B. LE PROJET DE HOLDING TÉLÉFI
Désigné par un communiqué gouvernemental du 3 décembre 1996 pour présider le futur pôle télévisuel extérieur de la France, M. Jean-Paul Cluzel, président-directeur général de RFI, a reçu du ministre des Affaires étrangères une lettre de mission, en date du 23 décembre 1996. Il lui était demandé de lui remettre des propositions dans un délai de quatre mois pour constituer une société holding Téléfi. Parallèlement, sans attendre la remise du rapport qui a fait l'objet en mai 1997 d'une présentation au comité stratégique de l'audiovisuel extérieur (structure encore supplémentaire...) présidé par M. Francis Balle, ont été accomplies la plupart des formalités nécessaires à la constitution de la société. Les projets de statuts ont été rédigés et approuvés par tous les actionnaires pressentis, les capitaux déposés à la Caisse des dépôts et consignations et les administrateurs désignés, y compris ceux de l'État (décret du 27 mai 1997)...
1. Le dispositif initialement prévu
Le projet tel qu'il fut élaboré par M. Jean-Paul
Cluzel se présentait sous la forme d'une société anonyme
ayant pour objet de :
1. promouvoir la diffusion par tous moyens techniques, à
l'étranger, des oeuvres et documents audiovisuels français et
francophones, ou d'assurer elle-même leur production ou leur diffusion,
notamment par l'intermédiaire de ses filiales ;
2. prendre et gérer des participations de l'État français
ou de personnes morales publiques françaises dans toutes entreprises
dont l'activité principale est la diffusion d'oeuvres
télévisuelles à l'étranger, dans le respect des
engagements internationaux de la France ;
3. participer à la détermination des choix stratégiques
des opérateurs publics télévisuels français dans le
cadre de leurs activités hors de France, dans le respect des engagements
internationaux de la France ;
4. développer, en tant que de besoin, des actions de coordination de
leurs activités de programmation et de diffusion hors du territoire
français, le cas échéant avec des partenaires
privés ;
5. développer des actions de coopération en matière de
fourniture de programmes avec les télévisions
étrangères notamment dans les pays du champ de la
coopération française.
Dans ce même projet, le capital, d'un montant de
5 300 000 francs divisés en 10 600 actions
nominatives de 500 francs chacune, était réparti de la
façon suivante :
1. Société Nationale de Télévision
France 2 : 18,50 % (980 500 francs),
2. Société Nationale de Télévision
France 3 : 18,50 % (980 500 francs),
3. La SEPT-ARTE : 4 % (212 000 francs),
4. La Cinquième : 4 % (212 000 francs),
5. Radio France Outre-mer : 4 % (212 000 francs),
6. État français : 50,98 %
(2 702 000 francs),
7. France Télévision numérique : 0,01 %
(500 francs),
8. une action détenue par son Président.
La société était administrée par un conseil
d'administration de onze membres, augmenté des représentants du
personnel, composé comme suit :
- six administrateurs nommés par l'assemblée
générale des actionnaires dont trois sur proposition conjointe de
France 2 et France 3, un sur proposition conjointe de La SEPT/ARTE et
de La Cinquième, et un sur proposition de RFO.
- des représentants du personnel de la société élus
conformément aux dispositions de la loi n° 83-675 du
26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur
public et dont le nombre est fixé par décret en Conseil
d'État.
Le Gouvernement de M. Lionel Jospin a souhaité se donner un délai
de réflexion avant la constitution de Téléfi. Aussi a-t-il
demandé par une lettre de mission en date du 26 juin 1997, à
M. Patrick Imhaus, de faire part le plus rapidement possible de ses
observations sur la faisabilité et les mérites des
différentes options présentées par M. Jean-Paul Cluzel,
ainsi que de ses propres propositions sur les moyens d'affirmer le rôle
de TV5.
