C. PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES
En dépit de ses nombreux emprunts au
précédent projet, le présent projet de loi s'appuie sur
des principes contestables, et comporte des dispositions auxquelles il
paraît difficile de souscrire. Certains de ces inconvénients ont
été aggravés au cours de l'examen de ce texte par
l'Assemblée nationale, même si celle-ci a, par ailleurs,
apporté d'incontestables améliorations.
Dans ce contexte, il a semblé néanmoins préférable
à votre commission d'adopter une
démarche constructive
, et
d'essayer de contribuer à l'élaboration d'une loi dont le contenu
soit acceptable, plutôt que de rejeter en bloc un texte à la
portée décisive tant pour notre défense que pour notre
jeunesse.
Dans cet esprit, les propositions de votre commission des Affaires
étrangères, de la Défense et des Forces armées, en
cohérence
avec les positions défendues depuis 18 mois par
le Sénat, en particulier lors de l'examen du précédent
projet de loi, ont pour objet de :
- préciser, dans une logique
pragmatique
, le contenu et la
portée du nouveau service national,
- rappeler, en proscrivant toute nostalgie à l'égard du service
national obligatoire, la
priorité
dont doit faire l'objet la
professionnalisation
, parallèlement à la réforme du
service national ;
- garantir la
spécificité du futur volontariat dans les
armées
, par rapport aux emplois-jeunes et aux engagés ;
-
encadrer la mise en oeuvre
du service national rénové,
en s'appuyant sur les avis d'instances spécialisées : Haut
conseil du service national et Conseil supérieur des Français de
l'étranger.
1. Préciser de manière pragmatique le contenu et la portée de l'"appel de préparation à la défense"
Votre commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées suggère, pour l'" appel de préparation à la défense ", une nouvelle dénomination plus conforme à ce qu'il est possible d'attendre de cette nouvelle obligation, et propose de rééquilibrer la portée de celle-ci par rapport à la signification du recensement.
a) La Rencontre armées-jeunesse : une nouvelle dénomination mieux adaptée à la réalité
Le gouvernement ayant fait le choix d'une obligation à
la durée substantiellement réduite par rapport à celle du
" rendez-vous citoyen ", soit une journée au lieu de cinq,
le
terme de " préparation à la défense " semble
inadéquat : comment peut-on sérieusement envisager dispenser
quelque préparation à la défense que ce soit en une
journée, réduite
de facto
à quelques heures
d'exposés sur les principes et l'organisation de notre
défense ? Le présent projet de loi renforce d'ailleurs ce
paradoxe en proposant d'inscrire dans notre législation la
continuité entre l'" appel de préparation à la
défense " et les préparations militaires. Seules, celles-ci
sont en mesure de constituer une véritable préparation à
la défense. L'" appel de préparation à la
défense " ne saurait permettre mieux qu'une sensibilisation des
jeunes à ce qu'implique la défense de son pays. Même la
notion d'" initiation " serait inadaptée à la
réalité de cette journée.
Votre commission, constatant le caractère insatisfaisant de la
dénomination retenue par le projet de loi, propose de lui substituer le
terme de
Rencontre armées-jeunesse
, qui définit de
manière plus objective que le projet de loi une manifestation
conçue essentiellement pour maintenir un lien privilégié
entre l'armée et la Nation.
b) Rééquilibrer la portée de la Rencontre armées-jeunesse par rapport à celle du recensement
- L'Assemblée nationale a aggravé les sanctions
applicables en cas de non-accomplissement du recensement, s'appuyant sur le
fait que, dans le contexte issu de la disparition du service national, c'est
sur le recensement que reposera le service national rénové et,
partant, c'est le recensement qui constituera la plus importante obligation.
- Votre commission des affaires étrangères, de la Défense
et des Forces armées souhaite, pour sa part, tirer les
conséquences du fait que la Rencontre armées-jeunesse, en
dépit de sa brièveté, ne saurait être
présentée comme une obligation plus bénigne qu'une simple
démarche administrative -puisque tel est, en pratique, le recensement,
même si le rôle de celui-ci dans la remontée en puissance
éventuelle de la conscription confère à cette
démarche une importance décisive. Comment faire comprendre aux
jeunes qu'il leur sera toute leur vie impossible de passer les examens et
concours visés par le projet de loi, s'ils n'ont pas
préalablement effectué leur recensement, alors que cette sanction
tomberait d'elle-même dès leur vingt-cinquième
anniversaire, s'ils ont persisté à ne pas se rendre à la
Rencontre armées-jeunesse ?
C'est pourquoi votre commission des Affaires étrangères, de la
Défense et des Forces armées propose, en
atténuant les
sanctions relatives au non-accomplissement du recensement, de renforcer la
portée de la Rencontre armées-jeunesse.
