autorisations de programme reculent de
près de 80 %.
Ces crédits consacrés à la justice devraient permettre un
renforcement notable des effectifs.
Ils sont en outre destinés à la poursuite d'un
important
programme d'investissements immobiliers
qui comprend notamment :
- en ce qui concerne les services judiciaires, la construction d'un nouveau
Palais de justice à Fort-de-France (dont le coût total est
évalué à 220 millions de francs), la reconstruction
du tribunal d'instance du Lamentin et l'extension du Palais de justice de
Basse-Terre ;
- s'agissant de l'administration pénitentiaire, la mise en service du
nouveau centre pénitentiaire de Rémiré-Montjoly en Guyane
et les travaux de rénovation de la maison d'arrêt de Basse-Terre
et de l'ancien centre agricole de la Plaine des Galets à la
Réunion ;
- enfin, différentes opérations d'équipement des services
déconcentrés de la protection judiciaire de la jeunesse dans les
DOM.
II. LA SITUATION DES SERVICES DE L'ETAT
1. Les effectifs de fonctionnaires affectés dans les départements et collectivités territoriales d'outre-mer
Le tableau suivant retrace l'évolution prévisionnelle des effectifs budgétaires affectés dans les départements et collectivités territoriales d'outre-mer.
Evolution des effectifs
1997 |
1998 |
Evolution en % |
|
Ensemble des ministères dont : |
64 275 |
65 251 |
+ 1,52 % |
- Outre mer |
4 820 |
4 809 |
- 0,22 % |
- Intérieur et Décentralisation |
2 305 |
2 305 |
- |
- Justice |
1 890 |
2 306 |
+ 22,01 % |
(tableau réalisé à partir des
données du " jaune " budgétaire)
Si
les effectifs de fonctionnaires de l'Etat affectés dans les DOM
restent globalement stables
, les personnels relevant du ministère de
la justice bénéficient cependant d'un renforcement substantiel
puisqu'ils devraient être accrus de 22 %.
Cette augmentation des moyens en personnels du ministère de la justice
correspond notamment à la mise en service de nouveaux
établissements pénitentiaires, tandis que les créations
d'emplois de magistrats s'inscrivent dans le cadre de la poursuite de la
réalisation des objectifs inscrits dans le programme pluriannuel pour la
justice.
Pour faire face à l'acuité des problèmes
économiques et sociaux rencontrés en Guyane, le
secrétariat d'Etat à l'outre-mer a par ailleurs
décidé de renforcer les effectifs de la préfecture de
Cayenne grâce à la création de quatre postes d'encadrement.
2. Les incidences de la Réforme de l'Etat
La réflexion engagée par le
précédent Gouvernement en vue d'une Réforme de l'Etat
s'étendait tout naturellement à l'organisation administrative des
départements d'outre-mer.
Ainsi, la
Martinique
, à la fois région et
département, a-t-elle été retenue comme
site
expérimental
au titre de l'étude d'une nouvelle organisation
des services départementaux et régionaux de l'Etat.
Il appartient désormais au nouveau Gouvernement de tirer les
conséquences de cette étude de faisabilité menée en
Martinique, qui a montré la possibilité de mettre en place une
organisation différente de celle prévalant en métropole,
en s'appuyant sur une logique de blocs de compétences placés sous
la responsabilité d'un chef de projet.
Par ailleurs, dans le cadre de la poursuite de la déconcentration
administrative, il est à noter qu'à La Réunion, l'Etat
s'est engagé dans la voie d'un rééquilibrage de
l'implantation des services de l'Etat au profit du sud du département et
que la mise en place d'un centre interministériel des démarches
administratives situé à Saint-Pierre est actuellement à
l'étude.
3. La question récurrente des surrémunérations des fonctionnaires
Votre rapporteur avait déjà
évoqué, l'an dernier, les effets pervers sur le
développement économique que peut induire la
généralisation des surrémunérations des
fonctionnaires dans les départements d'outre-mer et tout
particulièrement à La Réunion.
Les fonctionnaires de l'Etat en service dans les DOM bénéficient
en effet d'une
rémunération majorée
instituée par un ensemble de dispositions législatives et
réglementaires, dont l'application a été étendue
à la fonction publique territoriale ou hospitalière et même
fréquemment aux personnels des organismes parapublics.
Le traitement servi aux fonctionnaires en poste outre-mer est ainsi
affecté d'un coefficient multiplicateur (sauf à Mayotte) qui,
fixé à 40 % en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane,
atteint
53 % à la Réunion
(et 65 % à
Saint-Pierre-et-Miquelon). Vient en outre s'ajouter à cette majoration,
le cas échéant, le versement d'une indemnité
d'éloignement lorsqu'un déplacement réel du fonctionnaire
a été occasionné.
