B. DÉFENDRE LA POLITIQUE FRANÇAISE DU CINÉMA DANS LES NÉGOCIATIONS COMMUNAUTAIRES ET INTERNATIONALES
1. L'accord multilatéral sur les investissements : un risque pour le dispositif français de soutien à l'industrie cinématographique
L'insertion d'une clause d'exception culturelle dans les
accords du GATT avait permis de préserver la spécificité
de la politique culturelle française. L'accord multilatéral sur
les investissements en négociation depuis plus de deux ans à
l'OCDE met à nouveau en jeu le système de protection du secteur
culturel français, et en particulier le dispositif de soutien financier
à l'industrie cinématographique.
L'objectif de cette négociation est, en effet, de favoriser les
mouvements de capitaux et les investissements directs en assurant dans ce
domaine le respect des principes de la clause de la nation la plus
favorisée, du traitement national et de la non-discrimination par une
procédure de règlement des différends contraignante. Les
Etats parties au traité s'engageraient à supprimer toutes les
mesures de restriction à l'investissement. Ils conserveraient toutefois
à certaines conditions, la possibilité de déroger à
l'accord.
Cet accord devait être finalisé lors de la réunion
ministérielle du mois de mai 1997. Compte tenu du retard pris et des
importants problèmes non résolus, sa conclusion a
été reportée au mois de mai 1998.
Les désaccords entre les parties à la négociation portent
notamment sur le traitement qui doit être réservé à
la culture. Les Etats membres de l'Union européenne, qui
négocient chacun en leur nom, sont eux-mêmes divisés.
Compte tenu de la spécificité de ce secteur, certains Etats dont
évidemment la France jugeaient indispensable d'obtenir l'insertion d'une
clause d'exception générale en faveur des secteurs de
l'audiovisuel, du cinéma et la culture. D'autres estiment que le
dépôt d'une réserve spécifique pour les pays qui le
souhaitent serait suffisant.
La France a fait valoir qu'une demande de réserve spécifique
créerait des distorsions entre les différents Etats membres de
l'Union européenne. Dans ce cas, le secteur concerné n'est, en
effet, protégé que dans les Etats membres qui ont
déposé une réserve spécifique. En outre, le
dépôt d'une réserve spécifique est soumis à
la règle dites du
statu quo
qui suppose que les Etats ayant
déposé une réserve spécifique, après
recensement des aides et dispositifs concernés par l'accord, s'engagent
pendant une période donnée à ne plus les modifier.
L'enjeu de la négociation est pour la France d'une réelle
importance. Sur plusieurs points, la politique culturelle française est
en contradiction avec les objectifs de la négociation. D'une part, il
existe des restrictions directes à l'investissement dans les domaines de
la presse, de la radio et de la télévision. D'autre part, un
mécanisme, tel le compte de soutien qui, financé pour partie sur
une taxe prélevée sur l'ensemble des tickets de cinéma, ne
bénéficie qu'aux films d'initiative française, constitue
une restriction indirecte incompatible avec la clause du traitement national.
A défaut d'obtenir une clause d'exception générale, c'est
donc l'ensemble de notre dispositif de soutien au cinéma qui pourrait
être mis en cause.
Votre rapporteur souhaite donc que les efforts du Gouvernement pour obtenir
l'insertion d'une clause d'exception générale en faveur des
secteurs de l'audiovisuel et du cinéma soient soutenus comme ils l'ont
été lors des négociations du GATT.
2. La nouvelle directive " Télévision sans frontières "
La directive 97/36/CE modifiant la directive 89/552/CEE dite
" Télévision sans frontières " a
été adoptée le 30 juin 1997. La seule modification de
la directive TSF qui concerne directement le secteur cinématographique
est celle relative à la chronologie des médias.
L'article 7 de la directive du 3 octobre 1989 prévoyait que les
oeuvres cinématographiques ne pouvaient faire l'objet d'une diffusion
sur le petit écran pendant un délai de deux ans à compter
de la date de la première sortie du film en salle dans un pays membre de
l'Union européenne. Ce délai était ramené à
un an lorsque le film était coproduit par le diffuseur. En outre, des
délais plus brefs pouvaient être négociés par voie
d'accords contractuels entre les détenteurs de droits et les diffuseurs.
L'article premier de la directive supprime l'ancien dispositif et instaure un
régime d'accords contractuels entre les ayants-droit. L'article 7
dans sa nouvelle rédaction prévoit que " les Etats membres
veillent à ce que les radiodiffuseurs qui relèvent de leur
compétence ne diffusent pas d'oeuvres cinématographiques
au-delà des délais convenus entre les ayants-droit ". Ainsi,
la date de la première projection de l'oeuvre dans une salle de l'Union
européenne comme point de départ de la chronologie est
abandonnée au profit d'un régime contractuel plus adapté
à l'économie de ce secteur. En outre, le considérant
n° 32 souligne que " la question des délais
spécifiques à chaque type d'exploitation
télévisée des oeuvres cinématographiques doit, en
premier lieu, faire l'objet d'accords entre les parties
intéressées ou les milieux professionnels
concernés ".
Aussi le rôle des Etats est, semble-t-il, recentré sur le
" contrôle " du respect par les radiodiffuseurs qui
relèvent de leur compétence, des délais convenus avec les
ayants-droits. Il pourrait toutefois également appartenir aux Etats de
veiller à la conclusion d'accords entre les parties, d'étendre
éventuellement ces accords à l'ensemble de la profession et le
cas échéant de prévoir des règles applicables en
l'absence d'accord.