Parallèlement, le ministère des Affaires étrangères
a demandé à M. Imhaus, d'étudier les justifications
financières de " l'adossement " à France
Télévision notamment en matière de programmes et
d'informations. Il a été indiqué à votre rapporteur
que les conclusions de M. Imhaus, aussitôt connues, seront
" communiquées au Parlement. En tout état de cause, la
nécessité de rapprocher France Télévision et les
opérateurs de l'Action audiovisuelle extérieure devrait
être prise en compte ".
2. Le débat
Les discussions auxquelles ont donné lieu les projets
de M. Jean-Paul Cluzel ont eu tendance à se focaliser sur un
aspect du rapport qui lui avait été commandé :
" la faisabilité d'une chaîne vitrine de la France ".
Cette question, traitée par M. Michel Meyer, journaliste, a
suscité une controverse qui a occulté le débat de fond :
les rapports de la nouvelle structure avec France Télévision.
Un large accord paraît exister pour faire reposer le nouveau dispositif
sur TV5 - en dépit des handicaps qui résultent de la
présence de partenaires francophones, mais n'est-ce pas la règle
du jeu ? - moyennant un effort d'amélioration des programmes
et de présentation de l'information.
C'est à ces deux niveaux, programmes et information, que se situe le
problème des rapports de Téléfi avec les autres
opérateurs publics.
·
La question de l'information et la faisabilité d'une
" chaîne vitrine de la France "
Au départ, on a pu penser que l'objectif essentiel du Gouvernement de M.
Alain Juppé était la mise en place d'une chaîne
d'information internationale : " Je pense à une BBC World
à la française, pouvait ainsi indiquer le ministre de la Culture
et de la Communication, dans les colonnes du journal Le Monde du
31 octobre 1996, adossée à des services publics,
plutôt qu'à une télévision de type CNN. Il est
important que l'image et la voix de (notre) pays puissent exister
ailleurs ". Dans cette optique, la chaîne aurait
présenté un journal international mais aussi des programmes et
des magazines en provenance des différentes chaînes publiques ou
privées.
Sceptique sur le principe d'une telle chaîne, votre rapporteur
l'était également sur ses modalités, comme il l'a
indiqué dans le rapport de décembre 1996.
Si M. Michel Meyer a bien envisagé, dans le rapport
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*
)
qu'il a remis en juillet 1996, de
bâtir la chaîne autour de LCI, " qu'il suffirait
d'internationaliser " pour qu'elle devienne le " coeur de
la future
chaîne tout info ", le texte du rapport de M. Jean-Paul Cluzel,
tenant compte des critiques faites de toutes parts, est beaucoup plus
prudent :
" LCI représente un potentiel important pour un renforcement de
la présence audiovisuelle extérieure de la France. Mais, dans
l'esprit du signataire du présent rapport, il s'agirait plutôt
d'assurer la présence de LCI, dans sa version " hexagonale "
actuelle, au sein de l'offre française, partout où la demande
d'une chaîne " tout info " privilégiant
l'actualité de notre pays le justifierait ",
notamment pour
répondre aux attentes des Français qui voyagent à
l'étranger.
En fait, considérant qu'il était difficile de demander à
des rédactions habituées à travailler pour des audiences
nationales, de faire des journaux adaptés à un auditoire
étranger, M. Jean-Paul Cluzel a préconisé la mise en place
d'un dispositif propre à Téléfi, indépendant de
France Télévision, appelé " socle " dans son
rapport. Celui-ci aurait été alimenté par les images de
France Télévision, de l'UER, d'Euronews, ainsi que par celles des
agences spécialisées, tandis que ses services de rédaction
s'appuieraient sur ceux de France Télévision et de RFI.
Cependant, Téléfi aurait privilégié les
réseaux de correspondants de RFI et de l'AFP, nettement plus
étoffés que ceux de France Télévision. Enfin,
Téléfi et France Télévision auraient pu s'associer
pour couvrir avec des images propres certains grands événements
car il est important de ne pas dépendre uniquement de sources
anglo-saxonnes " dans des situations que ces dernières
négligent ou traitent avec un parti pris marqué. Le coût de
ce " socle " serait d'environ 50 millions de francs,
mais en
tenant compte des redéploiements, le solde à financer serait plus
faible, de l'ordre de 10 à 20 millions de francs.