Dans certaines collectivités d'outre-mer, les retraites publiques sont
également bonifiées à un taux fixé à
35 % à La Réunion et à Mayotte et à 40 %
à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Au cours de son audition devant votre commission des Lois, M. Jean-Jack
Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a
évalué à environ 4 milliards de francs le coût
de ces diverses majorations pour les seuls fonctionnaires de l'Etat.
Pour ce qui concerne plus particulièrement
La Réunion
, le
rapport établi en juillet 1996 par M. Bernard Pêcheur au
nom de l'Observatoire des prix et des revenus de La Réunion avait
chiffré à près de trois milliards de francs le
coût des majorations diverses de traitements publics en 1995.
A la suite d'une réflexion engagée sur la base de ce rapport,
M. Jean-Jacques de Peretti, alors ministre de l'outre-mer, a
évoqué, à l'occasion des Assises régionales du
développement tenues à La Réunion les 27 et
28 février 1997, un projet de réforme basé sur le
double principe du maintien du niveau de rémunération actuel des
agents en poste et d'une réinjection sur place de
l'intégralité des crédits d'Etat dégagés par
la réduction des rémunérations des futurs fonctionnaires,
au profit d'actions en faveur de la création d'emplois. Ainsi, ce projet
prévoyait-il notamment l'alignement de la rémunération des
fonctionnaires nouvellement nommés sur celle en vigueur en
métropole au plus fort taux d'indemnité de résidence
(+ 3 % comme en Ile de France), soit une réduction d'environ
30 % par rapport à la situation des agents en place qui auraient
conservé leur taux actuel de surrémunération de 53 %.
Devant les vives réactions suscitées par ces propositions
(mouvements de grève, manifestations accompagnées d'affrontements
avec les forces de l'ordre...), le précédent Gouvernement a
cependant confié à notre collègue Pierre Lagourgue,
sénateur de La Réunion, une mission de conciliation en vue de
déterminer un terrain d'entente propice à l'ouverture de
négociations. Celui-ci a remis le 8 avril dernier les contributions
écrites de ses différents interlocuteurs au ministre de
l'outre-mer.
Pour sa part, le nouveau secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer,
M. Jean-Jack Queyranne, a déclaré devant votre commission
des Lois qu'il entendait procéder à une large concertation sur la
base de la réalisation d'une étude globale des coûts et
revenus à la Réunion, confiée à l'INSEE.
III. DES EFFORTS ENCORE NÉCESSAIRES POUR AMÉLIORER LES RÉSULTATS EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ, DE JUSTICE ET DE CONTRÔLE DE L'IMMIGRATION
1. Une stabilisation de la délinquance à un niveau élevé
Le tableau suivant récapitule les taux de criminalité (pour 1.000 habitants) constatés dans les différents départements d'outre-mer en 1996 1( * ) , ainsi que leur évolution par rapport à l'année précédente et au cours des cinq dernières années.
Taux de criminalité (pour 1.000 habitants)
1996 |
Evolution 1995/1996 |
Evolution 1992/1996 |
|
Guadeloupe |
59,90 |
- 3,43 % |
+ 7,37 % |
Martinique |
52,55 |
- 6,80 % |
+ 4,43 % |
Guyane |
178,81 |
- 52,61 % |
- 10,75 % |
Réunion |
45,30 |
+ 4,08 % |
+ 9,32 % |
Moyenne DOM |
61,46 |
- 5,04 % |
+ 6,03 % |
Moyenne métropole |
61,35 |
- 1,82 % |
- 5,28 % |
Au cours des cinq dernières années, le taux
de criminalité
pour mille habitants
et le nombre de crimes
et délits
constatés par les services de police et de
gendarmerie
ont progressé respectivement de 6,03 % et
10,86 % en moyenne dans les départements d'outre-mer,
tandis
qu'ils enregistraient une baisse respective de 5,28 % et 7,62 % en
métropole.
En 1996, on a constaté une stabilisation voire une diminution de la
délinquance de voie publique dans les DOM, sauf à La
Réunion. Toutefois, on a en même temps enregistré un
durcissement des formes violentes de criminalité
illustré
par l'augmentation des vols avec armes à feu et des vols avec violences
en Guadeloupe et en Guyane, et les statistiques doivent, comme en
métropole, être interprétées avec prudence, compte
tenu du découragement croissant des victimes dissuadées de porter
plainte par le taux réduit d'élucidation et le nombre
élevé des classements sans suite, même lorsque l'auteur de
l'infraction est identifié.
Le taux de criminalité moyen dans les DOM s'établit à
61,46 pour 1000 habitants, soit un chiffre légèrement
supérieur à celui constaté en métropole.
L'évolution de la délinquance présente cependant des
spécificités dans chacun des départements.