La directive 97/36/CE n'a, en revanche, pas modifié
l'article 4 de la directive TSF relatif aux quotas de diffusion des
oeuvres cinématographiques qui prévoit que les Etats membres
veillent " chaque fois que cela est réalisable et par des moyens
appropriés " à ce que les chaînes de
télévision réservent aux oeuvres européennes une
proportion majoritaire de leur temps de diffusion.
La France avait souhaité un renforcement de l'application des quotas par
la suppression de l'expression " chaque fois que cela est
réalisable " et par une définition plus stricte des oeuvres
audiovisuelles excluant en particulier les émissions de plateau. Peu
d'Etats membres se sont ralliés à cette position, et nombre
d'Etats dont l'Allemagne et le Royaume-Uni en tête ont même
souhaité supprimer toute référence aux quotas, ou ne les
maintenir que de façon temporaire. Le maintien de la clause indiquant
que les Etats membres veilleront à l'application des quotas
" chaque fois que cela est réalisable ", est donc apparu un
compromis acceptable. Il a, en outre, été convenu qu'un
" comité de contact " présidé par la commission
et composé de représentants des Etats membres sera chargé
de veiller à la bonne application de la directive. Ce comité de
suivi devra notamment définir plus précisément ce qu'il
faut entendre par " chaque fois que cela est réalisable ".
Le maintien d'un régime de quotas européens peu contraignant
n'empêche cependant pas les Etats membres de prendre comme l'indique
l'article 3 de la directive TSF de 1989 " des mesures plus
strictes
ou plus détaillées ".
De fait, la législation française sur les quotas de diffusion des
oeuvres cinématographiques est à la fois plus contraignante et
plus détaillée. En effet, les articles 27 et 70 de la loi du
30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et
leurs décrets d'application prévoient que les services de
télévision diffusés en clair par voie hertzienne
terrestre, les services cryptés diffusés par voie hertzienne
terrestre, les services de télévision distribués par
câble, doivent, dans le nombre total annuel d'oeuvres
cinématographiques de longue durée qu'ils sont autorisés
à diffuser, en réserver 60 % au moins à la diffusion
d'oeuvres européennes, dont 40 % au moins à la diffusion
d'oeuvres d'expression originale française. Ces obligations doivent
également être respectées aux heures de grande
écoute, qui sont fixées en tenant compte de la
spécificité des différentes catégories de services
de télévision. Comme le constate le Conseil Supérieur de
l'Audiovisuel dans son rapport annuel, les chaînes de
télévision respectent bien ces dispositions.
La situation risque toutefois de changer avec la multiplication des
chaînes de télévision étrangères du
câble et du satellite et la pleine application du droit européen.
L'introduction en France de la technologie de diffusion numérique a
entraîné une explosion de l'offre de chaînes. Aux
6 canaux hertziens et à la vingtaine de chaînes
câblées qui existaient au début de l'année 1996 se
sont, en effet, ajoutées en l'espace d'un an plus de
60 chaînes nouvelles grâce au lancement de 3 bouquets
numériques.
Or, jusqu'à cet été le CSA maintenait un dispositif de
conventionnement des chaînes étrangères. Cette
procédure permettait au CSA de n'autoriser que les chaînes de
télévision qui s'engageaient à respecter un certain nombre
de règles propres au droit français en particulier les quotas de
diffusion des oeuvres cinématographiques. Le CSA a décidé
depuis de cesser le conventionnement des chaînes
étrangères, suite à la condamnation de la Belgique par la
Cour européenne de justice pour avoir maintenu le principe d'un
conventionnement des chaînes européennes non belges.
L'article 2 de la directive TSF prévoit, en effet, qu'un Etat
membre ne peut s'opposer à la retransmission sur son territoire des
émissions d'une chaîne de télévision relevant de la
compétence d'un autre Etat membre et autorisée par celui-ci que
dans des cas limités et définis par la directive. C'est en
particulier au seul Etat membre d'origine qu'incombe, notamment par la voie
d'un conventionnement, le contrôle de l'application du droit national aux
émissions de télévision ainsi que celui du respect des
dispositions de la directive et ce n'est que très exceptionnellement.
Ainsi les quotas français ne s'appliqueront plus qu'aux
opérateurs implantés en France, l'ensemble des opérateurs
des Etats membres devant toutefois respecter la législation
européenne. Cette situation suscite des inquiétudes. La
différence de traitement entre les chaînes implantées en
France et celles qui diffusent à partir d'autres Etats membres de la
Communauté pourrait éventuellement inciter certaines
chaînes à se délocaliser. Elle donne, en outre, un argument
supplémentaire à certains opérateurs français qui
réclamaient déjà un assouplissement de la
législation française en matière de diffusion des oeuvres
cinématographiques.
C'est pourquoi il convient de suivre cette question avec vigilance, en
particulier de veiller à ce que la législation européenne
soit effectivement appliquée dans les autres pays membres. Les quotas de
diffusion constituent, en effet, un enjeu culturel et économique
important. Ils participent à la formation du goût des
téléspectateurs pour les films français ou
européens. Ils constituent un moyen efficace d'offrir des
débouchés importants aux industries du cinéma
européen.