Sans entrer dans le fond du débat, votre rapporteur tient à
souligner l'intérêt qu'il y aurait à développer les
synergies avec l'AFP dont les missions et les moyens doivent, par ailleurs,
être de toute façon redéfinis.
·
L'amélioration des programmes et " l'adossement "
à France Télévision
L'élévation de la qualité des programmes passe par une
augmentation de la part des films et des téléfilms
- programmes de stock - par rapport à celle des jeux et
divertissements - programme de flux - Cette inflexion devrait
être facilitée par la régionalisation des programmes dans
la mesure où les droits par zone de diffusion sont, sans doute, plus
faciles à acquérir.
Bien que " l'adossement " de Téléfi sur France
Télévision aurait, selon votre rapporteur, permis d'insuffler le
vent du large dans des programmes ou des émissions d'information trop
franco-françaises, cette solution ne suffit pas à garantir
l'adaptation à la demande internationale des programmes fournis par
France Télévision.
Celle-ci tend à proposer à TV5 ou à CFI les programmes
pour lesquels elle dispose à moindre coût des droits de diffusion
à l'étranger, c'est-à-dire de programmes de flux. C'est la
raison pour laquelle ce type de programme est
" surreprésenté " dans la programmation internationale
française au détriment des programmes de stock naturellement plus
coûteux.
Il faut admettre que beaucoup de programmes produits par La Cinquième et
la SEPT-ARTE ou par Euronews sont mieux adaptés à des publics
étrangers que ceux de France Télévision plus
franco-français.
Telle est l'argumentation qui a conduit M. Jean-Paul Cluzel à plaider
pour une indépendance de programmation de l'audiovisuel extérieur
par rapport à France Télévision et corrélativement
pour une participation minoritaire de cette dernière au capital de
Téléfi.
Mais, l'indépendance a un coût. Une telle politique supposait que
soient dégagés des moyens financiers tant pour la constitution
d'équipes rédactionnelles spécifiques que pour le paiement
des droits que n'aurait pas manqué d'entraîner la programmation
d'un nombre accru de fictions.
Comme il l'avait indiqué en décembre 1996, votre rapporteur
considère que, compte tenu de la situation de nos finances publiques, ce
coût ne devrait pas être supporté par le budget de
l'État, ni financé par la redevance. Des solutions devraient
pouvoir être trouvées, par exemple, par la technique du
" bartering "
45(
*
)
permettant de trouver sur le marché le financement de ce surcoût.
·
Susciter une " offre plurielle "
S'il est un point dans le rapport de M. Jean-Paul Cluzel de nature à
susciter un consensus, c'est bien celui de la nécessité d'une
" offre plurielle ".
L'analyse faite dans son rapport des publics de l'Action audiovisuelle
extérieure ne prête guère à contestation :
- les Français qui séjournent à l'étranger pour
leurs affaires et les quelque deux millions d'expatriés sont une cible
prioritaire ;
- les pays francophones constituent un deuxième ensemble qui devrait
bénéficier, dans une perspective volontariste - d'un statut
privilégié ;
- la population des francophiles, enfin, doit bénéficier d'un
traitement adapté considérant leur intérêt pour
notre culture et leur degré très inégal de maîtrise
du français.
A ces différents publics doit correspondre une offre diversifiée,
que la révolution numérique permet de mettre en place. Autour de
TV5, peut aussi être proposée toute une série de
chaînes qui ont une vocation internationale évidente comme La
Cinquième-ARTE, Paris Première, Euronews, LCI, sans oublier
certaines chaînes thématiques.
Le champ est ouvert à l'expression audiovisuelle française et
francophone dans le monde entier ; encore faut-il en avoir conscience ; mais
aussi savoir qu'un pays de 57 millions d'habitants dont les finances publiques
sont dans un état inquiétant a, plus que d'autres plus
peuplés, plus riches et -surtout- mieux gérés, des devoirs
de lucidité dans l'analyse, de sérieux dans les choix et de
persévérance dans l'action.