-
Dans le même esprit, votre commission des Affaires
étrangères, de la Défense et des Forces armées,
souhaitant renforcer la signification de la Rencontre armées-jeunesse,
suggère d'étendre l'objet de celle-ci au
bilan de
santé
que prévoyait le précédent projet de loi
à l'égard du " rendez-vous citoyen ". Même si
l'utilité directe de ce bilan de santé pourrait être
limitée dans l'hypothèse d'une remontée en puissance de la
conscription, en raison du décalage dans le temps susceptible de
séparer cet examen médical d'un éventuel
rétablissement de l'appel au contingent, il semble à votre
commission
inenvisageable de l'exclure d'office
. En effet, un bilan de
santé accompli entre seize et dix-huit ans pourrait avoir une importance
déterminante dans une perspective de
santé publique
, si
l'on considère les défaillances patentes de la médecine
scolaire française. Un tel examen médical permettrait sans aucun
doute un rattrapage non négligeable (vaccins, soins dentaires, radio des
poumons, dépistage des grandes pathologies) pour de trop nombreux jeunes
qui ne sont pas suivis par notre système de santé. Par ailleurs,
ce bilan de santé, effectué également dans une logique de
sélection, permettrait aussi de compléter le dossier des
personnes recensées que suivra l'administration chargée du
service national, en y insérant les
personnes
paraissant
définitivement
inaptes
à servir dans certains emplois
militaires. Ainsi, dans l'hypothèse du rétablissement de la
conscription, serait-il possible de gagner du temps, en évitant
d'appeler ceux qui, au moment de l'accomplissement de la Rencontre
armées-jeunesse, ont paru inaptes à tout service militaire.
Soulignons, par ailleurs, qu'il pourrait être procédé
à ce bilan de santé, à l'occasion de la Rencontre
armées-jeunesse, à partir d'un examen médical
effectué préalablement par les futurs appelés.
c) Eviter de figer d'ores et déjà la durée de la nouvelle obligation
En cohérence avec l'extension de l'objet de la Rencontre armées-jeunesse par rapport à ce que prévoyait le projet de loi à l'égard de l'"appel de préparation à la défense", votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées propose d'éviter de préciser d'ores et déjà la durée de la Rencontre armées-jeunesse, afin de ne pas exclure d'emblée une éventuelle prolongation de celle-ci en fonction des leçons de l'expérimentation.
2. Rappeler la priorité qui doit s'attacher à la professionnalisation
Comme votre commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées l'a déjà fait observer à l'égard du précédent projet de loi, il convient d'aborder la réforme du service national en proscrivant toute nostalgie pour le système révolu du service national obligatoire, car c'est désormais sur une armée professionnelle que repose l'essentiel de notre défense. Cette constatation affecte la portée non seulement du " devoir de concourir à la défense de la Nation ", défini par le premier article du présent projet de loi, mais aussi de l'éventuel rétablissement de la conscription.
a) Définir le devoir de concourir à la défense de la Nation de manière compatible avec la professionnalisation
Le premier article du futur code du service national pose le
principe d'un devoir, qui s'imposerait à
tous
les citoyens, de
concourir, " notamment par l'accomplissement du service national
universel ", à la défense de la Nation.
Le Sénat a déjà, lors de l'examen du
précédent projet de loi, souligné le paradoxe qui consiste
à imposer cette obligation à chacun, au moment même
où notre pays a fait le choix de confier sa défense à une
armée professionnelle. L'obligation créée par le
présent projet -comme le prévoyait d'ailleurs le
précédent projet- paraît d'autant plus contestable
qu'aucune disposition de ce type n'a jamais existé dans notre
système juridique quand la défense de la France reposait sur le
service national obligatoire. Le devoir de résistance à
l'oppression, inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789 ne s'apparente pas, en effet, au devoir de concourir à
la défense de la Nation au sens où l'entend le projet de loi.
Votre commission des Affaires étrangères, de la Défense et
des Forces armées propose donc de définir la portée de ce
nouveau devoir en suggérant que celui-ci ne s'impose pas obligatoirement
à la totalité des citoyens.
b) Préciser le caractère exceptionnel de l'éventuel retour à la conscription
Dans le même esprit, votre commission suggère de
revenir sur la définition générale du service national
rénové que propose le présent projet en rappelant que si,
certes, la conscription éventuellement rétablie fait partie du
service national, en revanche il convient de ne pas la banaliser en en faisant
un élément normal de celui-ci, à égalité
avec le recensement et la Rencontre armées-Nation.
