2. La mise en oeuvre de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française
La promotion de l'utilisation du français comme langue
de communication internationale est une priorité qui appelle une
politique linguistique, volontaire et explicite. Or, pour cela, en France
même, il est indispensable de se donner les moyens d'assurer la
présence de la langue française dans les domaines où les
lois de l'économie comme les nouveaux moyens de communication risquent
de la faire reculer. Nos partenaires francophones, notamment les
Québécois et les Belges francophones pour lesquels la
défense du français est une exigence quotidienne, ne
comprendraient pas que nous ne fassions pas tout pour défendre et
promouvoir notre langue. De ce point de vue,
la loi du 4 août
1994 est l'instrument le plus efficace dont disposent les pouvoirs publics pour
assurer la présence du français dans certains domaines
essentiels.
Deux ans après l'entrée en vigueur de la
totalité de ses dispositions, la délégation
générale à la langue française constate dans son
rapport annuel que la loi est dans l'ensemble bien comprise et bien
appliquée.
Dans le domaine de l'information du consommateur
, on observe une forte
augmentation des actions de contrôle menées par la direction
générale de la concurrence, de la consommation et de la
répression des fraudes (DGCCRF) pour l'application des dispositions de
l'article 2 qui prévoit l'emploi obligatoire de la langue
française dans " la désignation, l'offre, la
présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de
l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un
service ainsi que dans les factures et quittances ".
La DGCCRF a, en effet, de 1995 à 1996, multiplié par 2,4 le
nombre de ses interventions. Au total, 6.258 entreprises ont
été contrôlées entre le 1er janvier et le
31 décembre 1996, contre 2.576 en 1995. Sur ce total,
1.091 manquements ont été relevés, ils ont
donné lieu à l'établissement de
366 procès-verbaux et 725 lettres de rappel à la
réglementation. Le taux d'infraction de 17 % montre que
l'application de ces dispositions doit continuer à être
surveillée avec vigilance.
Le suivi judiciaire des dossiers transmis au parquet s'est, en outre,
sensiblement amélioré en 1996. Du 1er janvier au
31 décembre 1996, 109 dossiers comportant 142 infractions
relatives à l'emploi de la langue française ont été
clos, 41 dossiers ont été classés par le parquet,
62 jugements ont été rendus en première instance et
cinq par ordonnance pénale, 56 condamnations ont été
prononcées avec au total 54 amendes, dont 9 amendes
délictuelles et 45 contraventionnelles, et une peine de prison avec
sursis. Le pourcentage de dossiers classés a ainsi baissé de
50 % en 1995 à 37,6 % en 1996.
En ce qui concerne le droit des associations agréées à
ester en justice, prévu par l'article 17 de la loi du 4 août 1994,
votre rapporteur qui avait été le rapporteur du Sénat de
cette loi, voudrait, en revanche, faire part de son inquiétude. Le
rapport de la délégation générale à la
langue française indique qu'une décision du tribunal de police de
Paris du 9 juin 1997 a jugé irrecevable la plainte de deux associations
agréées de défense de la langue française, au motif
qu'aucun constat d'infraction n'avait été dressé par l'une
des administrations habilitées à le faire par l'article 18 de la
loi.
Comme l'observe la délégation générale à la
langue française, "
L'interprétation du tribunal de
police de Paris du 9 juin 1997 aboutit donc à un recul des droits que
les associations de défense de la langue française
exerçaient déjà en pratique, et que la loi du 4 août
vise à consacrer officiellement. "
Votre rapporteur partage ce constat et se félicite à cet
égard des termes de la circulaire du ministre de la justice du
20 février 1997 qui rappelle que "
l'habilitation
législative conférée aux associations de défense de
la langue française pour exercer les droits reconnus à la partie
civile leur permet notamment de mettre en mouvement l'action publique par la
voie de la citation directe, et ce même si l'infraction n'a pas
été constatée par procès-verbal conformément
aux dispositions de l'article 18 de la loi
".
Comme le souligne, en effet, la circulaire, la Cour de cassation a jugé
(Cass. Crim. 2 octobre 1985, et 25 février 1986) que les
textes donnant compétence à certains fonctionnaires pour
constater des infractions à des réglementations
spécifiques n'avaient pas pour objet d'exclure le recours à tout
autre mode de preuve de droit commun.
En matière de protection du salarié
, les articles 8
à 10 de la loi du 4 août 1994 prévoient que l'emploi
du français est obligatoire, notamment dans : "
le
règlement intérieur et tout document comportant des obligations
pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est
nécessaire à celui-ci pour l'exécution de son travail
ainsi que les conventions, accords collectifs de travail et conventions
d'entreprise ou d'établissement
".
