CHAPITRE III -
LA POLITIQUE DE LA CONCURRENCE
En vertu notamment des articles 85 et suivants du Traité de Rome, la commission européenne dispose de pouvoirs importants en matière de contrôle des pratiques concurrentielles, des concentrations et des aides d'Etat.
I. LA POLITIQUE EUROPÉENNE DE LA CONCURRENCE
A. LA RÉVISION DU RÈGLEMENT EUROPÉEN SUR LE CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS
Comme le rapport pour avis de votre commission sur le projet
de budget pour 1997 le laissait prévoir, le premier règlement
européen relatif au contrôle des concentrations, publié en
1989, a été révisé par un nouveau règlement
publié au Journal officiel de la Communauté européenne le
9 juillet dernier.
En effet, en six ans de pratique du contrôle communautaire des
concentrations, le règlement de 1989 a montré que nombre
d'opérations, ayant pourtant des effets transfrontaliers importants
entre différents Etats membres de l'Union européenne,
n'atteignaient pas les seuils fixés par ledit règlement
9(
*
)
, et n'étaient donc pas
notifiées à la Commission européenne mais, le cas
échéant, aux instances nationales en charge du droit de la
concurrence. Aussi des saisines nationales multiples pouvaient-elles coexister
pour une même opération de concentration.
Le premier considérant du nouveau règlement indique d'ailleurs
que "
des concentrations ayant un impact significatif dans
plusieurs
Etats membres qui n'atteignent pas les seuils visés au règlement
(...) du 21 décembre 1989 (...) peuvent remplir les conditions
d'examen (...) des systèmes nationaux de contrôle des
concentrations (...). La notification multiple d'une même transaction
augmente
l'insécurité juridique, les efforts et les
coûts pour les entreprises et peut conduire à des
appréciations contradictoires
"
d'une même
opération de concentration.
Face à cette situation, la commission européenne a lancé
une consultation publique : la publication d'un " Livre
vert " sur ce
sujet a permis de recueillir les réactions des professionnels et des
Etats membres.
Une proposition de nouveau règlement a été transmise par
la commission au Conseil, au Parlement européen et au Conseil
économique et social en septembre 1996. Le texte a
été définitivement adopté en juillet 1997. Le
principal changement est un
élargissement des critères retenus
pour la mise en oeuvre d'un contrôle européen des
concentrations
.
NOUVEAU RÈGLEMENT SUR LES CONCENTRATIONS :
PRINCIPALES DISPOSITIONS
Les principaux changements quant au fait
générateur de la mise en oeuvre d'un contrôle communautaire
des concentrations sont les suivants :
Pour les établissements de crédits
et les
établissements financiers, le produit bancaire a été
retenu pour calculer le chiffre d'affaires, contre une proportion des actifs
dans le calcul antérieur.
De nouvelles conditions de mise en oeuvre
d'un contrôle
européen sont ajoutées : la commission est compétente
quand les niveaux de seuils précédemment définis sont
atteints
ou quand les conditions suivantes sont cumulativement
réunies :
- chiffre d'affaire total mondial de l'ensemble des entreprises
concernées supérieur à 2,5 milliards d'écus ;
- chiffre d'affaire des entreprises concernées dans chacun d'au
moins trois Etats membres supérieur à 100 millions
d'écus ;
- au moins deux des entreprises concernées réalisant un
chiffre d'affaire communautaire supérieur à 100 millions
d'écus ;
- sauf si chaque entreprise concernée réalise plus des deux
tiers de son chiffre d'affaire communautaire dans un seul Etat membre.
Le texte vise donc à accroître le champ du contrôle
communautaire par rapport à celui d'un contrôle national, afin de
faire bénéficier un plus grand nombre d'opérations de
concentrations du système du " guichet unique "
communautaire.
La commission européenne souhaitait initialement atteindre cet objectif
par un abaissement pur et simple des seuils au-delà desquels le
contrôle communautaire est automatique. La représentation
française ne partageait pas cette volonté. C'est finalement
l'ajout aux seuils initiaux d'un faisceau de critères nouveaux qui a
été retenu pour accroître le champ d'examen communautaire.
B. LA POURSUITE DE L'OUVERTURE DES MONOPOLES PUBLICS
Dans son dernier rapport public
10(
*
)
sur la politique de concurrence, la
Commission européenne estime que
" la libéralisation des
secteurs traditionnellement monopolisés constitue une étape
fondamentale pour l'établissement d'un véritable marché
intérieur au bénéfice des consommateurs ".