Il convient donc de présenter le contenu du service national
rénové, de manière à indiquer que le
rétablissement éventuel de la conscription ne saurait être
mis sur le même plan que les obligations normales du service national
(recensement, Rencontre armées-jeunesse).
3. Souligner la spécificité du volontariat
Votre rapporteur a relevé une défaillance
majeure du présent projet, qui consiste à asseoir le futur
volontariat sur les mêmes principes que les emplois-jeunes (même
durée, rémunération équivalente). Ce faisant, le
projet de loi induit le
risque d'une confusion
entre le statut,
favorable, des futurs volontaires sous statut militaire, et la situation,
susceptible de paraître comparativement moins attractive, des
engagés.
Cette confusion a été aggravée par l'Assemblée
nationale, qui a tenu à étendre aux volontaires dans les
armées des dispositions du statut général des militaires
de 1972 qui ne semblent pas toutes adaptées à ce que doit
être le volontariat.
Soucieuse de rappeler que la catégorie des engagés doit faire
l'objet d'attentions spécifiques, car elle conditionne le succès
de la professionnalisation, votre commission des Affaires
étrangères, de la Défense et des Forces armées
propose :
- de
réduire la durée du volontariat à deux ans
, et
de rappeler qu'il s'agit d'un concours " temporaire " à la
communauté nationale : ces modifications visent à souligner que
le volontariat
obéit à une logique différente de celle
des emplois
, et qu'il ne doit pas s'inscrire exclusivement dans une
perspective de carrière ;
- de permettre au
volontariat dans les armées d'être accompli
de manière fractionnée
, comme le prévoyait le
précédent projet, en cohérence avec certains besoins des
armées en personnels de haut niveau, dont le volontariat pourrait
être intégré dans un cursus universitaire ;
- de
réserver aux engagés
(ainsi qu'aux autres militaires
de carrière et sous contrat)
certaines dispositions du statut
général
des militaires que l'Assemblée nationale a
souhaité d'ores et déjà étendre aux volontaires.
Or, certaines de ces dispositions du statut des militaires sont
inadaptées à des personnels dont la durée de service
devrait être réduite à deux ans (congé de
reconversion de six à douze mois payé par les armées,
obligation de demander l'autorisation d'épouser une personne
étrangère ...).
4. Encadrer la mise en oeuvre du service national rénové
Votre commission des Affaires étrangères, de la
Défense et des Forces armées souhaite que des instances
compétentes et spécialisées puissent guider, non seulement
la mise en oeuvre de la réforme du service national, mais aussi son
suivi ultérieur.
Elle propose donc :
- de rappeler l'intervention du
Conseil supérieur des Français
de l'étranger
dans la définition des conditions dans
lesquelles s'effectuera la Rencontre armées-jeunesse pour les
Français de l'étranger ;
- et, surtout, de restaurer le
Haut conseil du service national
que
prévoyait de créer le précédent projet, en adaptant
les missions de celui-ci aux nuances introduites par le présent texte
(ainsi le Haut conseil du service national donnerait-il un avis sur le contenu
de l'enseignement relatif aux principes de la défense, qui sera
dispensé dès la scolarité).
Rappelons que l'intervention du Conseil supérieur des Français de
l'étranger -et de son bureau permanent dans l'intervalle des sessions du
CSFE- s'impose, compte tenu des difficultés susceptibles de
résulter non seulement de l'organisation de la Rencontre
armées-jeunesse dans certains pays, mais aussi de la situation souvent
complexe des binationaux résidant à l'étranger.
5. Assurer le respect du principe d'égalité
Deux dispositions du présent projet de loi paraissent en contradiction avec le principe d'égalité des citoyens devant la loi. Il s'agit du cas des jeunes gens nés en 1979, que le présent projet dispense de toute obligation, à l'égard du service national obligatoire comme à l'égard du service national rénové. Il s'agit également de la situation, par ailleurs beaucoup plus complexe, des jeunes gens titulaires d'un emploi, et incorporables durant la période de transition dans le cadre de la législation actuellement en vigueur.
a) Etendre le service national rénové aux jeunes gens nés en 1979
Pour des raisons liées au souci d'assurer une
montée en puissance très progressive du nouveau service national,
le présent projet de loi dispense de celui-ci les jeunes gens nés
en 1979. Cette dispense ne porte en réalité " que " sur
la Rencontre armées-jeunesse, car la classe 1999 a été
recensée l'année de ses dix-sept ans, en 1996. Par ailleurs, le
présent projet de loi autorise les jeunes gens nés en 1979
à participer à la Rencontre armées-jeunesse s'ils le
souhaitent.