- La
Guadeloupe
a connu, depuis le milieu des années 1980, une
forte poussée de la délinquance qui l'a fait passer brutalement
d'un niveau moyen à un niveau élevé
d'insécurité. La stabilisation globale constatée en 1996
(- 3,43 %) dissimule dans ce département une forte
augmentation des vols avec violence (+ 36,75 %) et des vols à
main armée (+ 20,7 %), l'agglomération de
Pointe-à-Pitre concentrant à elle seule plus de la moitié
des crimes et délits constatés.
Par ailleurs, même si une baisse de 11,64 % des infractions à
la législation sur les stupéfiants a été
enregistrée, la quasi-totalité des saisies de cocaïne
outre-mer a été réalisée en Guadeloupe, avec plus
de 1,1 tonne saisie dans la zone des Iles du Nord (Saint-Martin et
Saint-Barthélémy).
- En
Martinique
, après plusieurs années
consécutives de hausse, la délinquance de voie publique a
reculé de 6 % en 1996, malgré une progression sensible des
vols à main armée et des vols avec arme blanche imputables pour
partie, comme en Guadeloupe, à des toxicomanes consommateurs de
" crack ".
- En
Guyane
, si le taux de criminalité a baissé de
10,75 % au cours des cinq dernières années, il demeure
néanmoins le plus élevé de tous les départements
français : 178,81 pour 1000 habitants. Cette situation
particulière est cependant largement imputable aux délits
à la police des étrangers dont la part dans la délinquance
globale s'élève à 53 %. En outre, on y observe,
depuis deux ans, une forte augmentation des agressions violentes imputables en
partie à l'immigration irrégulière qui a
représenté, en 1996, 49 % des personnes mises en cause
à Cayenne.
- Enfin,
La Réunion
constitue le seul département
d'outre-mer où la criminalité et la délinquance se sont
accrus en 1996 : la délinquance de voie publique y a
progressé de 20 %, tandis que les vols avec violence sur la voie
publique ont augmenté de 12,69 %.
2. Une progression soutenue de l'activité des juridictions
Comme celles de métropole,
les juridictions des
départements d'outre-mer doivent faire face à une importante
augmentation des flux de contentieux.
Entre 1991 et 1995, le nombre d'affaires civiles nouvelles s'est accru de
seulement 3,27 % à la cour d'appel de
Fort-de-France
, mais
de respectivement 34,09 % et 15,40 % dans les tribunaux de grande instance
de Fort-de-France et de Cayenne.
En
Guadeloupe
, ce nombre a progressé de 30,47 % à la
cour d'appel de Basse-Terre et de 62,09 % au tribunal de grande instance
de Pointe à Pitre, même s'il a en même temps
légèrement diminué au tribunal de grande instance de
Basse-Terre.
A
la Réunion
, l'augmentation du flux d'affaires civiles nouvelles
sur cette même période a été particulièrement
forte : + 204,38 % à la cour d'appel, + 67,58 %
au tribunal de grande instance de Saint-Denis et + 74,42 % au
tribunal de grande instance de Saint-Pierre.
En ce qui concerne l'activité pénale, on note une forte
progression des flux
en Guyane
où le nombre de jugements rendus
par le tribunal correctionnel de Cayenne s'est accru de plus de 70 % entre
1991 et 1995.
Les
délais moyens de traitement des affaires civiles
restent
néanmoins légèrement inférieurs à la moyenne
nationale pour les cours d'appel qui s'établit à 14,7 mois :
13,5 mois à la cour d'appel de Fort-de-France, 11,8 mois à
la cour d'appel de Basse-Terre et 12,9 mois à la cour d'appel de
Saint-Denis de la Réunion. En revanche, ces délais
dépassent nettement la moyenne nationale dans certains tribunaux de
grande instance : 11,5 mois au tribunal de grande instance de
Fort-de-France et 14,3 mois au tribunal de grande instance de
Pointe-à-Pitre, contre une moyenne nationale de 8,8 mois.
Confrontées à la progression de leur activité, les
juridictions des départements d'outre-mer ont certes pu
bénéficier d'un
renforcement substantiel des effectifs de
magistrats et de fonctionnaires
qu'il est prévu -rappelons-le- de
poursuivre en 1998.
Les récentes créations d'emplois de magistrats ont ainsi
porté à 158 l'effectif budgétaire global des DOM
(dont 49 postes en Guadeloupe, 39 postes en Martinique,
13 postes en Guyane et 57 postes à La Réunion).
Elles ont notamment permis l'affectation dans chaque cour d'appel d'au moins un
juge et un substitut " placés "
2(
*
)
permettant de faire face à des situations de
sous-effectif temporaire, ainsi que la localisation de deux emplois de juge de
l'application des peines dans les ressorts de juridictions dans lesquels se
sont ouverts de nouveaux centres de rétention (Pointe-à-Pitre et
Fort-de-France).
