3. La défense et la promotion de la langue française dans les institutions communautaires et les organisations internationales
Le français dans les organisations
multilatérales est la deuxième langue de communication
internationale après l'anglais. Les statuts juridiques des organisations
internationales assurent son emploi comme langue officielle. Notre langue
bénéficie, en outre, la plupart du temps, soit par les textes,
soit par tradition, du rang privilégié de langue de travail,
accordé à un nombre de langues plus restreint.
Or, la place du français comme la règle du plurilinguisme semble
être remise en cause par l'usage croissant de l'anglais dans les
organisations internationales comme dans les institutions communautaires. Dans
ce contexte, la promotion du plurilinguisme et la défense de la langue
française comme langue de communication internationale constituent,
comme le souligne le rapport annuel de la délégation
générale à la langue française, des enjeux
importants.
En effet, seule l'existence de plusieurs langues officielles et de travail
assure une liberté et une égalité de parole entre les
différentes délégations. C'est au nom de ce principe,
proclamé à de nombreuses reprises à l'ONU comme dans les
institutions de l'Union européenne, que la plupart des organisations ont
un régime statutaire plurilingue.
L'usage d'une seule langue
privilégie, en effet, certaines nations au détriment des autres
et favorise la domination d'un système de pensée, d'action, et de
pouvoir. Parce qu'elle est la deuxième langue de travail utilisée
dans les enceintes internationales, la langue française a de ce point de
vue une responsabilité mondiale à assumer.
Dans les institutions de l'Union européenne, la pluralité des
langues officielles garantit, en outre, l'information des citoyens et leur
égal accès au droit et aux financements communautaires. L'emploi
du français comme langue officielle et de travail est, plus encore
qu'ailleurs, indispensable pour la préservation de nos capacités
de négociation comme de notre vision de l'Europe.
a) La place du français dans les institutions de l'Union européenne
L'utilisation du français comme langue de travail dans
les institutions communautaires revêt une importance stratégique
pour la place de notre langue non seulement dans les Etats membres de l'Union,
et dans les pays candidats à l'adhésion, mais aussi dans
l'ensemble des organisations internationales. C'est pourquoi l'avenir du
français et du plurilinguisme se joue pour une part dans les
institutions européennes.
Notre langue bénéficiait, au début de la construction
européenne, d'une position dominante. Cette situation s'explique par
plusieurs facteurs. A la création de la Communauté,
l'implantation des institutions en terre francophone, le fait que le
français était la seule des quatre langues officielles ayant un
rayonnement international, l'implication très forte de la France comme
pays fondateur, ont contribué à l'emploi du français comme
langue de travail privilégiée, voire exclusive dans certaines
activités. L'anglais s'est ensuite développé après
l'adhésion de pays anglophones et du Danemark.
Contrairement à une opinion répandue et à ce que laissent
penser les pratiques récentes de la Commission dans certains secteurs,
le français comme langue de travail dans les institutions
européennes est une réalité concrète. C'est une
langue de travail et de communication courante au sein de la Commission et du
Conseil. Sa connaissance est indispensable pour tout fonctionnaire
appelé à travailler dans les institutions communautaires ou en
relation avec elle.
L'évolution récente tend cependant à réduire le
rôle du français comme langue de travail.
Ainsi au service des
traductions de la Commission, on note une nette dégradation de la
position du français. Alors qu'en 1986, les documents originellement
rédigés en langue française représentaient
70 % du total des documents, ils ne constituent que 38,5 % en 1996.
L'augmentation corrélative de l'anglais est très nette : les
documents originellement rédigés en langue anglaise passent de
19 % en 1985 à 44,7 % en 1996.
L'anglais tend, en outre, à supplanter le français dans plusieurs
directions générales, notamment : la DG I (relations
extérieures), la DG III (industrie), la DG XII (recherche), la DG XIII
(télécommunications). Il croît au sein des directions
générales chargées de l'environnement, des femmes et du
développement. La DG V (emploi, relations de travail, affaires
sociales), traditionnellement francophone, s'est également
écartée de cet usage.
La domination de l'anglais est particulièrement sensible dans les
relations extérieures de la Communauté.
Ainsi, le rapport de
la délégation générale à la langue
française observe que : "
les relations avec les Etats tiers,
notamment le dialogue structuré avec les pays d'Europe centrale et
orientale (PECO), sont un lieu de monolinguisme anglophone bien que les
représentants de ces pays puissent s'exprimer dans une langue de l'Union
ou leur langue nationale."
