III. LES MOTIFS D'INSATISFACTION
Un certain nombre de mesures récentes ou de dossiers plus anciens toujours en suspens constituent des motifs d'insatisfaction pour votre commission.
A. LES MESURES CONCERNANT L'EMPLOI
Le Gouvernement vient d'adopter deux mesures qui sont loin d'aller dans le sens de l'amélioration de l'environnement économique des PME : la création des emplois-jeunes et la réduction du temps de travail hebdomadaire à 35 heures.
1. La création des emplois-jeunes
On ne saurait, bien entendu, s'opposer au principe de la
création d'emplois en faveur des jeunes, alors que ceux-ci sont
durablement touchés par le chômage. Quelle société
pourrait, en effet, se satisfaire d'une telle situation ?
Votre commission estime, en revanche, que les modalités retenues pour
ces emplois-jeunes ne constituent pas la réponse adéquate au
problème.
Ces emplois s'assimilent à des emplois publics -c'est le cas pour les
40.000 emplois-jeunes qui seront financés à 100 % par
le budget de l'emploi dans le secteur de l'éducation nationale- ou quasi
publics : ils donnent lieu, en effet, à une prise en charge de l'Etat
sur la base de 80 % du SMIC.
Or, ces emplois ne déboucheront pas, à terme, sur des emplois
productifs. Que deviendront alors les jeunes concernés dans
cinq ans ?
Ces emplois mobilisent 8,05 milliards de francs au budget de l'emploi en
1998 et 300 millions de francs au budget de l'outre-mer, pour un nombre de
bénéficiaires de 150.000 à la fin de l'année
prochaine et de 350.000 à terme.
Ces sommes n'auraient-elles pas été mieux utilisées si
on les avait affectées, même partiellement, à la
création d'emplois dans le secteur privé ? Sachant que les
gisements d'emplois résident dans les petites entreprises, n'aurait-il
pas mieux valu étendre cette mesure aux entreprises immatriculées
aux chambres des métiers et employant, par exemple, moins de
10 personnes ?
Une telle mesure aurait, en outre, contribué à la lutte contre le
travail clandestin.
Son efficacité en termes d'emplois aurait été
réelle. Il suffit d'analyser les résultats de l'utilisation des
contrats de qualification pour s'en convaincre : 80 % des titulaires de
tels contrats trouvent un emploi à l'issue de leur contrat.
De plus, cette formule se révèle moins coûteuse que les
emplois-jeunes...
Votre commission estime qu'il aurait été beaucoup plus
efficace, en termes d'emplois, de poursuivre l'allégement des charges
sur les bas salaires, tant attendu par les petits chefs d'entreprise
désireux de franchir le pas pour peu qu'on leur donne le " coup de
pouce " nécessaire.
2. La réduction du temps de travail
Les prélèvements obligatoires pesant sur les
entreprises sont bien plus élevés en France que chez nos
partenaires européens : 19,5 % du PIB en 1996, contre 14 % en
Allemagne, 10,9 % au Royaume-Uni et 9,6 % aux Pays-Bas.
C'est dans ce contexte que le Gouvernement a décidé de
réduire la durée hebdomadaire du travail à 35 heures,
alors même que le volume annuel moyen d'heures travaillées est, en
France, inférieur à la plupart de ses principaux partenaires
commerciaux, à l'exception de l'Allemagne, des Pays-Bas et de la
Suède, comme l'illustre le tableau ci-dessous.
VOLUME ANNUEL MOYEN D'HEURES TRAVAILLÉES
PAR
PERSONNE AYANT UN EMPLOI
1975 |
1995 |
|
Allemagne |
1 801 |
1 559 |
Canada |
1 839 |
1 737 |
Etats-Unis |
1 890 |
1 952 |
France |
1 865 |
1 631 |
Italie |
1 841 |
1 710 |
Japon |
2 112 |
1 900 |
Pays-Bas |
1 628 |
1 397 |
Royaume-Uni |
1 886 |
1 735 |
Suède |
1 516 |
1 544 |
Source : Eurostat - OCDE
La réduction du temps de travail est probablement inscrite en filigrane
dans l'évolution de nos économies modernes, mais les mesures en
ce sens ont toujours été appliquées dans les
périodes de prospérité qui permettaient de distribuer la
richesse produite, soit par augmentation du pouvoir d'achat, soit par
amélioration des conditions de travail, soit par les deux concomitamment.
C'est pourquoi, dans la période économique actuelle, on ne peut
que se montrer très réservé sur l'idée de
réduire le temps de travail avec le corollaire qu'une telle mesure
réduirait le chômage, alors que dans une période de faible
croissance, on obtient au mieux un partage du chômage.