On déplore cependant quatre vacances de postes et
les efforts devront
être poursuivis en vue d'une meilleure répartition des moyens pour
faire face à la progression des flux.
Par ailleurs, il est à noter que les tribunaux administratifs de
Fort-de-France, de Basse-Terre, de Cayenne et de Saint-Denis de la
Réunion doivent également faire face à une progression
constante du contentieux entraînant une augmentation sensible du stock
des affaires en instance qui s'est par exemple accru de près de
75 % depuis 1993 à La Réunion.
3. La persistance d'une surpopulation carcérale
L'ouverture de deux nouveaux établissements
pénitentiaires : Baie-Mahault en Guadeloupe et Ducos en
Martinique
a permis de désaffecter des établissements
vétustes et inadaptés et de remédier partiellement
à la surpopulation carcérale ; elle sera en outre suivie de
la
mise en service, prévue le 1er mars 1998, du centre
pénitentiaire de Rémiré-Montjoly en Guyane.
Par ailleurs, des
travaux de rénovation
sont en cours à la
maison d'arrêt de Basse-Terre et au centre de la Plaine des Galets
à La Réunion.
Consécutivement à une progression rapide de la population
carcérale dans les DOM (+ 25 % entre 1991 et 1996, soit plus
du double de la métropole),
le taux d'occupation des
établissements pénitentiaires reste néanmoins très
élevé
et généralement supérieur à
la moyenne nationale : 272 % en Guyane, 110 % en Martinique,
108 % en Guadeloupe et 145 % à La Réunion (ce taux
atteignant 195 % à la maison d'arrêt de Saint-Pierre).
4. Le problème aigu du contrôle de l'immigration
Si les départements d'outre-mer sont dans leur ensemble
confrontés à une
importante immigration
irrégulière
, ce problème revêt une acuité
particulière à Saint-Martin (Guadeloupe), en Guyane et à
Mayotte.
· A
Saint-Martin
, la population étrangère est
évaluée à 57 % de la population totale, soit environ
17.000 personnes, qui seraient pour les quatre cinquièmes en
situation irrégulière.
Ainsi qu'a pu le constater sur place votre rapporteur au cours d'une mission de
la commission des Lois au mois de mars 1997, le contrôle de l'immigration
irrégulière y est particulièrement difficile, voire
impossible, en raison de l'absence de frontière
matérialisée entre la partie française et la partie
néerlandaise et de la localisation de l'aéroport international
dans cette dernière zone.
Faute de ratification par le Royaume des Pays-Bas, l'accord
franco-néerlandais relatif au contrôle des personnes sur
l'aéroport de Saint-Martin, signé le 17 mai 1994 et dont le
Parlement français a autorisé la ratification le 20 juillet
1995, n'est toujours pas appliqué.
Cependant, la procédure d'aide au retour volontaire mise en place par le
ministère de l'outre-mer à la suite du passage du cyclone Luis
à Saint-Martin en 1995 a permis le départ d'un certain nombre
d'étrangers en situation irrégulière qui souhaitaient
quitter l'île en raison de la perte de leur habitation et de leur
travail ; 505 personnes sont effectivement retournées à
Haïti grâce à cette procédure.
· En
Guyane
, la population étrangère est
également très nombreuse ; elle représenterait la
moitié de la population du département, soit environ
70.000 personnes dont 50 % de clandestins.
Les flux migratoires y sont également très difficiles à
contrôler en raison de la forte attractivité de ce territoire
français pour les populations pauvres des Etats voisins ne
bénéficiant pas du même niveau de protection sociale, et de
la facilité du franchissement des frontières fluviales avec le
Surinam et le Brésil en Amazonie.
L'Etat a cependant mis en place deux dispositifs de contrôle
renforcé des frontières :
- le plan Alizé-Bis mis en place depuis janvier 1992 sur le fleuve
Maroni, comportant des patrouilles par des pirogues rapides pour surveiller les
déplacements en provenance du Surinam ;
- le plan Galerne sur le fleuve Oyapock, dispositif permanent de surveillance
de la frontière avec le Brésil fonctionnant depuis
janvier 1995.
En outre, la loi n° 97-396 du 24 avril 1997 portant dispositions
diverses relatives à l'immigration a étendu à la Guyane la
possibilité de contrôler sommairement les véhicules autres
qu'individuels dans une bande de 20 km le long des frontières
terrestres (art. 3) et a permis de procéder à des
contrôles d'identité destinés à vérifier le
respect des obligations de détention, de port et de présentation
des titres et documents prévus par la loi dans une bande de 20 km
le long du littoral et des frontières terrestres (art. 18).
En 1996, la lutte contre l'immigration clandestine en Guyane a donné
lieu à plus de 10.000 expulsions et reconduites à la
frontière.