Le projet de loi n'en crée pas moins une sorte de vide entre le service
national obligatoire, dont l'application s'arrêtera aux jeunes gens
nés en 1978, et le nouveau système, qui débutera avec les
jeunes gens nés en 1980. L'année de naissance 1979 ne
relève donc d'aucun des deux systèmes.
Votre commission des Affaires étrangères, de la Défense et
des Forces armées propose donc de soumettre au service national
rénové les jeunes gens nés en 1979, afin d'assurer le
respect du principe d'égalité des citoyens devant la loi. Compte
tenu de la durée extrêmement brève de la Rencontre
armées-jeunesse, l'organisation matérielle de celle-ci ne devrait
pas poser de problèmes comparables à ceux qu'aurait pu susciter
la montée en puissance du " rendez-vous citoyen ",
essentiellement du fait du choix qui avait alors été fait du
principe de l'internat. Il ne paraît donc pas insurmontable d'assurer
l'accomplissement de la Rencontre armées-jeunesse par les jeunes gens
nés en 1979,
a fortiori
si, comme le propose votre commission des
Affaires étrangères, de la Défense et des Forces
armées, il était admis que les jeunes gens nés en 1979
puissent accomplir cette obligation pendant l'année 1999, au cours de
laquelle ils atteindront l'âge de vingt ans.
b) La situation complexe des jeunes gens titulaires d'un emploi
C'est dans le même esprit que votre commission des
Affaires étrangères, de la Défense et des Forces
armées a abordé la situation des jeunes gens titulaires d'un
emploi, et incorporables selon les modalités actuellement en vigueur.
.
Lors de l'examen du précédent projet de loi, la solution
tendant à
dispenser purement et simplement les titulaires d'un
contrat de travail
avait été exclue, au motif qu'elle aurait
conduit à une grave entorse au
principe d'égalité des
citoyens
devant l'obligation du service national, et qu'elle aurait
compromis la montée en puissance de la professionnalisation. En
revanche, l'Assemblée nationale comme le Sénat étaient
convenus de la nécessité d'aménager la législation
en vigueur, en élargissant les cas de dispense aux jeunes gens que leur
incorporation aurait placés dans une "situation sociale grave" (cas
des
jeunes gens ayant contracté un emprunt, et qui ne pourraient
bénéficier d'aucune aide financière de leur famille). De
même, les deux assemblées avaient tenu à garantir aux
appelés qui travaillaient avant d'être incorporés la
réintégration dans leur emploi dès leur libération.
.
Souhaitant concilier le souci légitime de préserver
l'emploi des jeunes et les besoins des armées pendant la période
de transition, l'Assemblée nationale propose de
créer une
nouvelle catégorie de report d'incorporation
pour les titulaires
d'un contrat de travail de droit privé (voir supra, III-B, 2b). Votre
commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées a néanmoins considéré que
cette
solution ne devrait pas apporter de solution claire au problème
posé par l'incorporation des jeunes gens qui ont un emploi, à la
différence des modifications du code du service national et du code du
travail intervenues, à la demande du Parlement, lors de l'examen du
précédent projet
(extension des cas de dispense aux
situations sociales graves, suspension du contrat de travail pendant le service
national avec garantie, et non plus seulement priorité, de
réembauche après le service national).
En effet, l'attribution de ces nouveaux reports dépendra de
l'appréciation que fera la commission régionale,
déjà compétente en matière de dispenses, de la
situation des jeunes gens dont les cas lui seront soumis. Or, le nouvel article
L. 5 bis-A que l'Assemblée nationale a souhaité insérer
dans le code actuel du service national n'oblige pas cette commission à
délivrer un report d'incorporation aux titulaires d'un contrat de
travail.
La disposition adoptée par l'Assemblée nationale risque en outre
de compromettre la montée en puissance de la professionnalisation,
compte tenu du grand nombre de jeunes gens susceptibles d'être
concernés (quelque 30 % de chaque classe d'âge, en effet,
seraient titulaires d'un contrat de travail à durée
déterminée ou indéterminée).
.
Votre commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées propose donc de
limiter à
une durée maximale de deux ans les reports susceptibles d'être
attribués aux titulaires d'un contrat de travail à durée
indéterminée,
afin de donner aux armées la
faculté de prévoir, dans la mesure du possible, le nombre exact
des appelés qui effectueront le service national actif pendant la
période de transition. Cette disposition a également pour objet
d'atténuer les entorses au principe d'
égalité entre les
jeunes gens incorporables
, en n'excluant pas, au terme d'un report de deux
ans, l'incorporation de certains titulaires d'un contrat de travail (à
condition toutefois que ces reports d'un type nouveau ne viennent pas à
échéance après 2002, c'est-à-dire après la
fin de la période de transition).