Cette situation très défavorable pour l'image du français,
lèse à moyen terme nos intérêts nationaux et
constitue un précédent susceptible de s'étendre à
d'autres zones. Ainsi, en 1995, il était prévu que l'accord
signé entre le Mercosur et l'Union soit rédigé en
anglais : ce n'est qu'après la protestation des Etats membres, et
notamment de la France et de l'Espagne, que le texte fut traduit en espagnol.
Cette situation regrettable a des conséquences non seulement
politiques mais également économiques
. Le poids croissant de
l'anglais comme langue de travail de la Commission conduit à ce que la
grande majorité des appels d'offres d'organismes européens soit
rédigée en langue anglaise et appelle des réponses en
anglais.
Ainsi, l'Institut monétaire européen (IME) a, par exemple, fait
paraître dans la presse française -par exemple dans Le Monde du 22
janvier 1997- des offres d'emploi rédigées uniquement et
entièrement en langue anglaise. Pourtant, le régime de droit
commun, en cette matière, fixé par le règlement 1/58
modifié du 15 avril 1958 et qui prévoit
l'égalité des langues officielles et des langues de travail
utilisées dans le cadre des institutions communautaires, semble bien lui
être applicable en l'absence de clauses linguistiques dans le protocole
fixant les statuts de l'IME. Il serait ainsi possible de multiplier les
exemples.
Cette évolution des institutions européennes exige une
réaction d'autant plus rapide que le prochain élargissement
pourrait produire des effets identiques. Face à cette situation, les
efforts du gouvernement en faveur du français comme langue officielle et
langue de travail s'organisent mais restent, en effet, limités.
A l'initiative du comité interministériel pour les questions de
coopération économique européenne (SGCI) plusieurs types
d'actions ont été mis en place. Conformément à la
circulaire du Premier ministre du 21 mars 1994 relative aux relations
entre les administrations françaises et les institutions
européennes qui confie au ministre et à tous les agents
appelés à travailler en liaison avec les instances de l'Union la
mission de faire respecter l'usage du français, les manquements aux
règles linguistiques signalés font l'objet d'un rappel officiel
aux autorités communautaires compétentes.
Cette vigilance a permis en 1997 d'obtenir certains résultats. Saisi par
une lettre du ministre français des affaires étrangères,
M. Jacques Santer, président de la Commission européenne,
dans une réponse du 25 juillet 1996, a ainsi donné des assurances
sur le respect de l'égalité des langues officielles, notamment
pour les appels d'offres. Il a indiqué que des instructions avaient
été diffusées pour que les contrats-types, les clauses
générales et les spécifications qui ne sont pas
excessivement techniques soient disponibles, à partir du
1er juillet 1996, en anglais, allemand et français, et pour qu'il
soit mis fin à toute exigence expresse de présentation d'un
projet dans une seule langue particulière. En ce domaine, cependant, il
sera sans doute difficile d'exercer un contrôle sur les pratiques
réelles, car les organismes non-anglophones soumissionnant
préfèrent souvent subir la contrainte linguistique plutôt
que de risquer de perdre un marché.
Votre rapporteur se félicite que cette politique de vigilance soit
aujourd'hui plus systématique. Elle est cependant vouée à
l'échec si elle n'est pas accompagnée d'une politique de
promotion et de diffusion de la langue française auprès des
administrations communautaires et des partenaires européens.
Il est notamment souhaitable, qu'au niveau du recrutement des fonctionnaires de
la Commission, une action soit menée pour accroître la proportion
des fonctionnaires francophones. La France a intérêt à ce
que la maîtrise d'une troisième langue officielle soit
exigée des candidats. Une proposition de l'Allemagne et de la France
dans ce sens a été soumise à la Commission. Elle ne peut
qu'être soutenue.
Plus en amont, une politique volontariste de formation doit être
menée. Depuis 1994, des sessions de formation à la langue
française ont été mises en place en France pour les
fonctionnaires européens issus des nouveaux adhérents de l'Union.
Le nombre de bénéficiaires de ces formations est malheureusement
encore trop limité. Il est, en effet, passé de 15 en 1996,
à 46 en 1997. Quant au
centre européen de langue
française créé en 1996 pour les fonctionnaires
européens ainsi que pour l'ensemble des salariés des
organisations et associations présentes à Bruxelles, il n'a
accueilli qu'une cinquantaine d'inscrits en 1997. Cette politique doit donc
être renforcée.
De même, un effort tout particulier devrait être consacré
à la traduction et à l'interprétariat afin de
remédier à la sous-représentation des interprètes
français à Bruxelles et en particulier des interprètes
français qui maîtrisent la langue des nouveaux adhérents.
b) La situation du français au sein des organisations internationales
Le français bénéficie, dans la
totalité des organisations internationales auxquelles la France
participe, du statut de langue officielle et de langue de travail qui devrait
théoriquement le placer à parité avec l'anglais. Dans la
pratique cependant, cette parité est rarement respectée.