Interrogé sur ce sujet au cours de son audition devant votre commission
des Lois, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à
l'outre-mer, a indiqué qu'il envisageait de mettre en place un statut
particulier en faveur des populations frontalières de Guyane, constatant
que traditionnellement ces populations ne considéraient pas les fleuves
comme des frontières.
Au cours de l'examen des crédits par la commission, MM. Christian Bonnet
et Georges Othily ont particulièrement insisté sur la
nécessité de parvenir à une maîtrise des flux
migratoires en Guyane.
· Enfin,
Mayotte
est confrontée à une immigration
très importante en provenance des îles composant la
République fédérale islamique des Comores qui n'ont pas le
même niveau de développement économique. Ce problème
s'est aggravé cette année en raison des événements
survenus dans l'île d'Anjouan qui a proclamé son
indépendance et souhaité son rattachement à la France.
Les Comoriens présents à Mayotte seraient au nombre de 20.000 sur
une population d'environ 120.000 habitants, dont une majeure partie en
situation irrégulière. En 1996, 3.482 étrangers ont
été reconduits à la frontière ; en 1997 le
nombre de reconductions entre le 1er janvier et le 31 août
s'élèverait déjà à 6.000.
Les coûts directs et indirects de l'immigration irrégulière
à Mayotte, liés notamment à ses incidences en
matière de santé, de scolarité ou de travail clandestin,
sont évalués à au moins 50 millions de francs par an
pour l'Etat et la collectivité territoriale.
Au cours de son audition, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat
à l'outre-mer, a notamment évoqué le problème
posé par le nombre très élevé d'accouchements de
femmes anjouanaises à Mayotte, faute de disposer d'équipements
sanitaires décents à Anjouan.
Afin de contrôler plus efficacement l'immigration en provenance des
Comores, l'obligation du visa préalable a été
rétablie depuis le 20 janvier 1995 pour les ressortissants
comoriens se rendant à Mayotte ; en outre, le dépôt
d'une caution équivalant au prix du billet de retour aux Comores est
exigée des passagers arrivant à Mayotte et le droit de port
acquitté par les boutres a été relevé.
Le Gouvernement n'entend pas revenir sur le rétablissement des visas
malgré les demandes des autorités comoriennes : un
assouplissement de leur procédure de délivrance est
néanmoins à l'étude.
Par ailleurs, la lutte contre le travail clandestin a été
renforcée, notamment grâce à l'extension à Mayotte
des dispositions imposant aux employeurs de main d'oeuvre
étrangère en situation irrégulière une contribution
aux frais d'expulsion, et de celles excluant des marchés publics,
à titre temporaire, les entreprises recourant au travail clandestin, par
la loi n° 94-638 du 25 juillet 1994 et le décret
d'application n° 97-561 du 27 mai 1997.
*
Pour conclure ce bref tableau de la situation de
l'immigration
dans les DOM, il convient de rappeler que la circulaire du ministre de
l'intérieur du 24 juin 1997 relative au réexamen de la
situation de certaines catégories d'étrangers en situation
irrégulière n'est pas applicable outre-mer ; cependant, les
services préfectoraux ont reçu des instructions en vue d'un
examen individuel approprié de chaque dossier de demande de
régularisation.
Par ailleurs, le projet de loi relatif à l'entrée et au
séjour des étrangers en cours de discussion à
l'Assemblée nationale prévoit le prolongement pour
cinq années supplémentaires des dispositions
dérogatoires concernant l'éloignement des étrangers en
situation irrégulière, notamment le caractère non
suspensif du recours contre les arrêtés préfectoraux de
reconduite à la frontière, "
en raison de la situation
spécifique prévalant outre-mer
" aux termes de
l'exposé des motifs (art. 20).
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a
estimé devant votre commission des Lois que des dispositions
particulières devraient être prises pour renforcer les moyens de
lutte contre l'immigration clandestine, en particulier par
l'amélioration de la coopération avec les Etats voisins.
IV. LES PERSPECTIVES D'ÉVOLUTIONS INSTITUTIONNELLES OU LÉGISLATIVES
Le Gouvernement a récemment déposé sur le
bureau de l'Assemblée nationale, le 10 novembre 1997, un
" projet de loi portant habilitation du Gouvernement à prendre,
par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à
l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable
outre-mer ".
Ce projet de loi tend à permettre la modification du droit applicable
dans les départements d'outre-mer, à Mayotte et à
Saint-Pierre-et-Miquelon dans de nombreux domaines : droit du travail, droit
commercial, droit civil (état-civil notamment) et exercice de certaines
activités libérales, droit de la construction, code des douanes,
droit de la santé publique et de la sécurité sociale,
régime du domaine privé de l'Etat (en Guyane), organisation
juridictionnelle, régime des activités financières, droit
pénal et procédure pénale (à Mayotte et à
Saint-Pierre-et-Miquelon), droit électoral, action foncière, aide
au logement et urbanisme commercial (à Mayotte).