Comme d'autres dispositions du droit du travail, les obligations linguistiques
s'imposant aux employeurs sont susceptibles d'être
contrôlées par les services du ministère du travail et en
particulier par l'inspection du travail. Il n'existe cependant aucun
contrôle systématique comme ceux qu'organise la DGCCRF pour la
protection des consommateurs. La seule donnée disponible est l'absence
de contentieux sur la base des articles 8 à 10 de la loi. On ne saurait
cependant en conclure à la bonne application de la loi.
Dans le domaine de l'audiovisuel
, c'est au Conseil supérieur de
l'audiovisuel que revient la mission de veiller à l'application de la
loi du 4 août 1994. Le CSA n'a constaté en 1996 aucune
infraction à la loi que ce soit dans les messages publicitaires ou dans
les programmes diffusés par les différentes
sociétés.
Le CSA a, en outre, été chargé en 1996 de mettre en
application la loi du 1er février 1994, modifiant la loi du
30 septembre 1986 relative à la liberté de communication qui
impose aux radios privées de diffuser à partir du
1er janvier 1996, aux heures d'écoute significatives, un minimum de
40 % de chansons d'expression française, la moitié au moins
provenant de nouveaux talents ou de nouvelles productions. Le premier bilan de
l'application de ce dispositif apparaît satisfaisant.
Les radios dans leur grande majorité ont respecté leurs
obligations. Les rappels à l'ordre, mises en garde et sanctions du CSA
ont été exceptionnels. Toutefois, du 1er juin 1996 au
30 juin 1997, le Conseil a été conduit à adresser
à plusieurs stations en situation irrégulière soit un
simple rappel à l'ordre, soit une mise en demeure. Dans un cas, compte
tenu de la répétition des manquements et de l'importance des
écarts observés avec les exigences de la loi, le Conseil a
décidé d'engager une procédure de sanction. Ce dispositif
vient ainsi compléter la réglementation relative aux quotas de
diffusion des oeuvres francophones et européennes à la
télévision.
L'application des dispositions de la loi du 4 août 1996 relatives
à la place du français dans les manifestations, colloques ou
congrès organisés en France, a suscité comme
l'année dernière plus de difficultés
.
L'article 6 de la loi impose aux organisateurs français de
manifestations, colloques ou congrès trois obligations : tout
participant doit pouvoir s'exprimer en français, les documents de
présentation du programme doivent exister en version française ;
les documents distribués aux participants ou publiés après
la réunion (documents préparatoires, textes ou interventions
figurant dans les actes, compte-rendus de travaux publiés) doivent
comporter au moins un résumé en français.
En outre, lorsque ce sont des personnes publiques qui ont pris l'initiative de
ces manifestations, un dispositif de traduction doit être mis en place.
Cette disposition correspond à la volonté d'offrir à tous
les participants d'une manifestation organisée en France par une
personne publique la possibilité de s'exprimer dans la langue de leur
choix tout en étant pleinement compris par l'assistance.
La mise en oeuvre de la loi est particulièrement difficile dans les
secteurs des sciences exactes et des sciences de la vie, notamment lors des
rencontres de chercheurs d'une même discipline venus présenter
leurs travaux récents. La participation de personnalités de
premier plan implique bien souvent des communications en anglais. Or, au
coût de l'interprétariat et des traductions écrites
s'ajoute la rareté des interprètes et traducteurs
possédant bien la matière traitée.
Dans d'autres secteurs, l'usage de l'anglais ou l'absence de traduction
bilingue apparaissent beaucoup moins justifiables. Il est, par exemple,
regrettable que l'Ecole nationale d'administration (ENA) ait prévu
d'organiser avec l'université Indiana une conférence au
Sénat dont le programme précisait que la langue unique
était l'anglais. L'intervention de votre rapporteur auprès du
président du Sénat a permis qu'une traduction simultanée
de la totalité des interventions soit réalisée. Il est
cependant dommage que l'école de la haute administration
française ne donne pas l'exemple.
Il faut, en revanche, se féliciter que la délégation
à la langue française, en concertation avec les ministères
chargés de la recherche et des affaires étrangères, ait
mis en place en 1996 un soutien à la traduction simultanée dans
les colloques se déroulant en France.
Le choix des colloques subventionnés est fait, après examen par
un expert du secteur considéré, sur avis d'une commission
présidée par le délégué
général à la langue française. L'aide porte sur une
partie du coût de la traduction simultanée, sans jamais
dépasser 50 % de celui-ci, et est plafonnée à
50.000 francs. En 1996, 16 colloques ont ainsi été
subventionnés pour un montant total de 500.000 francs.