En
1997, les signes du recul du français comme langue de communication
internationale sont sensibles.
Une enquête menée en 1997 par
la délégation générale à la langue
française auprès de nos postes diplomatiques montre un
déclin du français dans la plupart des organisations
internationales.
Le rapport de la délégation observe, en effet, que si le
régime linguistique est de façon générale bien
respecté pour les réunions officielles, en revanche, dans les
réunions informelles, l'anglais domine. Il est même souvent
l'unique langue employée.
En outre, dans de nombreuses organisations, qu'elles dépendent ou non
des Nations-Unies, le plurilinguisme n'est plus assuré au niveau de la
rédaction originale des documents, qui sont de plus en plus
établis en anglais. Il s'ensuit que le français n'est plus qu'une
langue de traduction, avec parfois des conséquences graves en termes de
qualité et de délais. Le tableau ci-après retrace la
situation dans plusieurs organisations internationales.
A partir de ces quelques exemples, l'état des lieux établi par la
délégation à la langue française fait
apparaître, deux groupes d'organisations internationales :
- celles, les plus nombreuses, où le monolinguisme est
déjà bien établi : organisations financières
telles que l'IME, la Banque mondiale ou le FMI ; organisations
économiques, scientifiques, techniques, comme le CERN, où les
fonctionnaires français vont jusqu'à parler anglais entre
eux ; l'OCDE et, l'OMS où la situation est très
inquiétante, enfin la plupart des institutions
spécialisées des Nations-Unies;
- celles où le plurilinguisme est encore implanté, soit parce
qu'il s'agit d'organisations régionales (Organisation de l'Unité
africaine ; Organisation des Etats américains), soit en raison des
origines de l'institution (Union postale universelle où le
français est la seule langue officielle et de travail), soit en raison
à la fois d'une tradition et de l'influence du pays siège
(UNESCO, Conseil de l'Europe et surtout Union européenne).
Organisation
|
Langue de rédaction
primaire
|
Secrétariat des Nations-Unies |
- 90% anglais. Viennent
ensuite le
français et
l'espagnol avec un volume sensiblement similaire, puis l'arabe et le russe.
|
CNUCED |
- 100% anglais
- bonnes traductions |
Organisation pour l'alimentation et l'agriculture |
- 70 % anglais
- bonnes traductions |
Organisation de l'Unité africaine |
- 60 % anglais
- qualité inégale des traductions - délais variables |
OCDE |
- 80 % anglais
- retard ou absence des traductions - menaces budgétaires sur les effectifs de traducteurs |
Organisation mondiale de la santé |
- 90 % anglais
- qualité médiocre des traductions - délais importants - réduction des crédits linguistiques (40 % d'effectifs en moins) |
OSCE |
- majorité écrasante
pour l'anglais. Les seuls
documents rédigés en d'autres langues sont les interventions des
délégations ou les propositions de textes émanant de
délégations russophones ou francophones
|
Union internationale des télécommunications |
- 90% anglais
- baisse des effectifs de traduction depuis 20 ans |
UNESCO |
- proportion favorable à l'anglais.
- qualité satisfaisante des traductions malgré la baisse des effectifs |
Union postale universelle | - rédaction majoritairement en français |
Source : délégation générale
à la langue française
Les raisons qui expliquent la prépondérance de l'anglais sur le
français dans les institutions des Nations-Unies comme dans d'autres
organisations internationales sont diverses : réduction des
effectifs des services de traduction et d'interprétation, rôle
majeur de l'anglais comme langue commune dans les instances vouées aux
domaines scientifiques, préférence de nombreux Etats pour cette
langue de travail, aussi bien en Asie qu'en ex-URSS.
L'évolution vers le monolinguisme n'est cependant pas
inéluctable. Elle résulte, en effet, d'un choix politique qui
consiste par exemple à faire peser en premier lieu les restrictions
budgétaires sur les services de traduction et d'interprétation.
Ainsi,
seule une politique volontariste en faveur de la langue
française et du plurilinguisme permettra d'inverser la tendance
.
Cette politique doit s'articuler autour de plusieurs axes :
- le respect du statut juridique des langues et en particulier du
français ;
- la promotion du plurilinguisme dans les organisations internationales ;
- le soutien aux services de traduction et d'interprétation ;
- la formation linguistique des fonctionnaires internationaux ;
- l'affirmation de la présence et de la solidarité des pays
francophones dans les organisations internationales.