Votre commission s'est cependant interrogée sur le choix du Gouvernement
de légiférer dans ces matières par ordonnances. Elle a en
effet constaté que le choix de cette procédure conduisait
à priver le Parlement de la possibilité d'amender ces textes
avant leur entrée en vigueur.
Le présent avis évoquera en outre sous ce chapitre quelques
questions d'actualité concernant les relations des départements
d'outre-mer avec l'Union européenne, la prise en compte des
spécificités de ces départements dans la politique de
l'aménagement du territoire, la poursuite de l'élaboration d'une
législation adaptée à Mayotte et enfin le problème
posé par la situation spécifique des îles de
Saint-Barthélémy et de Saint-Martin.
1. L'évolution des relations des départements d'outre-mer avec l'Union européenne : l'avancée obtenue à Amsterdam
La conférence intergouvernementale qui s'est
achevée le 17 juin 1997 à Amsterdam a abouti à
une
nouvelle rédaction de l'article 227-2 du Traité de
Rome concernant le statut des régions
" ultrapériphériques "
que constituent les
départements français d'outre-mer ainsi que les Açores,
Madère et les Iles Canaries.
Ce texte figurant dans le Traité d'Amsterdam, signé le
2 octobre 1997 mais non encore ratifié, représente pour les
départements d'outre-mer une avancée significative
renforçant leur position au sein de l'Union européenne.
En effet, il prend en compte les handicaps permanents affectant la situation
économique et sociale des DOM que sont l'éloignement,
l'insularité, la faible superficie, le relief et le climat difficiles,
la dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de
produits.
En conséquence, tout en réaffirmant l'application des
dispositions du Traité de Rome aux DOM, il
consacre au sein
même de ce Traité la possibilité de mettre en oeuvre des
politiques spécifiques en leur faveur, possibilité qui
n'était jusque là prévue que dans une simple
déclaration annexée au Traité sur l'Union
européenne.
Ces mesures spécifiques pourront intervenir dans de nombreux
domaines : politiques douanières et commerciales, politique
fiscale, zones franches, politiques dans le domaine de l'agriculture et de la
pêche, conditions d'approvisionnement en matières premières
et en biens de consommation de première nécessité, aides
d'Etat et conditions d'accès aux fonds structurels et aux programmes
horizontaux communautaires. Surtout, elles seront adoptées par le
Conseil à la majorité qualifiée ; le choix de cette
procédure répond ainsi à une demande de la France qui
constituait un des enjeux principaux de la négociation sur ce texte.
Cependant, la portée de ces dispositions risque d'être quelque peu
affaiblie par le dernier alinéa du nouvel article 227-2 aux termes
duquel : "
le Conseil adopte les mesures visées... sans
nuire à l'intégrité et la cohérence de l'ordre
juridique communautaire, y compris le marché intérieur et les
politiques communes
".
L'interprétation de ce texte relèvera en définitive de la
jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.
Le fondement juridique donné à des politiques spécifiques
à l'égard des DOM, telles que l'octroi de mer, au regard de
l'ordre juridique communautaire reste donc grevé d'incertitudes.
Par ailleurs, il est à noter que le nouvel article 227-2 du
Traité de Rome ne concerne pas les collectivités territoriales
de
Mayotte
et de
Saint-Pierre-et-Miquelon,
celles-ci ayant
vis-à-vis de l'Union européenne le
statut des " pays et
territoires d'outre-mer associés " (PTOM).
Cependant, ce régime d'association est lui-même appelé
à évoluer car, à l'initiative de la France, les chefs
d'Etat et de Gouvernement ont adopté le 17 juin 1997 à
Amsterdam une déclaration invitant le Conseil de l'Union, sur
proposition de la Commission européenne, à réformer en
profondeur ce régime afin de promouvoir plus efficacement le
développement économique et social de ces territoires.
2. Une adaptation nécessaire de la législation relative à l'aménagement du territoire pour prendre en compte la spécificité des départements d'outre-mer
La loi d'orientation
n° 95-115
du
4 février 1995
, d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire,
est en principe globalement applicable
aux départements d'outre-mer
et à Saint-Pierre-et-Miquelon,
ainsi que, pour certains articles seulement, à Mayotte.
Cependant, cette loi n'y produit pas ses pleins effets
car les DOM ne
comportent aucune zone d'aménagement du territoire (ZAT) et
l'application de critères nationaux inadaptés y rend
quasi-inexistantes les zones de revitalisation rurale (ZRR) au sein des
territoires ruraux de développement prioritaire (TRDP).