Certes, le Gouvernement, conscient des difficultés que rencontreraient
les très petites entreprises si on leur imposait l'application de la
durée de travail hebdomadaire à 35 heures en l'an 2000,
propose que celles-ci disposent d'un délai supplémentaire.
Mais, ne rêvons pas ! Que feront les salariés d'une
entreprise de moins de 20 salariés lorsque leurs collègues
d'une entreprise de plus de 20 salariés
bénéficieront déjà de la réduction à
35 heures ?
Prenons l'exemple du bâtiment : compte tenu des difficultés de ce
secteur à trouver et garder une main-d'oeuvre qualifiée, les plus
petites entreprises seront contraintes d'appliquer la mesure en même
temps que les autres.
Plus grave, les mesures financières d'accompagnement -9.000 francs
par salarié pour les entreprises qui réduisent dès 1998
leur temps de travail de 10 % et créent 6 % d'emplois
supplémentaires- excluent de fait les très petites entreprises
puisqu'il faut au moins 16 salariés pour que la création
d'un emploi à temps plein corresponde à ces 6 % !
Des pistes doivent donc être explorées en matière de
compensation. De même, des adaptations doivent être
envisagées avec les partenaires sociaux en termes d'annualisation du
temps de travail et d'heures supplémentaires qui devront s'appliquer
avec plus de souplesse aux petites structures.
B. L'ACCÈS DES PME AUX MARCHÉS PUBLICS
Votre commission est très préoccupée
par les difficultés que rencontrent les PME pour accéder aux
marchés publics.
Dans l'excellent rapport
2(
*
)
qu'il a présenté au nom de votre Commission des Affaires
économiques en juin dernier, intitulé
" Aider les PME :
l'exemple américain "
, M. Francis Grignon s'en est
d'ailleurs fait l'écho.
Ce rapport souligne le soutien dont bénéficient les entreprises
américaines en ce domaine. En effet, la loi américaine impose que
les marchés publics fédéraux inférieurs à
100.000 dollars soient " mis de côté " pour
être réservés aux PME. La Small Business Administration
(SBA) surveille l'application de cette obligation et fixe un objectif annuel
d'environ 20 % d'attribution des marchés aux PME pour chaque
administration. Les PME américaines bénéficient ainsi, en
incluant la sous-traitance, de 62 milliards de dollars de marchés
publics, sur les 200 milliards passés annuellement par l'Etat
fédéral.
La SBA intervient, en outre, pour soutenir les PME candidates aux
marchés publics en leur délivrant un " certificat de
compétence " qui atteste de leur capacité à
soumissionner.
S'agissant de la France, ce rapport souligne que "
la réforme du
code des marchés publics est nécessaire pour permettre un
meilleur accès des PME à la commande publique. On peut envisager
d'instaurer une " préférence PME ", sur le
modèle américain, qui devrait être toutefois compatible
avec la législation communautaire. Plus généralement, les
administrations doivent être incitées à attribuer davantage
leurs marchés aux petites entreprises par la fixation d'un objectif
annuel et la présentation des résultats obtenus au Parlement dans
un rapport annuel du Gouvernement sur " l'Etat des
PME
".
Il faut ajouter que cette incitation doit également toucher les
collectivités locales qui, le plus souvent favorables aux
négociations avec un interlocuteur unique, écartent les PME.
Dans ces conditions,
les grandes entreprises tirent les prix vers le bas,
compensant la faiblesse de leurs marges par une excessive et souvent
insupportable pression sur les PME sous-traitantes auxquelles elles font
appel
.
Le précédent gouvernement avait mis à l'étude un
avant-projet de loi réformant le code des marchés publics
,
sur la base du rapport de M. Alfred Trassy-Paillogues (de mars 1996).
Ses principaux axes de travail s'orientaient vers la simplification,
l'affirmation de " l'offre la mieux disante " par
l'élimination des " offres anormalement basses " et par
l'incitation à scinder les marchés importants en lots distincts
et techniquement homogènes. Cette dernière mesure permettrait aux
petites et moyennes entreprises de pouvoir soumissionner à des appels
d'offres dans des volumes adaptés à leurs capacités de
production.
Votre commission souhaite que le Gouvernement précise ses ambitions
sur cet important dossier.
C. LE PROBLÈME DU MAINTIEN DES PETITES STATIONS-SERVICE
Le nombre des stations-service est en décroissance
constante depuis 1975 où l'on en comptait 42.500 et
votre commission
s'inquiète de cette évolution très néfaste pour
l'aménagement du territoire
. Aujourd'hui, il n'en subsiste plus que
18.400, parmi lesquelles 11.000 sont à la marque des raffineurs, 3.900
appartiennent à la grande distribution et 3.500 sont libres.
Le maintien de ce réseau de distribution est important en raison du
service de proximité qu'il permet. Il l'est également pour des
raisons de sécurité d'approvisionnement.