Cette
citation résume bien l'esprit des mesures qu'elle a prises ces
dernières années pour ouvrir à la concurrence les services
publics européens.
A titre strictement personnel, votre rapporteur pour avis ne partage pas
cette philosophie, qui conduit à une politique de réduction des
monopoles portant atteinte, à son sens, aux principes français du
service public.
Votre commission s'est, quant à elle, toujours montrée soucieuse
d'adopter une démarche équilibrée, qui permette de
préparer les opérateurs nationaux à la concurrence.
Comme elle a eu l'occasion de le rappeler, tant dans sa communication du
11 septembre 1996 sur les services d'intérêt
général en Europe, que par la voix du commissaire M. Karel
Van Miert, lors de son audition par votre commission
11(
*
)
, la Commission européenne
n'estime pas incompatibles le respect du service public et la
libéralisation des monopoles nationaux.
C'est ainsi qu'elle a été à l'origine de la
libéralisation déjà intervenue des transports
aériens, de celle, programmée pour le 1
er
janvier
1998, des télécommunications et de celle, en cours, de trois
nouveaux secteurs :
L'électricité
La directive du 19 décembre 1996 concernant les règles
communes pour le marché de l'électricité prévoit
une ouverture progressive, sur 6 ans, de ce marché à la
concurrence.
La première étape, qui devra être réalisée
d'ici le début de 1999 au plus tard, prévoit que dans chaque Etat
membre le marché sera ouvert dans une proportion correspondant à
la part de la consommation communautaire représentée par les
clients qui consomment plus de 40 gigawatts par heure (par site) en 1997,
seuil qui devrait être progressivement abaissé en 6 ans,
jusqu'à celui de 9 gigawatts par heure. Des producteurs
indépendants pourront donc contracter librement avec les plus gros
consommateurs.
Le Sénat a marqué son retrait par rapport à certains
aspects de cette libéralisation, notamment par l'adoption de la
résolution n° 188 sur la proposition de directive, le
30 juin 1994, qui engageait le Gouvernement à, notamment,
" refuser toute forme d'accès des tiers au réseau,
tant dans le secteur de l'électricité que dans celui du
gaz ".
Le gaz
Votre commission suit avec une attention qui ne s'est pas démentie
l'élaboration de la directive concernant les règles communes pour
le marché intérieur du gaz. Le Sénat a en effet
adopté à ce jour trois résolutions sur la proposition de
directive, la dernière
12(
*
)
,
examinée en Commission des
Affaires économiques le mardi 14 octobre dernier, ayant
formulé notamment, pour la poursuite des négociations, les
souhaits suivants :
3ème RÉSOLUTION DU SÉNAT SUR LA DIRECTIVE " GAZ "
Le Sénat,
(...)
- se félicite de la prise en compte des
missions de service
public
et, en particulier, de la sécurité d'approvisionnement
dans la proposition de directive ;
(...)
- demande, en outre, au Gouvernement, compte tenu de l'évolution
des négociations :
de veiller à ce que l'adoption de la directive conduise à
une
ouverture maîtrisée et progressive du marché
français du gaz à la concurrence et de s'opposer en
conséquence aux propositions formulées par la présidence
de l'Union européenne
à l'article 18 de son projet de
compromis ; (...)
d'informer les organes compétents du Sénat de l'évolution
des négociations sur ce sujet et, en particulier, des résultats
des deux Conseils des ministres de l'énergie qui se dérouleront
d'ici à la fin de l'année.
En outre, votre rapporteur pour avis se félicite d'un récent
arrêt
13(
*
)
de la Cour de
Justice des Communautés européennes relatif au monopole
d'importation et d'exportation du gaz et de l'électricité
détenu par GDF et EDF, qui n'a pas jugé que ce dernier
entraînait, contrairement à ce que soutenait la Commission, de
répercussions négatives sur les échanges communautaires.
Votre commission soutient le Gouvernement dans la politique de
fermeté, manifestée le 27 octobre dernier au Conseil
européen de Luxembourg, face à certains pays plus libéraux
qui souhaitent ouvrir davantage à la concurrence le marché du
gaz.