Aussi le précédent Gouvernement avait-il déposé sur
le bureau du Sénat un projet de loi
3(
*
)
visant à mieux intégrer les départements d'outre-mer et la
collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon dans le dispositif
national d'aménagement du territoire.
Ce projet de loi tendait, d'une part, à reconnaître le
caractère de " zone prioritaire
ultrapériphérique " à chaque département
d'outre-mer, avec un régime juridique équivalent à celui
de la zone d'aménagement du territoire.
D'autre part, il prévoyait de prendre en compte les difficultés
supplémentaires rencontrées dans ces régions
ultrapériphériques par la mise en place de mesures de
désenclavement économique comportant en particulier :
- la possibilité donnée aux régions d'accorder des primes
d'équipement spécifiques ainsi qu'une aide au fret ;
- l'institution d'un régime incitatif en faveur des entreprises
nouvelles réalisant plus de 70 % de leur chiffre d'affaires hors
taxes dans la production de biens et de services vendus hors de la zone
prioritaire ultrapériphérique en cause.
Lors de l'audition par la commission de M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'Outre-mer, au mois de juillet dernier,
notre collègue Georges Othily, sénateur de Guyane, constatant les
difficultés d'application de la loi d'orientation pour
l'aménagement du territoire dans les DOM, avait souligné
l'urgence de la discussion d'un texte sur ce sujet.
Le ministre avait alors précisé que ce projet devrait être
réexaminé dans le cadre d'une réflexion
générale en vue d'une réforme de la loi d'orientation du
4 février 1995 menée par Mme Dominique Voynet, ministre de
l'environnement ; il a confirmé cette perspective au cours de son
audition du 18 novembre 1997.
3. La poursuite de l'adaptation de la législation applicable à Mayotte et la réflexion engagée sur l'avenir de la collectivité
La
modernisation de la législation applicable
à la collectivité territoriale de Mayotte se poursuit sur la base
d'un rapprochement avec la législation applicable en
métropole
, sous réserves des adaptations destinées
à tenir compte des spécificités mahoraises, et en
particulier de l'existence d'un statut civil personnel de droit local,
régi par l'article 75 de la Constitution.
Ainsi, le nouveau code pénal a notamment été étendu
à Mayotte par l'ordonnance n° 96-267 du 28 mars 1996 et
le décret n° 97-544 du 28 mai 1997. De même,
la partie législative du code de procédure pénale a
été étendue à Mayotte par l'ordonnance
n° 96-268 du 28 mars 1996 ; la partie réglementaire
devrait également être étendue, par décret, d'ici la
fin du premier trimestre 1998
4(
*
)
.
Une ordonnance n° 96-87 du 5 septembre 1996 a défini
un statut général pour les fonctionnaires de Mayotte ; votre
rapporteur souhaite que la loi de ratification de cette ordonnance,
actuellement en instance de deuxième lecture à l'Assemblée
nationale, puisse être adoptée définitivement dans un
délai rapide.
Enfin, une ordonnance n° 96-1122 du 20 décembre 1996 a
étendu à Mayotte certaines dispositions du code de la
santé publique ; cette ordonnance concernant également
l'établissement public de santé territorial de Mayotte, ainsi que
la réforme du statut de la caisse de prévoyance sociale, a
donné lieu au dépôt d'un projet de loi de ratification
à l'Assemblée nationale.
Par ailleurs,
une réflexion a été engagée sur
l'avenir statutaire de la collectivité.
Le Président de la
République a annoncé une consultation de la population mahoraise,
d'ici la fin du siècle, sur l'évolution de son statut au sein de
la République française.
Dans la perspective de la préparation de cette consultation, deux
groupes de réflexion sur l'avenir institutionnel de Mayotte ont
été mis en place en septembre 1996 : un groupe local
constitué de représentants de la société mahoraise
sous la présidence du préfet et un groupe national composé
des principaux élus de l'île et de diverses personnalités
qualifiées.
La synthèse des travaux de ces deux groupes de réflexion devrait
être achevée avant la fin de l'année.
La population et les élus locaux paraissent dans l'ensemble favorables
à la départementalisation.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a
confirmé devant votre commission des Lois, de même qu'il l'avait
fait sur place au cours d'un déplacement récent, la perspective
d'une consultation de la population mahoraise d'ici la fin du siècle.
4. Le problème posé par la situation spécifique de Saint-Barthélémy et Saint-Martin
Enfin, votre rapporteur a souhaité évoquer
à nouveau, dans le cadre du présent avis, le problème
posé par la situation spécifique de
Saint-Barthélémy et Saint-Martin qui a tout
particulièrement retenu l'attention de votre commission des Lois au
cours de l'année qui vient de s'écouler.