Rappelons que le Parlement a adopté, en 1996, des dispositions
législatives concernant la distribution de carburants :
- la loi du 1er juillet 1996 relative à la loyauté
et à l'équilibre des prix et de la concurrence a abrogé
l'interdiction du refus de vente et durcit les sanctions applicables à
la revente à perte. Toutefois, elle n'a pas prohibé les offres ou
pratiques de prix abusivement bas appliquées aux carburants ;
- la loi du 5 juillet 1996 relative au développement et
à la promotion du commerce et de l'artisanat a renforcé ce
dispositif et soumis à autorisation la création ou l'extension de
toute installation de distribution au détail de carburant
annexées à un magasin de moyenne ou grande surface ;
- enfin, la loi de finances pour 1997 a élargi l'assiette de la
taxe d'aide au commerce et à l'artisanat. Ce complément de
ressources, estimé à 60 millions de francs par an, devrait
permettre de financer de nouvelles aides pour le maintien d'un réseau
suffisant de stations-service sur l'ensemble du territoire, notamment dans les
régions rurales.
Il semble cependant que le Fonds destiné à recueillir ces
sommes n'ait toujours pas été doté. C'est pourquoi, votre
commission souhaite que le ministre en précise les raisons et expose la
politique que le Gouvernement entend mener en faveur des petites
stations-service.
D. LE PROBLÈMES DE LA SUPPRESSION PROGRAMMÉE DU COMMERCE HORS TAXES INTRACOMMUNAUTAIRE
Par dérogation à la règle selon laquelle
-dans le cadre du grand marché intérieur- les particuliers
effectuent leurs achats toutes taxes comprises, les Etats-membres de l'Union
européenne ont été autorisés à maintenir
jusqu'au 30 juin 1999
des comptoirs de vente hors taxes
dans les relations intracommunautaires.
Les ventes ne peuvent dépasser, par voyage et par personne, les limites
quantitatives (pour les alcools, tabacs et parfums) et en valeur
(90 écus, soit 600 francs français, pour les autres
biens) prévues par la réglementation communautaire.
Elles représentaient, en 1996, un chiffre d'affaires de près de
2,7 milliards de francs.
Sur le plan économique,
les marchandises originaires de pays membres
de l'Union européenne représentent 80 % du total des ventes
des comptoirs de vente hors taxes
.
Selon les statistiques douanières, ces marchandises originaires des pays
de l'Union européenne ont été en 1996 composées des
principaux produits suivants :
- parfums : 612,8 millions de francs
- tabacs : 552,7 millions de francs
- alcools : 516,25 millions de francs
Il est, certes, difficile d'apprécier de façon précise les
retombées économiques directes et indirectes susceptibles
d'être provoquées par la suppression du commerce hors taxes
à partir du 1er juillet 1999.
Cependant, d'après l'Association française du commerce hors taxes
(AFCOHT),
les retombées commerciales négatives d'une
suppression du commerce hors taxes seraient importantes pour un certain nombre
de produits français, notamment de produits de luxe à fortes
marges
.
Il est très vraisemblable que les magasins de commerce hors taxes
verraient, quant à eux, leur chiffre d'affaires baisser, au moins dans
un premier temps.
Soulignons que la part la plus importante des recettes du commerce hors taxes
est réalisée par les aéroports parisiens et par le trafic
transmanche.
En ce qui concerne
Aéroports de Paris
, la disparition du commerce
hors-taxes intra communautaire et des redevances qu'il perçoit à
ce titre serait de l'ordre de 200 millions de francs, correspondant, en
1996, à 50 % de son bénéfice net. En outre, cette
disposition pourrait affecter l'équilibre des commerçants
exploitant les boutiques dans les aéroports.
Pour ce qui concerne le trafic transmanche, les retombées les plus
significatives affecteraient les
compagnies de car-ferries,
mais aussi
la ville de Calais. Le trafic des car-ferries, pour lequel le prix du billet a
baissé considérablement et atteint parfois un prix tout à
fait symbolique dans la mesure où l'essentiel du prix du voyage est
couvert par les recettes du commerce hors taxes, serait donc
nécessairement touché. L'économie de Calais et de sa
périphérie, où le taux de chômage atteint 20 %,
serait également très concernée. Il s'agit d'un
problème d'économie locale (voire régionale) pour laquelle
la suppression de l'autorisation du commerce hors taxes pourrait donc avoir des
incidences sérieuses.
Au plan macroéconomique, les 2,7 milliards de francs
réalisés en France dans le commerce hors-taxes en 1996 concernent
un petit nombre d'entreprises et d'activités qui pourraient être
gravement perturbées par sa disparition.
Votre commission souhaite attirer l'attention du ministre sur ce point.