Votre Commission, consciente des nombreux enjeux qui s'attachent à la
politique énergétique de la France, a d'ailleurs adopté,
lors de sa réunion du 5 novembre dernier, la proposition de
résolution de MM . Blin, de Raincourt, de Rohan, Valade et Revol,
tendant à créer une commission d'enquête afin de recueillir
des éléments relatifs aux conditions d'élaboration de la
politique énergétique de la France et aux conséquences
économiques, sociales et financières des choix effectués.
Les services postaux
La Commission européenne a publié un livre vert postal en 1992.
Le 13 juin 1995, elle présentait une proposition de directive
visant à libéraliser partiellement les services postaux et
à réduire le champ du monopole à certains services dits
" réservés ".
Ce texte est actuellement en cours d'adoption : l'accord du Conseil
extraordinaire de l'Union européenne du
18 décembre 1996, dit " compromis de Dublin " a
fait
l'objet d'une position commune du Conseil le 29 avril dernier. Le
Parlement européen a adopté ce texte en seconde lecture le
16 septembre. La directive pourrait donc être adoptée
définitivement d'ici la fin de l'année, après l'accord du
Conseil des ministres. Si l'adoption de la directive intervient fin 1997, la
transposition en droit national devra être achevée à la fin
de l'année 1998.
La proposition de directive avait, à l'origine, une orientation
très libérale et c'est grâce à l'accord
franco-allemand de Dublin de décembre 1996 que la position commune
adoptée par le Conseil est revenue à des principes plus conformes
à l'intérêt de notre opérateur national ; ainsi la
libéralisation immédiate et automatique du publipostage et du
courrier transfrontalier a-t-elle été pu être
évitée de justesse.
Le récent rapport d'information de notre collègue Gérard
Larcher sur l'avenir de La Poste
14(
*
)
a remarquablement
détaillé les enjeux qui s'attachent à l'adoption de cette
directive ainsi que les différentes étapes de la
négociation.
Rappelons que la directive organise
une ouverture progressive du
marché postal européen
autour des principes suivants :
- la directive garantit l'existence d'un
service universel
commun
à tous les pays de l'Union européenne , fondé sur la
qualité et l'accessibilité du service (points de contacts, nombre
de jours de distribution, tarifs abordables) ainsi que sur une garantie d'offre
de produits minimale (lettres jusqu'à 2 kilos, colis jusqu'à
10 kilogrammes, envois recommandés) ;
- la directive retient l'existence des
services réservés
à l'opérateur en charge du service universel
pour compenser
les charges qui en résultent et garantir son équilibre financier
et sa pérennité. Ces services réservés
délimitent le périmètre maximal du monopole de
l'opérateur postal en charge du service universel.
La concurrence
s'exercera sur les autres services postaux
.
Les principales modifications par rapport à la situation actuelle sont
résumées dans le tableau suivant :
DROIT FRANÇAIS ACTUEL |
DIRECTIVE |
|
Monopole, services " réservables " |
Lettres quel que soit leurs poids, non express |
Envois de correspondance d'un poids inférieur à 350 grammes et d'un prix inférieur à 5 fois le tarif de base, y compris le publipostage et le courrier transfrontalier |
Concurrence |
Autres prestations |
Autres prestations |
Mais le cadre réglementaire européen fixé
par la directive en cours d'adoption est susceptible d'évoluer à
l'avenir
et il est à craindre que la perspective d'une plus large
libéralisation, qui a pu être écartée jusqu'à
présent, ne devienne dans les cinq ans à venir une
réalité.
La France a obtenu que le Parlement européen participe aux
éventuelles phases futures de libéralisation accrue du
marché postal. Toute décision sur une éventuelle poursuite
de la libéralisation devra entrer donc dans le cadre de ce processus de
révision et faire l'objet d'une nouvelle décision du Conseil et
du Parlement avant le 31 décembre 2000,
une nouvelle
étape de libéralisation ne pouvant entrer en vigueur avant le
1er janvier 2003.
D'ici 5 ans, la libéralisation pourrait donc se poursuivre. Aussi votre
commission engage-t-elle vivement le Gouvernement à préparer au
mieux La Poste à ce choc concurrentiel à venir. La
négociation actuelle du futur contrat de plan doit, en particulier,
permettre de mieux résoudre les problèmes du financement des
retraites des postiers et de la juste compensation de son rôle social et
d'aménagement du territoire.