En décembre 1996, faute de disposer d'informations suffisamment
précises pour être en état de se prononcer en toute
connaissance de cause, le Sénat avait décidé de disjoindre
du projet de loi de ratification de l'ordonnance relative à la fonction
publique à Mayotte deux articles additionnels relatifs au statut
administratif, fiscal et douanier de ces deux communes du département de
la Guadeloupe, qui avaient été introduits par l'Assemblée
nationale à l'initiative de M. Pierre Mazeaud.
A la suite de cette décision, votre commission des Lois a estimé
souhaitable d'organiser une
mission d'information
chargée
d'étudier le régime juridique applicable à ces îles,
répondant ainsi à une vive attente des élus locaux.
A l'issue d'un déplacement effectué du 2 au 8 mars 1997 à
Basse-Terre, Saint-Martin et Saint-Barthélémy, votre rapporteur a
rédigé avec l'autre membre de cette mission, M. Michel
Dreyfus-Schmidt, un rapport d'information faisant le point sur la situation des
" îles du Nord " et leur régime administratif, fiscal et
douanier
5(
*
)
.
Ce rapport a mis en lumière l'absence de clarté d'un
régime fiscal et douanier caractérisé par des distorsions
peu satisfaisantes entre le droit théoriquement applicable et les
pratiques constatées, notamment en matière d'impositions directes.
Il a également fait ressortir le besoin fortement ressenti par les
élus locaux d'une plus grande autonomie administrative et
financière pour accompagner le développement de ces communes
particulièrement éloignées de leur département de
rattachement, situé à 250 kilomètres.
C'est après avoir procédé à cette étude
approfondie des singularités de Saint-Barthélémy et de
Saint-Martin que votre rapporteur a été amené à
déposer une proposition de loi
6(
*
)
sur
ce sujet avec le Président Jacques Larché et Mme Lucette
Michaux-Chevry.
Loin de tendre à créer une zone d'immunité, voire un
véritable " paradis fiscal ", cette proposition de loi se
limitait à consacrer un état de fait au bénéfice
des seuls résidents en procédant à une
" photographie " de la situation douanière et fiscale
actuelle. En contrepartie, elle jetait les bases novatrices d'une
fiscalité locale adaptée à l'économie de ces
îles.
Elle permettrait en outre aux deux communes d'exercer, grâce aux
ressources dégagées par cette fiscalité nouvelle, des
compétences plus étendues qu'actuellement, par des conventions
conclues avec l'Etat, la région et le département.
Lors de son audition devant votre commission des Lois au mois de juillet
dernier, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'Outre-mer,
a cependant indiqué que cette proposition de loi soulevait certaines
interrogations de sa part et risquait à ses yeux d'ouvrir un
débat sur la constitutionnalité de l'instauration d'un tel
régime particulier dans le cadre d'un département d'outre-mer.
Quoi qu'il en soit, la question de l'évolution du statut de
Saint-Barthélémy et Saint-Martin demeure néanmoins
posée.
Elle reste l'objet d'une vive préoccupation des élus locaux et
retient l'attention du conseil général de la Guadeloupe qui avait
émis un accord de principe à l'érection de la commune de
Saint-Barthélémy en collectivité territoriale à
statut particulier et a récemment mis en place, le 20 octobre 1997, une
commission chargée d'étudier le contenu du nouveau statut
souhaité.
Interrogé sur cette question par votre rapporteur, au cours de sa
dernière audition devant votre commission des Lois, le 18 novembre 1997,
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a
déclaré que les demandes formulées par les maires de
Saint-Barthélémy et de Saint-Martin faisaient apparaître
des problèmes de nature différente dans les deux îles.
Il a considéré qu'une voie moyenne, permettant d'adapter la
fiscalité en fonction des besoins, pourrait peut-être être
trouvée entre l'application du droit commun et la mise en place d'un
statut particulier susceptible de poser beaucoup de difficultés.
*
Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission des Lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés aux départements d'outre-mer et aux collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon dans le projet de budget du secrétariat d'Etat à l'outre-mer pour 1998, ramenés aux montants proposés par la commission des Finances.
1
dernières statistiques connues.
2
Sauf à Fort-de-France où la création d'un
emploi de subsitut " placé " a été convertie en
une création d'un emploi supplémentaire de substitut au tribunal
de grande instance de Cayenne.
3 Projet de loi n° 347 (1996-1997) relatif à l'aménagement du territoire et au désenclavement économique des départements et territoires d'outre-mer et de la collectivité territoriales de Saint-Pierre-et-Miquelon.
4
Ces deux ordonnances ont été
ratifiées par la loi n° 96-1240 du 30 décembre 1996.
5
Saint-Barthélémy et Saint-Martin : deux
îles françaises dans la Caraïbe - rapport n° 339
(1996-1997).
6
Proposition de loi n° 361 (1996-1997) relative au
régime juridique applicable à Saint-Barthélémy et
Saint-Martin.